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mercredi 22 septembre 2021

Film sur Samuel Reshevsky aux Échecs du Palais-Royal

Samuel Reshevsky est connu comme étant un enfant prodige du jeu d'échecs au début du XXème siècle. Il effectue une tournée en Europe et vient à Paris en mai 1920.

Vous avez sur le site "Héritage des Échecs Français" un très intéressant article détaillé sur son séjour à Paris.

Le Miroir - 23 mai 1920 - Héritage des Échecs Français

Oliver Sheppard a attiré mon attention sur un film découvert récemment sur cet événement.
Le film est très court, seulement 36 secondes, et l'on voit le petit Samuel Reshevsky donnant une simultanée.

La simultanée a lieu a Café de la Rotonde, où l'association "Les Échecs du Palais-Royal" vient juste de s'installer au début de l'année 1920. A quelques mois près ce film aurait été tourné au Café de la Régence...

Gallica - Le Café de la Rotonde en 1914 - Agence Meurice


 
C'est Olimpiu G.Urcan qui indique avoir trouvé le film dans les archives de CBS.


Il le date du 17 mai 1920, mais il s'agit probablement de la simultanée du 16 mai 1920.
Ou bien alors le film a été réalisé après coup le lendemain ?! 
C'est possible car deux détails sont étonnants.
Tout d'abord la vitesse d'exécution des coups de l'enfant et les pièces qui tombent, et ensuite on voit que tous les échiquiers sont incorrectement placés. 
La case e4 (avec une croix rouge) devrait être blanche.



J'ai essayé de reconnaître les personnes sur le film. 
Mais je dois dire que l'exercice est difficile, mais il me semble avoir reconnu Jean de Villeneuve Esclapon avec ses moustaches caractéristiques...


Héritage des Échecs Français - Avril 1929 supplément à L’Échiquier

mercredi 5 mai 2021

La Vie Parisienne (I)


Au hasard de mes recherches sur la Régence, j’ai découvert quelques articles et illustrations intéressantes dans le magazine La Vie Parisienne

Ce premier billet de blog sur cette revue montre un lieu insolite, puis les prémisses d’un divorce entre le Café de la Régence et les joueurs d’échecs. Le deuxième billet de blog se veut un peu plus … léger !

Couverture de La Vie Parisienne - 10 juillet 1920 - Source : Gallica

Créée en 1863, c’est un magazine un peu léger, précurseur des revues people de notre époque. Et dès le début du XXè siècle ont y trouve des illustrations érotiques. C'est dans cette revue que Colette publie en 1907 sa première nouvelle.

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Revenons à la Régence... L’auteur de l’article suivant est venu au Café de la Régence par curiosité pour les joueurs d’échecs et il les observe…

A noter la présence d’une femme parmi les joueurs, un fait suffisamment rare à l’époque pour être noté.
Il est fait mention de Vassily Soldatenkov, précurseur du gambit Marshall, pour lequel j’ai déjà consacré un article, d’Auguste Joliet, pensionnaire de la Comédie-Française et pilier du Café de la Régence pendant plusieurs décennies, ainsi que de Gestesi et du comte Villeneuve-Esclapon, deux membres de l'U.A.A.R (Union Amicale des Amateurs de la Régence).

La Vie Parisienne – 11 mars 1911

Il y a encore des sages à Paris.

Là-bas, dans une salle d’un café nocturne, à l’écart des soupeurs frivoles, abrités d’un orchestre bruyant par un comptoir encombré de bouteilles, ils siègent autour de petites tables, deux à deux, séparés l’un de l’autre, par de petites idoles qu’ils agitent tour à tout, qu’ils poussent soigneusement, précautionneusement ou projettent en avant avec fureur. (...)

Souvent les joueurs restent un quart d’heure sans faire un geste, comme hypnotisés par leurs morceaux de bois ; puis soudain, une main se lève, saisit un fou, un cavalier, une reine, qui franchit les obstacles, et s’immisce dans une mêlée. Il y a des idoles noires ; il y a des idoles blanches et elles luttent, elles se menacent, elles se guettent et elles se dévorent. On entend, au milieu du silence, une voix qui proclame : « Au Roi ! » Et finalement il ne reste plus qu’un pauvre roi immobilisé et déchu.

