samedi 25 juillet 2020

Alphonse Delannoy

Le 19 juillet 1883 s’éteignait Alphonse Delannoy, chroniqueur d’échecs durant une quarantaine d’années, joueur du café de la Régence et surnommé par La Bourdonnais « Le génial Achille Français, la terreur des mazettes ».

Alphonse Delannoy était un chroniqueur brillant, amoureux du jeu d’échecs et qui était un des derniers survivants de l’ancien Café de la Régence. Sans lui, une grande partie de la mémoire du Café de la Régence au XIXe siècle aurait tout simplement disparu à tout jamais.

La photo ci-dessous date des années 1870 lorsqu'Alphonse Delannoy habitait à Londres.

Alphonse Delannoy - Cleveland Public Library Digital Gallery
Merci à F.Hoffmeister pour cette découverte.

La Stratégie - Octobre 1883

« Un homme dont tous les amateurs d’échecs ont lu et apprécié depuis quarante ans les articles dans différents recueils d’échecs de France, d’Europe et d’Amérique, M. Delannoy est mort à Enghien (Belgique), le 19 juillet dernier. Cette nouvelle imprévue nous est arrivée au commencement de ce mois seulement, et cette circonstance explique le retard que nous mettons à notre hommage posthume ; acte de justice et de déférence dont plus que tout autre journal, la Stratégie était tenue puisque M. Delannoy a enrichi sa collection d’une multitude d’articles, de revues, de nouvelles dont le succès ne s’est jamais démenti. (…) 

Nature nerveuse et impressionnable au plus haut degré, M. Delannoy s’éprit d’une véritable passion pour le jeu des Échecs auquel il ne trouve rien de comparable. « La Régence, dit-il, est le rendez-vous des amateurs d’Échecs, de ce noble jeu, véritable don du ciel, le plus sublime peut-être des conceptions humaines. » Et cette passion, après mille vicissitudes, s’est retrouvée comme nous le verrons plus loin, plus vivace en ces dernières années, qu’elle ne l’avait été à ses débuts.

Et chose peu commune qui prouve combien avaient été profondes ses premières impressions, il avait concentré et confondu dans un seul culte, les Échecs, La Bourdonnais et le Café de la Régence. Qu’on lise tous les articles, revues, historiettes, anecdotes dont sa plume a été si prodigue pendant près de quarante années. On retrouvera toujours cette triple idée. Les Échecs sont la merveille de l’Esprit humain. La Bourdonnais est la plus grande incarnation de cette merveille. Le Café de la Régence est le séjour des élus. « Plusieurs fois, dit-il, les gloires et les célébrités ont fui ses tables et ses bancs. La Régence a laissé partir ces profanes, elle a dit : j’écraserai mes concurrents magnifiques, vous reviendrez ingrats ! Et la prophétie s’est accomplie ». (Ceci tuera cela).

(…) M. Delannoy était né à Évreux, en février 1806, élève de l’École Normale, il en sortit professeur au Lycée Charlemagne. Mais avide d’indépendance, il quitta cette situation pour se vouer exclusivement aux belles-lettres. Correspondant de divers journaux de l’époque, il publia des articles aujourd’hui ignorés, mais qui lui acquirent une certaine notoriété, puisqu’à la résurrection du « Palamède » il est placé en sa qualité d’homme de lettres en compagnie de Marie Aycard, Lavallée, de Musset. Ce fut à cette époque qu’il commença à s’occuper des Echecs en qualité de littérateur. Plus tard, il traduisit en vers, les psaumes du roi David. Ce fut un véritable succès d’artiste et malgré la nature du sujet, la souscription fut couverte et au-delà.

Pendant les dernières années de sa vie, M. Delannoy habita successivement l’Angleterre, où il s’était fait de nombreux amis, et la Belgique où il s’est éteint le 19 juillet dernier. Si comme savant, les Echecs ne lui doivent rien, nul n’a plus fait pour eux comme vulgarisateur, nul écrivain plus épris de son sujet, n’a consacré plus de temps plus de veilles à ce culte qui fut celui de sa vie entière. Mais ainsi que pour Philidor et pour La Bourdonnais, les échecs ont été ingrats et leur fidèle disciple a été comme ces deux hommes de génie, chercher un tombeau sur la terre étrangère.

Ernest Nivernais. »



Les journaux anglais annoncèrent le décès d'Alphonse Delannoy. Par exemple ci-dessus dans Field du 3 novembre 1883.


Voici quelques extraits de ses chroniques.
Tout d’abord il évoque son arrivée à l'ancien Café de la Régence, et sa première rencontre avec son mentor échiquéen La Bourdonnais.  Il parle également de la « la fille du propriétaire ». À l’époque le propriétaire est Joseph Evezard, et sa fille se nomme Joséphine Evezard. Quelques années plus tard, en 1836, elle se mariera avec Claude Vielle, nouveau propriétaire des lieux.

La Stratégie – Mars 1877

« (…) Le plus important est ma première entrée à la Régence. C’était au mois de mars 1827. Le ciel, assez souriant le matin, s’était soudainement assombri, et je me trouvai sur la place du Palais-Royal quand je fus assailli par une bourrasque épouvantable, une véritable avalanche de pluie, de neige et de grêle. Soulevé par la tempête, je sentis mon chapeau s’envoler, je courus après le volage, et, l’un roulant l’autre, je me heurtai à la porte d’un café ; je m’y précipitai comme une bombe. Mon entrée fut saluée par les éclats de rire de la fille du propriétaire, jeune personne assez coquettement mise et dont les yeux promettaient bien des choses.

Avec la demi-tasse et le petit verre demandé, le garçon planta devant moi quelques journaux, et je commençais à peine à savourer mon moka et ma tartine du Constitutionnel, journal favori de l’époque (Quantium mutatus ab illo ! ), que je fus distrait par un tapage énorme, où se mêlaient tout à la fois des imprécations, des rires, des canonnades et la voix du chef de l’établissement. 

Naturellement curieux, je m’approchai, je franchis les deux colonnes qui séparaient les initiés du vulgaire, j’étais dans le temple des Échecs. Ayant appris au collège la marche de ce jeu, j’avais eu la naïveté, jusque-là, de le considérer comme très sérieux, et, par conséquent, excluant tout bruit, toute interruption. Aussi, quelle ne fut pas ma surprise d’entendre un pareil vacarme ; je m’informai du motif. 

– La Bourdonnais vient de faire un mat superbe, et la perruque du père Jointo en a bondi sur l’Échiquier.
- Qu’est-ce que La Bourdonnais ?
- Le plus fort joueur d’Échecs du globe.

Je continuai à regarder, à observer ; je n’étais entré que pour me sécher, me réconforter, je n’avais que quelques minutes à moi, je restai quatre heures. C’en était fait. Alea jacta erat. J’avais franchi le Rubicon. Je devins bientôt l’un des membres les plus assidus de la Régence. Qui dira les prétextes, les subterfuges, les affaires Chaumontel (*) qu’il me fallait chercher pour excuser mes pertes de temps, mes retards aux heures du dîner, aux rendez-vous et à la folle passion, enfin, qui s’empara de moi pendant mes premières années d’exercice. Mais aussi, qui retracera le plaisir de mes luttes et de mes observations ? »

(*) Complément du texte précédent : il s'agit d'une référence directe à Balzac. Ce nom est emprunté aux Petites misères de la vie conjugale de Balzac, qui parurent en 1846. Adolphe, le héros, essaie de justifier ses absences par « l’affaire Chaumontel » totalement inventée, mais son épouse n’est pas dupe. Ainsi Balzac énonce que « tous les ménages ont leur affaire Chaumontel »

La Régence février 1851 - On retrouve Alphonse Delannoy en 1851 dans la liste des membres du Cercle des Échecs, alors situé au-dessus du Café de la Régence.

Toujours dans la Stratégie mars 1877, voici un exemple de description des joueurs d’échecs que l’on retrouve tout au long de ses chroniques.

« Je connus bientôt le caractère de chaque amateur ; le gros rire de La Bourdonnais, les allures dogmatiques de Deschapelles, l’atticisme de Saint-Amant et de M. Boissy d’Anglas, les subtilités du Petit-Juif, de Desloges et Lavanino, les chatteries de Sasias, le savoir-faire de l’épervier noir et de l’épervier blanc, les illusions de Dumoncheau, les fureurs du père Barthez, les broquettes et les petits clous du papa Chamouillet, et les désespoirs des millionnaires de MM. De Nanteuil et Sisière, dont la fortune avait trahi le sort en faisant un accroc de cinquante centimes à leur bourse, et les variétés infinies de ces dispositions d’humeur avaient pour moi un charme inexprimable.

Par ces observations premières, je fus rapidement en état de distinguer les avant-coureurs d’une victoire ou d’un revers. Un sourire, un bonjour empressé au dernier arrivant, un frottement de mains, la préoccupation de son chapeau, de sa canne, de son parapluie, la prise de tabac lentement aspirée, l’indifférence sur les remarques de la galerie, une part dans la conversation, un coup d’œil sur un journal, une tendance vers sa consommation, l’inspection de l’horloge, de la nature du temps, la crainte de faire attendre chez soi, quelque réminiscence facétieuse et l’examen du contenu de la bourse pour payer les frais, ou ce paiement avant la fin d’une partie, sont autant d’indices de la confiance dans sa position, d’une espérance de succès, de conviction même de triomphe.

L’illumination des traits, les mouvements ondulatoires, le voyage de la tabatière d’une main à l’autre sans y puiser, les exclamations, les regards furieusement lancés aux spectateurs, le mouchoir, les gants gisant à terre, le refroidissement ou l’oubli même de la demi-tasse, le martèlement des pièces, l’Échiquier détourné de la ligne droite, les pièces égarées sur les bancs ou roulées nerveusement dans la main présagent une défaite. Et c’est le pauvre garçon qui en est la plus triste victime, car le perdant supprime son pourboire. »

Et bien entendu, Delannoy sera aussi présent dans le nouveau Café de la Régence. Voici comme il décrit son arrivée dans ce nouveau Café de la Régence, que Claude Vielle a fait construire et qui a été repris M. Gillet.


La Régence - Février 1856

« (…) revenant un jour de la campagne (…), j’aperçois, éblouissant de peintures, de lumières, de fraîcheur, un établissement que je ne connaissais pas. 

À la vue de ces marbres éclatants, de ces massifs de fleurs d’où s’élancent toutes étincelantes des murailles de glace, de ce luxe oriental disséminé avec autant d’art que de profusion, je m’arrête étonné, j’entre et me trouve tout à coup au milieu de mes anciens amis. J’étais dans le nouveau café de la Régence. 

