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samedi 21 juin 2025

Comment Philidor apprit à jouer aux échecs

L’année 2026 marquera le tricentenaire de la naissance de François-André Danican Philidor à Dreux. Sans aucun doute, il fut l’un des joueurs d’échecs les plus influents de l’histoire. À cette occasion, je publierai plusieurs articles consacrés à cette figure majeure du XVIIIe siècle.


Je l’ai déjà mentionné par le passé, mais selon moi, l’un des ouvrages de référence sur Philidor demeure celui de Sergio Boffa. D'autres publications méritent d’être citées, notamment Philidor, musicien et joueur d’échecs, paru en 1995. Plus récemment, on peut saluer l'excellent mémoire de Master 2 soutenu à Paris-Sorbonne en juin 2023 : Genèse des idées échiquéennes de François-André Philidor, rédigé par le jeune Maître International Benjamin Defromont.

Revenons à Philidor lui-même. Nous sommes aux alentours de 1736. Âgé d’une dizaine d’années, le jeune François-André est alors page de la Musique du Roi, chantant dans les chœurs de la Chapelle royale de Versailles.

Voici comment son fils aîné, André-Joseph-Hélène Philidor (1762–1845), raconte ses débuts au noble jeu (témoignage rapporté par Jules Lardin dans Philidor peint par lui-même, Paris, 1847) :

« Les musiciens, en attendant la messe du Roi, avaient l’habitude de jouer aux échecs sur une longue table où étaient incrustés six échiquiers.

Philidor s’amusait à les regarder, et y mettait toute son attention. Il avait à peine dix ans, qu’un jour un vieux musicien, arrivant le premier, se plaignait devant lui du retard de ses camarades, et regrettait de ne pouvoir faire sa partie.

Philidor, en hésitant, lui propose de la faire. Le musicien se met à rire, mais finit par accepter.
La partie commence, et l’étonnement succède bientôt au dédain qu’inspirait le jeune adversaire ; la partie avance, et l’humeur ne tarde pas à s’en mêler. Elle monte à un tel point que l’enfant, craignant quelque suite malencontreuse d’un amour-propre profondément blessé, regarde la porte, suit le cours de ses succès, se glisse doucement jusqu’au bout de son banc et s’enfuit en avançant la pièce victorieuse, en criant : “Mat !” à son adversaire indigné de n’avoir pas des jambes assez lestes, et obligé de dévorer son dépit sans pouvoir se venger.

Dès le lendemain, c’était à qui ferait sa partie avec lui. »

Mais une question demeure : comment Philidor a-t-il appris à jouer aux échecs ?

La tradition veut que ce soit en observant ces musiciens pendant les longues attentes. Mais Sergio Boffa propose une autre hypothèse, tout aussi fascinante.


André Danican Philidor, Philidor l'ainé, père de Philidor

En 1700, le père de François-André, André Danican Philidor — dit « Philidor l’aîné » —, présente au roi Louis XIV une mascarade intitulée Le Jeu d’échecs (voir le texte à la fin de cet article - Google Book). Sergio Boffa écrit à ce sujet :

« Nous pouvons donc penser qu’il connaissait les rudiments du jeu, et il est possible — mais ce n’est qu’une hypothèse — qu’il en ait enseigné les règles à son très jeune fils. Cela aussi permettrait d’expliquer l’incroyable précocité du jeune Philidor. »

Rappelons que le père de Philidor meurt le 11 août 1730, à l’âge de 78 ans. Son fils n’a alors pas encore quatre ans. Aurait-il appris à jouer aussi jeune, peut-être sur les genoux de son père ? L'idée n'est pas invraisemblable.

Ce n’est pas sans rappeler les débuts précoces d’un autre prodige des échecs : José Raúl Capablanca. Le futur troisième champion du monde raconte lui-même :

« Je me souviens clairement de ma première découverte d’une partie d’échecs. Je venais de fêter mon quatrième anniversaire. (...) » Munsey’s Magazine, juin 1916

« Jusqu’ici, je n’avais jamais assisté à une partie : les pièces m’intéressaient, et le jour suivant, je suis revenu en spectateur. Le troisième jour, alors que j’observais la partie, mon père, un amateur sans grand talent, déplaça son Cavalier d’une case blanche vers une autre case blanche. Son adversaire, manifestement pas meilleur, ne le remarqua pas.

