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mercredi 10 avril 2024

Un petit échiquier Régence

Le 17 mars 2024, M. Holger Langer a publié sur FaceBook toute une série de photographies d’un élégant jeu d’échecs Régence. Ce jeu, probablement des années 1930 selon M. Holger Langer, provient de la boutique d’Henri Delaire, située au 4 rue des Pyramides à Paris.
 
Henri Delaire, 1er Président de la FFE
Source: Les Échecs Modernes  (1914)
http://heritageechecsfra.free.fr/delaire.htm - Dominique Thimognier

Les photos du jeu d’échecs sont accompagnées d’un texte en anglais (dont vous avez ci-dessous la traduction), hommage à Henri Delaire.
M. Holger Langer s’est inspiré de la biographie que j’ai publiée sur ce site. Il m’a aimablement autorisé à publier les photos qu'il a prises de son jeu, ainsi que son article, et je l’en remercie.
 
 

 


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Petit jeu d'échecs d'une taille de 5 cm seulement, de style Régence français, en ivoire, une face naturelle, l'autre teintée en rouge vif. Le jeu est présenté dans une boîte ajustée recouverte de satin brun rougeâtre et a vraisemblablement été fabriqué vers 1930. L'extérieur du couvercle porte l'inscription « Lewis Le Bouvier », qui était probablement le nom du premier propriétaire. Cependant, je n'ai pu trouver aucune information à son sujet jusqu'à présent. (Note JO Leconte - Lewis Bouvier n'apparait pas dans la liste des membres du Philidor en 1925, ni de l'UAAR en 1913)

La partie intéressante est l'empreinte à l'intérieur du couvercle, qui indique « Delaire, 4 Rue des Pyramides, Paris ». Cela indique que le jeu a été fabriqué et vendu par Henri Delaire, qui distribuait du matériel d'échecs à l'adresse susmentionnée à Paris.

Henri Delaire n'était pas seulement un simple négociant en matériel d'échecs, mais l'une des figures clés du jeu d'échecs français à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Né dans le 3e arrondissement de Paris le 15 mai 1860, il est rapidement devenu ce que Rachel Syme a appelé dans le New Yorker « une dynamo parisienne des échecs » (cf. Rachel Syme, Making Peace With a Precious Chess Set, The New Yorker, 13 juillet 2022).

Il a été le fondateur et le président de longue date du club d'échecs parisien « Cercle Magenta », créé en 1888 et rebaptisé « Cercle Philidor » en 1895. En 1903, Delaire organise le premier championnat de France amateur d'échecs à Arcachon, auquel il participe également. À partir de 1908, il devient le troisième rédacteur en chef de la revue d'échecs française « La Stratégie », créée en 1867 par Jean Preti et poursuivie par son fils Numa Preti en 1881. 
 

Photo : La Stratégie - Directeur H.Delaire - août 1923


Le magazine était notoirement sous-financé et a été maintenu en vie par Delaire, qui a investi d'importantes sommes d'argent dans ce projet. Une grande partie de cet argent a dû être dépensée dans la boutique de Delaire, au 4 Rue des Pyramides à Paris, où il vendait du matériel d'échecs, y compris des jeux d'échecs luxueux et exclusifs comme celui présenté ici.

Il a également écrit plusieurs ouvrages sur les échecs, dont Le Traité - Manuel des Échecs en 1911 et Les Échecs Modernes, dont les deux volumes ont été publiés pour la première fois en 1914 et 1924. Sa plus grande réalisation est cependant sa participation à la création de la Fédération Française des Echecs, le 19 mars 1921. Henri Delaire est décédé pendant la Seconde Guerre mondiale, le 27 septembre 1941.

Les photos présentées ici comprennent deux photos de Delaire. La première montre Delaire (à gauche) lors d'une partie d'échecs contre Matthieu Lemarchand. La photo a été publiée dans un article du Monde Moderne en 1902 et a été faite dans le club d'échecs « Cercle Philidor ». La seconde photo est une nécrologie publiée par la Fédération Française des Échecs dans son bulletin d'avril 1942, honorant les réalisations de Delaire pour les échecs en France.


 
 
Heureux propriétaires d'objets achetés dans cette boutique Delaire.
On trouve cette marque également sur les livres d'échecs, comme par exemple dans cet exemplaire du livre "All change here" de 1919. (Collection de M. Oliver Sheppard).
 