Aussitôt s’évanouissent toutes mes préventions ; le plaisir du moment l’emporte sur le souvenir du passé. Pour opérer en moi ce miracle, assurément il a fallu la magie d’un bien grand enchanteur. Honneur donc à M. Gillet, le propriétaire du nouvel établissement, le digne successeur d’un homme qui a fait aussi de bien grands sacrifices pour le bien-être de ses habitués. M. Vielle avait pu seulement améliorer, M. Gillet a tout créé, et bien heureusement inspiré dans ses conceptions, il a tout bonnement fait un chef-d’œuvre ; car, dans un espace assez limité, il a trouvé le moyen de réunir un café, un estaminet, un billard et un cercle.

Après avoir rendu justice au bon goût et au discernement de l’entrepreneur, répétons franchement que la vue de nos anciens frères d’armes a particulièrement éveillé nos plus douces émotions. » 

Il évoque avec nostalgie un passé révolu.

« (…) du fond de mon modeste réduit, j’ai pu évoquer un instant les ombres de nos grands maîtres. Tour à tour ont passé devant moi : La Bourdonnais au jovial sourire ; Deschapelles au visage sévère, au manteau d’hermine ; Mouret et ses petits verres d’absinthe ; Boncourt et son flegme imperturbable ; Beaucé et ses accompagnements d’orchestre ; le petit juif et ses excentricités ; Boissy-d’Anglas et ses inspirations échevelées, le père Lemaître et ses quinze tours roulant au milieu de ses doigts contractés ; et enfin ce pauvre M. Des Guis, l’ex-croqueur des poules. 

Quel immense foyer d’agréables souvenirs ne trouve-t-on pas dans l’évocation de tous ces anciens frères d’armes, et leur silhouette, ramenée de temps en temps sur la scène, anime les jeunes élèves, les encourage, les inspire et peut quelque fois créer des héros. (…)  »

Pour terminer, voici trois parties de Delannoy.

La première, contre Desloges, montre que Delannoy est un joueur d’attaque à outrance (partie commentée par Lionel Kieseritzky dans son livre "50 parties jouées au cercle des échecs et au café de la Régence"). Il aura également l’occasion de jouer quelques parties en 1858 contre Paul Morphy. Il est cité dans le livre « Paul Morphy, the Chess champion » par Frederick Edge. Paul Morphy lui donnant l'avantage d'un pion et de deux traits. Le score sera de 4-0 pour Morphy.



Lors de leur première partie (non connue à ma connaissance), Delannoy, fidèle à lui-même, sacrifie pièce sur pièce d’une manière à terrifier tout le monde sauf son jeune adversaire. À un coup joué par Morphy et qualifié de « Voilà un coup du bon Dieu », il répond par « Et, en voilà un du diable ». Mais ce coup n’est d’aucune utilité et la partie tourne en faveur de Morphy.


« Paul Morphy, the Chess champion – Chapitre XII – Londres 1859 – Frederick Edge »


[Event "Café de la Régence 17/02/1842"] [Site "?"] [Date "1842.02.17"] [Round "?"] [White "Desloges."] [Black "Delannoy Alphonse"] [Result "1-0"] [ECO "D20"] [Annotator "Lionel Kieseritzky"] [PlyCount "59"] [EventDate "1842.??.??"] {Commentaires de Lionel Kieseritzky. Traduction de Lewis par Witcomb.} 1. d4 d5 2. c4 dxc4 3. e4 f5 {Cette défense contre le gambit de la Dame fut trouvée en 1842 par M.Schwartz, de Livonie, amateur distingué et plein de zèle. Elle a le grand mérite de donner lieu à des parties vives et intéressantes, chose bien rare dans les autres défenses; et bien que, par-ci, par-là, on ait voulu contester sa valeur, elle est applicable, surtout en pratique. Peut-être après un examen bien rigoureux, finirait-on par découvrir une attaque qui rendrait cette défense insuffisante; mais, en attendant, son existence est aussi bien garantie que celle de maint autre début condamné par la théorie.} 4. exf5 ({Il vaut mieux prendre (le pion) f que pousser} 4. e5 {comme dans les deux parties précédentes, à cause du Fou Noir qui arrive en e6 et plus tard en d5 où il acquiert une grande puissance.}) 4... Bxf5 5. Bxc4 Nf6 {Ceci est préférable à Bxb1, selon l'avis de M.Heydebrand. Pourquoi échanger une pièce bien placée contre une autre, non sortie jusque-là ?} 6. Nc3 (6. Qb3 {donnerait une attaque plus forte, mais on jouerait} e6 {et alors les Blancs pourraient poursuivre leur attaque en jouant I.} 7. Nc3 ({II.} 7. Be3 Qc8 8. Nf3 Nc6 9. Ng5 Nd8 10. O-O Bd6 11. Re1 h6 12. Nf3 O-O 13. d5 e5 14. Nc3 Nf7) ({III.} 7. Bf4 Bd6 8. Ne2 Bxf4 9. Nxf4 Qxd4 10. Nxe6 Qe5+ 11. Qe3 Qxe3+ 12. fxe3 Bxe6 13. Bxe6 Ke7) ({IV.} 7. Bg5 Bd6 8. Nc3 Qc8 9. O-O-O O-O 10. Nf3 Nc6 11. Rhe1 Re8 12. Bxf6 Bf4+ 13. Nd2 gxf6) ({V.} 7. Qxb7 Be4 8. Bb5+ c6 9. Qxa8 cxb5 10. Qxa7 Bxg2) ({VI.} 7. Bxe6 Qe7 8. d5 Nxd5 9. Qxd5 Qxe6+ 10. Qxe6+ Bxe6) ({VII.} 7. Ne2 Qc8 8. Nf4 Kf7 9. d5 Bd6 10. dxe6+ Ke7 11. Nd5+ Nxd5 12. Bxd5 c6 13. Bg5+ Ke8 14. Bc4 b5 15. Bd3 Qxe6+) ({VIII.} 7. Nf3 Qc8 8. Ng5 Nc6 9. Bxe6 Bb4+ 10. Bd2 Bxd2+ 11. Nxd2 Nxd4 12. Qa4+ b5 13. Qxd4 Bxe6 14. Qe5 O-O 15. Qxb5 Rb8 16. Qa5 Rxb2 17. O-O Bd5) 7... Qc8 8. Nf3 Bd6 9. Ng5 Ke7 10. d5 e5 11. f4 Nbd7 12. fxe5 Nxe5 13. O-O h6 14. Nf3 Nxc4 15. Qxc4 Re8) 6... e6 7. Nge2 Nc6 8. O-O Bd6 9. g3 {Pour éviter la double attaque par Ng4: le cuop est faible; le coup juste aurait été Qb3} h5 10. Bg5 h4 {Bien joué: la Tour h se trouvant dans une colonne presque ouverte, gagne considérablement en valeur.} 11. gxh4 Rxh4 {Ce sacrifice n'est pas prudent. Il fallait jouer Qd7 et ensuite 0-0-0 pour être à même de diriger toutes les forces contre le Roi à moitié dépouillé. L'impétuosité de l'attaque n'a pas été couronnée de succès.} 12. Bxh4 Bxh2+ 13. Kxh2 Ng4+ 14. Kg3 g5 15. Rh1 gxh4+ 16. Rxh4 Qg5 {Il y a beaucoup d'imagination dans ces derniers coups des Noirs. Mais malheureusement l'adversaire est trop expérimenté pour tomber dans le piège, quelque adroit qu'il fût.} 17. Rh8+ Kf7 18. f4 Qg7 19. Rxa8 Ne3+ {Les Noirs prennent la Dame, mais il leur en coûte cher, car les Blancs restent avec deux Tours et un Cavalier.} 20. Kf2 Nxd1+ 21. Rxd1 Qg4 22. Rg1 Qh4+ 23. Ke3 Na5 24. b3 c6 25. Rag8 b5 26. Bd3 Bxd3 27. Kxd3 Qh7+ 28. Ne4 Qh3+ 29. R1g3 Qh1 {Même en jouant tout autre coup, les Noirs perdent la partie.} 30. R3g7# 1-0 [Event "Café de la Régence"] [Site "Paris FRA"] [Date "1858.??.??"] [Round "?"] [White "Paul Morphy"] [Black "Alphonse Delannoy"] [Result "1-0"] [SetUp "1"] [FEN "rnbqkbnr/pppppppp/8/8/8/8/PPPPPPPP/R1BQKBNR w KQkq - 0 1"] [PlyCount "60"] [EventDate "1859.??.??"] {Cette partie, où Morphy donne l'avantage du Cavalier Dame, a été jouée en fin d'année 1858, probablement en octobre/novembre.} 1. e4 e6 2. f4 d5 3. e5 c5 4. Nf3 Nc6 5. c3 Qb6 6. Bd3 d4 7. Qe2 Nh6 8. b3 Bd7 9. Bb2 Be7 10. g4 O-O 11. h3 Qd8 12. O-O-O Kh8 13. Bc2 Nb8 14. cxd4 Bc6 15. f5 exf5 16. gxf5 cxd4 17. f6 d3 18. fxg7+ Kxg7 19. Rhg1+ Kh8 20. Bxd3 Bxf3 21. Qxf3 Qc8+ 22. Kb1 Qe6 23. Qe4 Nf5 24. Bc4 Qc8 25. Bxf7 Rxf7 26. e6+ Rf6 27. Qxf5 Qf8 28. Rdf1 Nc6 29. Qxf6+ Bxf6 30. Rxf6 Qg7 1-0 [Event "Café de la Régence"] [Site "Paris FRA"] [Date "1858.??.??"] [Round "?"] [White "Alphonse Delannoy"] [Black "Paul Morphy"] [Result "0-1"] [SetUp "1"] [FEN "rnbqkbnr/ppppp1pp/8/8/4P3/8/PPPP1PPP/RNBQKBNR w KQkq - 0 1"] [PlyCount "56"] [EventDate "1859.??.??"] {Morphy donne l'avantage de deux traits et du pion en f7 à Delannoy.} 1. f4 { A noter que seule la fin de cette partie est connue (après le 22ème coup des blancs). Le début est donc une reconstitution plausible.} e6 2. Nf3 c5 3. c4 Bd6 4. e5 Bc7 5. Nc3 Nc6 6. d3 d6 7. exd6 Qxd6 8. Be2 Nd4 9. Nxd4 cxd4 10. Na4 Nf6 11. c5 Qd8 12. O-O O-O 13. Bd2 Bd7 14. b3 Be8 15. Qc1 Nh5 16. Bxh5 Bxh5 17. Qb1 Qd5 18. b4 Bg6 19. f5 exf5 20. Qc1 Rae8 21. Bf4 Re2 22. Rf2 {Voici la position connue.} Rfe8 23. Bxc7 {Les blancs se précipitent sur le "cadeau" de Morphy...} Rxf2 24. Kxf2 Re2+ {Le mat est imparable.} 25. Kxe2 Qxg2+ 26. Ke1 Qg1+ 27. Ke2 Bh5+ 28. Kd2 Qf2# 0-1

samedi 18 juillet 2020

L'affaire Paris-Vienne 1884


Le 28 février 1884, à la une (!) du journal "Le Petit Parisien" apparaît un événement exceptionnel :

« (…) Hier mardi, a commencé le grand combat entre le « club d’échecs » de Vienne et le « cercle d’échecs » de Paris. L’enjeu est de 2 000 francs. Deux parties sont jouées simultanément. Chaque coup sera envoyé télégraphiquement et confirmé par lettre chargée. J’entends dire par quelques enthousiastes que l’Europe entière a les yeux sur cette lutte homérique et qu’elle en attend anxieusement les résultats. (…)  »

Le Petit Parisien du jeudi 28 février 1884 - L'article "Le Noble jeu des échecs" est en une sur 3 colonnes ! - Source Gallica

Evènement exceptionnel pour son intérêt sportif, mais également sur les conséquences qu'il va engendrer. En fait ce qui commence de façon bien innocente, avec ce défi par correspondance, va empoisonner le jeu d’échecs en France pour une bonne quinzaine d’années et provoquer une scission durable parmi les plus forts joueurs français.

