lundi 30 janvier 2012

RADIO-PARIS


En 1937, la populaire station de radio parisienne RADIO-PARIS diffuse une émission de théâtre radiophonique sur le Café de la Régence.

Ce « théâtre radiophonique » est à l’époque très populaire, car n’oublions pas que la télévision est encore extrêmement rare.
Vous trouverez ici quelques informations sur RADIO-PARIS.
Durant la deuxième guerre mondiale, les allemands utilisèrent cette radio à des fins de propagande.
Pierre Dac avait alors composé une célèbre ritournelle à ce sujet…

Concernant cette mini pièce de théâtre, le texte reprend des faits « légendaires » qui se sont déroulés au Café de la Régence.
Plusieurs acteurs assez connus du cinéma français de l’époque prêtèrent leur voix.
Sur le document que j’ai consulté à la BNF (au département des arts du spectacle) il était indiqué que son auteur était Pierre Constantin Brive.
A la main avait été ajouté un « et » entre Pierre et Constantin. Une petite recherche sur internet montre qu’il s’agit bien de deux personnes différentes (frères ?).

Un des personnages du texte, le propriétaire du Café de la Régence, est appelé « Frary ».
Je pense qu’il s’agit là d’une erreur. En effet Frary, suivant le journal l’Avant-coureur du 2 novembre 1761, est : Frary, le limonadier de la rue Montmartre, fit orner son café de glaces entremêlées de panneaux peints. 
Mais il est à noter que Rey (propriétaire cité par Diderot notamment) s’inspira de ce décor inédit pour le Café de la Régence. En 1793, le propriétaire du Café de la Régence est plutôt François Haquin comme l’indique une recherche précédente.
En tout cas, si RADIO-PARIS en 1937 décide de faire une « petite pièce de théâtre » sur le Café de la Régence, c’est que celui-ci est sans doute encore très réputé.
Bonne lecture !

Source BNF – Arts du spectacle.

Pierre et Constantin Brive
Le Café de la Régence
Radio reportage au café de la Régence en 1793
Par Pierre et Constantin Brive.
Représenté à RADIO-PARIS le 28 Mai 1937

Personnages (1)
Le Reporter :         Pierre Brive
Cambon (voix) :    Emile Remongin
Frary :                  A.Lamy
Robespierre :        Paul Clerouc
Bonaparte :          Fernand Rauzena
Le Garçon :          Emile Remongin
Le militaire :         Paul Clérouc
(1)    les acteurs peuvent tenir deux rôles