A l’heure où un peuple frivole se rend à des plaisirs nocturnes, les joueurs d’échecs viennent, après le labeur journalier, s’asseoir à leur place habituelle, le front soucieux, comme des généraux responsables des défaites de la veille. Les grands prêtres sont là, ils instruisent les adeptes ou luttent entre eux.
Dans ce cas, petit à petit, on se resserre autour d’eux ; ils n’ont bientôt plus la place de bouger. Les fronts se penchent ; des murmures flatteurs ou désapprobateurs accueillent leur jeu. Cela dure des heures. De temps en temps, on vient les voir, sans leur rien dire ; on hoche la tête, puis on va se rasseoir. On donne de leurs nouvelles : « Gestesi file un mauvais coton… Le comte de Villeneuve est bien imprudent. » Les plus audacieux discutent.

Illustration parue dans La Vie Parisienne du 13 juillet 1895.


Ils poussent le bois comme s’ils n’avaient fait que cela toute leur vie, comme s’ils n’avaient autre chose à faire au monde. Et quels drames pourtant ont rassemblé ici tant de nationalités diverses, tant d’existences hétéroclites, tant de types baroques !

Celui-ci a vu le jour dans les jardins parfumés de la Perse ; il a la tête pointue des saints marabouts. Et celui-là, par quelles ruses s’est-il échappé de Sibérie ? Sa barbe hirsute, sa cravate débraillée, son gilet qui bâille, disent assez qu’il en a vu de toutes les couleurs ! Cette femme aux regards étranges, aux cheveux en mèches rebelles, nul ne pourrait dire à quelle nationalité elle appartient ; elle parle toutes les langues avec volubilité.

Vers les minuit, le prince Soldatenkov, - yeux bleus, visage rose et frais, - apparaît en frac et en gilet blanc à boutons d’or. Un gros bonhomme à bajoues, les cheveux gris en coup de vent, les yeux ronds malicieux, la physionomie sans cesse en mouvement, tout le corps accompagnant le rythme de la musique voisine, la voix ronflante, va d’une table à l’autre, examinant les jeux ; sa figure s’étonne, se plisse, se déplisse, ses joues se gonflent, ses yeux roulent, sa bouche s’arrondi. C’est Joliet qui, son rôle terminé à la Comédie-Française, vient en reprendre un autre au temple des joueurs d’échecs.

Auguste Joliet - Atelier Nadar, vers 1895 - Source : Gallica

Il y en a d’autres : des pauvres et des riches, des nobles et des plébéiens, Russes, Hongrois, Allemands, Anglais, Scandinaves, Asiatiques et jusqu’à des Français. Et tous ces doux fanatiques oublient leurs vicissitudes humaines dans un petit coin de Paris, mêlés à la foule sans y être, à l’agitation publique sans s’émouvoir, au bruit sans y participer. Ils poussent le bois.
Il y a encore des sages à Paris.

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Dans ce second article, de La Vie Parisienne, il est question de la place des joueurs d’échecs qui se réduit comme une peau de chagrin au Café de la Régence et d’un orchestre qui fait beaucoup de bruit… 
Rappelons que 6 ans plus tard, en juin 1918, l’Union Amicale des Amateurs de la Régence, va claquer la porte du célèbre café, en désaccord avec son propriétaire du moment, Lucien Lévy.
Des joueurs d’échecs, dans une pièce dédiée au sein d’une brasserie à la mode, cela fait tâche et ce n’est pas favorable au chiffre d’affaire.
En tout cas, les prémisses d’un divorce sont là, même si l’article se veut humoristique.

Le Café de la Régence vers 1905-1910

La Vie Parisienne – 12 décembre 1912

Encore une vieille institution parisienne qui tend à disparaître !
Les joueurs d’échecs du café de la Régence qui vivent là depuis plus d’un siècle, eux que Diderot s’amusait à regarder pousser le bois, eux qui ont connu la brusquerie de Musset et le flegme de Byron, les joueurs d’échecs sont en état de siège. 