À la fin, mon père gagnait la partie. Je me mis à rire et l’accusai d’avoir triché. Après une brève remontrance — j’ai failli être expulsé de la pièce — je lui montrai l’erreur. Il répondit que c’était impossible, car je ne savais même pas placer les pièces. Nous avons joué… et j’ai gagné. C’était mes débuts aux échecs. » My Chess Career, 1920


À notre époque, les cas de précocité ne manquent pas non plus. Citons, par exemple, le jeune prodige russe Roman Shogdzhiev (Роман Шогджиев), qui vient d’obtenir le titre de Maître International, avec un classement Elo de 2402 au 1er juin 2025…
 
 
 
 
 
 
Le Jeu d'Échecs, mascarade mise en musique par Mr Philidor l'aîné, Ordinaire de la Musique.
Représentée devant le roi à Marly le 19 février 1700 
A PARIS
Par Christophe Ballard, seul imprimeur du Roi pour la Musique, rue Saint-Jean de Beauvais, au Mont-Parnasse. 
1700
Par exprès commandement de Sa Majesté.


LE JEU D'ÉCHECS, MASCARADE
PREMIÈRE ENTRÉE

Après la Marche & Ouverture, le premier qui paraît,
c’est l’Échiquier, représenté par un Homme habillé
en Pantalon, tout garni d’Échiquiers devant, derrière,
sur les manches & les cuisses ; & pour coiffure c’est un
Carton fait en forme de Trictrac.
L’ÉCHIQUIER
Héritier des plus vaillants Héros,
J’amuse leur repos
Par une image de la Guerre.
Heureux, heureux le Potentat,
Qui peut malgré toute la Terre,
À ses fiers Ennemis donner Échec & mat.
CHŒUR
Heureux, heureux le Potentat,
Qui peut malgré toute la Terre,
À ses fiers Ennemis donner Échec & mat.

 

 

SECONDE ENTRÉE
Comme le Jeu d’Échecs s’ouvre ordinairement par les Pions du Roi & de la Reine, sitôt que l’Échiquier
aura cessé de chanter, l’on verra danser quatre petits
Pions, représentés par quatre Enfants, deux vêtus de
blanc & deux de noir ; deux Garçons pour les Pions
du Roi, deux Filles pour ceux de la Reine ; Garçon &
Fille blancs, Garçon & Fille noirs, coiffés d’un Bourrelet ;
L’Habit des Garçons en Pantalon & les Filles en
Jupes rondes, tenant un peu du Vertugadin : Ils
dansent au son des Flûtes.
TROISIÈME ENTRÉE
Un Héraut d’Armes qui précède les Chevaliers chante pour eux ces paroles :

Nul obstacle opposé n’arrête ma victoire,
J’entre & perce partout, & me vois tout soumis,
Le nombre de mes Ennemis
Ne sert qu’à redoubler ma gloire.
CHŒUR
Le nombre de mes Ennemis
Ne sert qu’à redoubler ma gloire.





QUATRIÈME ENTRÉE
Après que le Héraut a chanté, les deux Chevaliers se mettent en mouvement pour la Danse :
Ils paraissent montés sur des Chevaux, l’un blanc & l’autre noir,
l’un vêtu de noir avec l’Écu noir chargé d’une Fleur-de-Lys blanche ;
& l’autre blanc avec l’Écu blanc chargé d’une Fleur-de-Lys noire ;
& dansent au son des Hautbois.
CINQUIÈME ENTRÉE
Momus, vêtu fantasquement & précédant les Fous,
vient chanter pour eux ces paroles :
MOMUS
Sages, qui méprisez & vos Ris & vos Jeux,
Vous avez vos Plaisirs, mais nous avons les nôtres,
Et les plus fous ne sont pas ceux
Qui vivent aux dépens des autres.
CHŒUR
Et les plus fous ne sont pas ceux
Qui vivent aux dépens des autres.



SIXIÈME ENTRÉE
Après Momus paraissent deux Fous, habillés à la manière que les Fous sont peints ; c’est-à-dire, en Pantalon de deux couleurs tout rempli de grelots,
& le Bonnet finissant en corne houppée, tenant à la main des Marottes grelottées ou des Tambours de Basque ; l’un sera vêtu de rouge & violet, & l’autre de jaune & vert : Ils danseront au son des Hautbois & Tambours de Basque.