Bruits
Chants révolutionnaires
Ambiance de café mais très discrète
Verres cassés

Acte I

LE REPORTER
Chers auditeurs, nous voici donc dans le café de la Régence, dans cet illustre établissement, qui, depuis des années, voit venir à l'une ou l'autre de ses tables les plus illustres personnages...
(Au loin, chant révolutionnaire, en chœur)
Malheureusement, nous sommes en pleine révolution, et je ne crois pas que je pourrai vous décrire un aspect particulièrement gai de la vie de ce café... D'ailleurs, je ne vous parlerai que le moins  possible de cette agitation qui, depuis quelques années, depuis quatre ans, trouble la France: on est sans cesse observé, épié, et je ne voudrai pas que l'une de mes paroles puisse me mener sans défense à la guillotine... Tout de même, comme il est quatre heures de l'après-midi, les clients sont assez nombreux dans le café... C'est en effet à quatre heures que l'on y trouve le plus de monde... Et les parties d'échecs sont commencées...Ah ! ça, mes chers auditeurs, il n'y aurait pas de Régence sans parties d'échecs...C'est devenu en quelque sorte le terrain exclusif de ce jeu...dont les pièces ne sont pas spécialement républicaines, puisque, vous le savez, le roi et la reine y font figue de pièces principales... La forme de la Régence est un peu celle d'un grand piano à queue... Ou, comme l'a dit je ne sais plus quel journaliste anglais, d'un parallélogramme de tartine de fromage...La Régence est bien le seul café qui ne se soit pas cru obligé de se modifier complètement depuis la chute de la royauté...elle a gagné ses glaces et son ornementation compliquée...Evidemment, on y voit en plus des drapeaux tricolores, des couronnes civiques et les bustes de Marat et de ... C'est bien le buste de Le Peletier qui se trouve là-bas ?
VOIX
Oui, oui
LE REPORTER
Merci, Monsieur...J'aimerais beaucoup vous présenter mes chers auditeurs, le patron de l'endroit, Frary, le cafetier à la mode.
VOIX
S'il vous entendait dire "cafetier"! ...
LE REPORTER
Pardon, Monsieur...Je vous demande pardon, mais je n'ai pas très bien entendu ce que vous me disiez.
VOIX
Je vous disais que le patron n'aimerait pas beaucoup s'entendre appeler "cafetier"...
LE REPORTER
Ah! ça, ce monsieur a raison.
VOIX
Ne dites donc pas "monsieur" comme ça: c'est citoyen, que je suis, et vous aussi, et nous tous qui sommes là...
LE REPORTER
C'est vrai, citoyen, excusez-moi...Mais voici le patron, le citoyen Frary...
FRARY
Que vous disait Cambon ?
LE REPORTER
Non ! c'était Cambon ? ... Eh bien, mes chers auditeurs, vous avez entendu un citoyen célèbre, un des douze membres du Comité de Salut Public, Cambon qui s'occupe spécialement des Finances...C'est un habitué de votre maison ?
FRARY
On le voit rarement. Il ne consomme pas. Il regarde, dit un mot à l'un ou à l'autre et sort.
LE REPORTER
Heureusement que vous n'avez pas que des Clients comme celui-là.
FRARY
En ce moment, vous savez, les affaires ne marchent qu'à moitié...
LE REPORTER
C'est ce que je disais au micro, tout à l'heure...
FRARY, bas
Les gens n'ont pas beaucoup le cœur à rire...
LE REPORTER
Eh, non...Mais enfin, je vois là un certain nombre de consommateurs qui jouent avec ardeur.
FRARY
C'est ce qui m'a sauvé: les échecs. N'est-ce pas, ma maison avant d'être un café est un endroit où l'on joue aux échecs.
LE REPORTER
Tous ces échiquiers-là sont à vous ?
FRARY
Je pense bien.
LE REPORTER
Comment est-ce qu'on fait pour les avoir ? On consomme ?
FRARY
On les loue...On les loue à l'heure...Maintenant, le soir vous avez un supplément pour payer les deux chandelles...Et personne ne songe à protester; on adore les échecs, ici...
LE REPORTER
Déjà dans le temps, citoyen FRARY...Les souvenirs sur votre maison abondent...On raconte que, il y a quelques années, on entendait dire au garçon de service: "Servez à Jean-Jacques" ou "Servez à Voltaire..."
FRARY
Pour être juste, Jean-Jacques Rousseau fréquentait ici; il venait se faire houspiller, - et, un jour, nous l'avons vu dans son costume turc...
LE REPORTER
Dans ce costume qu'il avait revêtu pour passer plus inaperçu ?
FRARY
Celui-là même. Mais, en ce qui concerne Voltaire, nous devons dire les choses comme elles sont; il a passé par ici, mais il ne s'y est pas arrêté...
LE REPORTER
En tout cas, je ne crois pas me tromper, en disant que les gens les plus célèbres se sont fait servir chez vous.
FRARY
Mais...Je reçois en effet tout le monde...tout le grand monde...
LE GARCON
On n'entre pas, militaire.
LE MILITAIRE
Mais, j'ai de quoi payer, voyons!
LE GARCON
C'est la consigne.
LE MILITAIRE
Je suis peut-être qu'un simple soldat, mais j'ai de quoi payer.
FRARY
Je vous demande pardon, je vais voir.
LE REPORTER
Mais je vous en prie. Frary se dirige en effet vers la porte, il prend doucement le soldat par le bras, il le fait sortir...D'ailleurs, le militaire n'insiste pas... Et Frary revient...Vous n'aimez donc pas la troupe, citoyen ?
FRARY
J'ai mes habitudes: les soldats, les gens d'apparence misérable, les suspects, je ne les reçois pas...Je tiens à ce qu'en entrant ici on se sente dans un salon, et non pas dans une boutique... Et je me considère comme un maître de maison, beaucoup plus que comme un patron...
LE REPORTER
Je vous demande pardon: est-ce que ce n'est pas Robespierre qui se lève ?
FRARY
Lui-même.
LE REPORTER
Je l'avais bien reconnu, avec son habit nankin rayé vert, son gilet blanc rayé bleu et sa cravate blanche rayée rouge... Et la pâleur de son teint est comme prolongé par ses cheveux poudrés...Vous croyez qu'on peut lui demander de dire quelques mots au micro ?
FRARY
Mais oui...Citoyen !...

