dimanche 26 décembre 2021

Alekhine au Café de la Régence dans les années 1930

Voici un livre récent et très intéressant qui aborde de nombreux aspects de la vie d’Alekhine.
L’inconvénient majeur pour un lecteur francophone est que ce livre est en Russe…
J’y ai trouvé trois passages en lien avec le Café de la Régence, sur Alekhine dans les années 1930, que je souhaite vous faire partager.
 
Merci à Maria pour son aide !

Le Sphinx Russe (Русский сфинкс) – par Sergueï Voronkov – Moscou 2021
Éditeur : Fédération Russe des échecs
 
Le premier extrait date probablement de 1929 (voir les notes après le texte).
On y apprend qu’il existe une grosse communauté de joueurs d’échecs Russes aux « échecs du Palais-Royal » alors situé au Café de la Rotonde. Il s’agit bien évidemment de réfugiés de la Révolution de 1917…
Pour rappel, l’association « Les échecs du Palais-Royal » est créée après la fuite des joueurs d’échecs de la Régence en 1918. L’activité échiquéenne au Café de la Régence ne redeviendra significative qu’à la fin des années 1920.

Les impressions et les plans d’Alekhine – Chakhmati SSSR 1957 (Les échecs en URSS)
Mes rencontres avec Alekhine – par Lev Lubimov (les notes à la fin de l’extrait sont de Sergueï Voronkov auteur du livre « Le Sphinx Russe »).

Dans le jardin du Palais-Royal, en face d’une fontaine jaillissante, dans un pavillon blanc avec des plantes qui courent le long des murs se trouve le club d’échecs « Les échecs du Palais-Royal » l’un des plus anciens et le plus important à Paris.
Il s’agit d’un café comme tous les autres, mais presque tous les consommateurs sont des joueurs d’échecs et sur chaque table il y a un échiquier. Aucune femme ne s’y trouve, à part peut-être une caissière. On y reste des heures, on joue aux échecs, et chacun jette un regard étonné sur les étrangers qui entrent dans le café.
 
On reconnait des visages familiers des célèbres joueurs d’échecs : Tartakower, Schwartzman (1), et on entend partout parler Russe. Il y a aussi Znosko-Borovsky, Victor Kahn (2), Evseï Ratner (3)… En terrasse, entouré de beaucoup de monde, le roi des échecs, Alekhine. Il vient de rentrer de Wiesbaden, était en Amérique juste avant, et participera prochainement à un nouveau tournoi à Wiesbaden avec Bogolioubov (4).

(1)    Un joueur russe de 1ère catégorie qui arriva à Paris après la Révolution et joua avec succès dans les tournois locaux
(2)    Victor Kahn : natif de Moscou, il devint maitre en France et fut champion de Paris et de France, il participa 4 fois aux olympiades et auteur de manuels d’échecs, et avec Potemkine l’un des initiateurs de la création de la FIDE
(3)    Evseï Ratner : originaire d’Odessa, devenu maitre en France, champion de Paris et auteur de quelques livres, compositeur d’échecs et membre de la loge maçonnique Astrée fondée en 1922 à Paris et à laquelle Alekhine était membre – loge russe en France avec 344 membres.
(4)    L’auteur du texte, Lubimov, ne fait manifestement pas de différence entre simultanée, tournoi et match, il s’agit de la veille du match contre Bogolioubov, ce qui permet de dater le texte de 1929.


Au sujet de l'appartenance d'Alekhine à la franc-maçonnerie, voici 3 documents publiés pour la première fois dans le livre « Le Sphinx Russe ».
A l’exception de la carte de membre, ils proviennent des archives de la Franc-Maçonnerie (Grande Loge de France), volées par les nazis durant l’occupation, puis récupérées par les soviétiques à la fin de la guerre. Il semble que la Russie a restitué la plupart de ces archives à la fin des années 1990, mais Sergueï Voronkov a eu accès à des documents manifestement restés en Russie (et consultés précédemment par Youri Shabourov pour son livre sur Alekhine paru en 2001).
 
Le logo de la loge Astrée
 

La demande d'initiation d'Alekhine, qui se présente comme "Écrivain d’Échecs" !

La fiche d'Alekhine, à nouveau présenté comme "homme de lettres".
 
Le deuxième extrait dépeint une rencontre imprévue entre l’écrivain Russe Vladimir Sossinsky (1900 – 1987) et Alekhine. Il est possible de dater le texte d’un peu après 1930.

Texte paru dans Voprossi Literaturi – Questions littéraires – Moscou numéro 6 – 1991

A côté de la Comédie Française, à Paris, près de la place du Palais-Royal, se trouve un café où vont beaucoup de joueurs d’échecs. Un jour, sans penser aux échecs, mais songeant juste à prendre un café avec un croissant, de retour de la bibliothèque nationale, je suis allé dans ce café et j’y trouvais juste une seule place libre. Un chaise devant une petite table déjà occupée par un homme assis sur un divan le long d’un mur avec des  miroirs.  
Il jouait tout seul aux échecs.
-    Vous permettez Monsieur
Et lui me répond en Russe, sans hésitation, sentant mes origines :
-    Oui avec plaisir, prenez place.
Et après une petite pause, il ajoute :
-    Voulez-vous faire une partie ?
-    Avec plaisir, mais je vous préviens tout de suite, je  joue mal.
-    Mais c’est très bien, c’est tout à fait ce qu’il me faut, j’aime jouer avec les joueurs pas très fort.
-    Vous aimez donc gagner ?
-    Quel joueur d’échecs n’aime pas ça ?
Nous avons joué quelques parties et là je compris tout de suite que cet adversaire était trop fort pour moi. Il gagna facilement malgré tous mes efforts et toutes mes tentatives de comprendre ses idées. Et je fus très surpris quant à la fin de notre petit match de parties éclairs, il me complimenta :
-    Certains de vos coups étaient surprenants, vous m’avez mis quelques fois dans une situation délicate. Pardonnez mon indiscrétion, comment vous appelez-vous ?
J’ai dit mon nom
-    Êtes-vous l’auteur du livre sur Nestor Makhno ?
-    Oui c’est moi.
De nouveau je reçus une série de compliments, cette fois-ci un peu plus mérités, car à cette époque j’étais déjà un écrivain professionnel et rédacteur en chef du mensuel « Volia Rossii » (NDA : La volonté/liberté de la Russie - Воля России – mensuel des émigrés russes)
-    Et moi, à qui ai-je l’honneur ?
-    Vous ne m’avez pas reconnu ? Alekhine !


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Et là ce fut à mon tour de m’extasier et de trouver tous les compliments possibles pour exprimer ma surprise.
Je lui ai même demandé de me pardonner d’avoir osé jouer avec lui. Sur les photos il n’était pas du tout le même.
Je parlais alors un peu du livre « La défense Loujine » de Nabokov et demandais s’il était d’accord avec la vision de l’auteur sur le champion d’échecs (NDA : dommage mais nous ne connaissons pas la réponse d’Alekhine, et cet épisode permet de situer la rencontre après 1930, car « La Défense Loujine » fut édité en 1930).
En nous séparant, Alekhine me conseilla de venir plus souvent dans ce café. Il précisa que le dimanche suivant il aura une petite heure de libre et il viendra vers 4h. Il me promit de me donner quelques conseils aux échecs et m’expliquer mes défauts et les fautes que j’ai commises dans mes parties, mais ajoutant que j’avais quand même joué quelques coups intéressants, notamment dans notre dernière partie, ce qu’il me montra de suite sur l’échiquier.
Nous nous sommes séparés comme des personnes au début d’une amitié.
Hélas, ce fut ma première et ma dernière rencontre avec le champion du Monde. Seule et unique. Ce fut de ma faute.