Il semble que la boutique a continué à exister un certain temps dans les années 1950, bien après le décès d'Henri Delaire.
En effet on trouve plusieurs publicités de la boutique dans l’Échiquier de Paris. 
Par exemple dans le numéro d'octobre 1948.

J'ignore jusqu'à quand cette boutique spécialisée a existé.
En allant sur Google Street on peut constater que la boutique se trouvait en plein centre de Paris, près du jardin des Tuileries et du Louvre, à quelques centaines de mètres de la Régence.
 
Le 4 rue des Pyramides de nos jours.

jeudi 13 juillet 2023

Eventail publicitaire du Café de la Régence

Merci à Alain Barnier qui m'a fait parvenir une photo d'un éventail du Café de la Régence.
Celui-ci a été mis en vente sur le site Interencheres fin mai 2023 parmi un lot de plusieurs éventails divers.
 
Lot d'éventails dont Café de la Régence et dans le goût du XVIIIe 
Estimation 30 - 50 euros
Adjugé à 160 euros sur Interencheres
 
 
J'ignorai que ce type d'objet publicitaires avaient été conçus pour le Café de la Régence, mais on en apprend tous les jours !.
 
Pour la datation de l'éventail nous avons quelques pistes pour avoir une fourchette de dates.
Deux éléments peuvent nous aiguiller :

Tout d'abord l'adresse indiquée "161-163 rue Saint-Honoré" indique quelque chose de postérieur à 1903.
En effet, en 1903 le Café de la Régence change de propriétaire et le 161 rue Saint-Honoré absorbe le Café du Sport situé au 163 rue Saint-Honoré.
Ensuite la dénomination "Café Restaurant de la Régence" n'est plus la dénomination du lieu après le début d'année 1922 et l'arrivée de Pierre-Octave Brun. Il changera le nom pour l'appeler plus sobrement "La Régence".
 

Conclusion : je pense que cet éventail est à dater entre 1903 et 1921 période durant laquelle c'est Lucien Lévy qui fut propriétaire des lieux.

Le Café du Sport situé au 163 rue Saint-Honoré 

Le site internet de la BHVP indique
Date attribuée d'après le cachet de la poste : 16 août 1908
Mais c'est une certitude que celui-ci disparait en 1903.

A noter qu'on peut voir sur la gauche de la photo la mention"LA REGEN"

Il est étonnant de voir deux café l'un à côté de l'autre.
En tout cas, le Café du Sport est absorbé par le Café de la Régence en 1903 comme l'indique par exemple Alphonse Goetz dans le 2ème numéro des Cahiers de l’Échiquier Français de 1930.
 
 
Le Café de la Régence, (…) était encore à cette époque le vrai café de style français. J’en connaissais le prototype d’après maint ancien café de ma ville natale, par exemple le Café Bauzin, sur la place de Broglie . Une imposante terrasse, une grande façade vitrée, l’intérieur blanc et or, la caisse installée sur le côté droit de la pièce principale, là où maintenant le mur a été percé pour l’absorption du Café des Sports (1903). Les tables du fond ainsi que celles de la salle couverte et surélevée, la salle de billard, étaient réservées aux joueurs d’échecs.

mardi 6 septembre 2022

La lutte des classes aux échecs

Au milieu des années 1930, le Parti Communiste Français adopte une politique ambitieuse concernant le sport et le jeu d’échecs en particulier. 

Extrait de la chronique d'échecs de l'Humanité du 26 mars 1936 - Retronews

Les journaux L’Humanité et Le Populaire mettent en place une chronique dédiée à la propagande du jeu d’échecs. En 1934 est créée la FSGT Fédération Sportive et Gymnique du Travail, dont une des branches est consacrée au jeu d’échecs. 


En 1935 c’est le début de la publication de la revue Le Bulletin ouvrier des échecs. Bref c’est véritablement une fédération parallèle à une Fédération Française des Échecs, alors en difficulté, qui est créée en France.

En France, comme dans tous les pays capitalistes, les jeux de dames et d’échecs ont un développement restreint. Rien d’étonnant dans cette différence avec l’URSS. En régime capitaliste, la bourgeoisie dirigeante, de même qu’elle n’a pas intérêt à instruire la classe ouvrière au-delà du degré primaire, n’a pas intérêt à développer en elle les facultés de calcul, de combinaison, d’attention, d’invention et d’imagination qui s’exercent dans les jeux de dames et d’échecs. 

