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dimanche 20 juin 2021

La volonté de créer une Fédération Française des Échecs

Pour le centenaire de la Fédération Française des Échecs, j'ai écrit un texte qui relate le cheminement pour arriver à cette création. 
En particulier, le 2ème championnat des amateurs de Lyon (fin juillet 1914) devait se conclure par la formation de cette Fédération Française des Échecs. L'Histoire en a voulu autrement...

Lors de ma visite au fonds Mennerat, j'ai consulté un recueil de bulletins du Cercle Philidor, un des plus importants club d'échecs au début du XXe siècle à Paris, dans lequel se trouve une lettre qui incite les présidents des cercles d'échecs à se réunir pour former une Fédération.

La lettre n'est pas datée explicitement, et elle se trouve reliée avec un bulletin du Cercle Philidor juste après le championnat de Lyon. Il me semble donc possible de la dater du début de l'année 1914.

Voici cette lettre adressée aux présidents des cercles d'échecs en France et dans les colonies.
Elle est signée par les personnalités les plus importantes pour le jeu d'échecs à Paris en 1914, et notamment Eugène Deroste, président depuis sa fondation en 1902 de l'U.A.A.R., Union Amicale des Amateurs de la Régence.

Bulletin du Cercle Philidor - Fonds Mennerat, Belfort

Monsieur le Président,

La question de la création, en France, d'une Fédération nationale des Échecs est de nouveau à l'ordre du jour.
Nous venons vous demander de bien vouloir collaborer avec nous en vue de sa réalisation. 
Le meilleur moyen d'arriver à un résultat pratique nous a paru consister dans la réunion de délégués désignés par les cercles et associations de joueurs d'échecs pour examiner les conditions dans lesquelles pourrait être constituée et fonctionner la Fédération et pour en arrêter les statuts.
Il va sans dire que ces délégués, pour pouvoir participer utilement aux travaux de la réunion, devront résider à Paris ou dans les environs, mais il n'est nullement nécessaire qu'ils fassent partie des cercles qu'ils sont appelés à représenter et votre choix pourra porter sur tout amateur d'échecs, alors même qu'il serait membre d'un autre cercle. 

En ce qui concerne les statuts de la Fédération, voici à titre d'indication et sous réserve des décisions qui seraient prises par la réunion des délégués, quelles pourraient en être les grandes lignes : 
La Fédération aurait pour but de favoriser l'extension et les progrès du jeu d'échecs en France par l'institution d'un championnat amateurs annuel, par l'organisation de matches entre cercles et de tournois et par tous autres moyens de propagande. 
Elle se composerait 1° des associations et cercles d'échecs adhérents qui verseraient une cotisation fixée d'après le nombre de leurs membres sur les bases d'un tarif très modique; 2° des membres participants qui payeraient une cotisation égale à celle des cercles ayant une dizaine ou une vingtaine de membres; 3° de membres honoraires ou donateurs. 


Les Assemblées générales, la constitution du Comité et d'une manière générale, les autres questions de détail relatives à l’organisation et au fonctionnement de la Fédération seraient réglées comme d’usage. 
Nous ne doutons pas que vous ne consentiez à nous seconder dans une entreprise qui intéresse si directement la cause du jeu des Échecs en France et nous vous serions très obligés de bien vouloir nous faire connaitre le nom et l’adresse du Délégué que vous aurez choisi pour représenter votre Association. 
Nous ajouterons que la désignation d'un délégué ne préjuge en rien l'adhésion de votre Société à la Fédération et que vous conservez toute liberté d'adhérer ou non lorsque ses Statuts vous auront été soumis dans leur texte définitif. 
Permettez-nous d’insister, en terminant, pour que votre réponse nous parvienne aussitôt que possible de manière que les délégués puissent se réunir prochainement. 
Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de notre parfaite considération. 

