jeudi 11 avril 2013

Le jeu des 7 erreurs ?!

D'une manière générale, j’aime bien l’encyclopédie en ligne WIKIPEDIA.
Mais je dois dire que l’article sur le Café de la Régence contient beaucoup (trop) d’erreurs et ne mentionne pas explicitement ses références pour telle ou telle partie.
Bref un article de Wikipedia à oublier pour le moment.

Sur la page de l'article il est indiqué « Dernière modification de cette page le 14 mars 2013 à 18:00. » c’est donc que celui-ci est mis à jour de temps en temps.

Voici le texte de Wikipedia décortiqué par mes soins (en gras et italique le texte de Wikipédia, mon avis précédé par mes initiales - JOL)

Wikipedia - Le café de la Régence est un café parisien en opération de 1681 à 1910. Il fut pendant longtemps, au XVIIIe et au XIXe siècles, le centre du jeu d’échecs en Europe. Les joueurs d’échecs les plus considérables et les plus connus de leur temps y ont tous disputé des parties.

JOL - La date de création n’est à ma connaissance pas connue. 1681 est peut-être correct, mais ce n’est pas la date que j’ai retenu pour le moment. Charles Mallet dans son « Encyclopédie monographique des hôtels, cafés et restaurants » (1893 - source BNF) et plus particulièrement la partie consacrée au Café de la Régence indique 1688.
Par contre je ne comprends pas d’où provient cette date de 1910. C’est n’importe quoi je pense.
L’UAAR existe toujours à cette date (Union Amical des Amateurs d’échecs de la Régence). C’est en 1918 que les joueurs d’échecs désertent le Café de la Régence pour se rendre au Café de l’Univers juste à côté. Il est probable que les années 20 soient pauvres quant à l’activité échiquéenne du Café de la Régence, mais cela reprend dans les années 30. A ce jour, la dernière trace d’une activité échiquéenne date de 1943 grâce à la trouvaille d’Etienne Cornil

Wikipedia - Il s'agit d'un des premiers cafés de Paris : fondé en 1681 sous le nom de « café de la Place du Palais-Royal », il est rebaptisé, au plus tôt en 1715, pour devenir café de la Régence. Pendant le réaménagement de la place du Palais-Royal, en 1852, il fut temporairement transféré à l’hôtel Dodun, rue de Richelieu. À partir de 1854 il s’installa au 161 de la rue Saint-Honoré où il est désormais remplacé par l'Office national marocain du tourisme.

JOL - Jusqu’en 1903 (date du changement de propriétaire dont j’ai déjà parlé), se trouvait une pancarte avec une mention différente sur le Café de la Régence. Comme l’indique Charles Mallet dans la référence que j’ai déjà donné avant : « Le Café de la Régence remonte à l’an 1718. Le passant peut voir cette date inscrite à son fronton. ».


(Source BNF)

(On distingue nettement la pancarte sur le fronton - 

Ce n’est pas en 1854 qu’il s’installe au 161 de la Rue Saint-Honoré, mais en 1855 d’après un précédent article que j’ai publié.

Wikipedia - Vers 1740 il devint un lieu de rendez-vous pour les joueurs d’échecs parisiens qui auparavant se rencontraient au café Procope dans la Rue de l'Ancienne-Comédie. Les habitués du café étaient des célébrités comme Diderot, Rousseau, Philidor, Napoléon Bonaparte ou Benjamin Franklin. Des maîtres d’échecs comme Kermur de Legal et plus tard Lionel Kieseritzky et Daniel Harrwitz le fréquentèrent en tant que joueurs professionnels.

Diderot en donne une description dans Le Neveu de Rameau. Pendant la Révolution, Robespierre y prit ses habitudes pendant les entractes du club des jacobins. À l’apparition de ce formidable joueur, ce café fut insensiblement abandonné des amateurs d’échecs au profit du café Militaire, rue Saint-Honoré. Ce n’est qu’après le 9 thermidor que l’échiquier revint s’installer au café de la Régence.


