dimanche 24 décembre 2017

Jugement d'expropriation

J'ai déjà mentionné à plusieurs reprises l'expropriation du Café de la Régence au début du second Empire. Depuis plus d'un siècle les différents gouvernements souhaitaient prolonger le rue de Rivoli et assainir le quartier du Palais-Royal en y détruisant les rues de ce quartier plein de taudis.

Ici j'en fais mention du chapitre 15 de mon livre, et un peu avant j'avais reproduit le texte du factum d'expropriation, véritable inventaire du café de la Régence.

La Révolution de 1848 a peut-être facilité le mouvement avec la destruction du Château d'Eau de la place du Palais-Royal. Voir ici à quoi ressemble la place en 1849.

En tout cas, en 1853 c'est une bataille judiciaire qui se termine pour le propriétaire des lieux, Claude Vielle.

A noter que dans l'article il est indiqué :
Au Café de la Régence s’engagèrent ces parties jouées pendant des mois entiers par un joueur résidant à Londres et par un autre joueur demeurant à Paris.

Il s'agit très probablement des deux parties par correspondance engagées entre Paris et Londres et débutées en 1834 au Cercle des Panoramas (et non au Café de la Régence). Ce n'est pas "un joueur" mais un groupe de joueurs qui étaient concernés par cette partie.

Source Gallica.

Le Nouvelliste, quotidien politique, littéraire, industriel et commercial
25 août 1853

Chronique judiciaire

Prolongation des arcades de la rue de Rivoli – Le Café de la Régence


Le jury d’expropriation a rendu samedi sa décision dans la quatrième catégorie des propriétés nécessaires à la prolongation des arcades de la rue de Rivoli.
L’un des plus anciens et des plus curieux établissements de la capitale va disparaitre, c’est le café de la Régence, dans lequel se réunissent chaque jour les personnes qui font leurs délices du jeu d’échecs. En 1718, c’était un modeste café, qui emprunta son enseigne au pouvoir nouveau, représenté par le duc d’Orléans. Pendant ce temps-là Philidor naissait. Ce fut en 1776 que l’établissement, à l’aise dans la maison reconstruite, prit ce développement qui ne s’est jamais arrêté. Là se rendait presque chaque jour l’auteur de Blaise le Savetier et du Sorcier, l’auteur de l’Analyse des Échecs ; il venait s’asseoir au milieu de ses nombreux admirateurs, qui disaient de lui en l’entendant débiter de vulgaires propos : « Voyez cet homme-là : il n’a pas le sens commun, c’est tout génie ! ».

Au Café de la Régence s’engagèrent ces parties jouées pendant des mois entiers par un joueur résidant à Londres et par un autre joueur demeurant à Paris.

Le propriétaire du café de la Régence refusait les offres de la Ville. Celle-ci lui disait : « Voici 60.000 fr. pour votre dérangement. Je vais vous donner un asile au coin de la rue de Rohan, et dans quinze mois je m’engage à vous rendre sur la place du Palais-Royal, désormais plus brillante et plus belle que jamais, un espace de trois arcades, dans lequel vous pourrez vous étendre à l’aise. C’est à peine si vous aurez le temps de vous apercevoir du déplacement. L’asile héréditaire de votre gloire vous sera bientôt rendu, et vous y aurez au même prix qu’aujourd’hui pendant douze ans, durée de votre bail, une location d’une valeur double. »

Le propriétaire du café de la Régence répondait qu’il ne pouvait accepter une pareille situation. Un changement pendant dix-huit mois, c’était sa ruine. Il posait même des conclusions par lesquelles il demandait acte de l’engagement par lui pris de ne jamais rétablir le café de la Régence. Sur l’opposition de Me Picard, avoué de la Ville, qui persistait dans ses offres, M. Lagrenée, magistrat-directeur du jury, a déclaré qu’il ne pouvait donner acte de pareilles conclusions. M. Vielle, propriétaire de l’établissement, a soutenu que la demande de 300.000 fr. qu’il faisait en réponse à l’offre de 60.000 fr. était insuffisante et ne le couvrirait pas de ses pertes.
Le jury lui a alloué 140.000 fr.

vendredi 22 décembre 2017

Paris Illustré en 1876, le guide de l'étranger et du parisien

Voici un témoignage sur le Café de la Régence vers 1870. Dans la préface de ce guide, l’auteur, Adolphe Joanne, indique que cette troisième édition était prête en 1870, mais un événement chamboula ses projets :

« Cette troisième édition de Paris illustré, qui avait coûté plus d’une année de travail, était sous presse lorsque l’empereur Napoléon III déclara la guerre à la Prusse. »

Aussi il est difficile de savoir quand l’article sur le Café de la Régence a été rédigé. Est-ce sous Napoléon III ? Juste après la guerre et la Commune ?
Un élément peut nous éclairer : il est fait mention de la présence de Neumann. Le très fort joueur d'échecs Gustav Neumann quitte Paris en 1870 quand les bruits de bottes se font entendre. Et pour cause, Neumann est prussien.