E. DEROSTE, Président de l’Union Amicale des Amateurs de la Régence
Dr. G. MAILLARD, Président de l’Echiquier du Lion de Belfort. 
T. CABROL. Président du Cercle Philidor 
H.DELAIRE Directeur de la « Stratégie »

mercredi 5 mai 2021

La Vie Parisienne (I)


Au hasard de mes recherches sur la Régence, j’ai découvert quelques articles et illustrations intéressantes dans le magazine La Vie Parisienne

Ce premier billet de blog sur cette revue montre un lieu insolite, puis les prémisses d’un divorce entre le Café de la Régence et les joueurs d’échecs. Le deuxième billet de blog se veut un peu plus … léger !

Couverture de La Vie Parisienne - 10 juillet 1920 - Source : Gallica

Créée en 1863, c’est un magazine un peu léger, précurseur des revues people de notre époque. Et dès le début du XXè siècle ont y trouve des illustrations érotiques. C'est dans cette revue que Colette publie en 1907 sa première nouvelle.

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Revenons à la Régence... L’auteur de l’article suivant est venu au Café de la Régence par curiosité pour les joueurs d’échecs et il les observe…

A noter la présence d’une femme parmi les joueurs, un fait suffisamment rare à l’époque pour être noté.
Il est fait mention de Vassily Soldatenkov, précurseur du gambit Marshall, pour lequel j’ai déjà consacré un article, d’Auguste Joliet, pensionnaire de la Comédie-Française et pilier du Café de la Régence pendant plusieurs décennies, ainsi que de Gestesi et du comte Villeneuve-Esclapon, deux membres de l'U.A.A.R (Union Amicale des Amateurs de la Régence).

La Vie Parisienne – 11 mars 1911

Il y a encore des sages à Paris.

Là-bas, dans une salle d’un café nocturne, à l’écart des soupeurs frivoles, abrités d’un orchestre bruyant par un comptoir encombré de bouteilles, ils siègent autour de petites tables, deux à deux, séparés l’un de l’autre, par de petites idoles qu’ils agitent tour à tout, qu’ils poussent soigneusement, précautionneusement ou projettent en avant avec fureur. (...)

Souvent les joueurs restent un quart d’heure sans faire un geste, comme hypnotisés par leurs morceaux de bois ; puis soudain, une main se lève, saisit un fou, un cavalier, une reine, qui franchit les obstacles, et s’immisce dans une mêlée. Il y a des idoles noires ; il y a des idoles blanches et elles luttent, elles se menacent, elles se guettent et elles se dévorent. On entend, au milieu du silence, une voix qui proclame : « Au Roi ! » Et finalement il ne reste plus qu’un pauvre roi immobilisé et déchu.

A l’heure où un peuple frivole se rend à des plaisirs nocturnes, les joueurs d’échecs viennent, après le labeur journalier, s’asseoir à leur place habituelle, le front soucieux, comme des généraux responsables des défaites de la veille. Les grands prêtres sont là, ils instruisent les adeptes ou luttent entre eux.
Dans ce cas, petit à petit, on se resserre autour d’eux ; ils n’ont bientôt plus la place de bouger. Les fronts se penchent ; des murmures flatteurs ou désapprobateurs accueillent leur jeu. Cela dure des heures. De temps en temps, on vient les voir, sans leur rien dire ; on hoche la tête, puis on va se rasseoir. On donne de leurs nouvelles : « Gestesi file un mauvais coton… Le comte de Villeneuve est bien imprudent. » Les plus audacieux discutent.

Illustration parue dans La Vie Parisienne du 13 juillet 1895.


Ils poussent le bois comme s’ils n’avaient fait que cela toute leur vie, comme s’ils n’avaient autre chose à faire au monde. Et quels drames pourtant ont rassemblé ici tant de nationalités diverses, tant d’existences hétéroclites, tant de types baroques !