Il est raisonnable de penser qu’une fédération de joueurs d’échecs français aurait vu le jour en cette fin du XIXe siècle, sans les événements regrettables qui vont se dérouler lors de ce match par correspondance.

La Stratégie - Février 1884 - annonce également le match avec plus de détails. L'enjeu de 2000 francs est à rapprocher de quelques chiffres intéressants : le salaire mensuel moyen d'un employé / ouvrier à Paris à l'époque est d'environ 150 francs. 150 francs correspondent également aux droits d'entrée du Cercle des Échecs de Paris (10 rue du Beaujolais, au Palais-Royal, à quelques centaines de mètres du Café de la Régence).

« Nous avons le plaisir d’annoncer que le Club d’Échecs de Vienne a adressé au Cercle des Échecs de Paris un défi pour une lutte par correspondance, laquelle a été immédiatement acceptée. Les principales clauses du règlement qui a été adopté, sont : Enjeu, 2 000 francs de chaque côté. Un coup tous les quatre jours ; chaque camp pourra utiliser le temps économisé sur les coups déjà joués, mais cependant la limite extrême entre la réception du coup adverse et la réponse ne pourra excéder sept jours.

Les coups seront envoyés télégraphiquement et confirmés par lettre chargée (NDA - équivalent d'une lettre recommandée de nos jours). Le délai de quatre jours commencera à la réception de la dépêche télégraphique ; si toutefois il y a contradiction entre la dépêche et la lettre, la dernière seule sera considérée authentique et le délai courra du moment de sa réception. 

Chaque Club supportera les frais de sa correspondance. Deux parties seront jouées simultanément. Une suspension de deux mois, pour les vacances, aura lieu du 15 juillet au 15 septembre. Les parties de Paris seront conduites par MM. Arnous de Rivière, Chamier, Clerc et Rosenthal. Celles de Vienne par MM. Le prof. Brentano, Englisch, B. Fleissig, Dr Fleissig, Dr Kleeber, Dr Meitner, J. Schwarz et Max Weiss. – MM. A. Csank et le baron Kolisch pourront être consultés. (…)  »

Voici les joueurs d'échecs du comité de Paris :

Samuel Rosenthal (curieusement appelé "Emil" sur la photo) - Cleveland Public Library
Photographie non datée, mais peut être de mai 1880, date à laquelle il joue à Londres un match contre Zukertort.
Rosenthal remporte en 1880 le 1er tournoi national, organisé par le Cercle des Échecs de Paris et qui décerne le titre de "Champion Français". Samuel Rosenthal sera le plus fort joueur français de la fin du XIXème siècle jusqu'à l'arrivée de David Janowski à Paris.

Edward Chamier (voir le dessin global un peu plus bas), identifié sur le site de Dominique Thimognier "Héritage des Échecs Français". Chamier remporte le 2ème tournoi national en 1881.

Au premier plan Jules Arnous de Rivière (suivi de Samuel Rosenthal). Il s'agit d'un extrait d'une gravure intitulée "les 16 meilleurs joueurs d'échecs au Monde" et publié le 17 juillet 1886 dans le journal Britannique "The Graphic". Jules Arnous de Rivière, et son célèbre bonnet d'astrakan, fut une figure incontournable des échecs en France de la seconde moitié du XIXème siècle.

Jules Arnous de Rivière en 1904.

Le quatrième joueur Français est Albert Clerc (source Cleveland Public Library - image également mis en ligne sur le site Héritage des Échecs Français - La revue illustrée 1881). Albert Clerc remporte le 3ème et dernier "Tournoi national" en 1883. Magistrat, il est un ami personnel du Président de la République de l'époque, Jules Grévy (également joueur d'échecs ayant fréquenté le Café de la Régence).

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Le match se déroule tranquillement et passionne les amateurs du jeu d’échecs.

« (…) le Café de la Régence a toujours l’animation de ses meilleurs jours et même en ce moment nous remarquons la présence de beaucoup d’amateurs étrangers. Parmi ceux-ci nous citerons seulement le professeur Brentano, bien connu dans le monde des échecs par les savantes analyses qu’il a publiées dans la Deutsche Schachzeitung et l’un des champions de Vienne dans la grande lutte par correspondance engagée avec Paris. (…)  »

La Stratégie - Mars 1884

Le dessin dont je parle un peu plus haut au sujet d'Edward Chamier. Il se trouve sur le site de la BNF où il est indiqué de façon erronée "Match téléphonique (NDA - en fait télégraphique) entre Paris et Vienne. Joueurs du café de la Régence". Dessin de Motty, 1884.

Soudain, juste avant la pause estivale intervient un incident qui met en évidence la rivalité entre les joueurs français (La Stratégie 1884) :

« Le 15 septembre dernier trois des joueurs du camp de Paris ont donné leur démission, ce sont : MM. Arnous de Rivière, Chamier et Clerc. Considérant comme un devoir de la presse, et ce devoir est religieusement observé par tous les journaux étrangers, de s’abstenir de tous commentaires ou appréciations pendant le cours d’une lutte comme celle engagée entre Paris et Vienne, nous ne pourrons faire connaitre les causes de la retraite de ces trois amateurs que lorsque les parties seront terminées. 

Nous enregistrons donc simplement l’incident ; nous ajouterons que le Comité du Cercle des Échecs de Paris, dans une séance tenue le 8 octobre, séance qui a été retardée par l’absence à Paris de plusieurs membres, a placé la continuation des parties sous la direction de M. Rosenthal qui a pour collaborateur tous les plus forts joueurs du Cercle des Échecs de Paris.

Nos lecteurs, quelque légitime que soit leur curiosité, comprendront et approuveront notre réserve ; ils peuvent être certains qu’aussitôt que nous pourrons le faire sans inconvénient, nous exposerons les faits afin qu’ils puissent faire eux-mêmes faire part de la responsabilité de chacun. (...)  »

Quelques numéros plus tard, La Stratégie explique la raison de l'éclatement de l'équipe parisienne :

« Dans la lutte par correspondance avec Vienne, les échanges qui viennent d’avoir lieu dans la partie de Paris, ayant complètement modifié la position, il n’y a plus, croyons nous, aucun inconvénient à satisfaire la curiosité de nos lecteurs en leur faisant connaitre la cause de la retraite de MM. Arnous de Rivière, Chamier et Clerc.

Le 17 ou 18 juillet dernier, au moment de la suspension convenue de deux mois, M. Rosenthal ayant à s’absenter de Paris remit à ses collègues du comité une analyse dans laquelle il proposait le coup 18.D.5TR (18.Dh5), lequel, dans sa pensée donnait un avantage évident. Ne prévoyant aucune objection, M. Rosenthal nous indiqua ce coup comme certain ; on se rappelle que nous l’avons publié dans notre numéro de juillet et que nous avons dû faire une rectification le mois suivant. 


Position de la partie Paris-Vienne avant le fameux 18ème coup des blancs.

Après son départ, les trois membres du comité restés à Paris se réunirent pour discuter ; plusieurs dépêches furent échangées entre eux et M. Rosenthal au sujet de diverses observations relatives à son coup et sur 18.Roq. TD (0-0-0) qui fut proposé, mais aucune mention n’a été faite du coup finalement adopté 18.F.6R (18.Fe6), lequel amena de TRÈS VIVES protestations de la part de M. Rosenthal aussitôt que l’envoi de ce coup lui a été notifié par M. le secrétaire du cercle.

Incontestablement les trois joueurs restés à Paris, formant la majorité du comité, avaient le droit d’adopter un autre coup que celui indiqué par M. Rosenthal, mais ont-ils eu raison de ne pas prendre préalablement son avis ? (À cet égard, la responsabilité des trois membres n’est pas égale, car M. Arnous de Rivière avait accepté, de MM. Chamier et Clerc, environ 18 heures avant l’envoi du coup à Vienne, la mission de prévenir télégraphiquement leur collègue. Cette dépêche n’a pas été envoyée et c’est, en fait, la cause première de la regrettable scission des joueurs de Paris).

Nous présumons, nous n’avons reçu aucune communication officielle à ce sujet, que la commission du cercle a résolu cette question négativement, car elle a décidé qu’à l’avenir un de ses membres, avec pouvoir déterminé, serait délégué pour assister aux délibérations des joueurs. Cette mesure n’ayant pas été acceptée, MM. Arnous de Rivière, Chamier et Clerc ont donné leur démission, et comme nous l’avons dit le mois dernier, la continuation de la lutte a été placée sous la direction de M. Rosenthal qui a pour collaborateur tous les plus forts joueurs du cercle.

Quant à la valeur du coup 18.F.6R (18.Fe6), l’opinion de M. Rosenthal se trouve malheureusement confirmée, MM. Hoffer et Zukertort, dont on ne peut suspecter la compétence et l’impartialité blâment ce coup en termes d’une grande sévérité dans le Chess Monthly de ce mois. 
(...) »

L’affaire semble suffisamment grave pour être relatée dans la presse parisienne. Le journal Le Gaulois nous donne des informations  intéressantes sur la suite de cette affaire, même si l’article est placé sur le ton de l’ironie.

Source Gallica

Le Gaulois - 4 novembre 1884

« Un beau duel

Paris contre Vienne ! Englisch contre Rosenthal ! Duel des titans de l’échiquier ! Qui l’emportera ? Le monde de l’échiquier halète : avouez qu’il y a de quoi. La partie dure depuis le mois de mars, c’est-à-dire depuis huit mois, et on a échangé au plus vingt coups : c’est grotesque. Vers la fin de 1885 elle sera peut-être terminée, à moins qu’un des deux joueurs ne vienne à mourir dans l’intervalle.