 
 Paul Clerouc - Robespierre


ROBESPIERRE, de loin
Au revoir, citoyen.
FRARY
Viendras-tu par ici, dire quelques mots ?
ROBESPIERRE
Mais vite.
LE REPORTER
Je vous voyais jouer aux échecs. Vous trouvez le temps de ...
ROBESPIERRE
C'est une distraction dont j'ai besoin. Vous n'ignorez pas que nous travaillons sans arrêt à prendre de nouvelles mesures de salut public...
LE REPORTER
En effet.
ROBESPIERRE
Un peu de repos ne fait pas de mal.
LE REPORTER
Vous gagnez souvent aux échecs ?
ROBESPIERRE
Toujours...Salut, citoyen.
LE REPORTER
Au revoir...
FRARY
Salut...
LE REPORTER
Pour quelqu'un qui gagne toujours, il n'est pas commode.
FRARY
Il gagne parce que personne n'ose perdre contre lui...
LE REPORTER
Personne?
FRARY
Ils ont bien trop peur...Si: il n'y a qu'une fois, où il ait perdu...
LE REPORTER
Ah! Laquelle ?
FRARY
Une fois: il y a un petit jeune homme qui est entré, qui l'a vu, qui lui a proposé une partie: Robespierre a accepté; le petit jeune homme a gagné. Robespierre a demandé sa revanche; le petit jeune homme a dit: "Oui, mais si je gagne, j'ai droit à une récompense". Robespierre a accepté; le petit jeune homme a de nouveau gagné. Savez-vous ce qu'il a demandé ? La tête d'un homme. "C'est accordé, citoyen, a dû finir par dire Robespierre". Alors, le petit jeune homme a dit : "Appelez-moi citoyenne, car je suis une femme et c'est la grâce de mon fiancé que je vous demande"... C'est gentil, hein, comme histoire ?
LE REPORTER
C'est gentil et c'est étonnant, car je croyais Robespierre inflexible.
FRARY
Il est surtout homme de parole...
(Assez loin, chant révolutionnaire)
LE REPORTER
Vous entendez peut-être en ce moment;  ce sont des passants qui entonnent un des chants de la Révolution... Le Palais-Royal est assez souvent le théâtre de pareilles manifestations... Espérons que, cette fois, il n'y aura pas effusion de sang...


Fernand Rauzena - Bonaparte

BONAPARTE, loin
Oh! Basta ! ...
FRARY
Tiens ! Le voilà qui s'énerve !...
LE REPORTER
Qui ça ?
FRARY
Bonaparte, le jeune général...
LE REPORTER
Bonaparte ? Il est dans cette salle ?
FRARY
Mais oui, tout là-bas...
LE REPORTER
Je vais approcher mon micro...En effet, Bonaparte est en train de faire une partie d'échecs. Son long nez paraît, plus allongé encore, ses cheveux châtains sont en désordre, son menton saillant dénonce son énergie indomptable...Il est vêtu très simplement, de bleu, le cou enserré dans une cravate noire. Il joue contre un adversaire que je ne connais pas...
BONAPARTE
Eh bien...tu joues, oui ou non...
LE REPORTER
L'adversaire ne semble pas s'émouvoir.
BONAPARTE
En voilà une idée, de réfléchir comme ça, entre les coups.
LE REPORTER
En effet, mes chers auditeurs. Bonaparte n'a pas l'air d'aimer que l'on se recueille trop longtemps avant d'avancer une pièce...Tout de même, son adversaire se décide à jouer... Il prend la Tour de Bonaparte...
BONAPARTE, se fâchant
Je savais bien qu'il fallait que j'attaque ! ... Je le savais bien... Vous me disiez non, vous autres ! ...
LE REPORTER
Il prend quelques spectateurs à parti... mais ceux-ci ne s'émeuvent pas: ils sont habitués à ces éclats de voix... Bonaparte pousse une pièce, la reprend, renverse avec sa manche trois ou quatre pièces, il s'énerve, mes chers auditeurs, à un point inimaginable... il a joué... il regarde son adversaire, semble lui reprocher de ne pas broncher... il le regarde... Que va jouer cet adversaire ? ... Oh ! mes chers auditeurs, le peu que je sais du jeu d'échecs me permet de savoir que le roi de Bonaparte va être mis en échecs... en effet ...
BONAPARTE, explosant
C'est trop fort, alors ! ... Ça fait deux fois ! ... moi, je n'y vois pas ! ... j'en ai assez ! ... je ne jouerai plus ! ... tout le monde se met contre moi ! ...
LE REPORTER, pendant ce temps
Bonaparte entre dans une colère effroyable ! ... Il a renversé le jeu, il se dresse, menaçant... Vous l'entendez, je pense...
BONAPARTE
C'est fini ! ... on le fait exprès ! ... Robespierre, lui gagne toujours !
(Bruit de verres cassés)
LE REPORTER
Ça menace de devenir très dangereux, mes chers auditeurs...
BONAPARTE
C'est un jeu de filles, au fond ! Il me faut mieux... Je me vengerai dans d'autres batailles... On verra bien si je ne suis pas un bon tacticien ! ... On verra bien lequel vaut plus ! ... J'en ai par-dessus la tête ! ...
LE REPORTER
Mes chers auditeurs, Bonaparte est en ce moment déchaîné ... Il n'est pas loin de moi, il...
(Fracas)
(Gong)
LE SPEAKER
Chers auditeurs, nous sommes obligés d'interrompre notre radio-reportage au Café de la Régence: Bonaparte, dans un geste un peu violent a balayé le micro, et notre radio-reporter n'a eu que le temps de se cacher derrière une table.
(Gong.)