On les a d’abord repoussés dans une arrière-boutique ; ils s’y sont résignés. Puis on leur a infligé une musique cacophonique ; ils se sont contentés de n’y point prendre garde. Enfin maintenant ils sont priés de faire silence lorsqu’un pianiste qui prend du ventre et un violoniste trop vert exécutent des acrobaties en retombant rarement sur leurs propres pieds. 

Et les pousse-bois, gens réfléchis et persévérants, se demandent cependant s’ils ne vont pas être obligés d’émigrer dans quelque paradis béni où il n’y aurait pas de musiciens. Ils sont venus des quatre coins du monde pour résoudre entre eux d’une façon élégante les problèmes de l’échiquier ; ils s’imaginaient pouvoir se livrer à leur culte en toute quiétude et il leur faut subir en silence un crincrin énervant qui s’échine sur des pots-pourris tirés des œuvres de Wagner !

François, le fidèle serviteur de ces sages aux abois, lui qui, pourtant, est plus sage que tous ces sages, sourit avec une profonde commisération :
- On veut nous bourrer le crâne, dit-il, et avec des musiciens qui ne sont même pas tziganes !... Quelle pitié !

Un mois plus tard, c’est la suite de cet article… Il est question d’Eugène Deroste, président de l’UAAR qui essaye d’apaiser les choses.

La Vie Parisienne – 18 janvier 1913

La Vie Parisienne s’est faite dernièrement l’écho de quelques habitués du Café de la Régence, chez qui la passion des échecs exclut le goût de la musique, et qui trouvent que les flonflons d’un orchestre de tziganes ne sont pas très favorables aux savantes combinaisons du noble jeu de Philidor.
Le propriétaire du Café de la Régence s’est ému de notre écho et il nous a communiqué une lettre fort spirituelle du Président de l’Association des joueurs d’échecs, qui tiennent leurs séances autour de ses tables de marbre.

Il résulte de cette lettre que si, pour les joueurs d’échecs le silence est d’or, la musique est d’argent pour les propriétaires de café ; que les joueurs d’échecs qui ne savent point apprécier tout le charme de la Veuve Joyeuse ou d’un pot-pourri de Carmen sont beaucoup moins nombreux qu’on ne pourrait le croire ; et enfin que l’orchestre du Café de la Régence est excellent. Nous avons grand plaisir à en informer nos lecteurs.

Quelques années plus tard, la musique est toujours là, mais sans les joueurs d’échecs.
Le journal Le Petit Bleu de Paris du 26 février 1921 note la qualité de la musique qui est jouée au Café de la Régence. 

Source : Retronews

Où entendre de la bonne musique ? Au Café de la Régence, Place du Théâtre-Français. Tous les soirs, orchestre Léon Golbert, sous la direction du violoniste virtuose André Dartibe, premier prix du Conservatoire de Paris. Chaque jour, solo de violon.


La Régence, vers 1920 - Roger-Viollet


La présence d'un orchestre est vraiment mis en avant !
 

vendredi 9 avril 2021

Le jeu d'échecs dans les écoles et photos inédites

 Le 13 juillet 1911, le journal Excelsior publie un article sur le Café de la Régence, et l'UAAR (Union Amaicale des Amateurs d'échecs de la Régence) qui souhaite promouvoir le jeu d'échecs dans les écoles.
J'ai déjà eu l'occasion de présenter ce projet des joueurs d'échecs du Café de la Régence, dans deux anciens articles de ce blog, ici et .
Cela semble être une marotte des joueurs d'échecs que leur jeu soit introduits dans les écoles.
En tout cas l'idée n'est pas récente comme on peut le voir.

Cet article contient une brève description de la pièce où se retrouvent les joueurs d'échecs au Café de la Régence en 1911.

Mais le plus important à mes yeux, ce sont les deux photos ajoutées à la fin de l'article dans Excelsior.
Il est rare de trouver des documents iconographiques inédits sur la Régence.  

Excelsior – Jeudi 13 juillet 1911 - Source Retronews (BNF)


Les joueurs d’échecs donnent des prix aux lycéens.

Le ministre de l’Instruction publique accepte l’offre qui lui a été faite de traités d’échecs pour les élèves des lycées.