J’aime à croire qu’avant de se lancer dans une partie pareille ces messieurs ont fait leur testament. On ne sait pas ce qui peut arriver. Rosenthal, qui est dans le camp français, se rend, ces temps derniers, à Trouville, d’où il envoie par télégraphe, son coup à ses collègues du Cercle de Paris, qui sont engagés dans le match avec lui. Ces messieurs n’ont sans doute pas beaucoup goûté le coup de Rosenthal. Car ils en ont joué un autre de leur façon. Là-dessus, fureur de Rosenthal. On a osé ne pas jouer un coup que sa cervelle avait conçu !

Et la terre ne s’est pas entr’ouverte pour engloutir les sacrilèges ! Vous pensez s’il a flanqué leur paquet à ces téméraires. C’est tout juste si l’on n’a pas échangé des coups de canne. Rosenthal a dit un mot si raide à ses collègues, que l’un d’eux, M. Clerc, conseiller à la cour de Paris, parlait déjà de le faire expulser de France.

Tout ce scandale pour un pion qu’après deux semaines de réflexion on a poussé à droite plutôt qu’à gauche ! Pourquoi diable ces messieurs n’ont-ils pas apporté la même lenteur à se mettre en colère ? Mais, bast ! ç’a été bien tôt fait : leur sang n’a fait qu’un tour. Les voilà démissionnant, démissionnant. L’irascible M. Clerc, M. Chamier, M. Arnous de Rivière, qui ont la prétention d’être, chacun d’eux, aussi forts aux échecs que Rosenthal, et plus forts tous ensemble, se retirent et laissent celui-ci seul en face de ses adversaires viennois. Rosenthal continuerait bien la lutte, mais il a compté sans Englisch. Englisch est modeste comme Rosenthal.

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Dit-il, et il dépose à son tour son armure. C’est fini. Adieu les brillantes passes d’armes de cet émouvant tournoi ! Les choses ne peuvent pourtant pas en rester là. Quels nouveaux chevaliers vont entrer en lice ? Dieux bons, sauvez l’échiquier en péril ! (…) 

Qui l’emportera de Vienne ou Paris ? Vienne ? Paris ? On se passionne, on crie à tue-tête, et tous ces bruits nous arrivent dans les oreilles sans que nous ne voyions rien autour de nous. C’est Lilliput dans Paris, une goutte d’eau dans la mer, et, si nous avons pu assister au drame qui agite ce petit monde, 
c’est bien, ma foi, grâce au fameux microscope d’invention nouvelle, qui grossit un million de fois les objets.  »

Un an plus tard, une fois le match terminé, on apprend par la presse que Rosenthal a quand même eu peur des menaces d'Albert Clerc qui ont pris des proportions étonnantes. Rosenthal (Polonais d'origine) est tout simplement menacé d'expulsion de la France.

Le Gaulois - 7 novembre 1885

Source Gallica

« Cette semaine a pris fin le grand match d’échecs, engagé depuis un an et demi environ entre le cercle des Échecs de Paris – ne pas confondre avec la Régence – et le cercle des Échecs de Vienne. Deux parties étaient jouées simultanément. (...) ; tous les coups étaient échangés par dépêche, puis confirmés par lettre chargée.

(…) M. Albert de Rotschild, président du cercle de Vienne, vient d’écrire au général marquis d’Andigné, président du cercle de Paris, pour lui proposer de cesser la lutte, une des deux parties étant certainement gagnée par Paris et l’autre par Vienne. Paris a accepté cette proposition, et le combat finit faute de combattants. La partie de Paris était dirigée par M. Rosenthal, assisté des principaux joueurs du cercle. 

Au début, on avait adjoint à M. Rosenthal une commission de plusieurs membres, parmi lesquels se trouvait un magistrat, grand ami de M. Grévy. Ce magistrat pourrait, s’il le voulait, rédiger un petit traité fort instructif, intitulé «  De l’influence de l’art des échecs sur l’avancement des magistrats, ou itinéraire de Paris à Besançon ».

Ledit magistrat est l’inventeur d’un certain coup qui a fait perdre, au cercle de Paris, une des deux parties engagées, et précisément celle qui s’annonçait le mieux. Sans cette gaffe, Paris gagnait les deux parties et le match. À la suite de l’envoi du coup fatal, grand tapage dans le Landerneau des échecs. Rosenthal proteste énergiquement ; le cercle lui donne raison et blâme le coup adopté par la majorité de la commission. Là-dessus, démission de l’ami du président de la République, démission de messieurs de la commission qui l’avait appuyé, cris, tapage, tempête dans un verre d’eau.

Mais, où la chose devint comique, c’est quand le magistrat, ami de Grévy, a publiquement annoncé qu’il allait faire expulser de France M. Rosenthal, Polonais d’origine, parce qu’il avait eu le mauvais goût de qualifier durement le coup qui avait pour père l’alter ego de notre illustre président.

J’ai l’air d’inventer, mais j’invente si peu, qu’un grand banquier, fort influent dans les conseils de notre république athénienne, a dû conduire Rosenthal chez un ministre et solliciter de lui l’assurance qu’on laisserait en paix le malheureux professeur d’échecs. Au fait, c’est peut-être pour des raisons du même genre que M. de Bismarck expulse les Polonais du territoire prussien ? Chi lo sa  ? (NDA - Locution italienne – Qui le sait ?)

Paul Roche  »

Suite à cet incident, Samuel Rosenthal ne remettra plus jamais les pieds au Café de la Régence qui devient alors le fief de Jules Arnous de Rivière et d’Albert Clerc. Les joueurs d’échecs Français les plus influents de l’époque se déchirent. De par leur position professionnelle ou bien leur réputation dans la bonne société parisienne cet éparpillement des moyens va nuire au jeu d’échecs qui n’a pas besoin de cela.

« (…) Avec M. de Rivière, je n’eus que de longues conversations dont le principal sujet était Rosenthal. Comme M. de Rivière était un des hommes les plus captivants et les plus spirituels que j’aie connus, on peut penser que Rosenthal passait de durs moments. J’en parlerai plus tard. (…)  »

Cité dans le Vingt-Deuxième Cahier de l’Échiquier Français (volume 2) – Mémoires d’échecs par Alphonse Goetz –  Ce texte, écrit peu avant son décès en 1934, reste inachevé. Sauf si Alphonse Goetz les a écrits quelque part, nous n’aurons donc probablement jamais les commentaires d’Arnous de Rivière au sujet de Rosenthal.

« (…) M. Rosenthal, nous racontait que pendant le fameux match qu’il soutint contre Vienne par télégraphe,   en 1884-1885, il avait une semaine pour combiner un de ses coups ; il pensait à ce coup pendant toute la journée, non seulement devant l’échiquier, mais à table, dans la rue, en voiture, et c’est sans voir qu’il a trouvé ses combinaisons les plus profondes. »

Psychologie des grands calculateurs et joueurs d’échecs – Paris 1894 -  Alfred Binet

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Voici les deux parties commentées par Samuel Rosenthal. Pour la partie "Paris-Vienne" publiée dans La Stratégie je n'ai pas indiqué toutes les analyses fleuves dont Rosenthal s'était fait la spécialité.


