mardi 25 septembre 2012

Localisation après 1854 (III)



Avant de poursuivre avec les aventures de Paul Morphy au Café de la Régence, voici un petit article relatif à une information importante sur l’installation en 1855 du Café de la Régence rue Saint-Honoré.


Dans la revue « La semaine des familles » du 5 février 1859 on apprend donc un détail intéressant sur l’histoire du café de la Régence.
Mais auparavant j’ai trouvé amusant et tout à fait dans le style de l’époque la présentation de cette revue faite dans le journal « Le Siècle » du 22 septembre 1858.

Présentation de « La semaine des familles » (Source Gallica – BNF):

« - La Semaine des familles, cette revue hebdomadaire illustrée, que le père, la mère et les enfants pourront lire, parlera à l’esprit et au cœur par des plumes exercées, aux yeux par des crayons habiles. Quelle ressource pour ces familles honnêtes et modestes, l’honneur de notre pays, qui conservent des goûts libéraux ! Elles trouveront là, à bon marché, le proverbe, le conte, la poésie, les voyages, les causeries scientifiques et littéraires, la mode même. C’est un succès ! »

Et voici le « détail » intéressant au sujet du Café de la Régence – La Semaine des Familles du 5 février 1859 (Source Gallica – BNF) : dans un assez long article sur le jeu d’échecs, l’auteur, un certain « Karl », mentionne la date exacte de la réouverture du café de la Régence dans ses nouveaux locaux.

Une précision : au sujet de l’expropriation, au lieu de dire « en 1850 » il aurait été plus correct d’annoncer « vers 1850 », puisque le factum d’expropriation que j’ai déjà publié date de 1853. 


« (…) Compris dans les nombreuses démolitions nécessaires pour l’achèvement du Louvre, le café de la Régence, qui depuis son origine, était resté sur la place du Palais-Royal, fut exproprié en 1850. Son propriétaire d’alors, M. Vielle (c’est lui qui m’a fourni avec une aimable obligeance les principaux détails concernant l’établissement qu’il a dirigé si longtemps avec succès), avait été obligé, pendant que l’on bâtissait la maison que le café occupe aujourd’hui dans la rue Saint-Honoré, de le transférer provisoirement dans le rue Richelieu ; et, chose singulière, cet intérim ne devait en rien altérer son cachet historique, car ce fut précisément l’ancien hôtel du duc de Richelieu qui lui servit de refuge. La réouverture du café actuel eut lieu le 15 août 1855, au moment de la visite de la reine d’Angleterre à Paris.(…) ».

Au sujet des différentes localisations du café de la Régence je vous renvoie à la lecture des premiers articles que j'ai publiés sur ce blog en septembre 2011. 
J'en ai profité pour mettre à jour le tableau des limonadiers

jeudi 13 septembre 2012

La simultanée de Morphy (1 sur 2)

Avant de parler proprement dit de la simultanée sensationnelle que Morphy donna au Café de la Régence (simultanée à l’aveugle sur 8 échiquiers jouée le lundi 27 septembre 1858), il me semble intéressant de parler un peu du jeu à l’aveugle et du contexte de cette simultanée.

Les évènements de la simultanée feront l’objet d’un article dédié.

Dans un livre que j’ai déjà chaudement recommandé, « François André Danican Philidor, La culture échiquéenne en France et en Angleterre au XVIIIème siècle » par Sergio Boffa, deux chapitres sont consacrés au jeu à l’aveugle.

Cette façon de jouer est très ancienne, et l’auteur mentionne « En 1266, le Sarrazin Buzecca jouait déjà trois parties simultanément dont deux à l’aveugle. Cette tradition s’est perpétuée, du moins en Italie, puisqu’au XVIème siècle, Damiano y consacre le dernier chapitre de son traité. On raconte aussi que Paolo Boï (1528 – 1598) réussit à sauver sa vie dans un navire barbaresque en affrontant à l’aveugle le chef des pirates qui l’avait capturé ».

Au XVIIIème siècle Philidor, pour des raisons essentiellement alimentaires, se lança dans des séances de jeu d’échecs à l’aveugle sur deux échiquiers. Les séances, principalement en Angleterre, sont bien entendu payantes pour les spectateurs. Mais Philidor reste assez réticent sur ce type de prestation qui le fatigue, mais qui lui assure une gloire immense des deux côtés de la Manche.