SEPTIÈME ENTRÉE
Cybèle, avec ses Tours sur la tête, précède la Marche des Tours & chante :
CYBÈLE
Mille Tours, mille Forteresses
Contre ton bras puissant ont en vain combattu,
Leur chute a montré leurs faiblesses,
Et ton invincible vertu.
Mille Tours, mille Forteresses
Contre ton bras puissant ont en vain combattu.
CHŒUR
Mille Tours, mille Forteresses
Contre ton bras puissant ont en vain combattu.

HUITIÈME ENTRÉE
Ce chant cessé, deux Tours paraissent, représentées par deux grosses Femmes vêtues d’une espèce de maçonnerie,
l’une d’or & l’autre d’argent, & pour coiffure
des chapiteaux de Tours : Elles danseront d’une manière grave au son des Bassons.

NEUVIÈME ENTRÉE
Enfin, pour dernière Entrée paraissent les deux Rois & les deux Reines, vêtus royalement ;
deux de couleur d’or & deux de couleur d’argent :
Le Roi d’argent chantera avec la Reine d’or.
LE ROI & LA REINE
Plus on nous voit dans la gloire suprême,
Plus de Jaloux
S’élèvent contre nous ;
Heureux qui porte un Diadème ;
Mais pour le bien porter
C’est Vous, Grand Roi, qu’il faut seul imiter.
CHŒUR
Heureux qui porte un Diadème ;

Mais pour le bien porter
C’est Vous, Grand Roi, qu’il faut seul imiter.


Après ce chant, le Roi d’or danse avec la Reine d’argent, ou tous quatre ensemble ; et après leur danse, le Chœur répète encore :
CHŒUR
Heureux qui porte un Diadème ;
Mais pour le bien porter
C’est Vous, Grand Roi, qu’il faut seul imiter.
FIN





 

 

 

 


mardi 19 novembre 2024

Capablanca par Georges Bertola

Georges Bertola, rédacteur en chef de la revue "Europe Echecs" et historien du jeu d'échecs, vient de publier un livre sur Capablanca, préfacé par le champion ukrainien Vasyl Ivanchuk.
Coïncidence, ce 19 novembre est également le jour de son anniversaire ! 


Un livre passionnant, très richement illustré et qui vous fait revivre la carrière de ce prodige du jeu d'échecs. Le premier tome porte plus exactement sur son ascension, de sa naissance en 1888 jusqu'à l'année précédant le championnat du Monde contre Lasker en 1921.

Vous pouvez vous procurez le livre sur le site de la revue Europe Échecs
Voici le lien direct
https://www.europe-echecs.com/la-boutique-en-ligne.html?prod=426
Prix 39,90 euros

Capablanca en 1931 - Wikipedia

Voici ce qu'indique la 4ème de couverture :

Ce premier volume révèle l’ascension du jeune prodige, José Raúl Capablanca, qui a appris le jeu vers l’âge de 4 ans et demi en observant son père jouer. Il n’appartenait à aucune école, n’a pas étudié le jeu d’échecs autrement qu’en le pratiquant intensément. Il fut rapidement considéré comme un phénomène et son illustre prédécesseur, Emanuel Lasker le 2e champion du monde de l’histoire, devait avouer : « J’ai connu beaucoup de joueurs d’échecs mais un seul génie : Capablanca. »

Au travers de 111 parties qui illustrent son style que l’on a qualifié souvent de limpide, basé sur une excellente technique, j’ai tenté de le faire revivre dans son époque en insistant sur ses qualités humaines. J’ai traité les moments essentiels de sa biographie jusqu’à ce que Capablanca devienne le prétendant incontesté au titre mondial qu’il remportera en 1921.
En rejouant ses parties, la pratique du jeu peut paraître un exercice d’une relative simplicité. On se souvient de lui comme du plus grand joueur de fins de parties du début du XXe siècle, mais dont le traitement des ouvertures est dépassé.