Celui-ci a vu le jour dans les jardins parfumés de la Perse ; il a la tête pointue des saints marabouts. Et celui-là, par quelles ruses s’est-il échappé de Sibérie ? Sa barbe hirsute, sa cravate débraillée, son gilet qui bâille, disent assez qu’il en a vu de toutes les couleurs ! Cette femme aux regards étranges, aux cheveux en mèches rebelles, nul ne pourrait dire à quelle nationalité elle appartient ; elle parle toutes les langues avec volubilité.

Vers les minuit, le prince Soldatenkov, - yeux bleus, visage rose et frais, - apparaît en frac et en gilet blanc à boutons d’or. Un gros bonhomme à bajoues, les cheveux gris en coup de vent, les yeux ronds malicieux, la physionomie sans cesse en mouvement, tout le corps accompagnant le rythme de la musique voisine, la voix ronflante, va d’une table à l’autre, examinant les jeux ; sa figure s’étonne, se plisse, se déplisse, ses joues se gonflent, ses yeux roulent, sa bouche s’arrondi. C’est Joliet qui, son rôle terminé à la Comédie-Française, vient en reprendre un autre au temple des joueurs d’échecs.

Auguste Joliet - Atelier Nadar, vers 1895 - Source : Gallica

Il y en a d’autres : des pauvres et des riches, des nobles et des plébéiens, Russes, Hongrois, Allemands, Anglais, Scandinaves, Asiatiques et jusqu’à des Français. Et tous ces doux fanatiques oublient leurs vicissitudes humaines dans un petit coin de Paris, mêlés à la foule sans y être, à l’agitation publique sans s’émouvoir, au bruit sans y participer. Ils poussent le bois.
Il y a encore des sages à Paris.

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Dans ce second article, de La Vie Parisienne, il est question de la place des joueurs d’échecs qui se réduit comme une peau de chagrin au Café de la Régence et d’un orchestre qui fait beaucoup de bruit… 
Rappelons que 6 ans plus tard, en juin 1918, l’Union Amicale des Amateurs de la Régence, va claquer la porte du célèbre café, en désaccord avec son propriétaire du moment, Lucien Lévy.
Des joueurs d’échecs, dans une pièce dédiée au sein d’une brasserie à la mode, cela fait tâche et ce n’est pas favorable au chiffre d’affaire.
En tout cas, les prémisses d’un divorce sont là, même si l’article se veut humoristique.

Le Café de la Régence vers 1905-1910

La Vie Parisienne – 12 décembre 1912

Encore une vieille institution parisienne qui tend à disparaître !
Les joueurs d’échecs du café de la Régence qui vivent là depuis plus d’un siècle, eux que Diderot s’amusait à regarder pousser le bois, eux qui ont connu la brusquerie de Musset et le flegme de Byron, les joueurs d’échecs sont en état de siège. 

On les a d’abord repoussés dans une arrière-boutique ; ils s’y sont résignés. Puis on leur a infligé une musique cacophonique ; ils se sont contentés de n’y point prendre garde. Enfin maintenant ils sont priés de faire silence lorsqu’un pianiste qui prend du ventre et un violoniste trop vert exécutent des acrobaties en retombant rarement sur leurs propres pieds. 

Et les pousse-bois, gens réfléchis et persévérants, se demandent cependant s’ils ne vont pas être obligés d’émigrer dans quelque paradis béni où il n’y aurait pas de musiciens. Ils sont venus des quatre coins du monde pour résoudre entre eux d’une façon élégante les problèmes de l’échiquier ; ils s’imaginaient pouvoir se livrer à leur culte en toute quiétude et il leur faut subir en silence un crincrin énervant qui s’échine sur des pots-pourris tirés des œuvres de Wagner !

François, le fidèle serviteur de ces sages aux abois, lui qui, pourtant, est plus sage que tous ces sages, sourit avec une profonde commisération :
- On veut nous bourrer le crâne, dit-il, et avec des musiciens qui ne sont même pas tziganes !... Quelle pitié !