Gustav Neumann

Mais l’article est intéressant, car il livre quelques détails pratiques sur l’organisation des parties dans le Café. Et une petite phrase, qui semble anodine, donne le ton au sujet de Paul Morphy.
Ce dernier est forcément français et cela rejoint le ton de cet article de la revue La Stratégie.

PARIS ILLUSTRE en 1876
Guide de l’étranger et du parisien
Par Adolphe Joanne – Paris, 3ème édition

Le livre se trouve sur le site Gallica.


LES ÉCHECS

Paris est peut-être, après Londres, la ville où les échecs sont l’objet du culte le plus passionné, ce qui tient sans doute à cette particularité qu’il a été le théâtre des exploits des quatre plus grands joueurs qu’aient vus naître le XVIIIème et le XIXème siècle : Danican-Philidor, Deschapelles, Mahé de La Bourdonnais et Morphy, Français, celui-ci d’origine, et les trois premiers de naissance.

Les professeurs, leurs élèves et les amateurs se réunissent au café de la Régence (161, rue Saint-Honoré), et s’y livrent à des luttes émouvantes auxquelles assiste une nombreuse galerie, depuis midi jusqu’à minuit. Toutes les forces comme toutes les nationalités sont représentées dans cette enceinte, exclusivement consacrée aux récréations de l’intelligence et qui n’a donné accès aux billards qu’à titre de délassement de l’esprit.

Le prix de la partie varie entre 50 c. et 2 fr. La location de chaque échiquier, pour toute la durée d’une séance, est fixée à 40 c., dont les frais sont également partagés entre les deux adversaires.

À part quelques fâcheuses mais rares exceptions, une extrême courtoisie préside à ces réunions journalières, dont les habitués ont vieilli ensemble dans la satisfaction des mêmes goûts, et où les étrangers sont accueillis avec une hospitalité toute cordiale.

Parmi ceux que l’on peut avoir l’occasion d’y rencontrer, il faut nommer : MM. Neumann, A. de Rivière et Féry d’Esclands, lauréats du congrès international des échecs de l’exposition universelle de 1867, et auteur du dernier ouvrage (le Livre du Congrès) qui ait été publié sur les échecs ; Zamoïl Rosenthal (Polonais), le plus remarquable des joueurs rendant la pièce ; Baucher-Czarnowski (Polonais) ; Sivinski, François Devinck, ancien député de Paris ; Guibert ; Lequesne, non moins habile à faire et à démolir les problèmes qu’à créer les chefs-d’œuvre du joueur de flûte et de Pégase ; Hoffer (Allemand) ; Séguin-Mortimer (Américain) ; Boiron ; Dermenon ; Martin ; Saint-Léon ; de Maulevade ; Quentin ; Chapelle ; Wiart ; Delannoy, le fidèle et élégant traducteur poète des Psaumes de David ; le vicomte de Vaufreland ; le comte de Barbantane ; le marquis de Noé ; le prince de Villafranca et Valguarnera (compositeur connu sous le pseudonyme de Fabrice), etc.

La seule revue sérieuse sur les échecs est La Stratégie (20 fr. par an), qui parait le 15 de chaque mois depuis janvier 1867, et que rédige une société d’amateurs. Les deux ouvrages classiques, les meilleurs à la fois et les plus récents, sont : La Stratégie raisonnée des ouvertures du jeu d’échecs (24 fr.), publié en 1867, et Le Livre du Congrès (10 fr.), publié en 1869, dont il a été question tout à l’heure. Loin de s’exclure, ils se complètent plutôt en présentant l’accord de la théorie et de la pratique.

Tout ce qui se rapporte à la science des échecs (livres, échiquiers, pièces, diagrammes, etc ;) se vend chez Jean Preti, 72, rue Saint-Sauveur, qui donne des leçons à domicile à raison de 4 fr. de l’heure.


samedi 16 décembre 2017

Louis-Charles Mahé de La Bourdonnais, arrière-petit-fils du navigateur Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais

Le chapitre 8 de mon livre est une tentative de biographie de Louis-Charles Mahé de La Bourdonnais.
Dans ce chapitre j'essaye de répondre notamment à 3 questions le concernant, car beaucoup d'erreurs ont été publiées et sont recopiées à son sujet.

1° Quelle est son lien de parenté avec le fameux navigateur La Bourdonnais qui donne son nom à une rue de Paris ? Est-ce son grand-père ? Son arrière grand-père ? Lui même entretient un flou à ce sujet.
2° Quel est son lieu de naissance ?
3° Quelle est sa date de naissance ?

Comme je l'indique dans mon livre, personne n’est parfait, il est possible que mes conclusions soient erronées. Et j’espère que quelqu’un d’autre prendra un jour la plume pour compléter cet essai biographique.

En tout cas, voici la réponse à cette première question de mon point de vue.

Quand on cite le nom de La Bourdonnais, c’est surtout à son ascendant auquel on pense, avec notamment une avenue de Paris qui porte son nom.