lundi 23 janvier 2012

Louis-Charles Mahé de La Bourdonnais

Lors de ma dernière visite à la Bibliothèque Nationale de France, j’ai notamment consulté un petit recueil d’articles de journaux concernant le Café de la Régence.
Voici un premier article qui concerne Labourdonnais, meilleur joueur du Monde disons de 1830 environ à son décès en 1840.

Je n’ai pas le nom du journal dans lequel est paru cet article.
Il n’était pas mentionné dans le recueil à la BNF...
Seule une date crayonnée (mai 1841) était indiquée.

Avant de lire cet article voici quelques précisions sur Labourdonnais.
Louis-Charles Mahé de Labourdonnais est né en 1795 (peut-être en 1797).
Il est indiqué partout que son lieu de naissance est l’île de la Réunion.
Mais j’ai trouvé une source qui indiquait Saint-Malo… Bref il reste une incertitude à mes yeux.

Elève de Deschapelles, Labourdonnais est également le fondateur de la première revue d’échecs du monde « Le Palamède » en 1836.
En 1834 il joue plusieurs matchs contre le plus fort joueur de Grande-Bretagne Mac Donnell et gagne globalement.
Ceci lui permet de revendiquer le titre de meilleur joueur du Monde.
Un point important dans cet article : il est fait mention de ses excès de nourriture et d’alcool.
Ceci est probablement la cause du mal qui l’emporte prématurément le 13 décembre 1840 à Londres.

Ci-après le seul portrait connu à ce jour de Labourdonnais (source Google Book).
Ce portrait a été publié dans le Palamède en 1842 avec le texte suivant :

Il n’existe aucun portrait de Labourdonnais. A sa mort, M. Deville moula sa tête. C’est sur ce plâtre et les souvenirs qu’il en conservait que M. Marlet a osé entreprendre de remplir cette lacune. – Nos lecteurs jugeront la ressemblance et sauront apprécier toutes les difficultés qu’un artiste de mérite a eu à surmonter pour faire revivre les traits de Labourdonnais.


Voici maintenant le texte concernant La Bourdonnais.

LE CAFE DE LA REGENCE (mai 1841)

Un autre personnage, entrant à l'instant même dans le café, réclame toute notre attention. Quel tumulte cause son arrivée ! Il a peine à se frayer un passage au travers de la foule qui, à son aspect, s'est levée pour le recevoir. Cinquante joueurs l'accostent et lui parlent à la fois... mais ils font un tel vacarme, qu'il ne peut les entendre. Ne pas connaître ce potentat qui s'avance si noblement vers son trône, serait un crime de lèse-majesté pour un amateur des échecs. Le nouvel arrivant est M. de Labourdonnais, proclamé à l'unanimité, depuis la retraite de Deschapelles, le premier joueur d'échecs de l'univers entier.