Le dernier extrait est signé Znsoko-Borovsky.
Il s’agit d’une entrevue qu’il a eue avec Alekhine au Café de la Régence à son retour du match perdu contre Euwe pour le championnat du Monde en 1935. On y apprend surtout qu’Alekhine est le roi des lieux, avec des photos dédicacées qui ornent les murs du célèbre Café.
 
Eugène Zsnosko-Borovsky

Article paru dans « Sebodnia » (« Aujourd’hui ») à Riga le 28 janvier 1936
Rencontre avec Alekhine après sa défaite.
Par Evgueny (Eugène) Zsnosko-Borovsky

Café parisien Régence. Table derrière laquelle joua Napoléon. Sur les murs, des photos, sur une desquelles on reconnait Tourgueniev et de nombreuses images d’Alekhine dédicacées par lui-même avec une écriture large et généreuse. Des consommateurs amorphes devant leur consommation. Les joueurs de bridges bruyant assis autour d’une table ronde.
Mais ce qui domine ce café c’est le monde mystérieux des joueurs d’échecs avec leur propre univers, leurs propres plaisanteries et médisances. Tout est comme d’habitude, comme si rien n’avait changé comme c’était il y a 8 ans, quand le glorieux Alekhine était de retour de Buenos Aires avec une couronne toute neuve et une énergie débordante, et comme c’était encore plus tôt quand il était un jeune homme et pour la première fois après la guerre il apparaissait ici en cherchant la gloire et en poursuivant sa bonne étoile.
(…)
Mais aujourd’hui, il a un tout autre regard et on le regarde bien différemment. (NDLR, puis Zsnosko-Borovsky continue par l’entrevue avec Alekhine au sujet de sa défaite face à Euwe).

mercredi 22 septembre 2021

Film sur Samuel Reshevsky aux Échecs du Palais-Royal

Samuel Reshevsky est connu comme étant un enfant prodige du jeu d'échecs au début du XXème siècle. Il effectue une tournée en Europe et vient à Paris en mai 1920.

Vous avez sur le site "Héritage des Échecs Français" un très intéressant article détaillé sur son séjour à Paris.

Le Miroir - 23 mai 1920 - Héritage des Échecs Français

Oliver Sheppard a attiré mon attention sur un film découvert récemment sur cet événement.
Le film est très court, seulement 36 secondes, et l'on voit le petit Samuel Reshevsky donnant une simultanée.

La simultanée a lieu a Café de la Rotonde, où l'association "Les Échecs du Palais-Royal" vient juste de s'installer au début de l'année 1920. A quelques mois près ce film aurait été tourné au Café de la Régence...

Gallica - Le Café de la Rotonde en 1914 - Agence Meurice


 
C'est Olimpiu G.Urcan qui indique avoir trouvé le film dans les archives de CBS.


Il le date du 17 mai 1920, mais il s'agit probablement de la simultanée du 16 mai 1920.
Ou bien alors le film a été réalisé après coup le lendemain ?! 
C'est possible car deux détails sont étonnants.
Tout d'abord la vitesse d'exécution des coups de l'enfant et les pièces qui tombent, et ensuite on voit que tous les échiquiers sont incorrectement placés. 
La case e4 (avec une croix rouge) devrait être blanche.



J'ai essayé de reconnaître les personnes sur le film. 
Mais je dois dire que l'exercice est difficile, mais il me semble avoir reconnu Jean de Villeneuve Esclapon avec ses moustaches caractéristiques...


Héritage des Échecs Français - Avril 1929 supplément à L’Échiquier

samedi 18 septembre 2021

Aquarelle de Musset au Café de la Régence

L'association Thèméchecs, dont je suis membre, se présente ainsi sur son site internet :
L’Amicale Philatélique Thèméchecs accueille les collectionneurs de timbres, oblitérations, cartes postales, livres, revues, jeux, etc… toutes collections sur le thème du jeu d’échecs.

Elle publie un très intéressant bulletin, Philemat, environ tous les 3 à 4 mois, et organise au moins une fois par an une vente aux enchères pour les collectionneurs.
Et c'est dans le dernier numéro de Philemat d'août 2021, que j'ai trouvé une très belle aquarelle de Musset au Café de la Régence selon la note manuscrite qui s'y trouve.


L'aquarelle a été mise en vente aux enchères chez Agutte à Neuilly-sur-Seine en juin dernier.

Alain Barnier, président de Thèméches, précise dans Philemat :

GIRAUD Eugène (1806-1881) - Monsieur Alfred de Musset au café de la Régence
Dessin au crayon et aquarelle sur feuille contrecollée
Monogrammé E G et titré en bas à droite 33,5 x 24,5 cm (quelques taches)
Aguttes, Neuilly-sur-Seine, 3 juin 2021, estimation 300/400 €
Adjugé 2900 € hors frais 30 % TTC, soit 3770 €.


La date n'est pas mentionnée, mais Musset semble assez jeune, donc il est probable que cette aquarelle a été réalisée dans l'ancien Café de la Régence place du Palais-Royal, au plus tard en 1853.

En tout cas une belle découverte de la part d'Alain Barnier que je remercie.

vendredi 3 septembre 2021

Les Dames Polonaises au Café Manoury

Lors de mes recherches, j'ai découvert deux textes parus dans le Mercure de France en juillet et août 1770. Il est question du jeu de Dames, et plus particulièrement de l'origine du jeu de Dames à la Polonaise (sur un damier de 100 cases).

C'est une petite digression par rapport au sujet de ce blog lié aux échecs et au Café de la Régence.
Mais pas tant que ça finalement si on y lit ces deux articles. En effet, nous avons là un témoignage unique de Manoury, propriétaire du Café du même nom, quai des écoles, non loin du Louvre.

Gallica - Deux cents nouveaux problèmes récréatifs du jeu de Dames à la Polonaise
Laurent Commard, Paris 1823

Le Café Manoury est alors au jeu de Dames ce que le café de la Régence est aux échecs. Et le traité du jeu de Dames dont il est question est au jeu de Dames ce que l'Analyse des Échecs de Philidor est au jeu d'échecs. Une référence, mainte et mainte fois rééditée.

Manoury nous apprend que le jeu de Dames à la Polonaise est pratiqué au moins depuis 1727, ce qui rejoint les informations de mon article sur l'arrivée du jeu d'échecs dans les cafés de Paris. A cette époque, on joue un peu à tous les jeux dans tous les cafés de Paris et progressivement certains cafés vont acquérir une certaine spécialité. Et de nouveaux jeux émergent : Manoury explique également que depuis 5 ou 6 ans (donc depuis 1765 environ) un nouveau jeu, le Domino, se pratique dans presque tous les cafés de Paris.  

Le premier article est signé "L.C." sans plus de précisions. Il cherche à connaitre l'origine du jeu de Dames à la Polonaise. Manoury, dans le deuxième article, l'appellera "l'anonyme"...

Retronews - Mercure de France - Juillet 1770

Mercure de France - Juillet 1770 (page 219)

Question sur l’origine du jeu des Dames à la Polonaise.

Il n’y a peut-être rien, dans les sciences et dans les arts, où brille autant l’esprit d’invention que dans les jeux, et l’on convient unanimement que le plus beau de tous est le jeu des échecs, dont les combinaisons sont infinies et où le hasard ne peut avoir sa part. Cependant le nom de presque aucun inventeur de jeu, peut-être même de pas un seul, n’est bien connu, même des jeux modernes, tels que les jeux de cartes qui n’ont pas quatre siècles d’ancienneté. Qui sait quel est l’inventeur du piquet, de l’ombre, du reversis, etc. ?