Il n’y a rien de plus trompeur que l’évidence. Si cela peut s’avérer une réalité pour un super Grand-Maître, pour l’ensemble des amateurs et des joueurs de club, la logique de ses analyses, sa vision pragmatique et ses évaluations positionnelles ont conservé une grande partie de leur fraîcheur.
Son style, son efficacité et sa domination face aux joueurs de son époque présentent quelques analogies avec des « géants » de notre temps comme Anatoly Karpov ou Magnus Carlsen.



Georges Bertola a répondu à quelques questions que je lui ai posées au sujet de son livre.

Jean-Olivier Leconte : Peux-tu te présenter succinctement ?
Georges Bertola : J’ai toujours été passionné par le jeu et les joueurs qui ont façonné son histoire. Pour ma part, j’ai pratiqué en amateur (j’ai travaillé à plein temps dans une compagnie d’assurance depuis 1980) et à l’époque il y avait peu de titrés. À la fin des années 80, mon Elo était proche de 2200, j’ai aussi pratiqué la correspondance, avant l’ère des puissants ordinateurs, avec un Elo de plus de 2400. J’ai par la suite collectionné des livres d’échecs, magazines etc. pour réunir l’une des collections les plus importantes de Suisse.

JOL : Pourquoi as-tu choisi Capablanca plutôt qu’un autre joueur d’échecs ? As-tu une affinité particulière avec lui ?
GB : J’avais proposé à Europe Echecs de publier une collection dédiée aux « Champions du monde ». Capablanca était l’un des joueurs qui, par la clarté de sa vision essentiellement stratégique, me semblait être celui dont l’enseignement était le plus pertinent pour les joueurs de club. La simplicité apparente de son jeu, l’application de ses principes et la logique de leurs réalisations sont toujours d’actualité pour aider la plupart des amateurs. C’est avant tout utile pour comprendre le jeu, avant d’apprendre par cœur la complexité de ce que l’on nomme la théorie… 

La tombe de Capablanca à Cuba

JOL : Lors de notre dernière rencontre à Budapest, tu m’as indiqué être allé à Cuba et voir notamment la tombe de Capablanca. Peux-tu raconter dans quelles circonstances tu t’y es rendu ?
GB : En 2016, je me suis rendu à Cuba. La popularité dont jouissait les échecs et les souvenirs que Sylvain Zinser et le GM Florin Georghiu m’avaient rapporté de l’Olympiade de 1966, la résurrection du « Mémorial Capablanca » par le mythique Che Guevara, tout cela avait attisé ma curiosité. Je dois dire que les seuls contacts qui m’ont permis de comprendre la réalité de ce que vivait les Cubains furent quelques joueurs d’échecs, je mentionnerai le GM Silvino Garcia et le MI José Luis Vilela. La visite de la tombe de Capablanca m’a fait prendre conscience de l’importance qu’il représente encore aujourd’hui pour les Cubains. C’est probablement la tombe la plus imposante qui existe d’un joueur d’échecs. 

JOL : Combien de temps as-tu mis pour rédiger ce premier tome ?
GB : Cela m’a pris plus d’une année pour l’écrire, mais depuis que je publie des articles historiques ou autres (depuis 1975 dans presse de Suisse romande), beaucoup de matière se trouvait déjà en «  veilleuse », si je puis dire. Il s’agit d’abord d’un travail de compilation, de synthèse sur tout ce qui j’ai pu rassembler sur Capablanca. L’apport de l’ordinateur pour chercher la vérité est minimal. L’idée est essentiellement de comprendre et de s’immiscer dans les pensées des grands joueurs qui ont écrit sur lui. En parallèle, j’aime introduire des éléments du contexte de la grande histoire qui ont souvent un lien, même ténu, avec les problèmes existentiels des grands champions. Celui qui me semble le plus intéressant, Alekhine, est le prochain sur la liste de mes projets.

JOL : Il s’agit pour le moment du 1er tome. As-tu prévu 2 ou 3 tomes ? 
GB : Je travaille actuellement sur le 2e tome qui couvre la période de la conquête du titre en 1921 jusqu’à sa mort. Donc, se sera probablement le 2e et dernier tome consacré à Capablanca. Au vu de la matière, notamment le match de 1927 et ses relations compliquées avec Alekhine, il sera tout aussi volumineux, si ce n’est pas plus… 

JOL : Quand penses-tu que ce deuxième tome sera disponible ?
GB : Il me faudra certainement encore une année pour mener à terme ce projet. Je dois avouer que l’image caricaturale que j’avais du champion Capablanca, qui n’étudiait pas les échecs, a été sérieusement écornée. C’est le GM Vasyl Ivanchuk, qui lors d’un entretien il y a quelques années, m’avait dit qu’il lui semblait impossible que Capablanca ne préparait pas ses parties. Il se référait notamment à son match contre Max Euwe. Une opinion que je partage désormais.

