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vendredi 2 juillet 2021

Les membres du Cercle Philidor en 1925

Dans un précédent article, mis en ligne il y a quelques jours, j'ai publié quelques photos du Cercle Philidor provenant d'une monographie publiée en 1925 à des fins probables de propagande.
Ce document est consultable au fonds Mennerat à Belfort.

Cette monographie contient également la liste des membres en 1925 et il me semble intéressant de la publier, comme je le ferai plus tard pour la liste des membres en 1913 de l'Union Amicale des Amateurs de la Régence.

Fonds Mennerat - Belfort - Monographie du Cercle Philidor (avec la côte FM ASS 87)

Tout d'abord voici comment le Cercle Philidor se présente. 
A noter le nombre important de membres, près de 250, ce qui en ferait le plus gros club parisien de nos jours.
La description de l'organisation des tournois de blitz (partie-éclair) est intéressante. Il n'y a pas assez de pendules, alors peut-être un produit de luxe même si la photo du précédent article en montre quelques-unes, et donc chaque joueur est prévenu au bout de 5 secondes qu'il doit avoir joué son coup. 

LE CERCLE PHILIDOR

La situation centrale du Cercle Philidor, les nombreux moyens de communication qui le desservent (voir le plan spécial), un local plaisant et spacieux, les efforts du Comité pour y réaliser tous les perfectionnements possibles, justifient la prospérité d’une association qui, fondée depuis près de quarante années, constitue le plus ancien groupement de joueurs d’échecs existant dans notre pays.

Le nombre imposant de ses sociétaires – près de 250 actuellement – auxquels viennent s’ajouter les amateurs de passage dans la Capitale, permet à chacun d’y trouver des partenaires de sa force.

Les joueurs étrangers, en visite à Paris, reçoivent au Cercle Philidor l’accueil courtois qui est dans la tradition française et sont assurés d’y rencontrer des compatriotes parmi ses membres, où se voient représentées les nationalités les plus diverses.

Une salle spéciale y est réservée aux Séances de Maîtres, Matches, Assemblées Générales, Banquets, etc. Décorée de nombreux portraits, gravures, tableaux, souvenirs, se rattachant uniquement au jeu d’échecs, elle constitue un véritable musée, le seul de son espèce à Paris.

Une bibliothèque, renfermant, outre la collection complète de la Revue « La Stratégie », quantité de traités d’ Échecs et d’ouvrages en langue française, anglaise, allemande, italienne, arabe, est mise à la disposition des adhérents, pour consultation sur place.

L’attention du comité se porte tout particulièrement sur l’organisation d’épreuves destinées à entretenir l’émulation chez les sociétaires. Il assure la participation du Cercle Philidor à toutes les manifestations de propagande en faveur du jeu d’échecs et s’ingénie à procurer à ses membres toutes les satisfactions désirables dans le domaine du noble jeu : Séances de Maîtres en parties simultanées ou « sans voir », matches entre amateurs ou professionnels, fréquents tournois-éclair réglé à la cadence de 5 secondes par une sonnerie spéciale créée à cet objet. Tournoi Annuel doté de nombreux prix en espèces.

Du fait de son affiliation à la Fédération Française des Échecs, les Membres du Cercle Philidor ont la faculté de fréquenter gratuitement, à leurs passages éventuels dans certaines villes de province, les groupements affiliés à la FFE (…)

Sur une autre page du document se trouve la composition de ce que nous appellerions le bureau de l'association, à l'époque "le comité", ainsi que d'autres informations.


CERCLE PHILIDOR
(Association fondée en 1889)
Siège à Paris :
30, boulevard Bonne-Nouvelle (Xe)
Café de la Terrasse
Téléph. : CENTRAL 56-88

COMITÉ :

M. Gustave LAZARD - Président
M. Maurice VERDEAU - Vice-Président
M. Georges PAILLARD - Trésorier
M. Lucien FENARD - Trédorier-adjoint
M. Henri PERINELLE - Membre Consultant

PRÉSIDENTS D'HONNEUR

M. Henri DELAIRE - Fondateur de l'Association
M. Edmond COUTELIER - Ex-Président de l'Association

MEMBRES D'HONNEUR

M. Alexandre ALEKHINE
M. Alphonse GOETZ
M. David JANOWSKI
M. Marcel LAMARE
M. André MUFFANG
M. Savielly TARTAKOWER
M. Léonard TAUBER

RÉUNIONS JOURNALIÈRES
de 15 à 19 heures et de 21 heures à minuit

Pour ce qui concerne les DEMANDES D'ADMISSION, voir les Statuts de la Société.