Un mois plus tard, c’est la suite de cet article… Il est question d’Eugène Deroste, président de l’UAAR qui essaye d’apaiser les choses.

La Vie Parisienne – 18 janvier 1913

La Vie Parisienne s’est faite dernièrement l’écho de quelques habitués du Café de la Régence, chez qui la passion des échecs exclut le goût de la musique, et qui trouvent que les flonflons d’un orchestre de tziganes ne sont pas très favorables aux savantes combinaisons du noble jeu de Philidor.
Le propriétaire du Café de la Régence s’est ému de notre écho et il nous a communiqué une lettre fort spirituelle du Président de l’Association des joueurs d’échecs, qui tiennent leurs séances autour de ses tables de marbre.

Il résulte de cette lettre que si, pour les joueurs d’échecs le silence est d’or, la musique est d’argent pour les propriétaires de café ; que les joueurs d’échecs qui ne savent point apprécier tout le charme de la Veuve Joyeuse ou d’un pot-pourri de Carmen sont beaucoup moins nombreux qu’on ne pourrait le croire ; et enfin que l’orchestre du Café de la Régence est excellent. Nous avons grand plaisir à en informer nos lecteurs.

Quelques années plus tard, la musique est toujours là, mais sans les joueurs d’échecs.
Le journal Le Petit Bleu de Paris du 26 février 1921 note la qualité de la musique qui est jouée au Café de la Régence. 

Source : Retronews

Où entendre de la bonne musique ? Au Café de la Régence, Place du Théâtre-Français. Tous les soirs, orchestre Léon Golbert, sous la direction du violoniste virtuose André Dartibe, premier prix du Conservatoire de Paris. Chaque jour, solo de violon.


La Régence, vers 1920 - Roger-Viollet


La présence d'un orchestre est vraiment mis en avant !
 

samedi 11 juillet 2020

L'Échiquier Français

Fin 1902, une association de joueurs d'échecs, L'Union Amicale des Amateurs de la Régence (U.A.A.R.), est créée au Café de la Régence. Nous sommes un peu plus d'un an après le vote sur la loi 1901 relative aux associations. Et l'U.A.A.R. constitue un embryon de Fédération Française de joueurs d'échecs.

En 1906, l'U.A.A.R. commence la publication d'un bulletin, l'Échiquier Français, jusqu'en 1909 (voir ci-après). Le président de L'U.A.A.R., Eugène Deroste qui savait apaiser les conflits, décède le 5 novembre 1917.

Quelques mois plus tard, le divorce entre les joueurs d'échecs du Café de la Régence et le propriétaire des lieux, Lucien Lévy, est consommé (voir cet article puis celui-ci). 

Alphonse Goetz 
Biographie à découvrir sur le site de D.Thimognier "Héritage des Échecs Français"

Alphonse Goetz, probablement le meilleur joueur français de l'époque, a alors ces mots assez durs (La Stratégie - juin 1918) :
 
"(...) La scission qui vient de se produire est, à mon avis, la conséquence de la fondation, en 1902, de l’UNION AMICALE DES AMATEURS DE LA RÉGENCE. J’ai toujours pensé que cette constitution, faite sous l’empire de la jeune vogue de la loi de 1901 sur les associations, a été une erreur. Favorable aux seuls habitués, le régime ainsi institué lésait manifestement le propriétaire, qui n’était plus maître chez lui.(...)"

Mais revenons au bulletin de l'U.A.A.R.

Donc celui-ci s'intitule "L'Échiquier Français". A ne pas confondre avec la revue "Les cahiers de l’Échiquier Français" publiée de 1927 à 1937, ni avec "L’Échiquier de France" (1956-1958). 

L’Échiquier Français - Mars 1908 - Source Etienne Cornil

Louis Mandy publia un article intéressant sur ce bulletin de l'U.A.A.R. que vous pouvez lire ci-dessous.
Comme pour la Stratégie, la collection à peu près complète de "L'Échiquier Français" est consultable à la BNF, mais n'est pas encore numérisée.