Quant aux échecs, on sait seulement que ce jeu connu des Arabes, des Chinois et des Indiens est d’une haute antiquité. Il en est à peu près de même à cet égard des autres jeux qui se jouent sur un échiquier, tels que les jeux de Dames. On n’en connaît guère que deux espèces, l’ancien jeu qui se joue sur un échiquier de 64 cases avec 24 dames, douze contre douze, et le jeu de dames à la Polonaise qui se joue sur avec 40 dames; savoir, vingt contre vingt sur un échiquier de cent cases. Les combinaisons de l’ancien jeu de Dames sont assez bornées par comparaison à celles des dames polonaises, lesquelles sont sans comparaison plus variées et plus nombreuses.

Ce dernier jeu parait être très nouveau en France, et par cela même il est plus étonnant que l’on ignore, non seulement le nom de son auteur, mais de quel pays nous est venu ce jeu et le temps précis de son introduction en France. Son nom de dames à la Polonaises semblerait indiquer qu’il a été apporté de Pologne, mais le feu Roi Stanislas m’a fait l’honneur de me dire que l’on distinguait en Pologne le nouveau jeu de l’ancien, en nommant le nouveau jeu jeu de Dames à la Française, d’où il parait qu’on peut conclure qu’il a été porté par les Français.

Gallica

Or, il est certain qu’il n’y a pas quarante ans que ce jeu se joue en France. J’ai un petit volume in-16 de 450 pages, imprimé à Paris en 1688, intitulé : Le jeu des Dames et la Méthode de bien jouer, par Pierre Mallet, Ingénieur du Roi. L’auteur se croit le premier qui ait écrit sur cette matière. Les trois quarts de son livre sont remplis par un traité d’orthographe nouvelle et par une érudition aussi ridicule qu’étrangère au sujet; enfin l’auteur entre en matière, et fait mention de quelques manières différentes de jouer l’ancien jeu de Dames, mais il n’est pas question de celui qui se joue avec vingt pions de chaque côté, et sur un échiquier de cent cases, c’est-à-dire, du jeu polonais.


Il parut en 1727 un volume in-8°, de cent pages, avec le titre bizarre de l'Égide de Pallas. Il contient les règles du jeu de Dames ordinaires. L’auteur anonyme le dédie à un vieux joueur de Dames, plus connu dans tous les cafés de Paris, sous le nom de Maître de Tout, qui était un espèce de sobriquet, que sous son vrai nom que je n’ai pu savoir. On soupçonne qu’il était lui-même l’auteur du livre qui paraissait lui être dédié. 

On y trouve les règles du jeu de Dames, avec un assez grand détail, un grand nombre de parties, comme le livre du Calabrais sur les échecs, et des fins de parties singulières, comme dans celui de Stanana; mais dans l’ouvrage, ni dans la préface, il n’est pas dit un mot des Dames Polonaises; le titre même ne distingue point l’espèce de Dames dont le livre traite. L’auteur parle toujours de ce jeu, comme s’il n’y avait qu’une seule manière de le jouer.

Le livre de l’académie des jeux ne fait aucune mention des Dames Polonaises, le dictionnaire encyclopédique ne dit rien de leur ancienneté ni de leur origine. Si ce silence n’est pas une preuve, c’est du moins une forte présomption que le jeu de Dames à la Polonaise était ignoré, ou du moins très peu connu en France en 1727. Je me suis informé à de vieux joueurs, et tous m’ont confirmé que c’était vers ce temps-là qu’on avait commencé à jouer à ce jeu en France. Un, entre autres, se rappelle qu’il l’a joué en 1730 ou 1731 pour la première fois, avec un Allemand. Quelqu’un m’a seulement dit, mais très vaguement, qu’on y jouait à Londres au commencement du siècle.

Serait il possible que parmi tant de gens qui font aujourd’hui de ce jeu leur amusement journalier, (car il n’y a peut être pas un café de Paris où on ne le joue), il ne se trouvât aucun joueur qui se souvint quand, par qui, et à quelle occasion ce jeu a été introduit en France ? La chose n’est pas vraisemblable. J’ai cru que le moyen le plus court de savoir ce qui en est, avant que la mémoire en soit entièrement perdue, était la voie du Mercure de France, qui est répandu dans tout le Royaume. Je prie donc ceux des anciens joueurs de ce jeu, à qui ma question parviendra, de donner par la même voie du Mercure tous les éclaircissements qu’ils pourront fournir sur l’origine de ce jeu, et particulièrement de nous apprendre précisément quand on a commencé à le jouer à Paris, de quel pays il nous vient, qui est-ce qui l’a apporté en France, et ce qui lui a fait donner le nom de Dames Polonaises ?

Comment peut-on se flatter d’éclaircir des faits historiques, sur lesquels les anciens auteurs gardent le silence, quand un fait qui s’est passé sous nos yeux, il y a moins de 40 ans, est si difficile à tirer de l’obscurité ?

L.C.

Retronews - Mercure de France - Août 1770

Mercure de France - Août 1770 (page 193)

Réponse à la question sur l’origine du Jeu de Dames à la Polonaise, insérée dans le Mercure de France (Juillet, 1er volume).

Je m’étais proposé, quand j’ai conçu le projet de donner au Public un Essai sur le Jeu de Dames à la Polonaise (* On l’imprime actuellement, et il paraitra dans quelques jours), de ne rien laisser à désirer sur l’origine de ce jeu et sur le temps de son introduction en France; mais, quelque peine que j’aie prise pour m’en instruire, les connaissances que j’ai recueillies sont si vagues que j’ai mieux aimé, dans le premier chapitre de mon ouvrage, garder le silence sur ces différents objets, que d’en parler d’une manière peu satisfaisante, à mon avis, pour mes lecteurs. Mon intention n’a pas été de donner l’histoire de ce jeu, je n’ai voulu qu’en rassembler les règles et donner quelques préceptes pour le bien jouer.

Traité de Manoury 1770

La question insérée dans le Mercure m’a fait sentir que j’avais peut être eu tort de ne faire aucune mention de ce que j’avais appris sur l’ancienneté de ce jeu, et c’est pour réparer cette omission, quoique volontaire de ma part, que conformément au désir de l’anonyme, je me sers de la voie du Mercure pour lui faire parvenir mes découvertes et mes remarques sur quelques points de sa question.

J’ai consulté les deux plus anciens joueurs de Dames à la Polonaise que je connaisse, tous deux honnêtes et vrais, et par conséquent dans le rapport desquels on peut avoir la plus grande confiance. Le premier m’a dit qu’il avait particulièrement connu le Maître de tout. C’était ce qu’on appelle un homme de plaisir qui jouait très bien au jeu de Dames, communément appelé à la Française. Il avait adopté par plaisanterie le sobriquet de Maître de tout; son véritable nom était Mars. Il travaillait dans un bureau établi pour la liquidation des comptes de l’artillerie. C’était un facétieux qui jouait volontier sur le mot, et qui répétait tous les jours à qui voulait l’entendre, que la chose qu’il craignait le plus était la fin de Mars, faisant allusion à son nom et à sa mort que son âge avancé le forçait de regarder comme prochaine. Ce Mars était l’auteur du livre intitulé l'Égide de Pallas, et il s’était dédié à lui-même son propre ouvrage, ainsi que le remarque l’anonyme. 

Ce même joueur de Dames m’a dit qu’il n’avait vu jouer à Paris les Dames à la Polonaise qu’en 1727, que c’était un nommé Tavernier, marchand joaillier, Genevois d’origine, qui l’avait joué le premier dans la place Dauphine au café du commerce avec des personnes de sa profession.

Ce Tavernier pouvait très bien descendre de Jean-Baptise Tavernier, fameux voyageurs et joaillier qui, quoique originaire d’Anvers, s’était retiré de Genève après plusieurs voyages, et qui, pour réparer le désordre qu’un de ses neveux avait mis dans ses affaires de commerce, vendit, en 1687, la baronnie d’Aubonne qu’il avait acheté proche le lac de Genève, et entreprit un nouveau voyage pendant le cours duquel il mourut à Moscou en 1689.