Fonds Mennerat - Belfort
Devant l'échiquier - Croquis d'Isaac Fainstein
Henri Delaire et Victor Kahn

Et voici la liste des membres du Cercle Philidor en 1925.
J'ai repris les informations suivantes du document : le nom, prénom, date d'adhésion, adresse, information sur le joueur, et en allant à droite du tableau, visible en tirant le curseur, j'ai ajouté quelques commentaires ainsi qu'un lien vers Wikipedia ou vers les biographies remarquables de Dominique Thimognier (Héritage des Échecs Français).

Elle contient 245 noms, et curieusement il en manque au moins un, celui de Gustave Lazard, président de l'association (son frère Frédéric est présent).
Et j'ai compté seulement 6 femmes parmi tous ces joueurs. Une population essentiellement masculine.

Fonds Mennerat - Belfort
Autoportrait d'Isaac Fainstein, artiste peintre, qui agrémente la monographie de nombreux dessins. 


Parmi des noms célèbres des échecs Français (Goetz, Muffang, Tauber etc...), vous remarquerez la présence discrète de Marcel Duchamp.

La plaque commémorative au 29 rue Campagne-Première dans le XIVe arrondissement de Paris, à l'adresse indiquée pour Marcel Duchamp.

dimanche 6 janvier 2019

Les mystères du Café de la Régence - numéro 7

Existe-t-il des échiquiers dont on aurait la preuve qu’ils ont été utilisés au Café de la Régence ?
Si quelqu'un possède un tel échiquier, je serai ravi d'en avoir une photo avec la preuve de sa provenance du Café de la Régence !


Dans plusieurs articles, je mentionne les échiquiers utilisés au Café de la Régence.
Disons plutôt les échiquiers utilisés dans la deuxième moitié du XIXe siècle.


Voici une gravure de 1873 que j’ai utilisée ici.


La Stratégie - Avril 1911
Et une quarantaine d’années plus tard, les deux frères Lazard utilisent un jeu similaire.

Sur Ebay vous pouvez trouver ce type de jeu assez régulièrement, à un prix excessif...
Mais il n’est pas spécifié quelque part sur le jeu qu’il provient directement du Café de la Régence.
Voici un lien d'un échiquier en vente sur Ebay, d'où proviennent les deux photos suivantes



Enfin, il convient de préciser qu’il était tout à fait possible de se procurer des jeux (ainsi que des livres d’échecs) au Café de la Régence à différentes époques.
Par exemple dans le fascicule de Claude Vielle (propriétaire des lieux) en 1844, on trouve ceci à la fin :






dimanche 3 juin 2018

Jules Arnous de Rivière

En feuilletant le très bon livre "Les échecs spectaculaires" (Aldo Haïk / Carlos Fornasari - Chez Payot), je suis tombé sur un article de Gustave Lazard paru originellement en janvier 1947 dans le "Bulletin ouvrier des échecs".


Cet article décrit quelques anecdotes au sujet de Jules Arnous de Rivière, véritable "pilier" du café de la Régence au cours de la deuxième moitié du XIXème siècle.

Je vous invite à consulter la biographie que lui consacre Dominique Thimognier sur son site d'utilité publique et historique Héritage des Échecs Français.

L'article de Wikipedia à son sujet ainsi qu'un article du cercle d'échecs de Nantes (document pdf), apportent d'autres précisions sur Jules Arnous de Rivière.

Voici donc cet article de Gustave Lazard :

(…) J’avais vingt-cinq ans et il était septuagénaire à l’époque où je le connus. Admirablement conservé, ce superbe vieillard n’affectait point avec les moins de trente ans les manières condescendantes que son grand âge et son talent eussent autorisées. Il se liait volontiers et , homme du monde, fin causeur, sa conversation était hautement intéressante.

Nantais d’origine, né en 1830, toute sa vie s’écoula presque exclusivement à Paris et notamment au café de la Régence où je le voyais ordinairement.

Avec Philidor, Légal, La Bourdonnais, Deschapelles et Saint-Amant, il complète la demi-douzaine des grands maîtres français vraiment dignes de ce titre.

Il lutta notamment avec Morphy et sur un ensemble de vingt-six parties s’assura six victoires et deux nullités. Résultat remarquable contre le « surhomme » de l’échiquier. L’une de ces victoires comportant une finale Tour contre Tour avec cinq pions de part et d’autre est restée classique (…)

Paul Morphy (à gauche) contre Jules Arnous de Rivière - 1858

(…) Mais Arnous de Rivière n’était pas seulement un virtuose de l’échiquier. Les dames, les dominos, le billard – je l’ai vu faire des séries de trente carambolages – se partageaient également ses faveurs et il publia divers traités consacrés à ce jeu et même à la roulette et au trente-et-quarante.

