jeudi 21 juin 2012

L’arrivée de Paul Morphy au Café de la Régence

Au début l’été 1858, le génial Paul Morphy se rend en Europe pour affronter les plus forts joueurs d’échecs du vieux continent.
Ce voyage devint par la suite une véritable légende dans l’histoire du jeu d’échecs tant fut grande l’aura de Paul Morphy après cette tournée européenne.
Il se rend d’abord à Londres, mais après de nombreuses tergiversations de la part d’Howard Staunton, le plus fort joueur britannique, la rencontre n’a pas lieu.
(Paul Morphy)

Paul Morphy se rend alors à Paris et il passe nécessairement au Café de la Régence.
Il est important de vous rappelez ou bien de vous apprendre que Morphy était originaire de la Nouvelle-Orléans, peuplée alors de nombreux colons d’origine française.
Ainsi, grâce à sa mère Paul Morphy maîtrise parfaitement le français quand il arrive à Paris, ce qui jouera sans aucun doute sur sa popularité.
Paul Morphy a alors 21 ans et il est accompagné dans ce voyage de son secrétaire et ami Frédérick Edge.

Si vous parlez l’anglais, je ne peux que vous recommander de consulter ce site américain d'une très grande richesse dédié à Morphy.
Vous trouverez également sur Google Book le livre dont je cite de larges extraits ci-dessous.

Pour gagner un peu de temps, je me suis servi de la traduction partielle d’extraits que l’on trouve dans le cahier du CREB, que j'ai déjà cité, dédié au Café de la Régence et j'ai complété avec ma traduction.
Mais j’ignore si le livre a été traduit en français, aussi merci d’avoir de l’indulgence pour ma traduction !


Voici donc des extraits du livre
« Paul Morphy, The Chess Champion,
an account of his career in America and Europe
with a history of chess and chess club
and anecdotes of famous players
by an Englishman - Londres1859 » de Frederick Edge.

Dans le chapitre VII on apprend comment s’est déroulé le voyage de Paul Morphy depuis l’Angleterre jusqu’à Paris.

Dans le bateau qui conduit Paul Morphy et Frederick Edge à Calais, le génial américain a un mal de mer terrible.
Mais l’idée de se mesurer aux meilleurs joueurs français est une perspective qui l’enchante !
Ainsi Morphy indique
« Bien, maintenant je vais rencontrer Harrwitz ! Je le battrai dans les mêmes proportions que j’ai battu Löwenthal bien qu’il soit un meilleur joueur de match que Löwenthal. Mais je jouerai mieux avec Harrwitz ».
Rappelons qu’à défaut de jouer contre Staunton, Morphy écrase notamment Johann Löwenthal à Londres en 1858 sur le score de 10 à 4.
Daniel Harrwitz est un joueur allemand de première force établi à Paris depuis de nombreuses années. Il subira la loi de Morphy comme tout le monde !

A leur arrivée à Calais, ils doivent encore prendre le train jusqu’à Paris par la compagnie du « Chemin de Fer du Nord ».
Ce n’est pas le TGV…
« Et commença le long et morne trajet de dix mortelles heures pour Paris ».  

Puis c’est leur arrivée à Paris, après leur installation à l’hôtel puis un repas au « Restaurant des Trois Frères Provençaux » (NDLR : restaurant disparu qui se trouvait au Palais Royal).
« Je connaissais la capitale Française comme un gamin de Paris (NDLR : en français dans le texte) ; et sans dire un mot à Morphy de mes intentions, je l’emmenais tranquillement dans le bas du Palais Royal, puis passé le Théâtre Français, et tout droit dans le Café de la Régence. »

Le chapitre VIII est dédié à la venue incognito de Paul Morphy et Frédérick Edge au Café de la Régence.
Le Café de la Régence se situe à cet endroit depuis 3 ans environ (voir les articles précédents) et le propriétaire vient de changer (à ce sujet je ferai un article dédié car ma liste de propriétaires est sans doute erronée pour cette période).
Il semble que le Cercle des Échecs, qui avait rejoint l’ancien café de la Régence suite à des difficultés financières en 1841, soit toujours au premier étage de celui-ci au moins jusqu’à la fin 1858 d’après le texte.

Frédérick Edge décrit brièvement les cafés de Paris et ajoute sur le Café de la Régence « Mais le Café de la Régence se démarque des autres ; il est ce qu’il est et même plus. C’est une incarnation de tous les autres (cafés de Paris). »

« Je vais donner un daguerréotype de la Régence comme Morphy et moi-même nous l’avons trouvé, et comme chacun le découvrirait actuellement ».

« La première chose qui attira notre regard, en entrant, fut un nuage dense de fumée de tabac, produit du tabac de Caporal et des cigares de la Régie. La seconde « curiosité » fut un individu massif, avec des épaules titanesques, qui comme nous l’apprîmes plus tard, était Monsieur Morel, ou plutôt comme ils l’appelaient là-bas, « Le père Morel » ou encore « Le rhinocéros ». Ayant fait le tour des flancs de ce gentilhomme, et nos yeux s’étant habitués à cette atmosphère particulière, nous constatâmes que les tables étaient placées si près les unes des autres qu’une seule personne pouvait passer entre elles et que sur certaines on jouait aux échecs, sur d’autres, aux dames, aux cartes, aux dominos. Dans la deuxième pièce, deux tables de billard étaient en pleine action, entourées par d’autres parties d’échecs et de cartes, tandis que le vacarme incessant de la foule semblait rendre impossible toute concentration…