Jean-Pierre Norblin de La Gourdaine (1745-1830)
Le Café Manoury la nuit avec un stand forain près de la fontaine de Bralle, rue de l'Arbre Sec, Paris
Probablement vers 1810

Ce fameux Tavernier avait peut être rapporté, de ses premiers voyages dans le Levant (que l’on peut, je crois, regarder comme le berceau des jeux d’échiquier) le jeu de Dames à la Polonaise, qu’il avait ensuite montré dans Genève à ses descendants et à ses amis. Ce qui pourrait servir de preuve à ma conjecture, c’est que je me rappelle dans le café que j’occupe aujourd’hui, d’avoir vu, il y a environ quinze ans, un jeune Turc nouvellement converti à la Religion Catholique, qui jouait très bien aux Dames Polonaises, et qui, suivant les apparences, n’avait point appris ce jeu à Paris, à peine parlait-il français: il me parla même d’une autre façon de jouer aux Dames, en usage à Constantinople. Dans cette nouvelle façon on pouvait faire faire, ainsi qu’aux échecs, deux pas directement à ses premiers pions, je dis directement, ce qui est un usage contraire à la façon de jouer ordinaire des Dames à la Polonaise, où les pions ne peuvent faire qu’un pas diagonalement du blanc sur le blanc: la Dame damée avait la même marche.

Le second joueur que j’ai interrogé m’a dit qu’étant venu à Paris en 1726, avec la connaissance du jeu de Dames à la Française, il avait bientôt quitté ce jeu pour celui des Dames à la Polonaise, et qu’il avait joué plusieurs fois en 1727 à l’hôtel de Soissons, au café qui était immédiatement au-dessous de la salle dans laquelle on jouait à la roulette.

D’après ce que je viens de dire, me voilà bien d’accord avec l’anonyme sur l’époque de l’introduction à Paris du jeu de Dames à la Polonaise. Il parait constant que c’est en 1727 qu’on a commencé de le jouer, mais, quant à son origine et au nom de son inventeur, je n’en sais pas plus que lui, et je ne désire pas moins ardemment d’avoir les éclaircissements qu’il a demandés. Il est réellement fâcheux de ne pouvoir tirer de l’obscurité un fait qui s’est passé sous nos yeux, il y a moins de quarante ans. Je pourrais cependant citer un fait semblable et qui est beaucoup plus récent.

Depuis cinq ou six ans on joue dans presque tous les cafés de Paris un jeu qu’on appelle le Domino. Sans approfondir si ce jeu, quoique assez insipide, est ancien ou moderne, si l’on voulait connaître particulièrement son origine et le nom de son inventeur, on rencontrerait vraisemblablement les mêmes difficultés que celles qui se présentent à l’occasion du jeu de Dames à la Polonaise.

On appelle ce jeu à Paris Dames Polonaises et en Pologne Dames Françaises, serait ce par l’effet de la même bizarrerie qui fait appeler à Paris Laitue Romaine ce qu’on appelle à Rome Lactuca Francese, laitue française.


Par M. Manoury, Marchand Limonadier, au coin du Quai de l’Ecole 



Plan provenant de Wikipedia. En orange les bâtiments de l'époque (avec le Louvre sur la gauche), et en jaune les rues actuelles. Le Café Manoury se situe quai de l'école près de la rue de l'Arbre sec. J'ai indiqué un cercle bleu pour son emplacement probable.

samedi 7 août 2021

Statuts des Échecs du Palais Royal

Dans des articles précédents, j'ai écrit à plusieurs reprises au sujet du départ des joueurs du Café de la Régence en juin / juillet 1918 suite à un désaccord avec le propriétaire des lieux. D'ailleurs à ce jour je ne connais pas la raison exacte de ce désaccord.

La majorité des joueurs d'échecs de la Régence se sont alors réunis juste à côté, au Café de l'Univers, situé au 159 rue Saint-Honoré (le Café de la Régence étant au 161 rue Saint-Honoré).

Le Café de l'Univers dans les années 1920.
La simultanée de Capablanca s'est déroulée au 1er étage.

L'emplacement du Café de l'Univers de nos jours (Google Map)
Juste en face de l'Hôtel du Louvre.

Voir cet article sur la naissance de l'association des Échecs du Palais Royal, et également celui-ci sur une simultanée de Capablanca au Café de l'Univers en septembre 1919. Dès le début de l'année 1920, cette association déménage pour le Café de la Rotonde dans les jardins du Palais-Royal.

Lors de ma visite du fonds Mennerat à Belfort, j'ai eu l'occasion de consulter les statuts de l'association des Échecs du Palais Royal. Le document est consultable sur place, avec la côte avec la côte FM REG 28. C'est un des rares témoignages de ce passage au Café de l'Univers.

Voici quelques extraits des statuts de l’Association des Échecs du Palais-Royal. Ce document n’est pas daté, mais il a probablement été rédigé au deuxième semestre de l'année 1918.

Statuts de l'association des Échecs du Palais-Royal
Fonds Mennerat FM REG 28

Il est intéressant de noter que l’imprimeur de ces statuts est « IMP. L.KALDOR, 84, rue d’Hauteville, Paris ». Il s’agit de Louis Kaldor que l’on trouve comme membre du Cercle Philidor en 1925

LES ÉCHECS DU PALAIS ROYAL
Association Amicale
Statuts

Siège social au Café de l’Univers (premier étage) 159, rue Saint-Honoré, Paris
Téléph. : Gut. 02-92

Fondateurs
M.Conti
M.Guyard

Membres Donateurs
Dr Roux-Seignoret
M. Tauber

Membres perpétuels
M. Bonnet
M. Hunebelle – Croix de guerre
M. Conti
M. Merle
M. Cotillon
M. Pape
M. Wefling

Comité de Direction
Président : M. Guyard
Vice-Présidents : Dr Roux-Seignoret  M. Goetz
Secrétaire : M. Conti
Trésorier : M. Barreau
Bibliothécaire : Clerc-Renaud
Membres : M. H.Bonnet, Comte de Lauzun, De Charmoy, Martinot, Hunebelle, Merle


STATUTS

Titre premier
But – Formation

Article premier – Il est fondé à Paris, une association, entre tous ceux qui adhéreront aux présents statuts, régie par la Loi du 1er Juillet 1901 et le décret du 16 Août même année, qui prend la dénomination de « LES ÉCHECS DU PALAIS-ROYAL » Association Amicale.

Article 2 – Cette Association a pour but de :
1° Resserrer et développer les liens de confraternité et de camaraderie qui doivent unir les Amateurs du Jeu des Échecs.
2° De faire un fonds commun des forces et lumières de tous pour concourir au progrès et à la propagation de ce jeu.
3° De créer un centre de réunion et d’action de toutes ses manifestations par l’organisation de Tournois de Maîtres et d’Amateurs, Matchs, Réunions journalières et incessantes, Séances des Maîtres en renom, Conférences, Prix, Récompenses, Abonnements aux journaux spéciaux, Constitution d’une bibliothèque…

Article 3 – Le lieu de réunion et le siège de l’Association sont fixés à Paris, au Café de l’Univers, à l’entresol, sis, Rue Saint-Honoré, 159, Place du Théâtre-Français. (…)

Article 5 – Ne peuvent faire partie de l’Association que les Amateurs et Joueurs d’Échecs. L’Association est ouverte aux Amateurs et Joueurs d’Échecs de toute nationalité, sauf aux sujets des pays ennemis de la France. (…)

Article 8 – Chaque Membre participant doit une cotisation annuelle de DOUZE FRANCS payable, pour l’année en cours, quelle que soit la date de son admission, dans le mois de cette admission. Si le Sociétaire le demande, il pourra être autorisé à payer en deux fois ladite cotisation. D’autre part, à titre d’exception pour la cotisation de l’année 1918, les Membres de l’Union Amicale des Amateur d’Échecs de la Régence qui adhéreront aux présents statuts, n’auront qu’à présenter la quittance de leur cotisation à cette Association et seront exonérés de celle qu’ils auraient dû payer à l’Association des Échecs du Palais-Royal pour l’année 1918. Encore, par exception, les personnes qui adhéreront, cette année, à l’Association ou y seraient admises, qui ne seraient pas inscrites à l’Union Amicale de la Régence n’auraient que SIX FRANCS à payer pour la cotisation de l’année 1918. (…)

Article 20 – Toutes les fonctions des Membres du Comité de Direction sont gratuites. Une indemnité pourra être accordée au Trésorier pour ses menues frais.