D’ailleurs en 1782, dans une lettre adressée à Philidor par son ami Diderot, celui-ci lui reproche de s’adonner à une activité non seulement futile, mais aussi dangereuse pour la santé (in S.Boffa).

Voici un extrait du livre de Sergio Boffa qui résume bien l’exploit de Philidor :
« Pour bien comprendre (…) il faut se plonger dans l’atmosphère de cette époque. Les parties d’échecs étaient jouées avec beaucoup moins de solennité que de nos jours. Actuellement, ce genre d’exercice se fait dans un silence complet et selon des règles très strictes. Il n’en était rien au XVIIIème siècle. Le public se groupait autour des échiquiers, commentait librement les positions, donnait sans complexe ses suggestions aux joueurs qui n’hésitaient pas à vérifier la solidité d’une variante en déplaçant quelques pièces. »

Philidor indique (lettre du 15 janvier 1790 éditée dans M.BENOIT, Correspondance, p.152 – citée par Sergio Boffa) : « Je perds cette année un souscripteur de 20 guinées, qui est le Duc de Malborough qui s’est retiré de notre club. Voilà une perte réelle pour moi. Il est difficile de trouver un remplacement aussi considérable. Je n’ai d’autres ressources que mes parties sans voir l’échiquier, qui me fatigue, mais qui me produisent quelques bénéfices. Il faudra jouer d’avantage cet hiver que par le passé. »

Dans la revue de Paris, 1838 (in S.Boffa), la situation n’a pas changé vers 1830 quand Labourdonnais joue à l’aveugle au Café de la Régence : « Malgré le silence obligé que le bon sens imposait à chaque spectateur, il y avait bien du fracas encore autour des joueurs. Le grincement des portes, les piétinements de la salle voisine, les exclamations comprimées, le rhume de la saison, le roulement des pièces sur les quinze échiquiers où l’on suivait la partie, les colloques à voix basse, toute cette inévitable harmonie si étourdissante d’une assemblée qui demande le silence, ne pouvait que nuire à M. de Labourdonnais ».  

Revenons au contexte de la simultanée de Morphy en 1858.
Dans un précédent article j’ai raconté l’arrivée au Café de la Régence du génial américain en me basant sur le témoignage de son secrétaire et ami Frederick Edge dans le livre « Paul Morphy, The Chess Champion ».
N’ayant pas pu rencontrer à Londres Howard Staunton, réputé être le plus fort joueur du vieux contient, Morphy se rend à la fin de l’été à Paris pour y affronter le très fort joueur d’origine allemande Daniel Harrwitz (le plus fort joueur d'échecs à Paris à cette époque) et bien sûr visiter le temple des échecs mondialement connu.

Après un début de match mitigé, Morphy prend largement  le dessus sur son adversaire. Harrwitz invoque alors la fatigue et une indisposition pour ajourner provisoirement le match.

En attendant la reprise du match, Morphy décide alors de se lancer dans un évènement sensationnel : une simultanée à l’aveugle est planifiée pour le lundi 27 septembre 1858 au Café de la Régence, mais avec surtout un nombre de 8 parties simultanées, du jamais vu.
L’évènement est annoncé dans la presse parisienne (je n’ai pas pour le moment réussi à mettre la main sur un article le mentionnant, mais c’est ce qu’indique Frederick Edge dans son livre et j’ai trouvé des articles post-évènement).

(Daniel Harrwitz en 1850)
En fait je suis persuadé qu’il s’agit là d’une exhibition qui va au-delà du simple évènement. Il y a là probablement une intention de la part de Morphy de montrer sa large supériorité à Harrwitz par un autre biais et de continuer ainsi indirectement leur affrontement.
Pourquoi ? Car quelques mois auparavant (début mars 1858), Daniel Harrwitz avait donné une simultanée à l’aveugle sur trois échiquiers au Café de la Régence.
Trois échiquiers seulement pour Harrwitz contre huit pour Morphy… Une humiliation pour Harrwitz qui assistera quelques instants à la prestation de Morphy.