M. de Labourdonnais est le rejeton d'une famille noble, et le petit-fils du gouverneur de l'Ile Bourbon, immortalisé par Bernardin de Saint-Pierre dans Paul et Virginie. Il a environ quarante-cinq ans (Note du rédacteur. Depuis que cet article a été écrit, M. de Labourdonnais est mort à Londres, Boncourt l'avait précédé dans la tombe).

Il fit ses études au collège de Henri IV, mais il n'exerça jamais aucune profession que celle de joueur d'échecs, profession qu'il adopta à l'âge de vingt ans; car une mauvaise spéculation lui enleva de bonne heure le petit héritage que lui avait laissé son père. Physiquement parlant, M. de Labourdonnais a de larges épaules carrées, une haute taille, une tête solide et massive, sur laquelle les organes du calcul et de réflexion sont énormément développés; un front napoléonien, et un regard si perçant, qu'à le voir on n'est plus étonné d'apprendre que son heureux possesseur joue si bien les yeux bandés.

N'avez-vous jamais vu M. de Labourdonnais faire sa partie ? Eh bien ! Approchez. Son adversaire est M. Boissy-d'Anglas, pair de France, auquel il rend la tour. La lice va s'ouvrir; autour des combattants se presse une foule choisie: le général Haxo, Méry le poète, Lacretelle, Calvi, Chamouillet, Robello, et enfin le vénérable chevalier de Barneville, âgé d'environ quatre-vingt-dix ans, qui a joué avec Philidor et J.J. Rousseau, et qui réunit ainsi trois générations.

De l'orient et de l'occident, du nord et du midi, tous les fameux joueurs d'échecs de l'univers sont venus s'agenouiller devant le trône de leur monarque. Quelques-uns, il est vrai, ont tenté de lui enlever sa couronne, sous le prétexte de lui présenter leurs hommages; aucun n'a réussi. Pendant les quinze années de son règne, Labourdonnais n'a rencontré qu'un seul homme auquel il ne put faire aucun avantage; c'était feu Mac Donnell. En ce moment, abattu par une longue et cruelle maladie, il joue encore mieux que jamais. Sa grande âme s'élève au-dessus de ses souffrances corporelles et triomphe de la douleur physique. Puisse sa santé lui être bientôt rendu.

Fermeté et promptitude, telle est la devise de Labourdonnais. Un adversaire redoutable l'appelle-t-il dans sa lice, il ne demande pas plus d'un quart d'heure pour se préparer au combat. Il joue à toute heure du jour et de la nuit; à tous prix, de 1 à 100 francs. Peut-être seulement fait-il trop souvent usage, pour s'exciter et se donner des forces, du moyen qu'employait Gargantua lorsqu'il vint étudier à l'université de Paris, et lorsqu'il se rafraîchit pendant deux ou trois jours avec ses amis, s'informant du nom des savants qui habitaient la ville et de la quantité de vin qu'ils avaient bue.

C'est surtout par la promptitude avec laquelle il calcule les coups, que Labourdonnais se distingue de tous les autres joueurs d'échecs. Depuis Philidor jusqu'à nos jours, aucun de ses rivaux n'a pu l'égaler sous ce rapport. Lorsqu'on joue avec lui pour la première fois, on est stupéfait de la rapidité de ses mouvements. Vous disposez-vous à faire marcher une pièce, avant que votre main n'ait atteint le milieu de l'échiquier, elle rencontre la main de votre adversaire, qui s'apprête à repousser votre attaque projetée. 

Vous jouez cependant, vous tentez un coup que vous avez médité pendant un quart d'heure, et , vous félicitant d'avoir fait le coup, vous vous appuyez nonchalamment sur le dos de votre chaise pour vous reposer de vos fatigues; vaine espérance, illusions terrestres! A peine touchez-vous ce soutien désiré, que votre adversaire a déjà joué à son tour; il vous faut renoncer à toute pensée de tranquillité et de repos, et, comme le damné de la mythologie païenne, recommencer à rouler la pierre fatale au sommet de la montagne.