Je remercie tout particulièrement M. Dominique Thimognier de m'avoir envoyé un exemplaire scanné de ce bulletin rarissime. Exemplaire que vous pouvez consulter à la fin de l'article.
 

L'Échiquier de France - Juin 1956 - Louis Mandy

Les Amateurs d'Échecs de la Régence, groupés en Union Amicale depuis le 5 décembre 1902, "avaient pensé qu'un journal mensuel serait un excellent outil de propagation" et ils avaient décidé de la publication sous le nom de "L'Échiquier Français". Créée en janvier 1906, cette revue devait subsister jusqu'en décembre 1909, soit donc durant quatre années entières.

Son programme ne différait guère de celui de toutes les revues d'échecs, à savoir qu'elle proposait de publier les plus belles parties des membres de l'U.A.A.R., des Cercles de Paris, de la Province et des Colonies françaises; des problèmes et études de fins de parties, surtout inédites et composées par des Français; des conseils et des leçons sur les principes élémentaires à l'usage des débutants; enfin, les nouvelles échiquéennes de la France et de l'Étranger.

Douze pages en moyenne étaient prévues mensuellement. L'Union Amicale distribuait sa revue gratuitement à ses membres dont la cotisation annuelle s'élevait, à l'époque, à douze francs. Quant aux amateurs étrangers à l'U.A.A.R, le prix de l'abonnement avait été fixé à 2 francs par an. Même en 1906, ce n'était pas ruineux. Pour le lecteur, s'entend. Pour l'Association, c'était une autre question.

Tout comme ses devanciers, "L’Échiquier Français" comptait sur une marée d'équinoxe d'abonnés qui lui aurait permis de former un jour une Fédération Française des joueurs. La gestation de cette dernière devait toutefois demander encore quelque quinze ans.

Enfin, regrettant la période révolue des grands joueurs français, déplorant que le goût des Échecs ne soit pas plus répandu et pensant que c'était là simple défaut d'organisation, il concluait qu'il y avait lieu de remédier à un tel état des choses, d'où la magnifique péroraison de sa profession de foi, empreinte d'un si bel optimisme : " Ce sera l'oeuvre de l'Échiquier Français !". Généreuse illusion. L'amère réalité devait se charger bien vite de rogner les ailes de cet enthousiasme.

La revue, de format 140 x 195mm, se présentait élégamment, sous couverture généralement chamois, 
parfois rose - teinte de l'avenir rêvé - ornée, au-dessous de son titre, d'une fort belle gravure représentant chez deux joueurs face à l'échiquier la classique opposition de la joie du vainqueur et du sourire contraint du perdant. Au premier plan, deux personnages assis; à l'arrière-plan, deux autres debout, tous s'esclaffant à la vue de la partie qui s'achève. Costumes et perruques de l'époque de la Régence.

Entête de menu du Café de la Régence en 1916.
Dès 1914 (voire avant ?) le propriétaire Lucien Lévy utilise ce dessin pour ses menus.

Ses rédacteurs sont restés anonymes. On peut cependant supposer que le secrétaire de l'U.A.A.R., M. Davril, assumait la rédaction de la Revue, aidé peut-être par M. Victor Place et, sans doute, en ce qui concerne la partie "problèmes", par Fred Lazare et Edouard Pape.

Le premier numéro s'ouvre sur le portrait de Philidor, tiré de l'"'Analyse", édition de 1803. La Revue publia, en feuilleton, une très intéressante "Monographie du Café de la Régence". Fred Lazare y inséra ses premières œuvres. On y trouve un certain nombre de problèmes d'Edouard Pape et de Pradignat, et de nombreuses études du Comte Jean de Villeneuve-Esclapon. 