JOL - Quelle est la source qui indique que les amateurs partirent au Café Militaire ? Cette période est très peu documentée pour le jeu d’échecs et cette précision n’est pas futile. Le 9 thermidor (27 juillet 1794) correspond à la chute de Robespierre. La coïncidence des dates parait trop belle.

Wikipedia - Pendant de nombreuses d’années on y montrait une table d’échecs en marbre à laquelle Napoléon, alors Bonaparte, avait joué en 1798. À côté des échecs, on pratiquait aussi les dames ou le billard.


JOL - Je doute que Bonaparte jouait aux échecs au Café de la Régence en 1798. La période 1796 – 1797 correspond à la campagne d’Italie, 1798 est le début de la campagne d'Égypte. Bonaparte a sans doute fréquenté le Café de la Régence mais plusieurs années avant 1798. Mais il est vrai que cette date de 1798 est mentionnée sur la plaque gravée qui est à côté de la table.
Voir mon article sur la table de Bonaparte.
A noter qu’il existait à Paris un Café où se retrouvaient les joueurs de Dames, il s’agit du Café Manoury. Le jeu de Dames reste à mon avis anecdotique au Café de la Régence.

Wikipedia - À l’automne 1843 le café de la Régence fut témoin du duel entre les deux meilleurs joueurs de l’époque, Pierre Saint-Amant et Howard Staunton. Staunton gagna avec 11 victoires, 6 défaites et quatre parties nulles. Pendant son voyage en Europe, en 1858/59, Paul Morphy s’y tint fréquemment lui aussi et il vainquit Harrwitz lors d’une rencontre par 5,5 à 2,5. Ce fut le chant du cygne dans l’histoire des échecs de ce café, car après commença un lent déclin. Par la suite, tout de même, certains événements d’échecs importants y eurent encore lieu, ainsi vers 1894 un concours par correspondance contre le club d’échecs de Saint-Pétersbourg finit par un match nul.

JOL - Je ne suis pas d’accord sur le « chant du cygne » à partir de la prestation de Morphy en 1858. Le Café de la Régence se porte parfaitement bien au moins jusqu’en 1903. L’arrivée du nouveau propriétaire Lucien Lévy marque alors un tournant.
En 1894, il s’agit d’un match par télégraphe contre le club d’échecs de Saint-Pétersbourg pour lequel joue Tchigorine. Deux parties sont jouées et chaque ville remporte sa partie avec les blancs. Je reviendrai ultérieurement sur cet évènement.

Wikipedia - Après un changement de propriétaire, le café fut transformé en restaurant en 1910. Finalement, en 1916, les joueurs d’échecs se transférèrent au café de l'Univers.

JOL - C’est la touche finale de cet article décevant. Le Café de la Régence devient un restaurant en 1903 sans perdre ses joueurs d’échecs. Pour le reste, j’en ai déjà parlé au début de mon article.

vendredi 5 avril 2013

Monsieur Rey, Maître du Café de la Régence

Dans un des premiers articles de ce blog, j’avais listé les différents propriétaires du Café de la Régence.
Un des propriétaires est notamment cité par Diderot dans « Le Neveu de Rameau », il s’agit de Rey (dont j’ignore le prénom à ce jour).

Le « Cahier des l’échiquier Français » n°33 de 1925 (cité dans le cahier du CREB sur le Café de la Régence) indique que M. Rey en fut le gérant durant une quinzaine d’année en précisant
"Vers 1762, le cafetier Leclerc céda sa place au sieur Rey, ancien officier de cuisine du duc d'Orléans."


L’ « Almanach Dauphin » datant de 1777 indique Rey comme propriétaire en 1777.
Donc déjà quelque chose ne colle pas.