L’illustre ancêtre de notre joueur d’échecs se nomme Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais (1699 – 1753), navigateur, nommé en 1733 gouverneur des îles de France et de Bourbon (aujourd’hui île Maurice et île de la Réunion), immortalisé par Bernardin de Saint-Pierre dans Paul et Virginie.
Il développe considérablement ces deux îles, ce qui le rend très populaire.

Mais son destin est tragique, car victime de jalousies il est embastillé lors d’un retour en France, et décède quelque temps après sa libération … innocenté.


Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais, Arrière grand-père du célèbre joueur d'échecs.

Vous pouvez voir ci-après un arbre généalogique que j'ai constitué, des descendants du navigateur La Bourdonnais. Vous pourrez constater que cet arbre généalogique est différent de celui présenté par "l'association des amis de La Bourdonnais". Cette association n'a pas répondu à mes sollicitations.

En fait, la consultation de documents aux archives de Paris m’a permis d’éclaircir des zones d’ombres au sujet de la généalogie de La Bourdonnais, le joueur d’échecs.



Cette petite enquête généalogique est intéressante, car Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais est la plupart du temps présenté comme le grand-père de Louis-Charles, notre joueur d’échecs.
Mais l’espace de temps entre son décès en 1753 et la naissance de Louis-Charles, près de 45 ans, soit environ 2 générations, laisse un doute qu’il convient de lever.

Pour être honnête, Louis-Charles Mahé de La Bourdonnais se présente lui-même comme étant le petit-fils du navigateur ce qui a dû entretenir la confusion.
Ainsi en 1827 à Paris, il fait publier un livre ayant pour titre « Mémoires historiques de B.-F. Mahé de La Bourdonnais, gouverneur des îles de France et de Bourbon, recueillis et publiés par son petit-fils ».



En fouillant un peu, le doute s’installe, car dans la revue Le Palamède de janvier 1842, qui publie des extraits des séances du conseil colonial de l’île Bourbon, des 4 et 8 décembre 1840, on peut y lire :
« L’arrière-petit-fils de l’illustre La Bourdonnais, forcé, par une maladie cruelle, d’interrompre les travaux qui lui assuraient une existence honorable, fait un appel à la reconnaissance de la colonie. » 

Lors de mes recherches sur Louis-Charles Mahé de La Bourdonnais, j’ai échangé quelques courriers avec les archives de la ville de Saint-Malo  qui me communiquèrent une référence très intéressante que je ne connaissais pas à l’époque :
« Biographie Bretonne – Recueil de notices sur tous les Bretons qui se sont fait un nom, par Prosper Jean Levot – Paris 1857 ».
L'article relatif à La Bourdonnais (joueur d'échecs) donne quelques précisions sur son ascendance.

Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais, le navigateur, lors de son deuxième mariage a plusieurs enfants dont un fils, Louis-François Mahé de La Bourdonnais (1743 – 1789) lieutenant des chasses du Roi.
Ce dernier épouse Marie-Josèphe-Françoise-Isabelle-Honorade O’Friell.
Ils ont notamment pour enfant Pierre-Philippe-Charles Mahé de La Bourdonnais, né le 9 novembre 1773.

Archives de Paris - 26 février 1769 mariage des grands-parents de notre joueur d'échecs à l'église Saint-Sulpice à Paris. 
NB : ceci permet de corriger mon arbre généalogique ci-dessus où j'indique que le mariage daterait d'environ 1770. Il est aussi indiqué que Louis-François a 22 ans, ce qui le fait naître en 1747 et non 1743.

Nous arrivons enfin à la fin de notre petite enquête généalogique.
Ce Pierre-Philippe-Charles Mahé de La Bourdonnais se marie le 16 avril 1796 avec Mlle Jeanne-Françoise Bunel, originaire de Louvigné-du-Désert (Ille-et-Vilaine), où il est alors en cantonnement comme capitaine au 3ème bataillon de la 28ème demi-brigade.
Il s’agit des parents de notre joueur d’échecs.

Si vous avez bien suivi, vous noterez que Louis-Charles Mahé La Bourdonnais est donc en fait l’arrière-petit-fils du célèbre navigateur.
Mais alors d’où vient la confusion ?

Comme vous pouvez le voir dans l’arbre généalogique ci-dessus, le joueur d’échecs a un oncle portant le même prénom que lui, Louis-Charles capitaine de vaisseau de la République Française, accessoirement petit-fils du grand navigateur.
On trouve sa trace dans plusieurs documents aux archives de Paris.
Il semble être décédé à Toulon en 1802 (un point à vérifier - j'indique circa 1800 dans l'arbre ci-dessus).


Archives de Paris - Document daté du 13 juin 1789.
On voit apparaître (souligné en rouge par mes soins) le prénom, nom et qualité de l'oncle du joueur d'échecs. Surprise, il s'appelle Louis-Charles Mahé de La Bourdonnais, lieutenant des vaisseaux du Roi.

En conclusion, la réponse à la première question est :
Le joueur d'échecs Louis-Charles Mahé de La Bourdonnais est sans aucun doute l'arrière-petit fils du navigateur Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais.