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vendredi 30 septembre 2022

L’émergence des ligues régionales

Après dix premières années difficiles pour la Fédération Française des Échecs, qui a vu à plusieurs reprises son existence même menacée, un nouveau président arrive à la tête de la FFE, Pierre Biscay, en 1932 avec une nouvelle idée : la création de ligues régionales.

(La Fédération Française des Échecs) a la charge de l’administration, les ligues, celle de l’organisation.
 
Mais peut-être a-t-il repris cette idée à son compte pour ne pas se laisser déborder...
 
Pierre Biscay - L'Echiquier 1933
Héritage des Échecs Français
 
Mais revenons à l’origine. Dans le bulletin numéro 53 de la FFE (novembre-décembre 1931) j’ai découvert ce qui me semble être la première mention d’une ligue régionale, « sous-entité », « organe décentralisé » ou bien tentative de sécession vis-à-vis de la Fédération Française des Échecs alors en difficulté ?
 

Bulletin n°53 de la FFE - Novembre Décembre 1931 - Fonds Mennerat Belfort

Ligue des Cercles d’Échecs de la Région Parisienne

Le mercredi 2 décembre 1931, la L.C.E.R.P., dont le siège social est fixé au grand Café de la Bourse, 2, rue de la Bourse, à Paris, a élaboré ses statuts et élu son bureau qui est ainsi constitué :

Président, M. Segal (Lutèce) ; vice-président, M.Collins (British) ; secrétaire, M. A. Milaire (Buttes-Chaumont) ; secrétaire-adjoint, M. Lion (Fou du Roi) ; trésorier, M. Guyot (Nation) ; trésorier-adjoint, M. Thadée Lilienstern (Potemkine) ; directeur technique, M. A. Voisin (Butte-Chaumont) ; représentant des Cercles de la Banlieue, M. Louvet (Echiquier Dyonisien) ; directeur de la Propagande, M. L . Désandré (Astarté).

La FFE est certaine que sous la présidence éclairée de M. L. Segal, la LCERP fera du bon travail et obtiendra d’excellents résultats.


Mais en fait tout n’est pas si rose que ça, car dans le bulletin suivant de la FFE (Bulletin numéro 54 – Janvier Février 1932) on apprend :

(…) Néanmoins, la FFE regrette vivement que, par suite d’un désaccord sur l’un des articles des statuts de la Ligue, l’un des cercles les plus actifs et des plus influents de Paris, le Cercle de la Rive Gauche, n’ait pu adhérer à la nouvelle Ligue et nous espérons encore un arrangement amiable. (…)

Dès le début, nous avons donc déjà un désaccord… Est-ce une constante indissociable de la ligue d'IDF ?
 

Le Journal Officiel du vendredi 8 avril 1932 publie l’annonce officielle de la création de l’ancêtre de la Ligue IDF.

Déclaration du 11 mars 1932 (n° 169368). LIGUE DES CERCLES D’ÉCHECS DE LA RÉGION PARISIENNE. But : diffusion du jeu d’échecs dans la région parisienne. Siège social : 21, avenue Victor-Emmanuel III, Paris (7e).

En tout cas, cette idée plait bien au futur président de la FFE, Pierre Biscay. Elle fait partie de son programme quand il est élu le 26 avril 1932 à la présidence de la FFE.
 
Extrait du bulletin n°56 de la FFE de juillet 1932 - Fonds Mennerat Belfort

(…) Le programme du nouveau Comité est le suivant : Création de ligues régionales (…)
 
Et un peu plus loin dans le même bulletin, ouf la ligue de Paris ne fera finalement pas sécession !
A noter aussi que la première ligue régionale de province est celle de Moselle.
 

LIGUES

La Création des Ligues est l’un des points du programme fédéral et tous les cercles en comprendront l’utilité.
Ces ligues ne sont pas des États dans l’État, mais des organismes destinés à faciliter la bonne marche de la Fédération. Celle-ci a la charge de l’administration, les ligues, celle de l’organisation : il est bien évident que seul un comité composé des Membres des cercles intéressés pourra organiser soit des rencontres inter-cercles, soit un championnat régional.
Deux ligues florissantes sont déjà officiellement formées : la Fédération de la Moselle et la Ligue de Paris. Cette dernière, par suite d’un malentendu initial, avait paru ne pas vouloir prendre part à l’œuvre fédérale ; mais nous sommes heureux d’annoncer qu’il n’en est rien et que son accord avec la FFE est dès maintenant réalisé. (…)


L'idée fait son chemin, et dès le bulletin suivant de décembre 1932 (Bulletin n°57 de la FFE) apparaissent les noms des Ligue de l’Ouest, Ligue de Normandie, Ligue du Nord-Est...
 

Et quelques années plus tard, dans le bulletin de Mars 1938, se trouve une proposition de statuts des ligues Echiquéennes en France, Algérie, Tunisie, Colonies Françaises et Pays de Protectorat …
 

dimanche 20 juin 2021

Alexandre Alekhine en 1932 à la Régence

Le 28 février 1932, Alekhine donne une formidable exhibition à l'hôtel Claridge à Paris. Il joue simultanément contre 60 équipes de 5 joueurs, et la presse se fera l'écho de cet exploit qui mérite un article à lui seul sur ce blog.