[Event "1884 / 1885"] [Site "?"] [Date "1884.??.??"] [Round "?"] [White "Cercle de Paris"] [Black "Vienne"] [Result "0-1"] [ECO "C77"] [Annotator "Rosenthal - La Stratégie 1885"] [PlyCount "124"] {Jouée par correspondance entre le Cercle des Echecs de Paris et le Club des Echecs de Vienne du 27 février 1884 au 27 octobre 1885} 1. e4 e5 2. Nf3 Nc6 3. Bb5 a6 ({Nous préférons la défense} 3... Nf6 {qui empêche l'attaque du texte laquelle nous considérons la plus forte dans ce début}) 4. Ba4 Nf6 5. d3 d6 { Si les Noirs n'avaient pas avancé le Pion à 3TD (a7-a6) ils auraient eu ici une excellente défense par 5. ... Bf8-c5 6.c2-c3 Qd8-e7 continuée comme dans notre partie du Tournoi de Londres 1883 contre M. Steinitz} 6. c3 ({Nous avons personnellement proposé ici 6.Nb1-c3 avec lequel nous espérions amener de nouvelles variantes. Le Comité de Paris à qui nous avons exposé les différentes suites que nous avions en vue, les a approuvées toutes, sauf la suivante :} 6. Nc3 b5 7. Bb3 Na5 8. Qe2 Nxb3 9. axb3 {malgré l'insistance que nous avons mise à démontrer la faiblesse du PTD (a6) noir et l'ouverture faite à notre TD, avantages qui nous semblaient suffisants pour gagner une partie par correspondance, nos collègues n'ont pas voulu laisser échanger le Fou et nous avons dû nous incliner devant la majorité, surtout parce que le coup du texte a souvent été préconisé par nous}) 6... Be7 ({Le PD (d6) noir empêchant la sortie naturelle du F à 4FD (Bc5), nous considérons que la défense usuelle est, dans la position présente, plus rationnelle :} 6... g6 7. Nbd2 Bg7 8. Nf1 O-O 9. Be3 h6 10. Qd2 Kh7 {et la position du FR noir (Bg7) permettra plus tard de continuer par d5 et d4}) 7. Nbd2 O-O 8. Nf1 Nd7 ({S'ils jouaient :} 8... d5 9. Bxc6 bxc6 10. Nxe5 {et malgré l'attaque des Noirs de} Bd6 {les blancs parviendront toujours à garder le Pion de plus, ou à rendre le Pion en s'assurant une partie supérieure.}) ({S'ils jouaient d'abord} 8... b5 9. Bb3 { ou 9.Bc2} d5 10. Qe2 {suivi de P.4TD (a2-a4) avec une très grande supériorité du côté de la Dame. C'est sans doute pour éviter ces conséquences que le Comité de Vienne a adopté le coup du texte, pensant que les Blancs seraient forcés d'empêcher l'avance du P à 4FR (f7-f5) par Ne3 ou Ng3, alors Nb6 donnait aux Noirs une bonne position; Avec la continuation jouée par le Comité de Paris, le coup du texte devait coûter la partie aux Noirs.}) 9. Be3 f5 10. exf5 ({Si au lieu de prendre le Pion tout de suite, les Blancs faisaient échec avec le Fou, les adversaires obtiendraient une bonne position, exemple :} 10. Bb3+ Kh8 11. exf5 Nf6 $1 12. Ng3 Ng4 {mieux}) 10... Rxf5 ({Si maintenant} 10... Nf6 11. Ng3 Ng4 12. Bxc6 bxc6 13. Qa4 {gagnant un Pion}) 11. Bb3+ ({La continuation suivante serait mauvaise :} 11. d4 exd4 12. Bxc6 dxe3 13. Nxe3 Rf4 14. Bxb7 Bxb7 15. Qb3+ Kh8 16. Qxb7 Rb8 17. Qxa6 (17. Qc6 Rb6 {regagnant le Pion}) 17... Nc5 18. Qf1 ({si} 18. Qe2 Rxb2 {gagnent}) (18. Qa3 Ra8 {et gagnent }) (18. Qa5 Ra4 {et gagnent}) 18... Rxb2 {et gagneront}) (11. Bxc6 bxc6 12. d4 e4 13. Ng3 Rb5 {etc}) 11... Kh8 12. h4 {Voilà le coup que n'avaient pas prévu les Noirs, lorsqu'au 8ème coup ils ont retiré leur N en d7. Le coup du texte donne aux Blancs un avantage suffisant pour gagner la partie} Qe8 {Le meilleur} (12... h6 13. Ng3 Rf8 14. Ng5 Qe8 15. Ne6 {et gagnent}) (12... Rf8 13. Ng5 Qe8 14. Ne6 {et gagnent}) 13. Ng5 Nc5 {La seule défense} (13... Nb6 14. Bxb6 cxb6 15. Ne3 {suivi de Qc2 menaçant d3-d4 pour forcer les Noirs à jouer g7-g6 et pouvoir alors continuer l'attaque par h4-h5}) (13... Nf8 {l'échange serait perdu par} 14. Ng3 Rf6 15. N3e4 Rf5 16. g4 {etc}) 14. Bd5 {Coup faible comme nous le démontrerons par la note suivante} ({Le coup} 14. Bc2 {aurait été dangereux à cause de} d5 (14... Nd4 15. cxd4 {suivi de b2-b4 et gagnerait}) 15. d4 exd4 16. cxd4 (16. Bxf5 Bxf5 17. cxd4 Nd3+ {et gagneraient} ({ou} 17... Nb4) ) 16... Ne4 17. Nxe4 (17. Bxe4 dxe4 18. Nxe4 Bb4+ 19. Nc3 Rd5 {mieux}) 17... dxe4 18. Ng3 Bb4+ {et les Blancs ont une position inférieure, ils sont déroqués et leurs pions sont non seulement mal placés, mais le PD (d4) sera difficilement défendu}) ({Le coup juste que nous avons proposé est} 14. Bxc5 dxc5 ({Si} 14... Bxg5 15. Ng3 dxc5 (15... Rf8 16. Bxd6 cxd6 17. hxg5 {et gagnent}) 16. Nxf5 Bxf5 17. hxg5 e4 18. Qe2 exd3 19. Qxe8+ Rxe8+ 20. Kd1 Re2 ({ ou} 20... Ne5) (20... b5) 21. Re1 {suivi dans certains cas de Kd2 et gagneront} ) 15. Ng3 Rf8 16. Bd5 {rentrant dans le texte avec une partie gagnée. L'un des membres du Comité M. Chamier étant malade a aussi recommandé ce coup de 14. Bxc5 par lettre, mais étant absent au moment de la délibération, n'a pu voter avec nous et MM. Clerc et Arnou de Rivière ont préféré le coup du texte. Celui-ci ayant été proposé peu de temps avant le moment où la dépêche devait partir de Paris, nous n'avons pu en démontrer immédiatement la faiblesse à nos contradicteurs, mais nous avons inséré la protestation suivante dans le registre des procès-verbaux de nos séances : "Je proteste contre le coup 14. Bd5, considérant que ce coup est inférieur à 14.Bxc5 que j'ai proposé, coup donnant aux Blancs une partie gagnée ainsi que le démontre l'analyse que j'ai annexée à la fin du livre des procès-verbaux" (24 juin 1884, Rosenthal)}) 14... Rf8 ({Nous ne partageons pas la manière de voir du Comité de Vienne qui a jugé ce coup le meilleur puisqu'il l'a adopté. Nous aurions cherché à profiter du coup précédent des Blancs pour sortir de la mauvaise position actuelle en jouant} 14... Bxg5 15. hxg5 (15. Bxc6 Qxc6 16. hxg5 Qxg2 17. Qh5 (17. Ng3 Rf3) (17. Rh2 Qd5) 17... Nxd3+ 18. Kd2 (18. Kd1 Qf3+) (18. Ke2 Rxf2+ 19. Kxd3 {forcé } Bf5+ {et mat en peu de coups}) 18... Rxf2+ 19. Bxf2 ({Si} 19. Kxd3 {par} Bf5+ {l'on rentre dans l'une des variantes du coup précédent}) 19... Qxf2+ 20. Kxd3 (20. Qe2 Qxe2+ 21. Kxe2 Nf4+ {mieux, les Noirs ont trois pions pour l'échange}) 20... Bf5+ 21. Kc4 b5+ 22. Kb4 (22. Kb3 Qc2+ {et mat le coup suivant}) (22. Kd5 Qc5#) 22... Qxb2+ {et mat le coup suivant}) 15... Be6 ({Ils ont ici une autre défense} 15... Ne7 16. Bf3 Rf8 {qui offre beaucoup de ressources aux Noirs} ({ ou} 16... Qb5)) 16. Bxe6 (16. Bf3 Bg8 {Les Noirs sont sortis de tous dangers}) (16. Bxc6 Qxc6 17. Qh5 Bg8 {etc.}) 16... Nxe6 (16... Qxe6 {peut être également joué. Si} 17. Qh5 Qg8 18. Ng3 Nxd3+ {suivi de Nf4}) 17. Ng3 Rf8 18. Qh5 {seule attaque évidente; si tout autre coup les Noirs joueraient Nf4} Qxh5 19. Rxh5 Nf4 20. Bxf4 exf4 21. Ne4 d5 22. Nd2 Rae8+ {partie facilement défendable}) 15. Bxc5 dxc5 16. Ng3 ({Dans plusieurs variantes ce Cavalier à 3R (Ne3) serait plus fort, mais Paris a voulu éviter la continuation suivante :} 16. Ne3 Nd4 17. Be4 (17. cxd4 exd4 18. Nf7+ Rxf7 19. Bxf7 Qxf7 {et malgré l'avantage de Tour contre Fou et Pion, les Noirs auraient une position supérieure avec leurs deux Fous. Les blancs ne pouvant roquer ni d'un côté ni de l'autre.}) 17... Nf5 18. g4 (18. Nxh7 Kxh7 19. g4 g6 {mieux}) (18. Nxf5 Bxf5 19. Bxb7 Rb8 20. Bxa6 Qc6 21. Bc4 Bxg5 22. hxg5 Qxg2 {mieux}) 18... Nxe3 19. fxe3 {et les Noirs peuvent jouer Bxg5 suivi par g7-g6 ou immédiatement} g6 {car le sacrifice} 20. Nxh7 {n'a aucune valeur à cause de} Kxh7 21. h5 Kg7) 16... Bd7 (16... h6 17. Qa4 {menaçant Qe4}) (16... g6 {serait dangereux à cause de l'avancement, plus tard du Pion à 5TR (h4-h5)}) 17. Qe2 Rf4 {Forcé pour éviter Qe4} 18. Be6 $2 ({ Le coup le plus simple et tout à fait suffisant est ici} 18. O-O-O {qui maintient intégralement l'attaque avec une bonne position;}) ({seulement après de longues recherches, nous avons trouvé que} 18. Qh5 {assurait non seulement une bonne opsition, mais donnait sûrement une partie gagnée. L'analyse que nous donnons plus loin, ayant été communiquée à nos collaborateurs, le télégramme et la lettre confirmative de l'envoi du coup étant même signés de M. Clerc et de moi, nous avons cru pouvoir quitter Paris pour un voyage urgent de quelques jours. Toutefois, comme ce coup était le dernier à jouer avant les vacances et que nos adversaires avaient deux mois pour répondre, nous avons pensé qu'il fallait ne l'envoyer que le dernier jour du délai, c'est-à-dire le lundi 21 juillet 1884, pour le cas où quelques variantes douteuses seraient découvertes et nous avons laissé notre adresse pour recevoir les observations qui pourraient être soulevées par nos collaborateurs. En effet, nous avons reçu plusieurs lettres et même télégramme où nous étions consultés sur 18.0-0-0 préféré par nos collaborateurs; nous avons répondu par plusieurs variantes et finalement nous avons maintenu notre coup de 18.Qh5. A notre grand étonnement, le dimanche soir, 20 juillet, nous avons reçu un avis de M. le comte de Tamisier, secrétaire du Cercle, nous informant que MM. Arnous de Rivière, Chamier et Clerc avaient envoyé 18.Be6, coup dont il n'avait jamais été question et sur lequel, par conséquent, nous n'avons pas été consulté. Immédiatement, nous sommes revenus à Paris et nous avons protesté de la manière suivante sur le registre des procès-verbaux. "Je proteste contre ce coup que je considère comme dangereux et pouvant amener la perte de la partie. Je joindrai une analyse prouvant que Qh5 gagne". (21 juillet 1884. Rosenthal)} Qxh5 (18... h6 19. Nf7+ Kh7 20. Ne4 Bf5 (20... Bg4 21. Neg5+ Bxg5 22. Nxg5+ Kh8 23. Qxe8+ Rxe8 24. Ne4 {et gagnent}) 21. Nfg5+ Kh8 22. Qxe8+ Rxe8 23. g3 Bxe4 24. Nxe4 Rff8 25. Bxc6 {et gagnent}) 19. Nxh5 Bxg5 20. hxg5 Rf5 (20... Rff8 21. Nf6 gxf6 22. g6 {et gagnent}) 21. Be4 (21. Ng3 {suivi de Ne4 donne également un grand avantage aux Blancs}) 21... Rxg5 (21... Kg8 {NDA défense proposée par Vienne} 22. Ng3 Rxg5 23. Rxh7 Kf7 24. Ke2) 22. Nf6 gxf6 23. Rxh7+ Kg8 24. Rxd7 Rg7 25. Rxg7+ Kxg7 26. Bxc6 (26. O-O-O {suivi de Bxc6 ou Rh1 et d3-d4 ensuite gagnerait de même la partie}) 26... bxc6 27. Rd1 {suivi de d4 ou Ke2 suivant le cas et gagnent. Il y a quelques mois, nous avons eu la visite à Paris de deux membres du Cercle de Vienne, lesquels ont convenu avec nous que l'analyse ci-dessus était en effet gagnée par les Blancs, mais que Vienne n'aurait pas adopté la défense telle que nous l'indiquons, c'est à dire après 18.Qh5 Qxh5 19.Nxh5 Bxg5 20.hxg5 Rg4 21.Be4 les noirs auraient joué Kg8 au lieu de Rxg5 Dans ce cas nous aurions continué 22.Ng3 Rxg5 23.Rxh7 Kf7 et, sans approfondir la position actuelle, nous pensons que 24.000 ou 24.Ke2 serait suffisant à assurer le gain de la partie. En résumé notre conviction sur la valeur du coup 18.Qh5 est telle que nous sommes prêts à jouer contre n'importe qui, dans les mêmes conditions qu'avec Vienne, en donnant la nullité comme gagnée. Il est bien entendu que la position serait prise après 18.