Je me rappelle qu’il tenta d’introduire en France pour le compte d’une firme américaine un jeu nouveau, le « salta » qui se pratiquait sur un damier avec des pions alternativement bleus et rouges décorés de soleils, de lunes et d’étoiles mais qui n’obtint aucun succès auprès des joueurs d’échecs.

Plateau de jeu du "salta"

Très spirituel, primesautier, ses répliques abondaient en mots à l’emporte-pièce. Coiffé en hiver d’un bonnet d’astrakan je le voyais arriver à la Régence accompagné le plus souvent d’une jeune et jolie personne qui le couvait tendrement du regard. Le maître, de son côté, l’entourait de prévenances et l’appelait affectueusement : Ma fille.

Un intime déclara certain soir à Arnous de Rivière, en désignant du geste la gracieuse accompagnatrice : - Veinard ! Avec tes poils blancs et ton soixante-dixième anniversaire… Le maître répliqua avec le sourire habituel dont il marquait ses boutades : - Je suis comme le poireau, mon ami,. La tête est blanche mais le reste est vert.

Jules Arnous de Rivière et son fameux bonnet d'astrakan.

Un provincial de passage à la Régence et qui se croyait d’une certaine force aux échecs fut mis en rapport avec Arnous de Rivière et sollicita l’honneur de faire quelques parties avec le vétéran. Celui-ci acquiesça et gagna sans grand effort les deux ou trois parties disputées contre cet amateur dont les talents plutôt modestes s’aggravaient d’une excessive lenteur.
- Eh bien, maître, risqua notre homme à l’heure de prendre congé, que pensez-vous de mon jeu ?
De Rivière lui déclara gentiment, avec un fin sourire :
- Je le trouve, mon ami, plus long que large.

Un autre jour je trouvai le vieux lutteur aux prises avec un de mes camarades et remarquant combien le développement de ce dernier laissait à désirer, je risquai :
- Mais pourquoi ne sortez-vous pas vos pièces ?
Ce fut Arnous de Rivière qui me répondit :
- il a raison. Quand il les sort, je les lui prends.

Mais c’étaient les inénarrables duels entre le maître et un excellent amateur Eugène Chatard, qui me procuraient le plus de plaisir. Très fier d’avoir imaginé un gambit assez astucieux, le « Gambit Chatard » (1.e4 e5 2.f4 exf4 3.Cf3 g5 4.g3!?), il disputa à de Rivière de très nombreuses parties sur ce thème, et le plus souvent, les perdaient, non pas tant en raison d’une infériorité de ce gambit que de la supériorité très nette du jeu du vétéran.

La position du gambit Chatard dont il est question dans l'article.
Je n'ai trouvé aucun partie avec cette variante dans la méga database 2017 de la société Chessbase.
Mais je ne vous la conseille pas trop :-)

Mais Chatard, têtu, persévérait, croyait dur comme fer à l’excellence de sa trouvaille et dès qu’il apercevait son adversaire habituel :
- Je vous joue mon gambit.
- Je vous ai déjà prouvé qu’il ne vaut rien.
- Quarante sous ! Je vous joue quarante sous !
- Vous avez fait un héritage ?
Chatard s’entêtait :
- Quarante sous ! Vous avez peur ?

L’autre pointant de l’index vers son pectoral gauche orné du ruban de la médaille militaire, récompense de sa courageuse conduite pendant le siège de Paris, déclara, comique, avec les accents solennels du héros de Corneille :
- Tout autre que Chatard l’éprouverait sur l’heure.
- Alors, quarante sous ?
- Allons-y.
Aussitôt la galerie se groupait autour des antagonistes, bien moins pour assister à de belles variantes que pour jouir des provocations de l’un, et des répliques placides et ironiques de l’autre.

Parfois Chatard, excité, plaquait d’un coup sec sur l’échiquier, la pièce qu’il déplaçait.
- Mon fils, sachez que l’énergie dans l’exécution ne supplée pas à la faiblesse de la conception.

Un jour la nouvelle se répandit à la Régence que Arnous de Rivière – il avait alors 76 ans – était à l’agonie. Il demeurait rue Radziwill, tout près du café, de sorte que l’on délégua aussitôt un de ses vieux amis – Davril – auprès du mourant.
Celui-ci n’avait plus que le souffle. Davril s‘assit en silence auprès du lit du moribond. Au bout d’un moment, sur un signe il s’approcha tout près d’Arnous de Rivière qui lui murmura à l’oreille d’une voix imperceptible qui sentait déjà l’Au-Delà :
- Le gambit Chatard ne vaut rien.
Puis paisible, il s’éteignit.