(…)

Article 35 – Toute discussion politique, religieuse ou personnelle est formellement interdite. Tous autres jeux que les échecs sont prohibés. Les paris sont également interdits.

Article 36 – Nul ne peut assister aux réunions s’il n’a pas été reçu Membre de l’Association. Toutefois, les Amateurs Français et Étrangers ainsi que les amis des Sociétaires peuvent être admis temporairement, s’ils ont été préalablement présentés à un Membre du Comité.

(…)

Article 38 – L’Association sera constituée définitivement à la date de l’Assemblée générale qui approuvera les statuts et nommera le Comité de Direction.
Le premier exercice comprendra exceptionnellement le temps couru depuis la constitution jusqu’au 31 juillet 1918.
Les pouvoirs du premier Comité de Direction dureront aussi, par exception, depuis la date de la constitution jusqu’à l’Assemblée générale ordinaire qui devra se tenir au commencement de l’année 1919 (…)

mercredi 14 juillet 2021

Le Palamède

En janvier 1836 naît la revue Le Palamède. Une révolution pour le jeu d’échecs. Certes il existe déjà des chroniques d’échecs dans des journaux Anglais, mais là il s’agit de la première revue consacrée à ce jeu. 
A noter que tous les numéros du Palamède sont numérisés, et j'indique ici les liens pour les consulter.

Le titre du tome premier porte les noms de La Bourdonnais et de Méry, rédacteurs de la revue et dont le premier sera le gérant responsable. Louis Mandy indique dans L’Échiquier de Paris numéro 40 (juillet-août 1952) que Méry ne sera l’associé de La Bourdonnais que pour la fondation du Palamède, mais on retrouve son nom dans plusieurs chroniques tout au long de l’existence de la revue, y compris quand Saint-Amant l'aura repris.


Sur la couverture de 1836, il n’est pas fait mention du Café de la Régence. Il est indiqué « Au bureau de la revue, rue Neuve-Vivienne, N°48 » ce qui correspond à l’adresse du Cercle des Panoramas, éphémère cercle d’échecs parisien. 





Dès 1837 l’adresse n’est plus la même : « Au bureau de la revue, rue de Richelieu, N°89 » c’est la nouvelle adresse du Cercle d’échecs dit « de la rue Ménars » (à l'angle de la rue de Richelieu et de la rue Ménars), indiquée de façon plus explicite l’année suivante. Le lien avec le Café de la Régence est présent cette fois-ci.

Puis en 1839 la migration des joueurs d’échecs continue et ils se retrouvent au-dessus du Café de la Régence, comme l’indiquera Saint-Amant quand il reprendra le flambeau du Palamède un an après le décès de La Bourdonnais le 13 décembre 1840.

En 1842, Le Palamède de Saint-Amant est désormais au 243, place du Palais-Royal au Cercle des Échecs situé au 1er étage du Café de la Régence.

Voici comment Louis Mandy décrit Le Palamède dans L'Échiquier de Paris. Il apporte des précisions intéressantes sur la gestion du Palamède.


La première année, 1836, contient 464 pages, format 140 x 230 mm. Elle se compose de douze numéros de 40 pages, sauf toutefois celui de juin qui n’en a que 24, mais auxquelles s’ajoutent, il est vrai, les 20 pages hors-texte du poème héroï-comique de Méry : Une Revanche de Waterloo.

La deuxième année, 1837, a 544 pages. Les quatre premiers numéros ont 40 pages, les huit derniers : 48. L’augmentation des pages du Palamède semble correspondre à un accroissement de la prospérité du journal, dont je trouve une preuve dans un précieux document annexé à quelques collections absolument complètes de la revue. Il s’agit de l’acte de société du Palamède, déposé chez Me Prévoteau, notaire, 20, rue Saint-Marc. Cet acte s’exprime de la façon suivante :

« M. de La Bourdonnais a eu la pensée de créer sous le nom de Palamède un journal mensuel des Échecs qui compte aujourd’hui près de dix-huit mois d’existence et de nombreux abonnés. Bientôt, le cadre du journal s’est augmenté, il s’est occupé successivement d’autres jeux de calcul et sous le patronage des amateurs d’échecs, sa prospérité a toujours été croissante. Le désir de donner encore plus d’extension à ce journal d’une spécialité aussi intéressante et d’en assurer la durée, a suggéré l’idée à M. de La Bourdonnais de créer une Société en commandite et par actions pour la publication du dit Palamède ; c’est ce qui fait l’objet des présentes.

Le but de la Société est la publication du journal Le Palamède paraissant le 15 de chaque mois sous un format grand in-8° et contenant au moins 48 pages d’impression. La durée de la Société est fixée à vingt années, à partir du 15 juillet 1837. La raison sociale est « de La Bourdonnais et Cie ». Le fonds social est de 10.000 francs, représentés par 100 actions nominatives de 100 francs chacune. À chaque action est attaché :
a) cinq années de jouissance gratis du journal ;
b) chaque action donne droit à un intérêt de 5% ;
c) à un centième de la propriété du journal ;
d) à un centième dans le dividende annuel fixé par l’assemblée générale.

Il est alloué à forfait à M. de la Bourdonnais, tant pour ses soins que pour les frais de rédaction pendant toute la durée de la Société, une somme de 2400 francs par an tant que le journal ne comptera que 250 abonnés et au-dessous, et 3600 francs lorsqu’il dépassera 350 abonnés. »

Il résulte de ce document que le nombre des abonnés du Palamède avoisinait 250, ce qui, d’ailleurs, n’était déjà pas mal. À cette époque, le nombre de cercles d’amateurs était certainement peu élevé : Paris, quelques grandes villes de province et de l’étranger. Il semble qu’une assez forte proportion de membres de ces associations étaient abonnés. (...)

La troisième année, 1838, n’a que sept numéros de 48 pages, ce qui donne un total de 336 pages. La parution cessa brusquement avec la septième livraison qui dut avoir un retard important dû à la maladie de La Bourdonnais. La quatrième et dernière année, 1839, compte 131 pages seulement, soit quatre numéros de 32 pages, plus trois pages de tables que Saint-Amant ajouta au numéro 2 de janvier 1842 de la deuxième série du Palamède.

Il n’est guère possible d’assigner une date à la parution de ces quatre fascicules. La Bourdonnais avait repris la publication de sa revue dès que son état de santé, très précaire, l’avait permis. La publication dut être très irrégulière et fut d’ailleurs définitivement interrompue par le départ de La Bourdonnais à Londres, peu de temps avant sa mort.

Pierre Charles Fournier de Saint-Amant

Saint-Amant reprend Le Palamède avec un premier numéro daté du 15 décembre 1841. 
Plus tard, en Novembre 1842, il publie un article sur le fonctionnement de la société qu’il vient de créer pour gérer la revue. Et il glisse quelques lignes au sujet de son prédécesseur qui a toujours été à la recherche de moyens financiers pour survivre.

