vendredi 30 septembre 2011

Le gambit d'Aquitaine

Voici un article extrait de la revue « La Stratégie » de mars 1917.
L’article n’a que peu d’intérêt théorique, surtout à l’heure actuelle où il est possible avec un bon logiciel d’échecs de vérifier en quelques minutes si un sacrifice tient ou non la route.
(Image : La Stratégie - Source BNF)

Mais son intérêt est ailleurs. Au travers de cet article on voit bien l’importance qu’occupe encore le Café de la Régence dans les échecs français du début du 20ème siècle.
Il montre également l’étroite relation entre les différentes revues françaises d’échecs du 19ème et début 20ème siècle avec le fameux Café de la Régence.

Dernière précision: la notation dans « La Stratégie » est une notation descriptive française. Je l’ai transcrite en notation algébrique pour une lecture plus aisée.

Le Gambit d’Aquitaine dans la partie Lopez

1.é4 é5 2.Cf3 Cç6 3.Fb5 a6 4.Fxç6 dxç6 5.Cxé5 Dd4 (ou De7 ou Dg5) 6.0-0 Le coup constitutif, comme dit notre directeur Delaire. 6….Dxé5 7.d4

Voici la position que notre confrère anglais, le British Chess Magazine (mars 1917, p.71) soumet à l’appréciation de ses lecteurs, à la suite d’une lettre adressée par R.Gaudin, de Bordeaux, champion de l’Echiquier d’Aquitaine, l’inventeur de ce « gambit ». Mr. G. semble bien se douter que son gambit ne saurait résister à une analyse sérieuse, mais il sollicite néanmoins l’examen en vue de son emploi pratique.

Un coup d’œil sur la position révèle l’idée qui a présidé au sacrifice : la D noire est embarrassée, elle n’a directement pas de bonne case à sa disposition. En effet les deux cases sur le côté (Db5 – Da5) ne paraissent pas recommandables, tandis que, sur chacune des 4 autres cases – d6, e6, e7 et f6 elle gène manifestement le développement des pièces noires, tout en restant exposée à l’attaque des P blancs.
Après quelque réflexion, je me suis décidé en faveur de
7. … Df6
Et cela dans l’intention avouée de porter la D à une des deux cases – g6 ou h4, où elle parait être pratiquement inattaquable, tout en préparant une attaque sur le R noir.
Là-dessus je me retourne vers les blancs pour examiner leurs chances. Ils ont un beau centre, c’est incontestable. Mais aussi c’est tout, car le P en plus ne saurait compter comme compensation de la pièce sacrifiée. Leurs deux pièces mineures, F et C, n’ont pas de bien brillantes perspectives. Je me demande particulièrement où devra aller le C et je reste perplexe. Mais avant tout, par suite de l’échange fait au 4ème coup, ils n’ont plus de FR (Fou Roi) ; il leur manque le F d’attaque, sans lequel Philidor, Tarrasch et maints autres ont déclaré ne rien savoir inventer. Il faut donc que l’avantage constaté ou entrevu par le promoteur du gambit consiste dans la difficulté que devront éprouver les Noirs à se développer. Dans ce sens, le gambit est vraiment original. Il est, en effet, d’ordre stratégique, tandis que tous les autres gambits où l’on sacrifie une pièce au début (Muzio, Pierce, Allgaier, Rice, etc.) sont d’ordre tactique et visent directement la position du R noir.
Or pour gêner le développement des Noirs, notamment celui de leur FD (qui menace de dominer, à la longue, sur les cases blanches, conséquence logique de la disparition du FR des Blancs), le meilleur coup parait être
8.f4
Sur quoi les Noirs, réalisant le plan conçu, jouent de suite
8…. g6
Il importe de ne pas laisser venir le P blanc à f5, où il paralyserait pour longtemps le FD des Noirs. Exemple : 8….Dh4 9.f5 Cf6 10.Tf4 Dh5 11.De1 g5 12.Tf1 et le développement des Noirs est pénible. Le coup 8…g6 donne, en outre, une nouvelle issue au FR.
Maintenant le développement des Noirs est assuré. Si 9.é5, à ce moment ou plus tard, ils obtiendront la commande des diagonales blanches pour leur FD. Si par exemple
9.Cc3 Fg7 10.Fé3 Fé6 11.f5 (ou A) 11….gxf5 12.exf5 Fxf5 (12….Fd5 est complètement sûr) 13.g4 Dé7 14.Ff4 Fé6 suivi de Roq TD (grand Roque) et gagnent.
A 11.Ca4 000 12.Cc5 Ff8 13.Cd3 Fxc4 etc. Tout ceci à simple titre d’indication.

Désireux d’avoir l’opinion de quelques très forts joueurs, j’ai soumis au Café de la Régence, le Gambit d’Aquitaine à aéropage de Maîtres, composé de MM. Jean Taubenhaus, Aurbach, E.M.Antoniadi et H.Weinstein, ce dernier tout récemment revenu de Pétrograd. Leur avis unanime a été que, dans la position relativement favorable où se trouvaient les Noirs au 7ème coup, avec leurs deux F dégagés, leur grand Roq assuré, le sacrifice des Blancs n’avait pas obtenu de compensation suffisante. Après quelques analyses sur les lignes indiquées par moi, ces messieurs ont déclaré qu’en allant plus loin ils craindraient « d’enfoncer des portes ouvertes ».
J’en conclus donc que le Gambit de M.Gaudin ne peut être considéré que comme une ingénieuse fantaisie. Ça peut se jouer, contre un joueur faible, dans une partie légère, mais là tout peut se jouer, même des parties à avantage. Mais c’est intéressant, dites-vous ? Oui, je sais bien, les Échecs sont un jeu très intéressant.
J’affirme que je n’ai mis aucun parti-pris dans les lignes qui précédent, et je me sais couvert, dans mes conclusions, par l’unanimité des meilleurs joueurs de France. Peut-être M.Gaudin en tirera-t-il la conclusion qu’il est certaines innovations et inventions qu’il vaut mieux ne pas soumettre à l’examen de la presse échiquéenne. Encore moins faut-il s’étonner de ne pas trouver trace de pareilles fantaisies dans le « Handbuch ». Le célèbre manuel, quelque volumineux qu’il soit, comporte de nombreuses lacunes d’ordre plus sérieux. Ainsi j’ai constaté que la dernière édition ne mentionne pas la défense Rosenthal dans la partie Ecossaise (1.é4 é5 2.Cf3 Cç6 3.d4 éxd4 4.Cxd4 Cxd4 5.Dxd4 Df6)

Paris, 15 mars 1917   A.Geoffroy-Dausay

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