Merci Georges.

samedi 15 juillet 2023

L’arrivée d’Alekhine en Europe occidentale

Guy Gignac (Québec) m’a envoyé des photos d’une lettre manuscrite d’Alekhine qu’il vient d’acquérir.
Cette lettre, datée du 6 février 1922, a été écrite sur du papier à entête de La Régence !
Merci à Guy pour ce document, mais également merci à Oliver Sheppard pour la transcription et la traduction de la lettre écrite en anglais de la main d’Alekhine.
 




C’est l’occasion pour moi de faire un article qui explique le contexte de cette lettre, avec l’arrivée d’Alekhine en Europe occidentale qui fuit la Russie Soviétique. Pour cela je me suis appuyé essentiellement sur le livre en russe de Youri Shabourov « Alekhine » (Moscou 2001 – Collection « La vie des gens exceptionnels »). A ma connaissance ce livre très complet sur la vie d’Alekhine n’a pas été traduit dans une autre langue.
 
 
Vous avez ci-dessous le texte en anglais de la lettre puis sa traduction en français. Oliver indique que celle-ci est rédigée dans un anglais impeccable. La question est de savoir si c’est Alekhine lui-même qui l’a rédigée ou bien s’il a été aidé par Mongredien cité dans la lettre (et demeurant à l’époque en France). 
 
Dictionnaire des échecs - François le Lionnais et Ernst Maget - Paris 1967
 
Le Mongredien dont il est question est Alfred Wornum Mongredien (1877-1954), petit fils d’Augustus Mongrédien (lui-même fils d’un réfugié de la Révolution Française) qui joua un match à Paris en 1859 contre Morphy et fut notamment président du London Chess Club de 1839 à 1870. Au sujet d’Alfred Mongredien, le dictionnaire des échecs de François le Lionnais et Ernst Maget (Paris 1967) indique qu’il était problémiste et habitait en France.
 
Le destinataire de la lettre Philip W. Sergeant

La lettre est expédiée vers Londres à destination de Philip Walsingham Sergeant (1872-1952) personnage influent des échecs britanniques de l’époque et écrivain prolifique sur le jeu d’échecs.
Un important évènement échiquéen est organisé durant l’été 1922 à Londres. Il s’agit du 17ème congrès des joueurs d’échecs britanniques, prévu du 11 juillet au 19 août 1922.

Paris, 6/II 1922

Dear Sir,
Mr Mongredien has kindly mentionned your name to me as being in a position to assist me in finding a good Englisch representative to act for me both before and during my approaching (in March) visit to your country.
I need someone to arrange fixtures for me to do the necessary publicity work and generally to assist me in making my visit a success both to myself and the public.
If you are disposed to undertake this will you kindly let me know as soon as possible indicating at the same time your conditions.
My idea is to pay a percentage on all receipts, this to cover both services and incidental expenses.
If you are not inclined to undertake the work, perhaps you can recommend someone else. Naturally I need someone with the necessary spare time and ability, someone well known in English chess circles in whom I can place the fullest confidence.
Awaiting your reply
I am yours truly
Alexander Aljechin

My adress here is: Paris/XVI/
27 rue La Fontaine, M.
Victor Kahn pour A.A.
(villa Patrice Boudart)

Mr PW Sergeant
City of London Chess Club
(near St-Pauls Cathedral)
London
Angleterre

8 Lodge Rd
St Johns Wood
NW8


Oliver signale trois petites fautes dans la lettre rédigée en anglais :
- Englisch au lieu d'English en page 1 de la lettre
- address (s'écrit avec 2 "d" en anglais) en page 3 de la lettre
- villa Boudard s’écrit avec un "d" et non pas un "t", en page 3 de la lettre