En fait grâce à l’annonce que j’ai trouvée et dont je donne le texte ci-dessous, il est possible de dire que Rey était le propriétaire au moins en 1748.
Entre 1748 et 1777 il y a une période de 30 ans durant laquelle le sieur Rey fut aux commandes du Café de la Régence..
Le « Cahier de l’échiquier Français » s’est donc trompé sur cette période.

(Source Gallica)

Leclerc cède sa place à Rey au plus tard en 1747.
Voici le texte qui provient de « Les affiches de Paris avis divers du jeudy 25 janvier 1748 » (Source Gallica)


Il a été perdu le Lundi 15 Janvier 1748, entre cinq et six heures du soir, dans une maison du Cloître Saint Jacques l’Hôpital, une petite chienne épagneule, blanche, avec quelques marques rousses sur le derrière, sur la tête et sur les oreilles ; les oreilles et la tête petites, et le museau allongé comme un furet, les soies assez longues, et les pattes forts minces.
Celui qui l’aura trouvée et voudra la rapporter à M.Rey, Maître du Café de la Régence, Place du Palais Royal, aura vingt-quatre livres de récompense.



jeudi 4 avril 2013

1903 une année charnière

J’ai déjà évoqué le changement de propriétaire du Café de la Régence en 1903.
M. Joseph Kieffer, après 30 ans de prospérité, cède alors le café à M. Lucien Lévy.
Un article dans « La Stratégie » parle de ce changement qui semble assez rapide.
Joseph Kieffer, vétéran de la guerre de 1870, a-t'il eu subitement des problèmes de santé pour céder le Café de la Régence ? Est-il tout simplement fatigué ?

En avril 1903 "La stratégie" annonce :

Nous sommes heureux de constater que la nouvelle société l'Union Amicale des Amateurs d'échecs de la Régence est en pleine prospérité, elle compte déjà plus de soixante adhérents et tout fait espérer que sous l'habile direction du Comité actuel, elle deviendra bientôt l'Association générale des Échecs de France.
Nous rappelons que la cotisation annuelle est de 12 fr. et que les inscriptions sont reçues par M. Kieffer, trésorier, au Café de la Régence.


Dans un article récent j'ai mentionné la création de la FFE.
Il semble donc qu'en 1903 l'idée soit déjà là.
En juin 1903, toujours dans "La Stratégie", un article indique la cessation d'activité de M. Kieffer.

M. Kieffer, propriétaire depuis trente ans du Café de la Régence, vient de céder son établissement ;
l'acquéreur a résolu d'apporter de notables améliorations, avec une luxueuse décoration style Louis XV, lesquelles nécessitent la fermeture du vieux Temple des Echecs pendant les mois de juillet et août prochains.
Pendant la durée des travaux les amateurs se réuniront à la Taverne de l'Opéra, avenue de l'Opéra, 26.


Puis encore dans la Stratégie durant l'été 1903

Les portes du Café de la Régence ont été closes le 16 juillet; la réouverture est annoncée pour le 1er septembre.
Nous rappelons que pendant la durée des travaux les amateurs d'échecs se réuniront à la Taverne de l'Opéra, 26, avenue de l'Opéra.


Et enfin le Café de la Régence rouvre ses portes.
Le style Louis XV est devenu un style Louis XVI...

Le Café de la Régence a fait sa réouverture le 6 Octobre dans un cadre merveilleux. Le caractère de la décoration blanc et or, style Louis XVI, a été conservé, mais avec les aménagements d'une élégance appropriée qui ornent les salons, le vieux Temple des Échecs a un aspect gai et bien français.
Au point de vue "restaurant" la transformation est complète;les nouveaux propriétaires ont certainement le désir de se placer au premier rang des établissements parisiens.
Nous avons le plaisir de constater que les Échecs, qui depuis bientôt deux siècles ont rendu universelle la réputation du Café de la Régence, n'ont pas été oubliée; une partie de l'ancienne salle de billard leur est réservée.
Espérons qu'avec une si brillante installation, une nouvelle ère de prospérité s'ouvrira pour eux et pour le Café de la Régence.