#h5 et que nous ne serions pas engagés à suivre les coups que nous indiquons dans l'analyse sommaire ci-dessus.}) 18... Rd8 ({Si} 18... Bxg5 19. Bxd7 Qxd7 20. hxg5 Qg4 21. Qxg4 Rxg4 22. Rh5 g6 23. Rh6 Rxg5 24. Ne4 Rf5 25. g4 Rf7 26. Nxc5 {partie égale } ({ou} 26. g5)) 19. N3e4 {Par suite d'incidents survenus entre le Comité du Cercle des Echecs de Paris et MM. Arnous de Rivière, Chamier et Clerc pour le coup précédent, ces trois Messieurs ont donné leur démission et nous avons été chargé de la continuation des deux parties avec le concours des plus forts amateurs du Cercle. Ici, en présence de la position difficile pour nous de l'autre partie, nous avons pensé que nous ne pouvions sauver le match qu'en maintenant l'attaque dans la présente partie, même au prix du sacrifice d'un pion. Les trois suites que nous pouvions choisir pour garder l'égalité numérique nous ont semblé plus désastreuses que le texte ! exemple :} (19. O-O-O Bxg5 {et gagnent}) (19. Bb3 Qg6 {mieux}) (19. Bxd7 Qxd7 20. O-O-O Qd5 21. Kb1 b5 {Ils ont une forte attaque avec les pions du côté de la dame et les Blancs n'ont rien à espérer de :} 22. Qh5 h6 23. Qg6 hxg5 24. hxg5+ Kg8 25. Qh7+ Kf8 {et gagnent}) 19... Bxg5 20. Bxd7 Qxd7 21. hxg5 Qxd3 22. Qxd3 ({Si} 22. f3 Kg8 {rentrant dans le texte}) 22... Rxd3 23. Ke2 {Nous avons longtemps cherché les conséquences de 23.Nxc5 et voici les raisons qui nous ont fait définitivement écarter ce coup.} (23. Nxc5 Rd5 24. b4 (24. Ne6 Re4+ 25. Kf1 Rd6 26. Nxc7 (26. Nf8 h6 {et le Cavalier serait perdu}) 26... Rc4 27. Na8 {si tout autre coup Ne7} Rd8 {et gagnent}) ({Evidemment si} 24. Nxb7 Rb5 {gagnerait le Cavalier}) 24... a5 25. a3 b6 ({Si les Noirs ne ovulaient pas se contenter de la nullité, ils pourraient adopter une autre variante très dangereuse pour les Blancs :} 25... Rg4 26. Ne6 Rd6 {avec grande supériorité de position.}) 26. Ne6 Re4+ 27. Kf1 Rd6 ({Encore ici ilspeuvent joueur} 27... Rd3 28. Rh3 Rxh3 29. gxh3 Rc4 {avec avantage}) 28. Nxc7 Rd7 (28... Rg4) (28... Rd3 {donnerait de grandes difficultés aux Blancs}) 29. Nb5 (29. Na6 Rc4) 29... Rd5 30. Nc7 { partie nulle. Les Noirs ayant la faculté de choisir soit la nullité sûre, soit des variantes qui leur donnaient avantage de position, et l'autre partie du match étant toujours très difficile à défendre pour Paris, l'adoption de cette variante aurait compromis le match. Nous avons pensé que le coup du texte donnait aux Blancs plus de chances de nullité et même quelques espérances de gain.}) 23... Rd5 (23... c4 {qui semble un excellent coup, ferait perdre la partie par :} 24. Nc5 Rd5 (24... Rd6 25. Rhd1 (25. Nxb7 Rd5 26. g6 Rb5 27. Rxh7+ Kg8 28. Rah1 Rxb2+ 29. Ke3 Kf8 {mieux}) 25... Rg6 (25... Rxd1 26. Rxd1 {suivi de Nxb7 ou Ne6 et gagneront}) 26. Nxb7 Rxg5 27. Nd8 Ne7 ( 27... Re4+ 28. Kf3 Rf4+ 29. Ke3) 28. Ne6 {et gagnent}) 25. Ne6 Rf5 26. g4 Rf7 27. g6 Re7 (27... Rf6 28. Rxh7+ Kg8 29. Rxg7+ Kh8 30. Rh1#) 28. Rxh7+ Kg8 29. Rah1 {et le mat est inévitable en peu de coups.}) 24. f3 Kg8 25. Rh2 ({Si les Blancs avaient voulu éviter l'avancement du PFD (c5-c4) adverse par 25.b2-b3 la continuation aurait été} 25. b3 b6 26. Rh2 Rf8 27. Rah1 Ne7 28. Rxh7 Ng6 29. g3 Rfd8 {Suivi de l'avancement des PTD (a6-a5) et PCD (b6-b5); les Noirs se feront un pion passé du côté de la Dame avec une partie gagnée, tandis que, lorsque le PCD (Pion b) n'a pas été bougé, les quatre pions contre trois du côté de la Dame n'ont aucune supériorité.}) ({et si} 25. Rad1 Rxd1 26. Rxd1 b6 27. Ke3 {les coups 27.Ng3 ou 27.Nf2 ne seraient qu'une interversion de coups de la présente variante.} Rf7 28. Ng3 (28. Nf2 Re7 29. Ke4 Kf7 30. Kd5 Nd8 { suivi de Kg6}) 28... Kf8 29. Ke4 g6 {si maintenant la Tour blanche quitte la ligne de la Dame pour permettre au Roi blanc de venir à 5D (d5), la Tour noire joue à 2D (d7) menaçant Rd7. Si les Blancs jouent tout autre coup, les Noirs continuent par Re7, Kf7 et Ke6, et nous estimons que le gain de la partie sera facile pour les Noirs.}) 25... c4 26. g3 Rf8 27. Rah1 Rb5 28. Ke3 ({si} 28. b4 cxb3 29. Rxh7 Ne7 {et gagnent}) (28. Rxh7 Rxb2+ {et gagnent car les Blancs ne peuvent répondre 29.Ke3 à cause de Ne7 menaçant du mat}) 28... Rd8 ({Le gain de la partie aurait été plus rapide par} 28... Ne7 29. Rd2 {forcé} (29. Rxh7 Rxb2 {et gagnent}) 29... Rd5 {etc.}) 29. b4 {Le coup précédent des Noirs a permis aux Blancs de compliquer la position par ce coup} (29. Rxh7 Rd3+ {et gagnent}) 29... cxb3 30. axb3 Kf7 (30... Rxb3 31. Rxh7 Kf7 {forcé pour empêcher g7-g6} 32. R1h6 Ne7 (32... Kg8 33. g6 Rxc3+ 34. Nxc3 gxh6 35. Ne4 Rf8 36. Rxc7 Nd8 37. Re7 {et gagnent}) (32... Rg8 33. Rf6+ Ke8 34. Re6+ Kf8 35. g6 {mieux}) 33. g6+ Nxg6 34. Ng5+ Kf6 35. Ne4+ {partie nulle}) 31. Rxh7 Kg6 32. Rh8 Rxb3 33. Rxd8 Nxd8 34. Rd1 Nc6 {Très joli coup qui assure le gain de la partie. S'ils avaient joué Ne6 la nullité était probable} 35. Kd3 {Nous considérons ce coup comme le seul qui puisse encore défendre la partie} Rb5 36. Kc2 a5 37. g4 a4 38. Ra1 Ra5 39. Kb2 Ra8 40. Ka3 Na5 41. Kb4 b6 42. Rd1 (42. Rxa4 Rf8) 42... Nb7 43. Ka3 Nd6 44. Nxd6 Rd8 45. Kxa4 Rxd6 46. Re1 Rd5 47. c4 Rc5 48. Kb3 Kxg5 49. Rd1 Kf4 50. Rd7 Kxf3 51. Rxg7 Kf4 52. g5 Kf5 {Ce coup a été joué après les vacances de 1885; nous sommes surpris qu'après un délai de six semaines les joueurs de Vienne n'aient pas adopté la continuation suivante qui donne le gain immédiatement} (52... Rc6 53. Kb4 Kf5 54. Kb5 Re6 55. Rxc7 e4 56. c5 bxc5 57. Rxc5+ Kf4 {et gagnent}) 53. Kc3 b5 54. Kb4 Rxc4+ 55. Kxb5 Rg4 56. Rxc7 Kxg5 57. Re7 Kf6 58. Re8 Rd4 59. Kc5 Rd1 60. Kc4 Kf5 61. Kc3 Kf4 62. Kc2 Rd7 {Les Blancs abandonnent} 0-1 [Event "Par correspondance 1884 / 1885"] [Site "?"] [Date "1884.??.??"] [Round "?"] [White "Vienne"] [Black "Cercle de Paris"] [Result "0-1"] [ECO "E14"] [Annotator "S.Rosenthal Monde Illustré La Stratégie 12/18"] [PlyCount "123"] 1. c4 {Ce début donne au premier joueur, pendant fort longtemps, une position égale, c'est-à-dire sans avantage apparent, mais aussi sans désavantage; il donne des parties très longues et terre à terre. Excellent à jouer dans les parties de match par les joueurs qui ne craignent pas la fatigue contre des adversaires nerveux, nous le désapprouvons dans une partie par correspondance, car la fatigue ne peut entrer en ligne de compte et le résultat est pour les Blancs de leur faire perdre l'avantage du trait} e6 2. d4 d5 3. Nf3 {Le début étant devenu un Gambit de la Dame refusé, ce coup est le meilleur} Nf6 4. Nc3 Be7 5. e3 O-O 6. Be2 b6 7. O-O Bb7 8. b3 Nbd7 9. Bb2 c5 10. Bd3 Ne4 11. cxd5 Nxc3 ({Le coup que nous avons proposé ici, qui est certainement bien supérieur au coup du texte est} 11... exd5 {Mais la majorité du Comité de Paris, considérant que déjà l'autre partie du match était gagnée, a voulu simplifier la position et ne chercher que la nullité qui était suffisante pour gagner le match.}) 12. Bxc3 Bxd5 13. e4 Bb7 14. Re1 cxd4 15. Bxd4 Bc5 16. Bb2 Qe7 17. a3 a5 18. Qe2 Rfd8 {Ce coup a été joué après les vacances de 1884, c'est-à-dire après la démission de MM. Arnous de Rivière, Chamier et Clerc. Le Cercle des Echecs de Paris a confié la direction des deux parties à M. Rosenthal avec la collaboration des plus forts amateurs du Cercle.} 19. a4 Nf8 20. Bc1 h6 21. Be3 Bxe3 22. Qxe3 Nd7 23. Bc4 Nc5 24. Nd2 {Le coup du texte est désastreux; il coûte un pion et par conséquent la parite. Les Blancs avaient déjà une position inférieure.} Rd7 25. Nf3 Bxe4 26. Ne5 Rdd8 27. Qf4 Bb7 28. Be2 Nd7 29. Ng4 Nf6 {Après de longues recherches, le Comité de Paris s'est convaincu que, malgré le pion de plus, le gain de la partie ne serait assuré que lorsque l'on sera parvenu à échanger les Dames et les Cavaliers en même temps. Tant que les adversaires ont leur Cavalier, ils peuvent attaquer nos pions du côté de la Dame et rendre le gain très difficile; le cavalier supprimé, ces pions deviennent inattaquables et le Fou contre le Fou donne une partie facilement gagnée, car l'échange de ces deux pièces aura pour résultat de désunir les pions blancs.} 30. Ne5 Rac8 31. Rac1 Nd5 32. Qg3 Qf6 33. Bc4 Qf4 34. Qh3 Rd6 35. Rcd1 Rcd8 36. Rc1 Nf6 37. Qg3 Qxg3 38. hxg3 Nd7 39. Nxd7 R6xd7 40. Bb5 Rd2 41. Rc7 Bd5 42. Rc3 Rb2 43. Rd1 g6 44. g4 Kg7 45. Rdd3 Rf8 46. Re3 f5 47. Bd7 f4 48. Red3 Rb1+ 49. Kh2 Kf6 50. Bb5 Rg8 51. Rd4 g5 52. Bc4 Rc8 53. f3 Bxc4 54. Rdxc4 Rxc4 55. bxc4 Rb4 56. c5 bxc5 57. Rxc5 Rxa4 58. Rc7 Rb4 59. Rh7 Rb6 60. Ra7 Rb5 61. Ra6 Ke5 62. Kh3 {Vienne a envoyé le coup 62.Kh3 et presqu'en même temps est arrivée à Paris la proposition d'annuler le match par l'abandon d'une partie par chaque camp. Avant de terminer nos remarques, nous croyons devoir démentir le bruit qui a couru pendant le cours des parties que M. Englisch avait donné sa démission; aucun membre du Comité de Vienne n'a déserté la lutte. (Monde Illustré)} 0-1