Voici le texte traduit en français par Oliver

Paris, 6/II 1922

Cher Monsieur,

M.Mongredien m'a aimablement suggéré votre nom comme étant en mesure de m'aider à trouver un bon représentant Anglais pour agir pour moi avant et durant ma prochaine visite (en mars) dans votre pays. Il me faut quelqu'un qui puisse organiser des rencontres, faire le travail nécessaire de publicité et de façon générale m'assister pour faire de ma visite un succès tant pour moi que pour le public.
Si vous étiez disposé à entreprendre cela, voudriez vous m'en informer dès que possible, en me faisant part de vos conditions.
Mon idée est de payer un pourcentage sur toutes les recettes, ceci afin de couvrir à la fois les services et les coûts induits.
Si vous n'étiez pas enclin à prendre en charge ce travail, peut-être pourriez-vous me recommander quelqu'un d'autre. Naturellement, j'ai besoin de quelqu'un disposant du temps nécessaire et des compétences requises, quelqu'un de bien connu parmi les cercles d'échecs anglais, en qui je puis avoir toute confiance.
Dans l'attente de votre réponse,
Sincèrement votre,

Alexander Aljechin

Mon adresse ici est : Paris/XVI/
27, rue La Fontaine, M.
Victor Kahn pour A.A.
(villa Patrice-Boudart)


Il faut noter que l’adresse où se trouve hébergée Alekhine existe toujours et elle se trouve dans un quartier bourgeois de Paris. Il passe son séjour à Paris chez Victor Kahn, russe d'origine et futur champion de France d'échecs en 1934.
 
Villa Patrice Boudart dans le 16ème arrondissement de Paris

Alekhine est donc à Paris au moment de la rédaction de ce courrier. Le 15 mars 1922 il donnera une simultanée à l’aveugle au Café de la Rotonde. J’ai d’ailleurs consacré un article de ce blog à ce évènement.

Mais revenons quelques temps en arrière. Après avoir été juge d’instruction pour le MOUR (Département des enquêtes criminelles de Moscou - МУР Московский уголовный розыск) dans l’agitation de la Russie post révolutionnaire (Alekhine a suivi des études de droit), Alekhine occupe en 1920 un poste de traducteur pour le Komintern. C’est là qu’Alekhine rencontre sa deuxième femme, Annalisa Ruegg (1879 – 1934). Cette dernière est suisse et journaliste. C’est une femme intelligente qui parle trois langues, anglais, français et allemand. Une petite femme charmante et énergique.

Annalisa Ruegg - Photo du livre de Youri Shabourov

Durant l’hiver 1920 / 1921, le Komintern organise un voyage à travers la Russie pour les correspondants étrangers et Alekhine les accompagne en tant que traducteur. C’est probablement à cette occasion qu’il se rapproche d’Annalisa Ruegg. Ils se marient le 15 mars 1921. Elle a alors 42 ans, et Alekhine seulement 29 ans. Ce dernier a toujours eu une attirance pour les femmes plus âgées que lui !
 
Alekhine à gauche lors du voyage de la délégation du Komintern en Russie (hiver 1920 - 1921).
Photo du livre de Youri Shabourov
 
Alekhine (flêche rouge) lors du voyage de la délégation du Komintern en Russie (hiver 1920 - 1921). 
Photo du livre de Youri Shabourov

5 semaines après leur mariage, le commissariat du peuple aux affaires étrangères ne voit pas d’obstacle pour qu’Alekhine et son épouse se rendent en Lettonie. C’est un peu inespéré pour Alekhine qui a été arrêté à plusieurs reprises par la Tcheka et est passé à deux doigts de la mort à Odessa. Ce sera le point de départ de la Russie pour Alekhine et il n’y remettra jamais plus les pieds. 
 
Article de l'Action Française par Gaston Legrain, le 14 mai 1922 - Retronews
 
Ce départ est donc précipité, Alekhine emporte avec lui seulement deux valises pour ses affaires, mais il prend avec lui le vase offert par le Tsar Nicolas II pour sa victoire à 16 ans au tournoi de Saint-Pétersbourg en 1909 lors du tournoi amateur de toute la Russie (en parallèle du tournoi de maitres remporté par Rubinstein).
 