La fameuse salle de billard où Morphy donna sa simultanée en septembre 1858...


(Première page du journal "Gil Blas" - 1er juillet 1903 - Source Gallica - photo suivante ; article sur le Café de la Régence dans l'édition du 1er juillet 1903 - Source Gallica)


Mais la presse était inquiète au début de l'été 1903 et plusieurs journaux font état de la fin pure et simple du Café de la Régence. Heureusement ce ne fut pas (encore) le cas.
Mais il est raisonnable de penser que ce changement de propriétaire marque la fin de l’âge d’or du Café de la Régence.
A noter néanmoins ce qu’on peu appeler une prophétie : Le poker fera oublier le jeu d’échecs.
A notre époque hélas, le poker semble avoir largement supplanté le jeu d'échecs.

Donc, le 1er juillet 1903 dans le journal "Gil Blas" parait l’article suivant qui donne quelques détails sur le Café de la Régence.

CROQUIS

La fin de la Régence.

Le Café de la Régence ferme ses portes ! Encore un coin de Paris – du Paris d’autrefois – qui disparaît… ou se transforme, ce qui revient au même ! Quelles jolies anecdotes ne manquera pas de conter à ce propos, M. Maurice Quentin-Bauchart, érudit charmant qui connaît son Paris et l’histoire des souvenirs qui s’y rattachent. C’était, en effet, le dernier café blanc, le vrai café de jadis, auquel la hideuse gargote ne s’était pas encore adjointe, et où les consommateurs ne craignaient pas d’être troublés par de stridents appels téléphoniques… Aujourd’hui, c’est fini, le Café de la Régence est mort, bien mort, qu’il repose en paix !...

Pauvre Café de la Régence ! … Pauvre M. Quentin-Bauchart !... Pauvres joueurs d’échecs, ce sont eux surtout que je plains !... Où se réuniront-ils maintenant pour prendre le fou avec la dame, et pour résoudre les problèmes compliqués que certains journaux périodiques proposent encore par habitude sur leur couverture colorée, avec image à l’appui ?

De ce café tranquille et silencieux, où l’on pouvait, avec un peu d’imagination, espérer croiser au lavabo l’ombre de d’Alembert, s’entretenant de l’Encyclopédie avec celle de Diderot, où l’on voyait la table où Robespierre gagna de nombreuses parties à Bonaparte, il ne restera bientôt plus rien…
…Tout le monde s’y connaissait, on se serrait la main en entrant, la caissière avait pour chacun de ses clients un sourire et une poignée de main de bonne hôtesse, et, n’eussent été les éclats de voix de M. Paul Mounet, on se serait plutôt cru dans une salle de repos que dans un café. Mais, remplacé par les bars américains et les brasseries allemandes, le café a vécu, le Procope cher à Verlaine est devenu un bouillon à prix fixes, et la Régence disparaît, entraînant avec elle les échecs que le bridge et le poker feront vite oublier !....

On n’avait pas, non plus, l’idée de joueur aux échecs au commencement du vingtième siècle ? C’était coco et suranné, cela ne se portait plus à une époque où l’on se passionne que pour savoir si M. Lépine autorisera ou non le baccara !

La Café de la Régence ne sera plus désormais qu’un prétexte à chronique et à souvenirs rétroactifs : on se souviendra qu’un certain préfet du second empire disait de lui : « C’est le seul café où j’aime à me réunir !... » et qu’un jour, Gambetta, en pleine gloire, y faisant un discours, fut interrompu par un joueur impatienté qui lui cria : « Monsieur, vous parlez si fort que vous m’empêchez d’entendre mes pions !... » L’interrupteur, c’était le prince Poniatowski…
Comme tout cela semble loin !...

Pierre Mortier