« (...) Je voudrais pouvoir passer complètement sous silence la conduite de mon ami La Bourdonnais, créant des actionnaires avant de créer une société ; mais il m’importe de signaler au moins la distance qui nous sépare ici : elle est aussi grande qu’elle peut être entre l’erreur et la vérité (...) ».


Source : Google Book - Le Palamède 1842
Voir page 193 du Palamède Deuxième série Tome II


Archives Nationales - Minutes du notaire Victoire François Casimir NOEL.
L'adresse indiquée, 42 rue Saint-Thomas du Louvre, est à proximité du Café de la Régence et correspond au lieu de son activité professionnelle (vente en gros de vin de Bordeaux).

Il est écrit dans Le Palamède que l'annonce est publiée notamment dans le journal Le Droit.
Effectivement on y trouve un résumé de ce que publie Saint-Amant dans Le Palamède.


Source : Retronews
Le Droit – 12 novembre 1842

5059 – Suivant acte passé devant Me Casimir Noel et son collègue, notaires à Paris, le 8 novembre 1842, enregistré à Paris, 2e bureau, le lendemain, volume 176, folio 189, verso, cases 4 à 8, par Renaudin, qui a reçu cinq francs cinquante centimes, dixième compris.

Il a été formé une société en commandite entre : Pierre-Charles Fournié de Saint-Amant, directeur du journal Le Palamède, demeurant à Paris, rue Saint-Thomas-du-Louvre, n°42, seul associé responsable, d’une part ; et les personnes qui adhéreraient aux statuts, en devenant souscripteurs ou propriétaires des actions dont il sera ci-après parlé, d’autre part.

La durée de cette société est de vingt années un mois et vingt jours, qui partiront du dix novembre 1842 et qui finiront le 31 décembre 1863. Son but est de continuer et d’étendre la publication du journal Le Palamède, revue mensuelle des Échecs et autres jeux, apporté en société libre et net de toutes dettes et charges par M. de Saint-Amant.

Le siège est à Paris, rue Saint-Thomas-du-Louvre, n°42 ; sa dénomination : Société du journal Le Palamède. La raison sociale est : SAINT-AMANT et Ce. M. Fournié de Saint-Amant est seul directeur-gérant responsable et a seul la signature sociale. Le capital est de vingt mille francs, divisé en cent parts ou actions nominatives de deux cents francs chacune.
Pour extrait : Noel.



Le Palamède de Saint-Amant paraîtra jusqu’en décembre 1847.
Saint-Amant a de moins en moins de temps à consacrer à sa revue, puis la Révolution de février 1848 va mettre un terme à son implication dans les échecs Français. Il faudra attendre 1849 pour voir une nouvelle revue d'échecs avec La Régence dont le nom ne laisse aucune ambiguïté sur son lien avec le Café de la Régence.

samedi 10 juillet 2021

Ilia Choumov, artiste peintre des échecs

Un peu au hasard de mes recherches, je suis tombé sur un problème d’échecs très original composé par le Russe Ilia Choumov (1819 – 1881) et publié dans Le Monde Illustré en janvier 1868 par Paul Journoud.

Portrait d'Ilia Choumov qui illustre la notice nécrologique en 1881 dans le journal Russe "L'Illustration Mondiale"

Ceci m’a amené à me replonger dans ma bibliothèque pour y sortir ma documentation au sujet de Choumov et de ses compositions très originales sur le jeu d’échecs. 

Livre de l’historien Russe des échecs Isaac Linder, Moscou 1959 - "L'artiste peintre des Échecs, Choumov"

Dans cet article, je commence avec quelques compositions originales, puis j’indique quelques aspects de la biographie de Choumov et enfin je parle de son lien avec le tournoi de l’Empereur à Paris en 1867. 

Tout d’abord au sujet de son nom transcrit du cyrillique, on le trouve sous de multiples orthographes Schoumoff, Schumoff, Schoumov, Shumov ou Choumov. C’est cette dernière orthographe qui correspond aux normes actuelles. Mais je laisserai les différentes orthographes d’époque dans les articles correspondants.

Premier aperçu du talent de compositeur d’Ilia Choumov – Où comment le jeu d’échecs reproduit un épisode historique

Le 4 janvier 1868, Paul Journoud, qui tient la chronique d’échecs du journal Le Monde Illustré, publie un problème très original qui va enthousiasmer ses lecteurs.

"Problème N°262 – Position allégorique composée pour le Monde Illustré par M. le conseiller d’état actuel J.SCHOUMOFF, de Saint-Pétersbourg.

Épisode de l’histoire romaine – Mort de l’Empereur Carus."

Les Blancs font mat en quatre coups.
J'ai mis en évidence la tente de Carus, ainsi que le T du Tonnerre.

"On sait que l’Empereur Carus, s’étant engagé dans une expédition contre les Perses, y périt, frappé de la foudre dans sa tente, l’an 283 de notre ère. Cette tente se trouve en effet figurée dans notre diagramme, et l’on y voit reposer l’Empereur (le Roi noir) ; tandis que, des cinq pièces groupées dans le lointain et formant la lettre T (Tonnerre), le Roi blanc représente Jupiter prêt à lancer la foudre. La solution expliquera le reste." Paul Journoud

Il publie la solution le 18 janvier 1868.

"Solution du problème N°262
1.Fe6 Fe7 2.Ff5 Ff6 3.Fxe4 Fxd4 4.Fxf3#"


"La ligne brisée que trace le Fou blanc représente parfaitement le zigzag de l’éclair qui foudroya Carus.
L’ingénieuse composition de M. Schoumoff a excité la verve poétique de plusieurs de nos correspondants. Nous avons reçu quatre solutions rimées (…), en regrettant beaucoup que les dimensions de cet article ne nous permettent pas de les reproduire toutes. En voici du moins une : elle est de notre ami le docteur de Grand-Boulogne.

Frappons-le, dit le Dieu, par un coup de tonnerre !
Le Fou s’élance et trace un zigzag flamboyant
En avant, puis à gauche, à la droite en équerre,
Laissant l’adverse Fou s’agiter terre à terre,
Écrase deux pions dans son cours foudroyant,
Et terminant alors sa brillante carrière, 
Tombe sur le Roi noir qu’il réduit en poussière." 

Paul Journoud
 
[Event "Le Monde Illustré"] [Site "?"] [Date "1868.01.04"] [Round "?"] [White "Ilia Choumov"] [Black "Mat en 4 coups"] [Result "1-0"] [SetUp "1"] [FEN "5bBK/6p1/3p2P1/3P4/2pNp3/1pQ1Pp2/1P3P2/3k4 w - - 0 0"] [PlyCount "7"] {Mort de l'Empereur Carus. Les Blancs jouent et font mat en 4 coups.} 1. Be6 Be7 2. Bf5 Bf6 3. Bxe4 Bxd4 4. Bxf3# 1-0

Poursuivons avec le chef d’œuvre de la littérature russe, Eugène Onéguine d’Alexandre Pouchkine.
Ou comment le jeu d’échecs croise la littérature et la poésie

En 1870, quelques vers de Pouchkine, et seule allusion du roman au jeu d’échecs, éveillent la curiosité et l’imagination débordante d’Ilia Choumov.

Уединясь от всех далеко,
Они над шахматной
доской,
На стол облокотясь,
порой
Сидят, задумавшись
глубоко,
И Ленский пешкою
ладью
Берет в рассеянье свою.

Traduction :

« Souvent, retirés tous deux loin du bruit, le coude appuyé sur une table à jeu, ils laissent errer leur imagination bien loin du monde réel, et Lenski, dans ces moments-là, prend une tour avec son pion. »

Olga et Lenski jouant aux échecs.