Une seule chose égale la rapidité de Labourdonnais, c'est sa gloutonnerie de joueur; rien ne peut le rassasier, jamais vous ne l'entendrez crier: Assez, assez! Il joue aux échecs de midi à minuit, sept jours par semaine. Quant à moi, je le compare parfois à une espèce d'automate, fabriqué de manière à faire avec une précision mathématique toutes les parties possibles. Lorsque eut lieu ce fameux duel de cent parties entre lui et notre Mac Donnell, quelquefois, après six ou sept heures, Mac Donnell cessait le combat, épuisé de fatigue; Labourdonnais était toujours aussi frais et aussi dispos qu'au commencement de la lutte.

Il dîne en dix minutes, à côté de l'échiquier, et se remet au jeu dès qu'il a fini; puis il joue jusqu'à minuit, fumant des cigares, buvant du punch et de l'ale, fredonnant et lançant de temps à autre autour de  lui des bons mots et des épigrammes d'une voix aussi forte et aussi retentissante que celle de Lablache. C'est surtout après son dîner, et quand il gagne, qu'il se livre à ses accès de gaîté; s'il perd, au contraire, son front se couvre aussitôt de nuages sombres. Le sang-froid de Mac Donnell le stupéfait d'étonnement. "Eh quoi ! me disait-il un jour, il perd trois parties et il sourit ! à sa place je m'arracherais les cheveux de la tête." Il l'eût fait comme il le disait.

Labourdonnais n'a pas dédaigné d'étudier les livres; il a joué toutes les parties écrites. Aussi aucun joueur ne sait mieux que lui ouvrir ou terminer une partie. Sans doute il parait quelquefois mépriser les axiomes établis, mais parce que son génie lui fait découvrir de nouvelles lois et ne reconnait que celles qu'il crée. La sûreté avec laquelle il prévoit les coups éloignés, est vraiment admirable.

Nul ne sait si bien que lui sacrifier une pièce quand il le faut, nul ne devine mieux que lui le moment favorable de jouer telle ou telle pièce; se sent-il pressé, ses coups de ressource sont écrasants. Malheur à vous si vous n'avez fait que le renverser sans le tuer! Semblable à Antée, il se relève plus fort et plus terrible de sa chute. "Je n'aurai jamais abandonné le sceptre des échecs, disait Deschapelles, si je n'avais pas dû le transmettre à Labourdonnais; il est digne de soutenir l'honneur de l'école, et dans ses mains la réputation de la France ne court aucun risque".

samedi 21 janvier 2012

Promenade au Palais-Royal

La semaine dernière j'ai eu l'occasion de me rendre à la Bibliothèque Nationale de France juste à côté du Palais-Royal. J'y ai découvert quelques documents inédits sur le Café de la Régence.
Mais j'en ai également profité pour faire quelques photographies que voici.


Tout d'abord, voici la place du Palais-Royal. A comparer avec la gravure du début du 19ème siècle de mon précédent article.








Avant son réaménagement vers 1853, la Place était plus étroite. Il faut imaginer l'ancien immeuble du Café de la Régence à l'emplacement du kiosque à journaux sur la gauche de le photographie.








De l'autre côté de la place. On retrouve le kiosque à journaux à l'emplacement primitif du Café de la Régence. Au fond se trouve le musée du Louvre.

Derrière moi, la Comédie Française (voir photo suivante).








Actuellement il y a beaucoup de travaux autour du Palais-Royal.
La Comédie Française ne déroge pas à cette règle ! La proximité du Café de la Régence et de la Comédie Française a attiré de nombreux artistes dans le Café...






Et voilà. Au loin sur la droite, l'office du tourisme du Maroc qui se trouve à l'emplacement du Café de la Régence.
Sur la gauche de la photo se trouve une brasserie anciennement appelée "Café de l'Univers" et qui accueillit les joueurs du Café de la Régence en 1918 après leur départ.
C'est là que fut créée l'association "Les Échecs du Palais Royal" ...






En se retournant, on aperçoit l'Opéra de Paris...
Je continue alors en longeant le Palais-Royal par la rue de Richelieu,pour aller jusqu'au N°21 de la rue.









Et voici le 21 de la rue de Richelieu, à 200 mètres du square devant la Comédie Française.
La porte est toujours fermée par un digicode. Impossible d'y pénétrer.
Le Café de la Régence s'y trouva durant deux ans (de 1852 à 1854).









Je continue dans le rue de Richelieu.
Beaucoup plus loin me voici à l'angle de la rue Ménars et de la rue de Richelieu.
C'est là que se trouvait en 1830 le Cercle des Echecs de Paris avec de Labourdonnais, Deschapelles...
L'immeuble semble trop récent. Le Cercle des Échecs se trouvait au 1er étage du bâtiment d'origine.