Journal « La Presse » - édition du 9 mars 1858 (source Gallica BNF)

« Encore une page mémorable à ajouter aux fastes des échecs. Jeudi dernier 4 du courant, M. Harrwitz, qui devait jouer trois parties à la fois sans voir l’échiquier, a dépassé ses brillantes promesses. Après une lutte opiniâtre, il est resté vainqueur, battant ses trois adversaires, aux applaudissements répétés de la réunion nombreuse attirée par la rareté et l’intérêt de ce spectacle.
Pour cette solennité, le cercle des Échecs du café de la Régence avait ouvert ses portes.
Dès huit heures du soir, une foule d’amateurs se pressaient en attendant l’heure du combat.
Trois salons avaient été disposés.
Au milieu se trouvait une table avec un échiquier pour le joueur, et, dans les angles d’autres échiquiers où les assistants pouvaient suivre les coups et les répéter.
M. Harrwitz se tenait dans une petite pièce voisine, où, pendant toute la lutte, chacun a pu le voir, la tête appuyée dans sa main, diriger avec une merveilleuse lucidité les parties.
A neuf heures, les parties commencèrent. M. Harrwitz joua le premier ; chacun des joueurs répondit immédiatement, et pendant trois longues heures, les coups se succédèrent sans que, de la part de M. Harrwitz, il y ait eu un seul moment d’hésitation.
La partie N°2 fut la plus intéressante des trois, surtout au point de vue du problème à résoudre. L’adversaire de M. Harrwitz voulait, avant tout, l’embarrasser. Aussi commença-t-il une de ces parties serrées, inextricables, où toutes les pièces, enchevêtrées les unes dans les autres, offrent au joueur qui voit l’échiquier un aspect presque insaisissable.
Quels prodiges de mémoire n’a-t-il pas fallu pour suivre ce fil embrouillé ! Au vingtième coup pas un pion, pas une pièce n’étaient échangés ni pris, et cependant, comme dans les autres parties, sans s’y appliquer d’avantage, jouant même au besoin plus vite que son adversaire, M. Harrwitz a dénoué ce nœud gordien, et quand on est venu annoncer le mat forcé en cinq ou six coups au plus, des bravos ont éclaté de toute parts.
Un tournoi semblable avait été déjà autrefois soutenu en Angleterre par le célèbre Philidor, qui s’était, à son issue, senti pendant quelques jours tout épuisé et presque fou.
M. Harrwitz, au contraire, à la fin de la lutte, ne donnait aucun signe de fatigue, et déclarait se trouver parfaitement calme ».
   

dimanche 9 septembre 2012

Un portefeuille perdu

Dans la revue datée du 20 août 1790 « Affiches, Annonces et Avis divers » (Source Google Book) se trouve une annonce au sujet d’un portefeuille perdu :

Le 14 (août 1790), entre 6 & 8h du soir, on a perdu, au Palais royal, un PORTE-FEUILLE rouge, renfermé dans un autre bleu, contenant plusieurs billets & une lettre-de-change échue. Récomp. honn. A qui le rapportera à M. Le Boulenger, rue S. Honoré, hôtel d’Angleterre, près du café de la Régence.


Dans des précédents articles j’ai déjà mentionné le caractère « chaud » du quartier du Palais Royal, autour du Café de la Régence et ce durant près de deux siècles.
Pourtant en s’y promenant de nos jours dans ce quartier chic il est difficile d’imaginer la débauche.
Les filles de joie y seront nombreuses du 18ème jusqu’au début du 20ème siècle (on retrouve de nombreuses références à ceci dans la main courante du commissariat de police de ce quartier au début du 20ème siècle). Mais dans le quartier se trouvent également des maisons de jeu.

L’annonce mentionne « l’hôtel d’Angleterre ». Il semble qu’à la fin du 18ème siècle l’hôtel soit de bonne tenue - « Souvenirs de Paris en 1804, par Auguste Kotzebue » (source Google Book).

« J’ai logé dans un des meilleurs quartiers de Paris, à l’hôtel d’Angleterre, près du Palais-Royal et de cinq à six théâtres ; mon logement consistait en une antichambre, un salon, une petite chambre à coucher, une chambre de travail, une garde-robe, une petite chambre pour un valet-de-chambre, un entresol pour un domestique et pour placer du bois. Il y avait des cheminées en marbre ; les planchers étaient couverts de beaux tapis, l’ameublement était en soie ; il y avait des pendules, de grandes glaces, de jolies tapisseries ».