Il est donc question de deux personnages du roman, Vladimir Lenski amoureux de Olga Larina, et qui jouent ensemble aux échecs. Pouchkine écrit que Lenski plongé dans ses rêveries amoureuses capturent sa tour avec son propre pion…
Il n’en fallait pas plus à Choumov pour publier en 1870 dans le journal Russe « L’Illustration Mondiale » toute une série de problèmes et parties d’échecs liés à Eugène Onéguine. En voici deux que je trouve les plus significatifs.

Tout d’abord la partie entre Lenski et Olga, imaginée par Choumov.


Pouchkine : "Plongé dans ses rêveries, Lenski (avec les Blancs) prend sa Tour avec son pion"


Selon Choumov, Lenski tente de reprendre son coup, mais Olga lui interdit…
Et elle le mate en 5 coups avec les Noirs.

Puis il imagine que les rencontres entre Lenski et Olga se poursuivent autour d’un échiquier.


Cette fois-ci Olga a les Blancs. La partie elle-même n'est pas très intéressante, selon Choumov, car Lenski joue très mal. Arrivée à la position ci-dessus, Olga est en pleine réflexion, quand une mouche se pose sur une case de l'échiquier. Ceci amuse bien Olga, et en rigolant elle dit à Lenski « je vais transformer cette mouche en éléphant (en fou) et vous ferai mat en 4 coups ».

Choumov fait référence à un proverbe Russe « transformer une mouche en un éléphant », qui signifie que d’une affaire qui ne vaut rien (« une mouche ») on en fait une affaire très importante (« un éléphant »), tout en sachant que « éléphant » en Russe,  слон (Slone), désigne le Fou en Français aux échecs. Il va donc ici transformer la mouche en Fou.

L’énoncé du problème est donc : Sur quelle case s’est posée la mouche, et comment faire mat en 4 coups en mettant le Fou sur cette case. 


La mouche s’est posée en a1 et Olga l’a transformé en Fou. Maintenant c’est aux Noirs de jouer et de se faire mater en 4 coups… 1….h3 2.Rc1 h4 3.Rb2 Rd4 4.Rb3# Un mat élégant !

Olga et Lenski, Eugène Onéguine, Alexandre Pouchkine.

[Event "Eugène Onéguine"] [Site "?"] [Date "1870.??.??"] [Round "?"] [White "Lenski, Vladimir"] [Black "Larina, Olga"] [Result "0-1"] [ECO "C37"] [Annotator "Ilya Choumov"] [PlyCount "26"] 1. e4 e5 2. f4 exf4 3. Nf3 g5 4. Bc4 g4 5. O-O gxf3 6. d4 fxg2 7. Bxf7+ Kxf7 8. Qh5+ Ke7 9. Rxf4 Nf6 10. Rxf6 Qe8 11. Qh4 (11. Qe5+ Kd8 12. Rxf8 Rxf8 13. Bg5+) 11... d6 12. e5 dxe5 13. dxe5 Kd7 {ici " Lenski, plongé dans ses rêveries, prend sa tour avec son pion"} 0-1 [Event "Eugène Onéguine"] [Site "?"] [Date "1870.??.??"] [Round "?"] [White "Lenski, Vladimir"] [Black "Larina, Olga"] [Result "0-1"] [Annotator "Ilya Choumov"] [SetUp "1"] [FEN "rnb1qb1r/pppk3p/5P2/8/7Q/8/PPP3pP/RNB3K1 b - - 0 1"] [PlyCount "9"] {Lenski vient donc de prendre sa propre tour en f6. Selon Choumov, il voulait rejouer son propre coup, mais Olga lui interdit. La partie continua et elle le mata !} 1... Bc5+ 2. Kxg2 Qe2+ 3. Kg3 Bd6+ 4. Bf4 Rg8+ 5. Kh3 Qg2# 0-1 [Event "Eugène Onéguine"] [Site "?"] [Date "1870.??.??"] [Round "?"] [White "Larina, Olga"] [Black "Lenski, Vladimir"] [Result "*"] [Annotator "Ilya Choumov"] [SetUp "1"] [FEN "8/p7/p7/P1pN3p/P1k1Pp1p/5P2/2P4P/3K4 w - - 0 0"] [PlyCount "0"] {Encore une partie entre Lenski et Olga. Cette fois-ci Olga a les Blancs. La partie elle-même ne fut pas très intéressante, selon Choumov, car Lenski joua très mal. Arrivée à cette position, Olga était en pleine réflexion, quand un mouche se posa sur une case de l'échiquier. Cela amusa bien Olga, et en rigolant elle dit à Lenski "je vais transformer cette mouche en éléphant et vous ferai mat en 4 coups".} * [Event "Eugène Onéguine"] [Site "?"] [Date "1870.??.??"] [Round "?"] [White "Larina, Olga"] [Black "Lenski, Vladimir"] [Result "1-0"] [Annotator "Ilya Choumov"] [SetUp "1"] [FEN "8/p7/p7/P1pN3p/P1k1Pp1p/5P2/2P4P/B2K4 b - - 0 1"] [PlyCount "6"] {La mouche s'est posée en a1. Olga l'a transformé en Fou. Maintenant c'est aux noirs de jouer et seront matés en 4 coups.} 1... h3 2. Kc1 h4 3. Kb2 Kd4 4. Kb3# {un mat élégant !} 1-0

Quelques éléments biographiques provenant du livre d’Isaac Linder au sujet de Choumov

Ilia Stepanovitch Choumov (1819 – 1881) fait toute sa carrière dans la marine Russe, jusqu’en 1847 en tant qu’officier essentiellement en mer Baltique, puis à partir de 1847 au ministère de la marine dans la capitale Russe de l’époque, Saint-Pétersbourg. Isaac Linder indique que le choix de travailler dans un ministère est un choix délibéré de Choumov qui souhaitait consacrer plus de temps au jeu d’échecs.

En 1851, les plus forts joueurs Russes, Petrov, Choumov, Jaenish et Kireevski, reçoivent une invitation pour le tournoi d’échecs de l’exposition universelle à Londres. Le gouvernement Russe refuse alors que des citoyens Russes se rendent en Angleterre pour ne pas rapporter d’idées républicaines et démagogiques d’occident.
Choumov en tant que haut-fonctionnaire ne peut donc pas se rendre à Londres, seul Jaenish arrive à quitter la Russie mais arrive trop tard pour le tournoi d’échecs. Le rêve des maîtres Russes de rencontrer les joueurs étrangers occidentaux ne se réalisera que trente ans plus tard avec Tchigorine.

En mars 1853 le premier salon d’échecs de Saint-Pétersbourg est créé par le Comte Kuchelev-Bezborodko (dont parle Lionel Kiesertizky dans sa correspondance depuis Paris).
Ce salon dure une dizaine d’années et compte jusqu’à une centaine de membres. 
Léon Tolstoi et Ivan Tourgueniev fréquentent ce lieu, et Choumov se liera d’amitié avec ce dernier. 
Mais la police du Tsar se méfie toujours de ces réunions et ce club doit fermer en 1862 par crainte de propagation d’idées séditieuses. On retrouve là dans la Russie tsariste la même crainte de l’ancien régime en France vis-à-vis des réunions dans les cafés parisiens au XVIIIe siècle. 

[Event "Saint-Pétersbourg"] [Site "?"] [Date "1856.??.??"] [Round "?"] [White "Choumov Ilia"] [Black "Tourgueniev Ivan"] [Result "1-0"] [Annotator "Isaac Linder"] [SetUp "1"] [FEN "1r6/4R1R1/1rp2p2/p3b2p/3p1ppk/1PP4B/P4PPK/8 w - - 0 1"] [PlyCount "9"] {Fin de partie entre Ilia Choumov et Ivan Tourgueniev en 1856 à Saint-Pétersbourg. Les Blancs jouent et font mat en 5 coups.} 1. Rxe5 $1 g3+ ( 1... fxe5 2. g3+ fxg3+ 3. fxg3#) 2. Rxg3 fxe5 (2... fxg3+ 3. fxg3#) 3. Rg6 dxc3 4. g3+ fxg3+ 5. fxg3# 1-0

Le tournoi de l’Empereur à Paris en 1867

Vous avez ici un très bon article signé par Georges Bertola sur ce tournoi

Comme en 1851, Choumov n’a pas l’autorisation de se rendre à Paris pour le premier tournoi international d’échecs organisé en France pour l’exposition universelle de 1867. Pourtant il se préparait à venir à Paris avec sans doute un rêve de visiter le Café de la Régence.