A quoi serviraient-elles puisqu’à l’usine, l’ouvrier doit ignorer et ignore tout de la façon dont est combinée, agencée la production. Il lui suffit pour un salaire toujours aussi menacé, de donner sa force de travail, d’accomplir tout au long de la journée, à la même chaîne, le même geste mécanique, puis de manger, dormir et aller perdre ses maigres économies sur un cheval de course au profit de M. de Rothschild ou autre propriétaire d’écuries archimillionnaire.

Bulletin ouvrier des échecs de décembre 1935

 
En cela le Parti Communiste Français s’inspire du modèle mis en place en URSS, dont je donne quelques repères ci-après dans cet article. Cette politique du jeu d’échecs en URSS va bouleverser le microcosme échiquéen pendant plus d’un demi-siècle. A mes yeux un des summums de cette politique est probablement le match URSS contre le reste du monde en 1970, qui montre bien toute la domination sur le jeu d'échecs des joueurs soviétiques issus de cette politique.

A noter que les éléments liés à l’histoire du jeu d’échecs en URSS, que je cite, s’inspirent d’une vidéo de la chaine Youtube Levitov Chess (en Russe) où intervient l’historien Dmitri Oleinikov, auteur d’un livre sur les échecs en URSS.

1924 – Congrès des joueurs d’échecs de l’URSS. A cette occasion Nikolai Krylenko est élu président de la section intersyndicale des échecs. Il est convaincu que l'Union soviétique doit « adopter les échecs comme instrument de la culture intellectuelle » 

Nikolai Krylenko

1925 – Premier grand tournoi de Moscou, avec la participation de Capablanca et le tournage du célèbre film « La fièvre des Échecs » au sujet duquel j’avais organisé une soirée dans mon club d’échecs à Saint-Mandé.

1929 – 150.000 joueurs actifs sont recensés en URSS. Ils seront 500.000 en 1934 et 1.000.000 en 1940 ! 1929 correspond également à la crise économique mondiale. L’URSS est touchée, l’argent se fait rare pour les échecs.

1930 - Création d’un organisme directement sous la responsabilité du comité central du Parti Communiste de l’URSS. Il s’agit du Comité (Soviet) d’Éducation physique et sportive de l’URSS, et ce dernier a une section dédiée aux échecs. Par ailleurs le jeu d’échecs continue à se développer localement via des syndicats de travailleurs.

 

1937 - Les ouvriers du combinat métallurgique de Magnitogorsk jouent aux échecs
Photo Ria Novosti - Vladislav Mikocha


Dans les années 1920 la devise était « Les Échecs pour les masses ». Dans les années 1930, elle change est devient « rattraper et dépasser ». sous-entendu les pays capitalistes et dans tous les domaines y compris le jeu d’échecs, à la fois par la quantité et la qualité. Les moyens arrivent petit à petit. Nikolai Krylenko déclare « non seulement les organisations des échecs russes ne sont pas neutres sur le plan politique, mais elles sont fermement engagées dans le programme de la lutte des classes ». L’URSS garde ses distances avec la FIDE et les échecs capitalistes.


Jeu d'échecs en porcelaine par Elisaveta Tripolskaia - 1930
L'industrie (en haut, les pièces noires) contre l'agriculture (en bas, les pièces blanches).
Les pions noirs représentent des ampoules électriques !
Voir également l'article de ce blog sur le jeu d'échecs révolutionnaire

1935 – Un grand tournoi d’échecs des familles est organisé à Bakou sous la devise « Les échecs dans la famille des ouvriers » ! C’est également l’année du deuxième grand tournoi de Moscou.

Mais n’oublions pas qu’un des facettes sombres de l’URSS a été le Goulag. Mais même là on y joue aux échecs. Un grand tournoi est organisé à Solovki en 1936, gagné par un certain Sergei Iasseniev-Kroukovski. 

 

 Femmes jouant aux échecs au Goulag de Tomsk 1938-1939 par Nina Lekarenko
 Provient du site GulagMuseum

Il faudra attendre 1946 avec la mort d’Alekhine et la remise en jeu de son titre pour que l’URSS se rapproche de la FIDE. Les joueurs d’échecs soviétiques, et plus particulièrement Mikhail Botvinnik, sont alors prêts à mettre la main sur le titre de champion du Monde avec le prestige intellectuel qui y est associé.

dimanche 26 décembre 2021

Alekhine au Café de la Régence dans les années 1930

Voici un livre récent et très intéressant qui aborde de nombreux aspects de la vie d’Alekhine.
L’inconvénient majeur pour un lecteur francophone est que ce livre est en Russe…
J’y ai trouvé trois passages en lien avec le Café de la Régence, sur Alekhine dans les années 1930, que je souhaite vous faire partager.
 
