jeudi 14 février 2013

Café – Estaminet ?

Avant la lecture du texte principal de cet article il me semble intéressant de donner quelques précisions sur les termes « café » et « estaminet » dans le sens du 19ème siècle.
Actuellement j’ai l’impression que ces mots sont utilisés indifféremment pour désigner un débit de boissons de type « café » justement.
Sur la gravure ci-dessous (tableau de Paris - Edmond Texier 1852 / 1853 - Source Gallica) on aperçoit les deux termes au-dessus du Café de la Régence, avec à gauche « estaminet » et à droite « café ».

Un lecteur de ce blog, que je remercie m’a communiqué les précisions suivantes.
Le Cercle des échecs se trouvaient au 1er étage de "l’ancien" Café de la Régence :

C’est dans le Stamford’s Guide to Paris (1865) que j’ai appris qu’il n’était pas d’usage de fumer dans un café, mais que cela était permis dans un « estaminet, » c’est-à-dire fumeur. On peut supposer que l’estaminet aurait sa propre porte d’entrée extérieure. Il semble donc que les multiples salles du Café de la Régence contenaient un café, un estaminet et le salon du Cercle. (…)
(…) J’ai lu à la page 18 de l’introduction dans Galignani’s New Guide to Paris…(1842) que les cafés [de Paris] sont fréquentés par les dames aussi bien que les messieurs, à l’exception des cafés où le mot ‘estaminet’ est indiqué, dans lesquels il est permis de fumer. (source Google Book)

Et maintenant le texte sur l’histoire des cafés à Paris

L’intermédiaire des chercheurs et des curieux – Juillet 1898 (Source Gallica)

Schahalbeddin ben, auteur du XVème siècle, attribue à Gemaleddin, muphti d’Aden, l’introduction de l’usage du café en Arabie.
Dans un voyage en Perse ce Gemaleddin avait vu boire de cette liqueur. De retour dans son pays et se trouvant indisposé, il voulut essayer de la boisson persane et constata qu’elle guérissait de la céphalalgie et prévenait la somnolence. Il en recommanda aussitôt l’usage aux derviches.
Les lettrés et les hommes de loi, d’abord, les négociants et les artisans, ensuite, ceux surtout qui avaient à travailler la nuit imitèrent les derviches. L’emploi en devint général à Aden d’où il s’étendit, de proche en proche, jusqu’à la Mecque. Les habitants de cette ville devinrent tellement enthousiastes du noir breuvage qu’ils prirent l’habitude d’aller le boire publiquement dans des maisons établies à cet effet.
Ils les dénommèrent cafés, et y passèrent désormais leur temps à se divertir et à jouer. Ceux de Médine, du Caire, etc…imitèrent les adennois.
En 1554, cette boisson fut introduite à Constantinople par deux arabes. Ils ouvrirent deux établissements élégamment décorés qui devinrent le rendez-vous des poètes, des littérateurs et des désœuvrés qui venaient s’y désennuyer. On croit que, parmi les occidentaux, les Vénitiens furent les premiers à faire usage du café, vers 1615.
Il fut connu à Marseille dès 1644 et à Paris en 1657, mais son usage ne commença à se répandre qu’en 1667, pour devenir général vers 1671.
D’après Dulaure, ce fut Soliman Aga, ambassadeur de la Porte auprès de Louis XIV, qui introduisit le café à Paris. Puis vint un arménien nommé Pascal, qui établit un café à la foire Saint-Germain.
Le temps de la foire écoulé, il se transporta au quai de l’Ecole où les amateurs le suivirent. Son succès, cependant, ne dut pas être considérable car il partit pour Londres où il installa un coffee-house.
La mode du café commençait à passer chez nous, lorsqu’un Sicilien, nommé François Procope, le remit en vigueur. A l’exemple de Pascal, il s’établit d’abord à la foire Saint-Germain, orna magnifiquement sa boutique, attira beaucoup de monde par la bonne qualité du café qu’il servait ; puis, vers l’an 1689, il fixa sa demeure et ouvrit son café dans la rue des Fossés-Saint-Germain, en face du théâtre de la Comédie-Française. Ce voisinage y attira plusieurs auteurs dramatiques et autres gens de lettres : il devient le café le plus célèbre de Paris.
Le succès de Procope fit naître plusieurs établissements de ce genre. Le café de la Régence, situé sur la place du Palais Royal, obtint une grande célébrité, surtout à cause des joueurs d’échecs qui le fréquentaient.
Ces lieux de réunion se multiplièrent, et, sous le règne de Louis XV, on en comptait plus de six cents à Paris. « On fait aujourd’hui (au temps où Dulaure écrivait) monter ce nombre à près de trois mille ».
« Quoique plus élégamment décorés, plus commodes et plus agréables, si l’on en excepte un petit nombre, ils sont moins fréquentés qu’autrefois, et les gens de lettres ne s’y rendent plus pour y juger les nouveaux ouvrages de littérature. »
On estime de nos jours le nombre de cafés existant à Paris à plus de douze mille.
Ajoutons que leur nombre va diminuant chaque jour, non pas que les cafés disparaissent, mais parce qu’ils se démocratisent en se transformant en brasseries, comme cela a eu lieu pour les cafés les plus élégants du boulevard : Riche, Véron, Mazarin, Madrid…et autres.
EFFEM