Je reviens ensuite sur mes pas et je franchis le passage du Beaujolais qui permet de rejoindre le Palais-Royal depuis la rue de Richelieu.














Et me voici devant l'entrée nord du Palais-Royal.
Il faut penser à Diderot qui passait par là pour se rendre au Café de la Régence en traversant le jardin enneigé si ma mémoire de cette lecture est bonne...









Le jardin du Palais Royal...











Et voilà où je souhaitais terminer ce petit reportage de photographies.
Me voici devant l'ancien Café de Chartres.
Ce nom ne vous dit rien ?
Il s'agit maintenant d'un des plus réputés restaurants de Paris.
Dans les années 30, l'association "Les Échecs du Palais-Royal" y avait trouvé refuge.










Il s'agit maintenant du restaurant "Le Grand Véfour".
Allez voir le site du restaurant...
La salle du restaurant est tout simplement magnifique.

mardi 17 janvier 2012

La Civette

Avec le café, le tabac était également en grande vogue au 18ème siècle.
Voici un extrait des « chroniques et légendes des rues de Paris » d’Edouard Fournier paru en 1864 (Source Gallica).
Il m’a semblé intéressant de mentionner ce lieu à deux pas du Café de la Régence. 
Dans une note précédente, un contemporain de Legall indiquait que celui-ci jouait toujours avec plein de tabac sur lui. J’imagine qu’il allait l’acheter à cet endroit…

LA CIVETTE
Parmi les maisons jetées bas, il y a quatre ans, pour faire place à la façade nouvelle du Théâtre-Français, ou plutôt au square qui égaye et dégage ses abords, il en est une qui à cause de sa renommée européenne et plus que centenaire, demande ici quelques mots d’histoire.
Je vais, s’il vous plait, vous les dire, et sans grande peine ; car un homme dont les Mémoires ne contiennent pas beaucoup de chapitres aussi facile à citer, Casanova de Seingaldt, les a dits avant moi.

 
C’est la fameuse boutique où se vendait le tabac de la Civette qu’il est question. Elle date d’il y a cent dix ans. Son premier emplacement ne fut pas où nous l’avons vue, mais plutôt près du Palais-Royal, en face même du Café de la Régence, où tout bon joueur d’échecs, naturellement bon priseur, n’entrait jamais sans avoir rempli sa botte de son tabac parfumé.

 
En 1829, le Duc d’Orléans ayant complété par ici son Palais-Royal, la vieille boutique dut disparaître, et disparut en effet pour laisser bâtir la galerie de Nemours. Elle ne recula pas de plus de quatre ou cinq maisons, en remontant vers la rue de Richelieu. Ce n’était pas assez loin pour que la vogue ne suivit pas. Elle suivit, et après la nouvelle et courte émigration de la célèbre boutique, nous la voyons qui suit encore. Elle a bravement, d’une seule enjambée, passé avec elle de l’autre côté de la rue.

(La Place du Palais-Royal - début du 19ème siècle - Sur cette image le Café de la Régence se situe à l'angle de la place sur la gauche)
 
Casanova venait d’arriver à Paris, lorsque commença cette mode tabagique. C’était en 1750, il s’en étonna et voulut en savoir la cause, comme s’il était toujours nécessaire qu’une mode eût sa raison.
Celle-ci pourtant, par exception, avait la sienne, et Casanova justement se trouvait avoir sous la main un homme capable de le renseigner sur ce point comme sur bien d’autres.
C’était un jeune homme de vingt et un ans à peu près, qui se nommait Pierre Patu, d’une bonne famille de robe, avocat lui-même, homme de lettre aussi, mais flâneur avant tout. Il en avait le goût, et le barreau ainsi que les lettres lui en laissaient le temps. Flâner et courir étaient si bien sa vie que lorsqu’il fut las de flâner dans Paris, il se mit à flâner à travers l’Europe. Il alla voir deux fois Voltaire aux Délices, la première dans l’automne de 1755, avec Palissot (V. Lettres de Voltaire à Thiriot du 8 nov. 1755 et à d’Argental du 29 octobre), la seconde, l’année d’après, avec d’Alembert (Lettre de voltaire à Palissot, du 30 nov.1756), et il y serait sans doute encore retourné si la mort ne l’eût brusquement arrêté, le 20 août 1757, à Saint-Jean de Maurienne (Lettre de Voltaire à Palissot, du 12 janvier 1758).