La première année donna plus qu'elle n'avait promis. Sur douze numéros, on dénombre quatre fascicules de 16 pages, cinq de 12, un de 24 et un double de 28 pages. La seconde année également, puisque neuf fascicules eurent 16 pages, contre trois seulement ayant les 12 pages réglementaires. Par contre, la troisième année marque un léger fléchissement : huit fascicules de 8 pages et deux doubles de 16 et 20 pages. Enfin, la dernière année offrit à ses lecteurs cinq cahiers de 12 pages, trois doubles de 16 pages chacun, puis la revue termina en beauté avec un fascicule de 16 pages.

En résumé, "L’Échiquier Français" avait promis 12 pages par numéro, soit, pour quatre années et quarante-huit fascicules, un total de 576 pages. Il en a donné 580, rendons hommage à sa correction.

Signalons encore que le numéro de décembre 1909, paru avec plusieurs mois de retard, porte en dernière page le mot "FIN". Ce fait, assez rare, mérite d'être signalé. Combien y-a-t-il de revues françaises qui ont ainsi marqué le terme de leur existence et annoncé qu'elles cessaient de paraître ? A notre connaissance, cet exemple n'a guère été suivi que par "L’Échiquier de Paris", disparu en décembre 1955 et dont la dernière page porte ces trois lettres fatidiques.

On devine les causes qui ont provoqué la disparition de "L'Échiquier Français". Celui-ci écrit laconiquement : "Le but pour lequel la Revue a été créée par quelques amateurs n'a pas été atteint à leur satisfaction."  Traduisons ce courtois euphémisme: cette Revue, comme tant d'autres, a péniblement vivoté au milieu de l'indifférence endémique et notoire des amateurs d'échecs français, malgré les efforts non marchandés d'un noyau de rédacteurs désintéressés, jusqu'au jour où les bilans régulièrement et largement déficitaires ont lassé les meilleures volontés et imposé un terme aux sacrifices consentis.

Il n'y a, hélas ! rien de nouveau sous le soleil échiquéen de notre pays.

lundi 11 mars 2019

2ème prix du championnat 1904 de la Régence

Un sympathique lecteur de mon blog m'a fait parvenir deux photos d'une relique exceptionnelle du Café de la Régence qu'il a en sa possession.
Il s'agit d'une médaille offerte en 1904 à l'occasion du championnat d'échecs du Café de la Régence.

AU MÉRITE

D'un point de vue purement technique, la médaille fait 6,8 cm de diamètre pour 5 mm d'épaisseur.
Elle est en argent comme l'indique le poinçon sur la tranche.
Elle repose dans l'écrin d'origine, avec fermoir métallique.


Le texte sur la médaille indique :

PARIS
UNION AMICALE
DE LA RÉGENCE
TOURNOI D’ÉCHECS
1904
1è CLASSE A 2è PRIX
M.

Frédéric Lazard 1929
Photo provenant de l'indispensable site internet de Dominique Thimognier.

La revue "La Stratégie" de février 1904 indique :
"Le tournoi handicap annuel du Café de la Régence, organisé par l'Union Amicale, a été commencé le 25 janvier avec 51 concurrents répartis en quatre classes.
La 1ère classe est divisée en deux groupes A et B, le vainqueur de la section A prendra le titre de Champion de la Régence.
Dans cette section sont inscrits MM. Davril, Gorecki, Auguste Joliet, F.Lazard, Lee, Maurat, Pape et Silbert. Nous rappelons que cette année les prix seront de superbes médailles vermeil et argent que l'Union Amicale a fait graver spécialement pour le tournoi".

C'est finalement le docteur Louis Maurat qui remporte le tournoi et devient le Champion de la Régence. Frédéric Lazard prenant la deuxième place.