lundi 11 février 2013

Un voleur de cavaliers


Il existe une source d’information très intéressante pour la recherche au sujet du Café de la Régence. Il s’agit de la revue « L’intermédiaire des chercheurs et des curieux ».
Le site GALLICA permet sa consultation en ligne de tous les volumes de 1864 (année de sa fondation) à 1936.
C’était une revue participative dans laquelle tout un chacun pouvait poser une question et un lecteur répondait dans une édition suivante s’il avait la réponse, sur des sujets très divers (histoire, géographie, sciences, etc…).

Il semble même que la revue existe encore !? En tout cas il existe un site internet dédié.

Bref dans son édition de juillet 1903 (volume 48) trouvé sur le site de la BNF en ligne « Gallica », se trouve une description du Café de la Régence en 1832 que je n’avais lu nulle part ailleurs. 
Il est néanmoins dommage que la référence du texte ne soit pas mentionnée par la revue.

Pour rappel nous sommes en 1903 et le propriétaire, Joseph Kieffer, cède sa place à Lucien Lévy (nouveau propriétaire) pour une raison que je ne connais pas. 
Ce changement de propriétaire laissa même à penser que la fin du Café de la Régence était proche. Pour le moment j’ignore tous des éléments de ce changement vers 1903.
Le Café subit alors une transformation importante avec ce changement de propriétaire.
Ceci explique le début du texte.

En 1832 il s’agit bien entendu du Café de la Régence sur son emplacement « primitif » de la Place du palais-Royal et nous sommes deux ans après les évènements de 1830 qui ont impliqués des travaux de rénovation conséquents. Le propriétaire est alors Monsieur Evezard.

Le Café de la Régence en 1832

Au moment où l’on transforme ce célèbre établissement, il peut être intéressant d’en lire la description originale suivante, d’après un journal de l’époque.

Le Café de la Régence s’est entièrement mis à la mode : la salle triangulaire qui le compose est tapissée de glaces ; on n’aperçoit pas un seul point de muraille. Le comptoir est élégamment décoré, et la limonadière y est brillante et affable ; tout y respire la civilisation et les belles manières. Cependant, l’observateur qui, ne s’arrêtant pas dans la première et étroite enceinte, formée par ce que j’appellerai le sommet du triangle, pénètre plus loin et s’avance au-delà du poêle, retrouve les traits de physionomie première.

Voici les joueurs d’échecs : leur attention, leur air de supériorité, leurs chants à demi-voix, leurs tremblements nerveux, l’agitation musculaire de leurs traits et la rapidité des mouvements de leurs mains, révèlent et leur occupation et leur talent. Point d’élégance dans les échiquiers ; ils sont primitifs ; mais pour les joueurs du Café de la Régence, il faut que le cavalier ait sa tête de cheval ; et comme les tourneurs de Paris ne façonnent pas ainsi cette pièce, le maître de l’établissement en a une provision toujours prête. Il y a quelques années, tous les cavaliers disparaissaient chaque soir. On observa, et l’on reconnut qu’un des habitués du jeu d’échecs avait la singulière manie de mettre les cavaliers dans sa poche ; on les lui fit payer.
On loue l’échiquier par heure au Café de la Régence ; le soir, le prix augmente à cause des deux chandelles placées sur les côtés du damier.
Depuis les deux chandelles, que de chemin parcouru par le luxe !