Merci à Maria pour son aide !

Le Sphinx Russe (Русский сфинкс) – par Sergueï Voronkov – Moscou 2021
Éditeur : Fédération Russe des échecs
 
Le premier extrait date probablement de 1929 (voir les notes après le texte).
On y apprend qu’il existe une grosse communauté de joueurs d’échecs Russes aux « échecs du Palais-Royal » alors situé au Café de la Rotonde. Il s’agit bien évidemment de réfugiés de la Révolution de 1917…
Pour rappel, l’association « Les échecs du Palais-Royal » est créée après la fuite des joueurs d’échecs de la Régence en 1918. L’activité échiquéenne au Café de la Régence ne redeviendra significative qu’à la fin des années 1920.

Les impressions et les plans d’Alekhine – Chakhmati SSSR 1957 (Les échecs en URSS)
Mes rencontres avec Alekhine – par Lev Lubimov (les notes à la fin de l’extrait sont de Sergueï Voronkov auteur du livre « Le Sphinx Russe »).

Dans le jardin du Palais-Royal, en face d’une fontaine jaillissante, dans un pavillon blanc avec des plantes qui courent le long des murs se trouve le club d’échecs « Les échecs du Palais-Royal » l’un des plus anciens et le plus important à Paris.
Il s’agit d’un café comme tous les autres, mais presque tous les consommateurs sont des joueurs d’échecs et sur chaque table il y a un échiquier. Aucune femme ne s’y trouve, à part peut-être une caissière. On y reste des heures, on joue aux échecs, et chacun jette un regard étonné sur les étrangers qui entrent dans le café.
 
On reconnait des visages familiers des célèbres joueurs d’échecs : Tartakower, Schwartzman (1), et on entend partout parler Russe. Il y a aussi Znosko-Borovsky, Victor Kahn (2), Evseï Ratner (3)… En terrasse, entouré de beaucoup de monde, le roi des échecs, Alekhine. Il vient de rentrer de Wiesbaden, était en Amérique juste avant, et participera prochainement à un nouveau tournoi à Wiesbaden avec Bogolioubov (4).

(1)    Un joueur russe de 1ère catégorie qui arriva à Paris après la Révolution et joua avec succès dans les tournois locaux
(2)    Victor Kahn : natif de Moscou, il devint maitre en France et fut champion de Paris et de France, il participa 4 fois aux olympiades et auteur de manuels d’échecs, et avec Potemkine l’un des initiateurs de la création de la FIDE
(3)    Evseï Ratner : originaire d’Odessa, devenu maitre en France, champion de Paris et auteur de quelques livres, compositeur d’échecs et membre de la loge maçonnique Astrée fondée en 1922 à Paris et à laquelle Alekhine était membre – loge russe en France avec 344 membres.
(4)    L’auteur du texte, Lubimov, ne fait manifestement pas de différence entre simultanée, tournoi et match, il s’agit de la veille du match contre Bogolioubov, ce qui permet de dater le texte de 1929.


Au sujet de l'appartenance d'Alekhine à la franc-maçonnerie, voici 3 documents publiés pour la première fois dans le livre « Le Sphinx Russe ».
A l’exception de la carte de membre, ils proviennent des archives de la Franc-Maçonnerie (Grande Loge de France), volées par les nazis durant l’occupation, puis récupérées par les soviétiques à la fin de la guerre. Il semble que la Russie a restitué la plupart de ces archives à la fin des années 1990, mais Sergueï Voronkov a eu accès à des documents manifestement restés en Russie (et consultés précédemment par Youri Shabourov pour son livre sur Alekhine paru en 2001).
 
Le logo de la loge Astrée
 

La demande d'initiation d'Alekhine, qui se présente comme "Écrivain d’Échecs" !

La fiche d'Alekhine, à nouveau présenté comme "homme de lettres".
 
Le deuxième extrait dépeint une rencontre imprévue entre l’écrivain Russe Vladimir Sossinsky (1900 – 1987) et Alekhine. Il est possible de dater le texte d’un peu après 1930.