Connaissez-vous les joueurs d’échecs du café de la Régence ?… Ce sont des gens attentifs, pensifs et solennels comme des philosophes, vieux pour la plupart mais d’une affabilité souriante.
Au fond de cet antique café, où jadis Alfred de Musset les gênait par ses excentricités et même, dit-on, par ses impertinences, ils sont là toujours semblables à ceux de jadis, penchés sur les tables où les petits bois sculptés immobiles ont l’air, avant de se déplacer, d’attendre l’impérial décret de quelque Fils du Ciel.

Ils occupent une salle basse, au fond du café, d’autant plus basse qu’elle est surhaussée de quelques marches et c’est sur cette estrade que les joueurs-philosophes, en silence, officient.
On croirait difficilement que ces gens paisibles puissent avoir des ambitions. Cependant, un de nos confrères ayant annoncé que ces messieurs, réunis sous le nom d’Union Amicale des Amateurs d’échecs de la Régence, avait demandé au ministre de l’Instruction publique la création d’un enseignement du jeu d’échecs dans les lycées, nous avons d’entre eux quelques éclaircissements sur une semblable nouvelle.

M. F. Constant-Bernard, architecte, que l’Union a délégué pour la démarche auprès du ministre, nous a répondu avec la plus charmante bonne grâce :

« On a quelques peu exagéré nos intentions. Nous sommes beaucoup plus modestes et ne prétendons point créer un enseignement ni officiel ni officieux du jeu que nous aimons et que nous tenons pourtant pour l’un des plus nobles exercices intellectuels.
J’ai simplement adressé, au nom de l’Union, une lettre à M. Steeg dont voici les passages essentiels :

L’Union Amicale des Amateurs d’échecs de la Régence a décidé de soumettre à votre haute approbation son intention de mettre à la disposition de votre administration un certain nombre de traités du jeu des échecs pour être joints aux livres de prix décernés en fin d’année dans les lycées et les grandes écoles.
Le but que notre association voudrait ainsi atteindre serait de favoriser parmi la jeunesse studieuse le goût d’un jeu que de grands esprits ont considéré comme une des plus ingénieuses conceptions de l’intelligence humaine, comme une merveilleuse gymnastique de certaines facultés intellectuelles.

Vous le voyez, continue M. Constant-Bernard, il ne s’agit que de stimuler par des lectures le goût des échecs, ce jeu admirable que l’on a pu appeler le Roi des Jeux et le Jeu des Rois. Nous estimons aussi qu’il est moralisateur et que les jeunes gens peuvent y trouver, comme leurs camarades anglais, une activité cérébrale. N’est-il point déjà la distinction des vieillards ?...
Le ministre, d’ailleurs, a bien compris nos intentions puisqu’il a accepté, par une lettre officielle, que voici, l’offre que nous lui avons faite. Les traités seront, nous dit-il, les uns donnés en prix, les autres placés dans les bibliothèques, à l’usage des élèves. Aussi, dès ce soir, allons-nous expédier au ministère de l’Instruction publique, un premier envoi de 30 traités. »

M. Constant-Bernard parle de son jeu favori avec tendresse et avec considération. Il a quelque ressentiment, semble-t-il, contre les Français oublieux et conçoit, ainsi que ses amis, une juste fierté de leur premier succès scolaire. Déjà, derrière un grillage placé au fond de la salle des échecs de la Régence, les deux lettres commémoratrices, celle de l’Union et la réponse aquiescente du ministre.

Bonne chance aux braves joueurs d’échecs.

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Voici, en plus grand, les deux photos à la fin de l'article d'Excelsior.
Je ne les avais jamais vues auparavant.


Les joueurs d’échecs de « La Régence »
Deux des parties les plus intéressantes
1-M. Dhoste
2-M. Merle
3-M. Riester
4-Comte Villeneuve-Esclapon
5-M. Gibaud
6-M. Garcin
7-M. Larcher
8-M. Renaud
9.M. Arthur Good

Les noms me sont inconnus, sauf pour deux joueurs, le numéro 5 Amédée Gibaud, futur quadruple champion de France d'échecs et le numéro 4 Jean de Villeneuve Esclapon et sa célèbre moustache, compositeur d'études et membre fondateur de la Fédération Française des Échecs.