Il est intéressant de situer le Café de la Régence et les joueurs d'échecs de l'époque.
"La Stratégie" de 1902 indique :

« Pour inaugurer la belle salle que le Café de la Régence a mis à la disposition des joueurs d’échecs, M. Albin a donné le 29 Novembre une séance de 20 parties simultanées et 2 sans voir ; le maître viennois a gagné 8 parties, 9 nulles, dont 2 sans voir, et 5 perdues contre MM. Le Dr Goubeau, Grommer, le Dr Lochard, le colonel Moreau et Rapp.

Comme conséquence de la nouvelle installation, il a été fondé sous le nom de Union Amicale des joueurs d’Échecs de la Régence, une société dont le but est la propagande des Échecs. L’assemblée constitutive a eu lieu le 5 décembre au Café de la Régence, ont été élus
Président …………… - M. Deroste
Vice-Présidents……. - MM. Gaudermen et Tauber
Secrétaire…………… - M. Davril
Trésorier…………….. - M. Kieffer
Membres……………. - MM. Pape et Place

Les adhésions sont reçues au Café de la Régence, la cotisation est fixée à 12 fr. par an. Avant son départ pour participer au tournoi annuel de Monte Carlo, M. Taubenhaus donnera au Café de la Régence, sous le patronage de l’Union Amicale, une séance de trente parties simultanées, le 27 décembre prochain à 8 heures ½ du soir. Les amateurs qui désirent tenir un échiquier sont priés de s’inscrire à l’avance. Le tournoi handicap annuel est en voie d’organisation.  »

Il est à noter que l’Union Amicale des joueurs d’Échecs de la Régence se fait finalement appeler Union Amicale des Amateurs de la Régence, ou U.A.A.R. selon son abréviation. Cette association va de l’avant et bénéficie d’un président dynamique, Eugène Deroste. Une quarantaine de joueurs participent au tournoi handicap de 1903.

« L’Union Amicale a pris cette année la direction du tournoi handicap annuel du Café de la Régence et dans le but d’encourager les faibles amateurs à jouer des parties sérieuses entr’eux, au lieu d’un handicap, elle a organisé simultanément quatre tournois, un par classe, avec prix spéciaux pour chacun. L’idée est excellente, elle a cependant l’inconvénient de ne pas mettre aux prises les faibles avec les forts. Ce tournoi commencera le 25 janvier, déjà une quarantaine de concurrents sont inscrits.  »

En 1903, le Café de la Régence change de propriétaire. L'ancien, Joseph Kieffer, cède son établissement à Lucien Lévy.

Après le déchirement des échecs français en 1882, il faut donc attendre l'UAAR et le début du XXè siècle pour avoir les prémices d'une sérieuse association de joueurs d'échecs français.
L'UAAR en avait tous les atours, comme par exemple son bulletin "L'échiquier Français"
Mais elle était sans doute trop centrée sur Paris pour devenir une véritable Fédération Française des joueurs d'échecs.

Couverture du bulletin de l'UAAR, "l’Échiquier Français".
Source M. Dominique Thimognier.

mercredi 4 avril 2012

Lucien Lévy

Il y a quelques temps j’avais parlé d’un propriétaire du Café de la Régence vers 1850, Claude Vielle.
Voici un article sur un autre propriétaire, Lucien Lévy.

Lucien Lévy est un parisien, né le 13 mai 1864 dans le 11ème arrondissement de Paris.
Il est issu d’une famille modeste comme nous l’apprend son acte de naissance (source archive de Paris). Au moment de sa naissance, son père Louis Lévy est commis, et sa mère, Marguerite Félicité Jacob est institutrice. 

 (Source - Archives de Paris)

Il se marie le 29 juin 1897 avec Laure Jenny Rachel Reiss sans profession.
L’acte de mariage indique que Lucien Lévy est alors négociant sans plus de précision.

Son ascension sociale est certaine puisqu’il arrive en 1903 à faire l’acquisition du très à la mode Café de la Régence. Très à la mode car je rappelle que celui-ci fait face au Théâtre-Français…
Le propriétaire jusqu’au début de l’année 1903, depuis plus de 25 ans est Joseph Kieffer, Alsacien et vétéran de la guerre franco-prussienne de 1870.