Texte paru dans Voprossi Literaturi – Questions littéraires – Moscou numéro 6 – 1991

A côté de la Comédie Française, à Paris, près de la place du Palais-Royal, se trouve un café où vont beaucoup de joueurs d’échecs. Un jour, sans penser aux échecs, mais songeant juste à prendre un café avec un croissant, de retour de la bibliothèque nationale, je suis allé dans ce café et j’y trouvais juste une seule place libre. Un chaise devant une petite table déjà occupée par un homme assis sur un divan le long d’un mur avec des  miroirs.  
Il jouait tout seul aux échecs.
-    Vous permettez Monsieur
Et lui me répond en Russe, sans hésitation, sentant mes origines :
-    Oui avec plaisir, prenez place.
Et après une petite pause, il ajoute :
-    Voulez-vous faire une partie ?
-    Avec plaisir, mais je vous préviens tout de suite, je  joue mal.
-    Mais c’est très bien, c’est tout à fait ce qu’il me faut, j’aime jouer avec les joueurs pas très fort.
-    Vous aimez donc gagner ?
-    Quel joueur d’échecs n’aime pas ça ?
Nous avons joué quelques parties et là je compris tout de suite que cet adversaire était trop fort pour moi. Il gagna facilement malgré tous mes efforts et toutes mes tentatives de comprendre ses idées. Et je fus très surpris quant à la fin de notre petit match de parties éclairs, il me complimenta :
-    Certains de vos coups étaient surprenants, vous m’avez mis quelques fois dans une situation délicate. Pardonnez mon indiscrétion, comment vous appelez-vous ?
J’ai dit mon nom
-    Êtes-vous l’auteur du livre sur Nestor Makhno ?
-    Oui c’est moi.
De nouveau je reçus une série de compliments, cette fois-ci un peu plus mérités, car à cette époque j’étais déjà un écrivain professionnel et rédacteur en chef du mensuel « Volia Rossii » (NDA : La volonté/liberté de la Russie - Воля России – mensuel des émigrés russes)
-    Et moi, à qui ai-je l’honneur ?
-    Vous ne m’avez pas reconnu ? Alekhine !


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Et là ce fut à mon tour de m’extasier et de trouver tous les compliments possibles pour exprimer ma surprise.
Je lui ai même demandé de me pardonner d’avoir osé jouer avec lui. Sur les photos il n’était pas du tout le même.
Je parlais alors un peu du livre « La défense Loujine » de Nabokov et demandais s’il était d’accord avec la vision de l’auteur sur le champion d’échecs (NDA : dommage mais nous ne connaissons pas la réponse d’Alekhine, et cet épisode permet de situer la rencontre après 1930, car « La Défense Loujine » fut édité en 1930).
En nous séparant, Alekhine me conseilla de venir plus souvent dans ce café. Il précisa que le dimanche suivant il aura une petite heure de libre et il viendra vers 4h. Il me promit de me donner quelques conseils aux échecs et m’expliquer mes défauts et les fautes que j’ai commises dans mes parties, mais ajoutant que j’avais quand même joué quelques coups intéressants, notamment dans notre dernière partie, ce qu’il me montra de suite sur l’échiquier.
Nous nous sommes séparés comme des personnes au début d’une amitié.
Hélas, ce fut ma première et ma dernière rencontre avec le champion du Monde. Seule et unique. Ce fut de ma faute.


Le dernier extrait est signé Znsoko-Borovsky.
Il s’agit d’une entrevue qu’il a eue avec Alekhine au Café de la Régence à son retour du match perdu contre Euwe pour le championnat du Monde en 1935. On y apprend surtout qu’Alekhine est le roi des lieux, avec des photos dédicacées qui ornent les murs du célèbre Café.
 