Le numéro 8 est un certain Renaud, mais il est difficile de dire si c'est simplement un homonyme de Georges Renaud ou bien un membre de sa famille.

Amédée (Aimé) Gibaud - Source Gallica
Jean de Villeneuve Esclapon - Héritage des Échecs Français
Source: supplément à L'Echiquier (avril 1929)

samedi 11 juillet 2020

L'Échiquier Français

Fin 1902, une association de joueurs d'échecs, L'Union Amicale des Amateurs de la Régence (U.A.A.R.), est créée au Café de la Régence. Nous sommes un peu plus d'un an après le vote sur la loi 1901 relative aux associations. Et l'U.A.A.R. constitue un embryon de Fédération Française de joueurs d'échecs.

En 1906, l'U.A.A.R. commence la publication d'un bulletin, l'Échiquier Français, jusqu'en 1909 (voir ci-après). Le président de L'U.A.A.R., Eugène Deroste qui savait apaiser les conflits, décède le 5 novembre 1917.

Quelques mois plus tard, le divorce entre les joueurs d'échecs du Café de la Régence et le propriétaire des lieux, Lucien Lévy, est consommé (voir cet article puis celui-ci). 

Alphonse Goetz 
Biographie à découvrir sur le site de D.Thimognier "Héritage des Échecs Français"

Alphonse Goetz, probablement le meilleur joueur français de l'époque, a alors ces mots assez durs (La Stratégie - juin 1918) :
 
"(...) La scission qui vient de se produire est, à mon avis, la conséquence de la fondation, en 1902, de l’UNION AMICALE DES AMATEURS DE LA RÉGENCE. J’ai toujours pensé que cette constitution, faite sous l’empire de la jeune vogue de la loi de 1901 sur les associations, a été une erreur. Favorable aux seuls habitués, le régime ainsi institué lésait manifestement le propriétaire, qui n’était plus maître chez lui.(...)"

Mais revenons au bulletin de l'U.A.A.R.

Donc celui-ci s'intitule "L'Échiquier Français". A ne pas confondre avec la revue "Les cahiers de l’Échiquier Français" publiée de 1927 à 1937, ni avec "L’Échiquier de France" (1956-1958). 

L’Échiquier Français - Mars 1908 - Source Etienne Cornil

Louis Mandy publia un article intéressant sur ce bulletin de l'U.A.A.R. que vous pouvez lire ci-dessous.
Comme pour la Stratégie, la collection à peu près complète de "L'Échiquier Français" est consultable à la BNF, mais n'est pas encore numérisée.

Je remercie tout particulièrement M. Dominique Thimognier de m'avoir envoyé un exemplaire scanné de ce bulletin rarissime. Exemplaire que vous pouvez consulter à la fin de l'article.
 

L'Échiquier de France - Juin 1956 - Louis Mandy

Les Amateurs d'Échecs de la Régence, groupés en Union Amicale depuis le 5 décembre 1902, "avaient pensé qu'un journal mensuel serait un excellent outil de propagation" et ils avaient décidé de la publication sous le nom de "L'Échiquier Français". Créée en janvier 1906, cette revue devait subsister jusqu'en décembre 1909, soit donc durant quatre années entières.

Son programme ne différait guère de celui de toutes les revues d'échecs, à savoir qu'elle proposait de publier les plus belles parties des membres de l'U.A.A.R., des Cercles de Paris, de la Province et des Colonies françaises; des problèmes et études de fins de parties, surtout inédites et composées par des Français; des conseils et des leçons sur les principes élémentaires à l'usage des débutants; enfin, les nouvelles échiquéennes de la France et de l'Étranger.

Douze pages en moyenne étaient prévues mensuellement. L'Union Amicale distribuait sa revue gratuitement à ses membres dont la cotisation annuelle s'élevait, à l'époque, à douze francs. Quant aux amateurs étrangers à l'U.A.A.R, le prix de l'abonnement avait été fixé à 2 francs par an. Même en 1906, ce n'était pas ruineux. Pour le lecteur, s'entend. Pour l'Association, c'était une autre question.