A une table dans la première pièce, une petite foule regardait le concours entre deux amateurs du « noble jeu des joueurs d’échecs » et l’attention de Morphy fut immédiatement captivée.
Je me suis approché de la dame du comptoir et je me renseignais sur qui était présent dans la pièce, et j’appris d’elle qu’un des deux joueurs que Morphy regardait était Monsieur Journoud « Un de nos plus forts », ajouta la femme, comme s’il était évident que j’étais un étranger.
Elle m’informa que Mr Harrwitz était actuellement à Valenciennes, mais souhaitait revenir à Paris à la fin de la semaine, afin de rencontrer Mr. Morphy.
Impassible et ne montrant aucune surprise à la mention de ce dernier nom, elle m’informa volontairement que Mr Morphy était un célèbre joueur Américain, qui avait battu tout les joueurs qu’il avait rencontré, et qu’il était attendu depuis hier. Cette dame était plaisamment volubile, et je l’encourageai ; ceci l’induit à ajouter que Monsieur Arnous de Rivière venait juste de recevoir une lettre d’un ami de Londres, apprenant de lui que notre héro avait quitté la capitale Anglaise, et qu’il était en route vers Paris.

Ayant appris autant que je pouvais que la dame du comptoir pouvait communiquer, je rejoignais Morphy, et nous avons jeté un second regard dans la pièce autour de nous.
Le son de toutes les langues européennes parvenait à nos oreilles, et nos yeux découvraient différents types de peuples. Dans un coin, une troupe d’Italiens parlaient, amicalement sans doutes, avec leur façon rapide et querelleuse. A une des tables de billard, un groupe de Russes, jouaient à leur manière, sans se soucier des auditeurs ; des Américains et des Anglais, des Allemands, Danois, Suédois, Grecs, Espagnols, etc … bavardaient ensemble, sans se soucier des voisins, transformant le café en une véritable tour de Babel. Des quantités de journaux traînaient ici et là – les principaux journaux européens en fait – afin que chaque visiteur, quelque soit sa nationalité, puisse prendre des nouvelles de son pays.

La foule semblait, comme toujours, représenter chaque couche de la société. Il y avait des militaires, du colonel au simple soldat ; un ou deux prêtres, qui semblaient quelque peu hors de leur élément, des individus bien habillés, à l’allure aristocratiques, qui formaient des groupes dans différents coins ; et les invariables piliers de café qui passent la moitié de leur existence dans de tels établissements et l’autre moitié au lit. Le Café de la Régence ouvre à huit heures du matin, mais rien ne se passe, ou peu sans faut, avant midi, en dehors de la visite de quelques clients qui boivent leur café en silence et que l’on ne reverra pas avant le lendemain. Mais à midi les gens commencent à arriver rapidement, à deux heures la pièce est aussi remplie que possible et cela dure jusqu’à minuit.

Le Café de la Régence n’existe dans son lieu actuel que depuis quelques années ; en fait seulement depuis que Louis Napoléon a réalisé de nombreuses et magnifiques transformations dans la capitale française. Auparavant, il se situait, à la porte d’à côté, dans un local nettement moins pratique que l’actuel. Le café est séparé en deux pièces, sur la rue St Honoré ; dans la plus grande, que nous avons décrite plus haut, fumer est autorisé jusqu’à un niveau effrayant, alors que dans l’autre fumer est strictement interdit. La seconde pièce est bien agencée, et le plafond massif est orné des quatre blasons dans les corniches, portant les noms de Philidor, Deschapelles, et Labourdonnais. Le quatrième contient la date de la fondation du café, et le propriétaire a annoncé son intention d’y insérer le nom de Morphy. Peut-être est-ce déjà fait ? »
 
Au moment de notre arrivée à Paris, le Cercle des Échecs, ou dans d’autres mots, le club d’échecs, se trouvait au dessus du café. L’association avait trois pièces réservées pour les échecs, et une pour le billard ; et Saint-Amant, Devinck, Guibert, Preti, Doazan, Delannoy, Seguin et Lécrivain étaient parmi les membres.
Mais la plus grande pièce en bas des escaliers les empêchaient de recevoir le plus grand nombre, et le loyer étant très élevé et les revenus très faibles, ils abandonnèrent leur quartier à la fin de l’année (NDLR : 1858) et se trouvent maintenant dans le café en bas.

Morphy n’annonça pas son arrivée lors de sa première visite, préférant la repousser au jour suivant.
Quand il fut connu que le si attendu joueur soit à Paris l’excitation fut à son comble ; les Français aiment l’excitation. M. de Rivières n’était pas là ces derniers temps, mais nous avons trouvé Messieurs Lécrivain, Journoud, Guibert, et de nombreux joueurs de niveau cavalier ou tour (NDLR : difficile de traduire. Le texte indique knigth and rook-players. Voir un article précédent au sujet de la classification des joueurs à cette époque).
Le premier nommé des gentlemans, à la demande générale, s’offrit lui-même comme le sacrifice initial, acceptant l’avantage d’un pion et de deux coups, et réussi à remporter deux parties sur les six ou sept qu’il joua avec Morphy.
Alors Mr Rivière arriva et fit le coup, joua une Ruy Lopez, qui se termina en partie nulle ; par la suite il fut suivi par M.Journoud, qui, bien qu’il soit un des meilleurs joueurs Français, échoua à remporter une victoire. Morphy avait posé ses marques, et tout le monde attendait l’arrivée de Herr Harrwitz qu’ils espéraient voir s’amuser.   

A suivre...   

1 commentaire:

  1. à partir de ce que j'ai lu de voyage Morphy à l'Europe, c'est qu'il a été bien déçu de ne pas être en mesure de faire face à Staunton et très impressionné par son jeu dans la capitale française.

    http://aquenofunciona.blogspot.com/

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