mardi 14 juillet 2020

Photographie de Serafino Dubois

Fin mai, j'ai publié sur ce blog un article intitulé "Serafino Dubois, un italien à la Régence".
Pour illustrer cet article je mettais une photo de mauvaise qualité représentant Serafino Dubois.


Frank Hoffmeister m'a signalé la collection, de photographies de joueurs d'échecs, accessible en ligne sur le site de la bibliothèque numérisée de Cleveland aux USA.

Et parmi ces photographies s'en trouve une de Serafino Dubois de bien meilleure qualité que voici :


Celle-ci n'est malheureusement pas datée.
Mais cette photographie est attribuée à Jacobus van Gorkom (jr.), photographe Hollandais.
Dubois se rend aux Pays-Bas en 1863/1864.
Il est raisonnable de penser que la photographie date de cette époque.
Serafino Dubois a alors 46 ans.

samedi 11 juillet 2020

L'Échiquier Français

Fin 1902, une association de joueurs d'échecs, L'Union Amicale des Amateurs de la Régence (U.A.A.R.), est créée au Café de la Régence. Nous sommes un peu plus d'un an après le vote sur la loi 1901 relative aux associations. Et l'U.A.A.R. constitue un embryon de Fédération Française de joueurs d'échecs.

En 1906, l'U.A.A.R. commence la publication d'un bulletin, l'Échiquier Français, jusqu'en 1909 (voir ci-après). Le président de L'U.A.A.R., Eugène Deroste qui savait apaiser les conflits, décède le 5 novembre 1917.

Quelques mois plus tard, le divorce entre les joueurs d'échecs du Café de la Régence et le propriétaire des lieux, Lucien Lévy, est consommé (voir cet article puis celui-ci). 

Alphonse Goetz 
Biographie à découvrir sur le site de D.Thimognier "Héritage des Échecs Français"

Alphonse Goetz, probablement le meilleur joueur français de l'époque, a alors ces mots assez durs (La Stratégie - juin 1918) :
 
"(...) La scission qui vient de se produire est, à mon avis, la conséquence de la fondation, en 1902, de l’UNION AMICALE DES AMATEURS DE LA RÉGENCE. J’ai toujours pensé que cette constitution, faite sous l’empire de la jeune vogue de la loi de 1901 sur les associations, a été une erreur. Favorable aux seuls habitués, le régime ainsi institué lésait manifestement le propriétaire, qui n’était plus maître chez lui.(...)"

Mais revenons au bulletin de l'U.A.A.R.

Donc celui-ci s'intitule "L'Échiquier Français". A ne pas confondre avec la revue "Les cahiers de l’Échiquier Français" publiée de 1927 à 1937, ni avec "L’Échiquier de France" (1956-1958). 

L’Échiquier Français - Mars 1908 - Source Etienne Cornil

Louis Mandy publia un article intéressant sur ce bulletin de l'U.A.A.R. que vous pouvez lire ci-dessous.
Comme pour la Stratégie, la collection à peu près complète de "L'Échiquier Français" est consultable à la BNF, mais n'est pas encore numérisée.

Je remercie tout particulièrement M. Dominique Thimognier de m'avoir envoyé un exemplaire scanné de ce bulletin rarissime. Exemplaire que vous pouvez consulter à la fin de l'article.
 

L'Échiquier de France - Juin 1956 - Louis Mandy

Les Amateurs d'Échecs de la Régence, groupés en Union Amicale depuis le 5 décembre 1902, "avaient pensé qu'un journal mensuel serait un excellent outil de propagation" et ils avaient décidé de la publication sous le nom de "L'Échiquier Français". Créée en janvier 1906, cette revue devait subsister jusqu'en décembre 1909, soit donc durant quatre années entières.

Son programme ne différait guère de celui de toutes les revues d'échecs, à savoir qu'elle proposait de publier les plus belles parties des membres de l'U.A.A.R., des Cercles de Paris, de la Province et des Colonies françaises; des problèmes et études de fins de parties, surtout inédites et composées par des Français; des conseils et des leçons sur les principes élémentaires à l'usage des débutants; enfin, les nouvelles échiquéennes de la France et de l'Étranger.

Douze pages en moyenne étaient prévues mensuellement. L'Union Amicale distribuait sa revue gratuitement à ses membres dont la cotisation annuelle s'élevait, à l'époque, à douze francs. Quant aux amateurs étrangers à l'U.A.A.R, le prix de l'abonnement avait été fixé à 2 francs par an. Même en 1906, ce n'était pas ruineux. Pour le lecteur, s'entend. Pour l'Association, c'était une autre question.

Tout comme ses devanciers, "L’Échiquier Français" comptait sur une marée d'équinoxe d'abonnés qui lui aurait permis de former un jour une Fédération Française des joueurs. La gestation de cette dernière devait toutefois demander encore quelque quinze ans.

Enfin, regrettant la période révolue des grands joueurs français, déplorant que le goût des Échecs ne soit pas plus répandu et pensant que c'était là simple défaut d'organisation, il concluait qu'il y avait lieu de remédier à un tel état des choses, d'où la magnifique péroraison de sa profession de foi, empreinte d'un si bel optimisme : " Ce sera l'oeuvre de l'Échiquier Français !". Généreuse illusion. L'amère réalité devait se charger bien vite de rogner les ailes de cet enthousiasme.

La revue, de format 140 x 195mm, se présentait élégamment, sous couverture généralement chamois, 
parfois rose - teinte de l'avenir rêvé - ornée, au-dessous de son titre, d'une fort belle gravure représentant chez deux joueurs face à l'échiquier la classique opposition de la joie du vainqueur et du sourire contraint du perdant. Au premier plan, deux personnages assis; à l'arrière-plan, deux autres debout, tous s'esclaffant à la vue de la partie qui s'achève. Costumes et perruques de l'époque de la Régence.

Entête de menu du Café de la Régence en 1916.
Dès 1914 (voire avant ?) le propriétaire Lucien Lévy utilise ce dessin pour ses menus.

Ses rédacteurs sont restés anonymes. On peut cependant supposer que le secrétaire de l'U.A.A.R., M. Davril, assumait la rédaction de la Revue, aidé peut-être par M. Victor Place et, sans doute, en ce qui concerne la partie "problèmes", par Fred Lazare et Edouard Pape.

Le premier numéro s'ouvre sur le portrait de Philidor, tiré de l'"'Analyse", édition de 1803. La Revue publia, en feuilleton, une très intéressante "Monographie du Café de la Régence". Fred Lazare y inséra ses premières œuvres. On y trouve un certain nombre de problèmes d'Edouard Pape et de Pradignat, et de nombreuses études du Comte Jean de Villeneuve-Esclapon. 

La première année donna plus qu'elle n'avait promis. Sur douze numéros, on dénombre quatre fascicules de 16 pages, cinq de 12, un de 24 et un double de 28 pages. La seconde année également, puisque neuf fascicules eurent 16 pages, contre trois seulement ayant les 12 pages réglementaires. Par contre, la troisième année marque un léger fléchissement : huit fascicules de 8 pages et deux doubles de 16 et 20 pages. Enfin, la dernière année offrit à ses lecteurs cinq cahiers de 12 pages, trois doubles de 16 pages chacun, puis la revue termina en beauté avec un fascicule de 16 pages.

En résumé, "L’Échiquier Français" avait promis 12 pages par numéro, soit, pour quatre années et quarante-huit fascicules, un total de 576 pages. Il en a donné 580, rendons hommage à sa correction.

Signalons encore que le numéro de décembre 1909, paru avec plusieurs mois de retard, porte en dernière page le mot "FIN". Ce fait, assez rare, mérite d'être signalé. Combien y-a-t-il de revues françaises qui ont ainsi marqué le terme de leur existence et annoncé qu'elles cessaient de paraître ? A notre connaissance, cet exemple n'a guère été suivi que par "L’Échiquier de Paris", disparu en décembre 1955 et dont la dernière page porte ces trois lettres fatidiques.

On devine les causes qui ont provoqué la disparition de "L'Échiquier Français". Celui-ci écrit laconiquement : "Le but pour lequel la Revue a été créée par quelques amateurs n'a pas été atteint à leur satisfaction."  Traduisons ce courtois euphémisme: cette Revue, comme tant d'autres, a péniblement vivoté au milieu de l'indifférence endémique et notoire des amateurs d'échecs français, malgré les efforts non marchandés d'un noyau de rédacteurs désintéressés, jusqu'au jour où les bilans régulièrement et largement déficitaires ont lassé les meilleures volontés et imposé un terme aux sacrifices consentis.