Eugène Zsnosko-Borovsky

Article paru dans « Sebodnia » (« Aujourd’hui ») à Riga le 28 janvier 1936
Rencontre avec Alekhine après sa défaite.
Par Evgueny (Eugène) Zsnosko-Borovsky

Café parisien Régence. Table derrière laquelle joua Napoléon. Sur les murs, des photos, sur une desquelles on reconnait Tourgueniev et de nombreuses images d’Alekhine dédicacées par lui-même avec une écriture large et généreuse. Des consommateurs amorphes devant leur consommation. Les joueurs de bridges bruyant assis autour d’une table ronde.
Mais ce qui domine ce café c’est le monde mystérieux des joueurs d’échecs avec leur propre univers, leurs propres plaisanteries et médisances. Tout est comme d’habitude, comme si rien n’avait changé comme c’était il y a 8 ans, quand le glorieux Alekhine était de retour de Buenos Aires avec une couronne toute neuve et une énergie débordante, et comme c’était encore plus tôt quand il était un jeune homme et pour la première fois après la guerre il apparaissait ici en cherchant la gloire et en poursuivant sa bonne étoile.
(…)
Mais aujourd’hui, il a un tout autre regard et on le regarde bien différemment. (NDLR, puis Zsnosko-Borovsky continue par l’entrevue avec Alekhine au sujet de sa défaite face à Euwe).

dimanche 16 septembre 2018

Pierre-Octave Brun

Tout d'abord, je souhaite remercier chaleureusement Mme Marie-Hélène Imbaud pour les informations et les photos qu'elle m'a communiquées.

Jusqu'à présent j'avais peu d'informations au sujet du propriétaire du Café de la Régence dans les années 1930 / 1940.
La seule trace que j'avais était mentionnée dans la source suivante :
Tijdschrift van de Nederlandschen schaakbond avril 1933 - Revue néerlandaise citée dans le cahier du CREB sur le Café de la Régence
Le propriétaire apparait avec le nom "O.Brun".

Il y a environ deux semaines, j'ai été contacté par Mme Marie-Hélène Imbaud, qui m'indiquait que Pierre-Octave Brun était l'oncle de son grand-père.
Cette seule information me permet de compléter le prénom de M. Brun, et d'ouvrir sans aucun doute le champ de mes recherches aux archives de Paris.

Après le départ de l'essentiel des joueurs d'échecs à la fin de l'année 1918, le Café de la Régence connait une période d'une dizaine d'années durant lesquelles le jeu d'échecs n'a plus sa place dans ce lieu.
Et petit à petit au début des années 1930, l'association "jeu d'échecs/Café de la Régence" refait surface, jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale.
Sans aucun doute sous l'impulsion d'un nouveau propriétaire, qui n'est autre que Pierre-Octave Brun.

Source BNF - Gallica

Par exemple dans le journal "Le Petit Parisien" du lundi 29 février 1932, il est fait mention d'un "groupement" de joueur d'échecs sous la dénomination de "Régence" :

Source BNF - Gallica

« Le champion du monde Alekhine a disputé hier un tournoi d’échecs de 60 parties contre 300 joueurs.

Les salons du Claridge ont été, hier après-midi, le théâtre d’un sensationnel tournoi d’échecs. 
Le champion du monde Alekhine se mesurait avec trois cents adversaires, groupés par cinq joueurs sur soixante échiquiers. 
Cette rencontre – faut-il le dire ? – attira de nombreux spectateurs qui devaient acquitter d’un droit d’entrée, la recette de la journée étant destinée aux victimes de la guerre.

Au-dessus des tables supportant les échiquiers, des pancartes portaient le nom des groupements représentés : 
Fou du Roi, Cercle Philidor, Palais-Royal, Lutèce, Rive Gauche, Russe, Militaire, Buttes-Chaumont, Régence, Nation, de Rouen, de Hollande, Tennis Club Russe, Échiquier féminin, Légation des États-Unis mexicains, d’autres encore…

La partie commença à 14h30. Celui qu’on a appelé le « Napoléon des échecs » à cause de la rapidité foudroyante de ses décisions, passait entre les tables, s’arrêtait devant un échiquier et, derrière ses lunettes d’écaille, examinait les pièces. 
Le capitaine de l’équipe jouait : quelques secondes plus tard – parfois même aussitôt – Alekhine ripostait puis passait à un autre. 
En un quart d’heure, il faisait le tour des soixante échiquiers, ses adversaires disposant de cet appréciable délai pour préparer un nouveau coup. Le tournoi se poursuivait encore après minuit.  »

Mme Marie-Hélène Imbaud m'a également communiqué plusieurs photos d'objets du Café de la Régence.
Tout d'abord un plat sur lequel on voit la mention "Régence".


Le mot "Régence" est gravé en haut du plat sur la photo.


Et une tasse que l'on peut dater des années 1930 et qui est pour moi un magnifique témoignage du jeu d'échecs au Café de la Régence.