Est-ce cette photo d'Alekhine qui était accrochée sur un des murs de la Régence ?

Mais ce qui m'intéresse présentement, c'est une courte entrevue d'Alekhine publiée dans le journal "L'écho de Paris" ce même 28 février. Le journaliste était au courant de l’événement en préparation, et il rencontre la veille Alekhine au Café de la Régence. 

Lors de l'écriture de mon livre sur l'histoire du Café de la Régence, j'avais eu l'occasion de m'entretenir avec César Boutteville, alors un des derniers témoins du Café de la Régence. Même si M. Boutteville était fatigué (il avait alors près de 95 ans) et m'avait dit ne pas vouloir remuer le passé, il m'avait néanmoins communiqué deux informations au sujet d'Alekhine et du Café de la Régence : Alekhine jouait au bridge (!) plutôt qu'aux échecs lorsqu'il venait à la Régence, et il y avait un de ses portraits accroché sur un mur.

Comme vous pourrez le lire dans l'article ci-dessous, Alekhine est accompagné par sa compagne depuis 10 ans à l'époque, Nadejda (appelée Nadine en France, selon l'historien Russe Youri Sabourov) Semionovna Vassilieva (née Fabritskaïa). Quelques mois plus tard, Alekhine partira autour du monde pour une tournée de simultanées et rencontrera Grace Wishaar avec qui il se mariera par la suite.

Source - Alekhine (au centre) avec sa compagne Nadjeda lors du championnat du monde contre Capablanca à Buenos-Aires en 1927

L’écho de Paris – 28 février 1932 - Source Retronews


Avant un record sensationnel
Avec Alexandre Alekhine Champion du monde des échecs

« - Tu vois ce jeune homme blond là-bas, avec sa carrure d’athlète et ses yeux bleus ? Eh ! bien, c’est Alekhine.
- Le célèbre joueur d’échecs, le champion du monde, qui va livrer demain un assaut contre trois cents adversaires.
- Lui-même
- Présente-moi
Nous sommes justement et, comme par hasard, au café de la Régence, célèbre depuis plus de deux cents ans pour ses tournois d’échecs.
Alekhine est très paisiblement, avec Mme Alekhine, assis devant des consommations et il n’a pas l’air très préoccupé du tournoi mémorable qu’il va livrer. C’est ce que nous ne pouvons nous empêcher de lui dire.
- Oh ! nous dit-il en souriant, je ne passe pas ma vie à penser aux échecs. C’est un art auquel je me livre avec passion, comme à tous les sports – car je suis très sportif – mais en dehors des championnats ou des livres techniques que j’écris sur la question, je suis, croyez-le bien, un homme comme les autres. Les échecs n’ont jamais empêché personne de faire de la poésie, et c’est mon cas. Je prétends même qu’il y a de la poésie dans les échecs, et de la beauté, comme dans tout problème.
- Mon mari est si peu l’homme d’une seule chose, nous confie Mme Alekhine, que si vous veniez chez nous, je ne sais même pas si vous trouveriez un échiquier. En tout cas, il doit être dans quelque coin, couvert de poussière. Il ne joue jamais chez nous.

Source : Collection Roger-Viollet
Hélas ce n'est pas au Café de la Régence que fut prise cette photographie d'Alekhine, mais au Café de la Paix, place de l'Opéra

Nous voudrions faire parler le champion, qui est non seulement la plus grande autorité en matière d’échecs, mais encore le recordman mondial du jeu sans voir (contre vingt-huit adversaires), de sa méthode et de sa manière. Il s’y prête avec une charmante bonne grâce, car Alekhine, qui aligne je ne sais combien de records, est extrêmement modeste.

- Je crois que je suis un visuel, nous dit-il, mais ce n’est pas sûr, car, lorsque je joue sans voir, je n’évoque pas les échiquiers, mais la tactique logique engagée par moi contre chaque adversaire en particulier. C’est l’adversaire qui m’intéresse, sa psychologie et ses réactions contre mes attaques, c’est pourquoi je vous disais qu’il y a dans les échecs place à la poésie, car entre deux solutions également logiques, l’imagination choisit.

Évidemment j’ai de la mémoire, j’ai même une mémoire exceptionnelle. Je peux calculer jusqu’à vingt-huit coups d’avance, mais chaque parade de l’adversaire fait naître des combinaisons nouvelles et, en moyenne, je ne prévoie pas plus de cinq ou six coups d’avance. Les échecs sont un jeu merveilleux, dites-le bien, et je constate avec joie sa renaissance en France depuis la guerre. J’y ai ma faible part puisque, contrairement à ce qu’on croit, je suis citoyen français. Je vois des jeunes, des moins de trente ans, qui vont devenir de redoutables adversaires, et je m’en réjouis. Tout n’est pas dit sur les échecs. Ma modeste contribution à l’histoire de ce vieux et illustre jeu a été et sera justement de montrer qu’il y a des combinaisons nouvelles , des problèmes encore non résolus… »

J.-G. Lemoine