Il n'y a, hélas ! rien de nouveau sous le soleil échiquéen de notre pays.

dimanche 5 juillet 2020

Henri Delaire

Henri Delaire est le troisième et dernier gérant de La Stratégie, revue échiquéenne d'exception, mais également le premier président de la Fédération Française des Échecs (fondée le 19 mars 1921 - A ce sujet l'année prochaine ce sera le centenaire de la FFE...).

Henri Delaire est à gauche sur la photo parue en 1902 dans Le Monde Moderne).

A ce jour malheureusement seuls quelques numéros sont numérisés et disponibles sur internet.Mais toute la collection ou presque de La Stratégie est consultable à la BNF François Mitterrand à Paris.


Fondée en 1867 par Jean Preti, reprise en 1881 par son fils Numa Preti, c'est Henri Delaire qui complète ce trio pour la période allant de 1908 à 1940. Trois quarts de siècle, une durée de vie exceptionnelle pour une revue d'échecs, et de toute son existence, La Stratégie fut indissociable du Café de la Régence.

A la fin des années 1930, la parution de La Stratégie se complique. Par exemple un appel est lancé en 1938 :

Editorial - Le grand âge de notre gérant l'obligera bientôt à renoncer définitivement à la rédaction de LA STRATEGIE qu'il dirige depuis 1908 (troisième série). Aussi devons-nous faire un pressant appel à tous, fidèles abonnés, lecteurs, associations et amis des Échecs pour nous aider à pourvoir à bref délai à son remplacement, soit en se proposant eux-mêmes, soit en nous désignant le candidat à même d'assumer, pendant longtemps, la direction de notre revue nationale quasi séculaire.

Aucun candidat n'est trouvé malheureusement, et voici l'éditorial du numéro de septembre-octobre 1939, la fin approche.

Pour quelle raison les publications d'échecs étaient-elles interdites ?

EDITORIAL 
Conformément à l'interdiction absolue par la censure militaire de publier tout article sur les Échecs, nous avons dû suspendre la parution de notre revue fin septembre. L'autorité militaire autorisant aujourd'hui à titre tout à fait exceptionnel et en raison de son ancienneté notre revue spéciale, nous la reprenons avec les N°9 et 10, les N°11 et 12 suivront à court délai: toutefois en raison des graves événements que nous traversons durant lesquels l'activité échiquéenne sera forcément moindre partout et dans tous les domaines, lecteurs a abonnés comprendront que notre périodicité mensuelle devienne bimestrielle jusqu'à la fin des hostilités.

30 novembre 1939 

L’Échiquier de Paris - mai-juin 1949

J'ai déjà eu l'occasion de présenter Jean Preti et son fils Numa Preti, mais pas encore d'Henri Delaire.
Voici un extrait de l'article de l'échiquier de Paris (mai-juin 1949) à son sujet : 

Par Jean Buchet

Une « communication » de la Fédération Française des Échecs fut consacrée à Henri Delaire à sa mort en 1941, mais, par suite des circonstances, elle n'eut qu'une faible diffusion. L'Échiquier de Paris pense donc faire oeuvre utile en redonnant le texte de cette notice nécrologique rédigée par M. Gustave Lazard.



« Henri Delaire, le directeur de La Stratégie, le premier président, et en quelque sorte, le fondateur de la Fédération Française des Échecs, vient de mourir. Il s'est éteint dans sa 82ème année, le 27 septembre 1941, après un rapide et brusque déclin de ses forces. Henri Delaire, né le 16 août 1860, dans un petit village picard, s'en vint de bonne heure à Paris. Il s'initia aux échecs dès l'adolescence et ne tarda pas à acquérir dans leur pratique une certaine virtuosité.

Enthousiaste et entreprenant, il possédait à un haut degré les qualités d'un animateur et d'un organisateur. Dès 1889, il fonda avec le concours de quelques amis un groupe qui adopta pour ses réunions le Café du Cercle, aujourd'hui disparu, au 59 du boulevard Magenta et s'intitula « Cercle Magenta ». Une contribution de cinq centimes par partie alimentait la caisse de cette association.

Heureux temps ! Le « Cercle Magenta » organisait des tournois. Des séances de parties simultanées ou « sans voir » y furent données par les praticiens de renom tels que Goetz, Taubenhaus, Mieses. Le vétéran Arnous de Rivière, que des parties mémorables contre Morphy ont immortalisé dans les annales du Noble Jeu, s'y montrait fréquemment. C'est également au « Cercle Magenta » que Eugène Chatard, le promoteur d'un gambit devenu classique, fit ses premières armes. Henri Delaire se classa invariablement parmi les premiers dans les tournois de l'association.

En novembre 1895, le « Cercle Magenta » transporta ses assises au Café du Globe, boulevard de Strasbourg, et prit le titre de « Cercle Philidor ». Dès lors, Henri Delaire se donna avec un dévouement inlassable à la prospérité de ce nouveau regroupement dont il occupa la présidence effective pendant dix-huit années et qui devint avec la « Régence », le lieu de rendez-vous le plus fréquenté des amateurs d'échecs de Paris.

C'est grâce aux efforts de Henri Delaire que fut décidé, puis se disputa, en 1905, au « Cercle Philidor », le match fameux entre deux des plus grands maîtres de l'époque, Janowski et Marshall.

En 1903, profitant d'un séjour temporaire à Arcachon, Henri Delaire put organiser, avec l'appui du casino local un petit tournoi national d'amateurs qualifiés.

Article sur ce "championnat de France amateur" à lire en une du journal "L'avenir d'Arcachon" du dimanche 23 août 1903.
Sur Gallica ou bien sur le site Héritage des Échecs Français.

Ce fut une espèce de Championnat de France qui se disputa entre huit joueurs. Paris s'y trouvait représenté par trois participants, dont Henri Delaire et le regretté Silbert, décédé l'an dernier. Ils s'adjugèrent le premier et le deuxième prix ex æquo avec 13 points sur 14 possibles, chacun des vainqueurs ayant perdu une partie contre son concurrent.

En 1913, Henri Delaire, trop pris par la rédaction de La Stratégie, renonça aux fonctions présidentielles. On lui réserva le titre de Président d'Honneur du Cercle Philidor.

Jusqu'en ces tout derniers temps, on pouvait le rencontrer au siège de l'association chaque après-midi, penché sur un échiquier, son éternelle cigarette aux lèvres, se livrant avec prédilection aux complications de l' « Allgaier » dont cinquante années de pratique lui avaient révélé tous les secrets. Admirateur des praticiens de l'époque romantique des Échecs, il ne cachait point ses préférences pour la « vieille école », regrettait le temps des brillantes passes d'armes des maîtres d'autrefois et professait une cordiale aversion pour la partie du Pion Dame, trop froide et circonspecte à son gré.

La position de départ du gambit Allgaier.
Voir la très belle combinaison d'Henri Delaire via l'échiquier interactif à la fin de cet article.

C'est en 1908 que, succédant à Numa Preti, Henri Delaire prit en mains la publication mensuelle de la Stratégie. Il y déploya une inlassable activité et c'est par un labeur constant, que ne parvint point à décourager un résultat pécuniaire dérisoire, qu'il maintint l'existence de cette revue jusqu'en août 1940.
Seules les difficultés nées de l'état de guerre motivèrent l'arrêt de la publication.

La Stratégie, c'était pour Henri Delaire une espèce de sacerdoce. Il émit un jour cette boutade, accompagnée d'un sourire malicieux : « Peut-on concevoir la France sans La Stratégie ? ». La Stratégie, c'était pour lui un morceau d'histoire, c'était le maintien d'une tradition sacrée.

Ainsi, en dépit des années difficiles, de l'indifférence notoire des amateurs français pour les publications d'échecs, il poursuivait sa besogne sans faiblesse devant son petit bureau du Faubourg Saint-Denis encombré de diagrammes, de revues en toutes langues, d'épreuves à corriger, de problèmes à vérifier, traduisait les annotations russes, tchèques ou scandinaves dont il avait, par une longue pratique, saisi le vocabulaire, heureux d'accomplir un devoir, heureux de voir s'aligner sans une interruption depuis 1867 les volumes de la revue.

Et une vive inquiétude, une grande tristesse lui étaient venues au cours des dernières années devant les atteintes de l'âge et le déclin de ses forces : « Que deviendra La Stratégie quand je ne pourrai plus ? »

Qu'il nous soit permis en passant de faire justice d'assertions qui, à une certaine époque, ont présenté Henri Delaire comme un « rétrograde » uniquement préoccupé de questions de boutique. Rien n'était plus faux. Les maigres profits, tout juste suffisant pour vivre, que lui procuraient les abonnements et les ventes de livres et de jeux dans son petit magasin de la rue des Pyramides, ne permettaient pas la course aux risques et aux aventures.

Certains esprits, très entreprenants avec les deniers d'autrui, ne lui pardonnaient pas d'avoir, avec fermeté, refusé de se lancer dans des entreprises de publications qu'il jugeait trop onéreuses ou trop hasardeuses.


Henri Delaire, à côté de nombreux écrits de moindre importance, nous a laissé deux ouvrages appréciés : Le Traité-Manuel et les Échecs Modernes. Ce dernier est un chef-d'oeuvre de clarté et renferme, sous un volume restreint une documentation considérable, hautement intéressante.


Henri Delaire aura suivi son chemin tout droit, dans l'unique souci de ce qui lui tenait à cœur : La Stratégie et son cher « Philidor ». Et pourvu qu'il eût un échiquier et un paquet de cigarettes, il n'en demandait pas davantage à la vie.

S'il ne fut point un grand maître, son labeur ininterrompu, son ardeur de propagandiste auront plus
fait pour la cause des Échecs dans notre pays que les plus belles prouesses des « as » de l'échiquier.

Son aménité et sa droiture vaudront à son souvenir les regrets unanimes de ceux qui l'approchèrent.


[Event "Unknown"] [Site "Unknown"] [Date "1901"] [EventDate "1901"] [Round "?"] [Result "1-0"] [White "Henri Delaire"] [Black "NN"] [ECO "C39"] [WhiteElo "?"] [BlackElo "?"] [PlyCount "33"] 1. e4 e5 2. f4 exf4 3. Nf3 g5 4. h4 g4 5. Ng5 h6 6. Nxf7 Kxf7 7. d4 d5 8. Bxf4 Be7 9. g3 Nf6 10. Nc3 h5 11. Qd3 dxe4 12. Nxe4 Bf5 13. Ng5+ Kg6 14. Qxf5+ Kxf5 15. Bd3+ Ne4 16. Bxe4+ Kf6 17. Be5# 1-0