 
Ce petit Patu, comme l’appelait Voltaire, savait tout son Paris par cœur ; depuis l’histoire de la boutique bien achalandée, voire du mauvais lieu (Quelques notes de son curieux recueil, Choix de petites pièces de théâtre anglais 1756, (2 vol. in-12) prouvent qu’en ce genre il n’ignorait rien.), et le nom des principaux clients, jusqu’au détail des misères enfouies dans les mansardes littéraires, et même jusqu’aux titres des pauvres ouvrages que les rats mangeaient en attendant les lecteurs.

 
La rencontre d’un tel homme avait été précieuse pour Casanova, d’autant plus que tout roué qu’il fût, ses premiers pas dans Paris avait été de vrais pas de clerc et ses premières questions de véritables naïvetés. Avec Patu, qui était fort bon diable et suffisamment bavard, ce dont ne se plaint jamais celui qui a beaucoup à questionner et à apprendre, Casanova put être curieux et même naïf tout à son aise.
Les voilà donc l’un et l’autre, celui-ci ne cessant pas de questionner, celui-là ne se lassant pas de répondre, qui, bras dessus bras dessous, descendent du Palais-Royal dans la rue Saint-Honoré et tombent au beau milieu de la foule qui se presse devant la Civette. Là-dessus, étonnement de Casanova et en même temps sourire satisfait du complaisant cicérone, tout heureux de la question qu’il pressent et qui va lui permettre une nouvelle anecdote. Il la raconte, et rentré chez lui, Casanova l’écrit dans ses Mémoires, qui nous l’ont transmise gâtée par le voisinage d’une foule d’autres.
-    Que font tous ces gens à cette porte ? dit l’Italien.
-    Ils viennent acheter du tabac.
-    Sans doute parce qu’on n’en vend que là ?
-    Nullement ; on en vend en mille endroits ; mais depuis trois mois, personne ne veut que celui qui se vend ici. Il faut être un croquant pour ne pas avoir dans sa tabatière du tabac de la Civette.
-    Il est donc meilleur que les autres ?
-    Pas tout à fait.
-    Pourquoi donc est-il à la mode ?
-    Parce que la duchesse de Chartres l’a voulu.
-    Qu’a-t-elle fait pour cela ?
-    Presque rien. Deux ou trois fois, en descendant de ses appartements du Palais-Royal, elle a fait arrêter sa voiture devant cette boutique, y a fait remplir sa tabatière, et à dit bien haut à la marchande que son tabac était le meilleur de Paris. Il n’en a pas fallu davantage. Quelques badauds avaient entendu les paroles de la duchesse, le lendemain tout Paris les connaissait, et le surlendemain la foule affluait à la Civette, qu’elle n’a plus abandonnée.
-    La marchande a du faire une belle fortune.
-    Jugez-en. Il est des jours où elle vend pour plus de cent écus de tabac.
-    La duchesse ignore sans doute qu’elle est la cause de ce grand bonheur ?
-    Au contraire. C’est la plus belle âme de princesse qui se puisse voir, et ce qu’elle a fait là n’est qu’une ingéniosité de son bon cœur. Cette marchande venait de se marier, la duchesse voulait du bien au jeune ménage, mais elle désirait que sa bonne œuvre n’eût pas l’air d’un bienfait, et n’entrainât pas les gênes de la reconnaissance.
-    Elle imagina ce que vous venez de me dire ?
-    Justement. N’est-ce pas divin ?
Casanova applaudit de bon cœur, et je suis sûr que vous ferez comme lui.

vendredi 13 janvier 2012

Frise historique - Mise à jour

Vous trouverez dans le précédent article la frise historique du Café de la Régence que j'ai encore mise à jour.
Pour le moment j'ai intégré quasiment tous les faits mentionnés dans le cahier du CREB dédié au Café de la Régence (par E.Cornil). 

jeudi 5 janvier 2012

Frise historique

A partir de différentes sources, j'ai mis à jour la frise historique que j'ai débutée il y a quelques semaines. 
C'est un long travail mais j'espère obtenir quelque chose d'assez complet...
Voici donc une nouvelle version mise à jour.