L'été 1903 correspond à de gros travaux suite au changement de propriétaire.
D’ailleurs à l’occasion de ces travaux de nombreux journaux parisiens de l’époque annonçaient la fin des échecs au café de la Régence (article à suivre). La toute jeune association de la loi de 1901 l’UAAR (Union Amicale des Amateurs de la Régence – créée le 5 décembre 1902 – source La Stratégie) allait-elle disparaître ?

Il n’en est rien, et à l’issue de ces grands travaux de l’été 1903, les joueurs d’échecs reprennent leurs habitudes sans doute grâce à l’habileté du président de l’UAAR Eugène Deroste (avocat parisien réputé).

L’assemblée générale de l’UAAR qui suit nomme Lucien Lévy comme trésorier de l’association (Joseph Kieffer l’ancien propriétaire ayant été le 1er trésorier).
Contrairement à Claude Vielle (ancien propriétaire) je n’ai pas (encore ?) trouvé de trace de Lucien Lévy joueur d’échecs. C’est peut être justement là un des problèmes.

Ensuite en 1910 de nouveaux grands travaux ont lieu qui augmentent considérablement la surface de ce qui n’est plus maintenant un simple café mais plutôt un vaste restaurant où se jouent des concerts. 


Voici une carte postale qui date de cette époque (dessus est écrit 1915) trouvée sur le site de vente de cartes postales Delcampe.
Le restaurant qui fait face à la Comédie-Française est imposant, c’est le moins que l’on puisse dire.
Il est à noter que la vieille pancarte indiquant sur la façade la création du café en 1718 - à une autre adresse d’ailleurs, voir un de mes premiers articles surle Café de la Régence – cette pancarte a disparu.

Vaille que vaille l’UAAR survit dans un local de plus en plus exigu semble-t-il au sein du Café de la Régence. Mais tout n’est pas si rose. Lucien Lévy doit sans doute vivre un peu mal la présence de ses joueurs d’échecs qui font un peu tâche dans ce restaurant rutilant. Des tensions apparaissent.

Manifestement Lucien Lévy mène également la vie dure à ses employés.
Pour rentabiliser son affaire, il use ses employés, et 15 d’entre eux finissent par déposer plainte contre lui en 1910 (source archive de la préfecture de police).
Il est convoqué au commissariat du Palais-Royal pour donner sa version des faits que voici.


(Source - Archive de la préfecture de police de Paris - Main courante du commissariat du Palais-Royal 1910)

Main courante du commissariat de police du quartier du Palais-Royal
4 et 6 juin (1910) - N°463 – Parquet
Etat Civil
Lévy (Lucien) né le 13 mai 1864 à Paris 11ème de Louis et de Jacob Félicité, marié avec Mlle Reiss (Laure) le 1er juillet 1897 à Paris 1er arrondissement. Propriétaire du Café de la Régence 161 rue Saint-Honoré.
Résumé de l’affaire
Instruction du parquet pour interrogatoire
Infraction à la loi du 13 juillet 1906 – quinze employés n’ayant pas le repos hebdomadaire – Dit que les employés prennent ce qu’ils veulent et beaucoup préfèrent grouper leur repos pour avoir plusieurs jours de suite – Mais tous ont la faculté de prendre un jour par semaine.

Mais la disparition du président de l’UAAR, Eugène Deroste décède le 5 novembre 1917 à l’âge de 68 ans (source La Stratégie), ainsi que la 1ère guerre mondiale (et fatalement une moins grande fréquentation du lieu par les joueurs d’échecs) entraîne le divorce entre le Café de la Régence et l’UAAR  – Ceci fera l’objet d’un prochain article.

Divorce provisoire puisque dans les années 30 un nouveau propriétaire donnera ses dernières heures de gloire au jeu d'échecs dans ce lieu mythique.