Article La Stratégie en juin 1867
Ni Jaenisch ni Choumov ne pourront venir à Paris.

Néanmoins son nom apparaît dans la liste des souscripteurs dans le livre du tournoi.

Source : Google Book

Même si Choumov ne peut finalement pas venir à Paris, son ombre plane sur l’événement.

Choumov - Le plan de l'exposition Universelle de Paris en 1867
Les Blancs jouent et font mat en 4 coups


Le bâtiment principal de l'exposition Universelle de Paris en 1867.
Notez la ressemblance avec le problème de Choumov.

Et en début d’année 1867, il fait paraître (en Français et en Russe) un recueil de problèmes très particuliers qu’il intitule : « Recueil de problèmes scacchographiques » (scaccho --> échecs, graphique --> écriture). Une grande partie des problèmes forment des lettres d’échecs, comme les deux suivants, l’un dédié à Paul Journoud et l’autre à Jean Préti.

Problème dédié à Paul Journoud - Les Blancs jouent et font mat en 3 coups
Présent dans le livre "Recueil de problèmes scacchographiques".

Problème dédié à Jean Préti - Les Blancs jouent et font mat en 4 coups
Ce problème n'est pas dans le livre de Choumov.
Il s'agit peut être d'une composition qui fait suite à l'article ci-dessous paru dans La Stratégie.

En juillet 1867, la revue La Stratégie, nouvellement créée, en parle ainsi sous la plume de Jean Préti :

"Recueil des Problèmes de M. Schoumoff

Le recueil de Problèmes de M. Schoumoff, l’éminent compositeur russe, cache, sous un titre assez bizarre (1), une véritable bonne fortune échiquéenne ; qu’importe l’enveloppe quand le fruit est savoureux.

Ouvrons le volume ; les pièces rangées dessinent un grand sabre. Quelles magnifiques armes parlantes pour le noble jeu des échecs, comme M. Schoumoff connait son terrain ! Là en effet, règne le régime du bon plaisir, sur un signe du maître, capitaines et soldats sont voués à la mort.

Après cette ouverture défilent successivement, et par ordre, les vingt-quatre (sic - NDA les 26 lettres sont bien représentées dans le livre de Choumov) lettres de l’alphabet.  Si M. Schoumoff, pour ses problèmes, s’était contenté de placer sur l’échiquier des pièces blanches et noires, dessinant plus ou moins des formes de lettres, c’eût été simplement une puérilité, mais chacun de ses mats est aussi remarquable par l’idée que par l’exécution, la forme des lettres n’a pas nui à la beauté des compositions, on dirait, au contraire, que M. Schoumoff, obligé de lutter contre une impérieuse nécessité, a grandi avec la difficulté et n’a jamais été mieux inspiré. La plupart de ces problèmes sont dédiés aux notabilités de l’Échiquier. S.A.I. le grand-duc Constantin, M. le comte de Koucheleff, M. Ouroussoff, M. Heydebrand de la Lasa, M. Rivière, M. Loyd, M. Anderssen, etc.

Après la lettre arrivent les problèmes humoristiques et politiques, d’abord l’essai de délivrance d’un prisonnier d’État, la clé incomplète, le quadrilatère autrichien, la pendule de Napoléon et vingt autres dont les positions premières et finales sont des plus originales, mais la perle de ses problèmes est celui intitulé la Question d’Orient, l’armée blanche est disséminée sur l’Échiquier, les Noirs se sont formés en croissant, le combat s’engage, les morts disparaissent, et le Roi noir reste seul écrasé par la croix du christianisme, le résultat final est frappant.
De semblables problèmes se décrivent mal, il faut les voir sur l’Échiquier, et nous promettons aux lecteurs qui parcourront ce volume de véritables et heureuses surprises. 

(1) Recueil de Problèmes scacchographiques et autres positions curieuses comprenant la représentation complète des lettres de l’alphabet ainsi que divers mats politiques, humoristiques et phantastiques (sic). Saint-Pétersbourg 1867."

Choumov - Position finale du problème intitulé "Question d'Orient" évoqué par Jean Préti.
En cette deuxième moitié du XIXe siècle la Russie se frotte à l'empire Ottoman.


[Event "Le Plan de l'exposition universelle"] [Site "?"] [Date "1867.??.??"] [Round "?"] [White "Choumov Ilia"] [Black "?"] [Result "1-0"] [SetUp "1"] [FEN "8/2Nbpp2/1b4R1/k2pN2n/P2RP2K/1P4p1/2PPBn2/8 w - - 0 0"] [PlyCount "7"] {Problème intitulé : "Le plan de l'exposition Universelle de 1867". Les Blancs jouent et font mat en 4 coups.} 1. exd5 Bb5 {le meilleur coup, sinon Cc4 puis Ca6 et le roi noir est mat en 3 coups.} (1... g2 2. Nc4+ Kb4 3. Na6#) (1... Bxc7 2. Ra6#) 2. Bxb5 Bxd4 3. Nc4+ Kb4 4. Na6# 1-0 [Event "Mat en 3 coups"] [Site "?"] [Date "1867.??.??"] [Round "?"] [White "Choumov Ilia"] [Black "Dédié à Paul Journoud"] [Result "1-0"] [Annotator "Choumov Ilia"] [SetUp "1"] [FEN "8/1rp3p1/1p1n2n1/1RP3k1/1P4N1/1P2N1P1/1Q3K2/8 w - - 0 0"] [PlyCount "5"] {Dédié à Paul Journoud. Les Blancs jouent et font mat en 3 coups.} 1. Qxg7 Ne4+ (1... Nf5 2. c6 Rb8 3. Qh6#) 2. Kg2 Nxg3 3. Qh6# 1-0 [Event "Mat en 4 coups"] [Site "?"] [Date "1867.??.??"] [Round "?"] [White "Choumov Ilia"] [Black "Dédié à Jean Préti"] [Result "1-0"] [Annotator "Choumov Ilia"] [SetUp "1"] [FEN "8/8/2K2BB1/2p2p1p/2r2pk1/R1r2N2/1n3R2/8 w - - 0 0"] [PlyCount "7"] {Dédié à Jean Préti. Les Blancs jouent et font mat en 4 coups.} 1. Bxh5+ Kxh5 ( 1... Kg3 2. Bh4+ Kh3 3. Rh2#) 2. Ne5 f3 (2... Rxa3 3. Rh2+ Rh3 4. Rxh3#) 3. Rh2+ Rh4 4. Rxh4# 1-0 [Event "Problèmes Scacchographiques"] [Site "?"] [Date "1867.??.??"] [Round "?"] [White "Choumov Ilia"] [Black "La question d'Orient"] [Result "1-0"] [SetUp "1"] [FEN "3nn2b/2q2R2/2k5/1Rp5/B2pr1N1/2P2PQP/2P3P1/2N4K w - - 0 0"] [PlyCount "9"] {La question d'Orient - 1867. Les Blancs jouent et font mat en 5 coups. A noter que le problème n'est pas tout à fait correct, l'ordinateur montre un mat en 4 coups} 1. fxe4 c4 2. Rb4+ Kc5 3. Rxc7+ Nxc7 4. Qxc7+ Nc6 5. Qxc6# 1-0