Mais les choses se gâtent ensuite et par exemple en 1832 dans le livre « Paris ou le livre des cent-et-un » (source Google book – il s’agit d’un guide sur Paris) on apprend que :

« Puis vient la place et le Palais-Royal (le Palais-Cardinal) dont nous avons déjà parlé. A gauche, tout près du Café de la Régence, si vieux de réputation, et qui a de si vieux habitués, de braves joueurs d’échecs qui restent une demi-heure sur un pion sans mot dire ; à côté, dis-je, un estaminet se distingue au fond d’une longue cour. C’est là que se voyait le célèbre Hôtel d’Angleterre, ce réceptacle de joueurs, de curieux, de débauchés et de filous ; c’était comme une succursale du N°113. Le joueur à moitié ruiné venait y finir sa nuit ; quelquefois aussi il allait l’achever sous les eaux de la Seine ou dans un corps-de-garde, en attendant les assises ou le bagne de Toulon ».

mardi 4 septembre 2012

La « Datcha » d’Ivan Tourgueniev

De même que le Café de la Régence se dépeuplait durant l’été, j’ai laissé un peu de côté ce blog durant mes congés…
Mais je ne suis pas resté inactif pour autant, cela a été l’occasion de faire quelques recherches et j’ai notamment visité un lieu ayant un rapport plus ou moins direct avec le Café de la Régence.
Il s’agit du chalet de l’écrivain russe Ivan Tourgueniev dans lequel l'écrivain a vécu la dernière partie de sa vie.
La « datcha » d’Ivan Tourgueniev est située à Bougival dans les Yvelines à quelques kilomètres à l’ouest de Paris. Je vous invite à visiter ce petit musée hors du temps et du brouhaha de la ville.

 La "datcha" d'Ivan Tourgueniev

Quel lien entre Tourgueniev et le Café de la Régence ?
En fait l’écrivain avait deux passe-temps principaux : la chasse et le jeu d’échecs.

Le conservateur du musée européen d’Ivan Tourgueniev, Alexandre Zviguilsky (photo) m’a chaleureusement accueilli pour discuter notamment de cette passion du jeu d’échecs, et je l’en remercie.

 (plaque au 210 rue de Rivoli à Paris)
Il m’a appris que Tourgueniev habita assez longtemps au 210 rue de Rivoli, une adresse à quelques centaines de mètres du Café de la Régence. Durant cette période, en 1860/1861, il fréquenta régulièrement le Café de la Régence et avait notamment deux surnoms « Monsieur Jean » et « Le Chevalier du Fou » du fait de son amour pour cette pièce !
En 1861, il eut également l’occasion de jouer un match contre le français d’origine polonaise Wladislaw Maczuski. La seule victoire d’Ivan Tourgueniev a été publiée dans la revue « La Nouvelle Régence » en 1861. Je rédigerai un article plus détaillé sur Tourgueniev et le Café de la Régence ultérieurement.


Un des points intéressants de cette visite dans la datcha de Tourgueniev est justement la mise en scène de cette partie dans un petit film tourné à l’occasion de l’année franco-russe en 2010 (photo).
Alexandre Zviguilsky m’a également fait part de son désir secret de recréer l’atmosphère du Café de la Régence dans une pièce du musée !

Un dernier point important : lui-même joueur d’échecs, il a eu l’occasion dans sa jeunesse de se rendre au Café de la Régence dans les années 60 (il ne se souvenait plus de l’année de cette visite, mais plutôt au début des années 60 – voir cet article pour un aspect du Café dans les années 50). Là se trouvait la fameuse table de Napoléon (sans doute la « vraie » table pour attirer les touristes – voir mon article dédié au sujet de cette table) sur laquelle était posé un jeu sous une cloche de verre présenté comme le jeu de Napoléon (détail sur lequel a insisté Alexandre Zviguilsky). Ce dernier détail était sans doute une idée et une invention du propriétaire de l’époque, car je n’ai trouvé nulle part une mention d’un tel jeu.
En tout cas c’est le témoignage qui mentionne l’existence du Café à une date la plus proche de nous.