dimanche 3 février 2013

La Valise trouvée



Restons aux origines du Café de la Régence avec ce nouvel article.
Voici une présentation (indiquée sur Amazon) de cet ouvrage "La Valise trouvée" qui comporte une description du Café de la Régence vers 1740 (date de la première publication du livre).
Alain-René Lesage (1668 - 1747)

La Valise trouvée est le dernier livre important d'Alain-René Lesage, l'auteur de Gil Blas de Santillane. A partir d'un prétexte romanesque, s'organise, dans ce livre, une manière de Décaméron ou d'Heptaméron. Les "devisants" constituent une petite société à la fois aristocratique et familière, dont la vie s'articule autour d'une manière de trésor : une valise contenant des lettres, lettres plaisantes, lettres galantes, presque toutes brèves, d'une écriture fine et spirituelle, parfois piquantes, toujours élégantes et dans une langue d'une grande qualité.
Virtuose de la mimèsis, Lesage mêle naturellement l'antique et le moderne, s'inspirant de la littérature du Siècle d'or espagnol, ainsi que d'auteurs grecs du Ve siècle. C'est à la manière d'un Montesquieu dans Les Lettres persanes, qu'il va proposer à son lecteur un tableau des réalités françaises. Il élabore ainsi une véritable encyclopédie des individus, la forme épistolaire lui permettant une polyphonie propre à offrir un reflet quasi intégral de la société du XVIIIe siècle.
Lesage est un des premiers romanciers "modernes", c'est-à-dire réalistes. Il donne au roman ses lettres de noblesse. Ses héros sont des hommes à peu près comme les autres, et pourtant ils ne sont pas ridicules. L'auteur affectionne un style simple, voulant faire de son œuvre l'image même de la nature.
Dans La Valise trouvée, Lesage revendique la diversité d'un héritage culturel européen, tout en restant le spectateur du Grand Théâtre que lui offre la société qui l'entoure.
Ce "coffre romanesque", cette "valise au trésor" ne serait-elle pas l'héritière directe de la mallette que Don Quichotte découvre dans ses pérégrinations, véritable réserve romanesque, concentré d'" aventures" ?
(La Valise trouvée - édition de 1776 - Google Book)

Et enfin ci-dessous l’extrait de la lettre dans laquelle il est fait mention du Café de la Régence.
En 1740 les joueurs d’échecs se trouvent au Café de la Régence depuis une quinzaine d’années au moins. Philidor n'est pas encore là et le champion de l’époque est probablement François Antoine De Legall, Sire de Kermeur.
Notez que le deuxième café dont il est question est le célèbre Procope qui existe toujours.


LETTRE X
D’un provincial qui est à Paris pour procès, à un de ses parents, à Saint-Lô.

Vous me demandez, cousin, comment je vis à Paris, depuis que j’y poursuis le procès qui me retient. Pour contenter votre curiosité, je vous dirai que j’y passe le temps fort agréablement. J’emploie toute la matinée à faire ma cour à mon procureur et à ses clercs. Ensuite je reviens dîner à mon auberge avec deux vieux plaideurs, Manceaux, dont l’entretien est très instructif pour un jeune normand, qui s’affectionne à la procédure. Après un repas de la dernière frugalité, je vais au café, qui est un lieu fort convenable à tout provincial qui n’a point de connaissance à Paris.
Vous qui n’êtes jamais sorti de l’enceinte de Saint-Lô, vous ne sauriez avoir une idée juste de ces sortes d’endroits. Je vais vous faire une peinture fidèle de deux célèbres cafés que je fréquente, vous pourrez juger par-là des autres.
Dans l’un, vous voyez dans une vaste salle ornée de lustres et de glaces, une vingtaine de graves personnages, qui jouent aux dames ou aux échecs sur des tables de marbres, et qui sont entourés de spectateurs attentifs à les voir jouer.
Les uns et les autres gardent un si profond silence, qu’on entend dans la salle aucun bruit que celui que font les joueurs en remuant leurs pièces. Il me semble qu’on pourrait justement appeler un pareil café, le café d’Harpocrate.
Véritablement c’est un endroit où l’on peut dire qu’on est comme dans une solitude, quoique l’on soit avec soixante personnes. (…).