Tout comme ses devanciers, "L’Échiquier Français" comptait sur une marée d'équinoxe d'abonnés qui lui aurait permis de former un jour une Fédération Française des joueurs. La gestation de cette dernière devait toutefois demander encore quelque quinze ans.

Enfin, regrettant la période révolue des grands joueurs français, déplorant que le goût des Échecs ne soit pas plus répandu et pensant que c'était là simple défaut d'organisation, il concluait qu'il y avait lieu de remédier à un tel état des choses, d'où la magnifique péroraison de sa profession de foi, empreinte d'un si bel optimisme : " Ce sera l'oeuvre de l'Échiquier Français !". Généreuse illusion. L'amère réalité devait se charger bien vite de rogner les ailes de cet enthousiasme.

La revue, de format 140 x 195mm, se présentait élégamment, sous couverture généralement chamois, 
parfois rose - teinte de l'avenir rêvé - ornée, au-dessous de son titre, d'une fort belle gravure représentant chez deux joueurs face à l'échiquier la classique opposition de la joie du vainqueur et du sourire contraint du perdant. Au premier plan, deux personnages assis; à l'arrière-plan, deux autres debout, tous s'esclaffant à la vue de la partie qui s'achève. Costumes et perruques de l'époque de la Régence.

Entête de menu du Café de la Régence en 1916.
Dès 1914 (voire avant ?) le propriétaire Lucien Lévy utilise ce dessin pour ses menus.

Ses rédacteurs sont restés anonymes. On peut cependant supposer que le secrétaire de l'U.A.A.R., M. Davril, assumait la rédaction de la Revue, aidé peut-être par M. Victor Place et, sans doute, en ce qui concerne la partie "problèmes", par Fred Lazare et Edouard Pape.

Le premier numéro s'ouvre sur le portrait de Philidor, tiré de l'"'Analyse", édition de 1803. La Revue publia, en feuilleton, une très intéressante "Monographie du Café de la Régence". Fred Lazare y inséra ses premières œuvres. On y trouve un certain nombre de problèmes d'Edouard Pape et de Pradignat, et de nombreuses études du Comte Jean de Villeneuve-Esclapon. 

La première année donna plus qu'elle n'avait promis. Sur douze numéros, on dénombre quatre fascicules de 16 pages, cinq de 12, un de 24 et un double de 28 pages. La seconde année également, puisque neuf fascicules eurent 16 pages, contre trois seulement ayant les 12 pages réglementaires. Par contre, la troisième année marque un léger fléchissement : huit fascicules de 8 pages et deux doubles de 16 et 20 pages. Enfin, la dernière année offrit à ses lecteurs cinq cahiers de 12 pages, trois doubles de 16 pages chacun, puis la revue termina en beauté avec un fascicule de 16 pages.

En résumé, "L’Échiquier Français" avait promis 12 pages par numéro, soit, pour quatre années et quarante-huit fascicules, un total de 576 pages. Il en a donné 580, rendons hommage à sa correction.

Signalons encore que le numéro de décembre 1909, paru avec plusieurs mois de retard, porte en dernière page le mot "FIN". Ce fait, assez rare, mérite d'être signalé. Combien y-a-t-il de revues françaises qui ont ainsi marqué le terme de leur existence et annoncé qu'elles cessaient de paraître ? A notre connaissance, cet exemple n'a guère été suivi que par "L’Échiquier de Paris", disparu en décembre 1955 et dont la dernière page porte ces trois lettres fatidiques.

On devine les causes qui ont provoqué la disparition de "L'Échiquier Français". Celui-ci écrit laconiquement : "Le but pour lequel la Revue a été créée par quelques amateurs n'a pas été atteint à leur satisfaction."  Traduisons ce courtois euphémisme: cette Revue, comme tant d'autres, a péniblement vivoté au milieu de l'indifférence endémique et notoire des amateurs d'échecs français, malgré les efforts non marchandés d'un noyau de rédacteurs désintéressés, jusqu'au jour où les bilans régulièrement et largement déficitaires ont lassé les meilleures volontés et imposé un terme aux sacrifices consentis.

Il n'y a, hélas ! rien de nouveau sous le soleil échiquéen de notre pays.