Alekhine (16 ans) en 1909 lors de sa victoire au tournoi des amateurs de Saint-Pétersbourg.
On distingue nettement le vase offert par le Tsar Nicolas II :-) 

Le couple arrive à Riga le 11 mai 1921. Alekhine donne dans la ville deux simultanées le 13 et le 20 mai 1921. Puis ils partent vers Berlin en juin 1921 où il jouera un match contre Teichman. Là le couple se sépare, Annalisa se dirige vers Winterthur en Suisse tandis qu’Alekhine a soif du jeu d’échecs et commence à enchainer les tournois. En fait son épouse est enceinte et donnera naissance à leur fils, également appelé Alexandre Alekhine, le 2 novembre 1921.
 
Alekhine et son fils à Zurich en 1926. 
Photo du livre de Youri Shabourov
 
Lors d’un entretien qu’il a eu avec le fils d’Alekhine, Youri Shabourov ajoute quelques précisions. Annalisa tenta de s’installer à New-York avec son fils, mais elle fut expulsée à cause de ses idées politiques. Elle décèdera le 2 mai 1934 à Lausanne. Leur fils n’a que 13 ans au moment de la mort de sa mère. Alekhine le verra peu, mais il envoyait régulièrement des fonds à la famille qui avait accueilli son fils. Ce dernier se souvenait être venu seulement une fois à Paris, rue de la Croix-Nivert où Alekhine avait son domicile parisien dans les années 1930. Le fils d’Alekhine deviendra ingénieur, mais ne s’intéressait pas aux échecs et n’a pas laissé de descendance.

Revenons à Alekhine lui-même. Dans cette deuxième partie de l’année 1921, il enchaine les tournois à travers l’Europe. 1er prix au tournoi de Tribert (Allemagne) en juillet 1921, 1er prix au tournoi de Budapest en septembre 1921, 1er prix au tournoi de la Hague en octobre 1921.
Puis il arrive à Paris en janvier 1922 et nous sommes au moment où il écrit la lettre dont il est question au début de l’article. D’ailleurs il ne reste que quelques mois à Paris, car dès avril 1922 nous retrouvons Alekhine au tournoi de Pystian (Slovaquie) où il se classera 2ème derrière Bogolioubov.

Le congrès des échecs britanniques auquel Alekhine va participer est important car c’est l’occasion pour lui de se mesurer au champion du Monde de l’époque, le cubain José Raul Capablanca. Capablanca remportera d’ailleurs le tournoi avec 13 sur 15, Alekhine étant deuxième avec 11,5 sur 15, les deux joueurs restant invaincus.
 
Excelsior - 21 août 1922 - Retronews.
 
C’est d’ailleurs lors de ce tournoi de Londres que fut rédigé un important document au sujet du championnat du monde d’échecs (la FIDE n’existe pas encore). Ce document sera signé par Capablanca, Alekhine, Vidmar, Bogolioubov et Rubinstein.
Les grandes lignes de cet accord de Londres stipulent que le match pour le titre de champion du Monde correspond à un match en 6 victoires, les nulles ne comptant pas. Le champion du Monde n’est pas obligé de défendre son titre si la bourse apportée par le challenger est inférieure à 10000 USD (environ 182.000 USD actuels). Le champion du Monde touche de base 20% des fonds, puis le reste est partagé à hauteur de 60% pour le vainqueur et 40% pour le perdant.
 
Caricature d'Alekhine au tournoi de Londres en 1922.
Image tirée du livre sur Alekhine "Le Sphinx Russe" par Sergei Vonronkov

Alekhine restera en Angleterre au moins jusqu’en septembre 1922 où il remportera le tournoi d’Hastings.
A cette occasion il jouera une partie contre Bogolioubov que Kasparov cite comme un des plus beaux chefs-d’œuvre du jeu d’échecs (voir sur l'échiquier interactif à la fin de cet article).
 
Alekhine est alors bien lancé dans sa quête pour le titre mondial.
 
Excelsior 19 octobre 1922 – A noter que le dernier mot de l’article tue l’article pour un joueur d’échecs :-)

Les manies des joueurs d'échecs 

Les plus notoires pousseurs de bois se sont réunis, on le sait, il n'y a guère, à Hastings. Les manies des maîtres de l'échiquier sont peut-être aussi intéressantes à observer que leur jeu lui-même... surtout pour le commun des spectateurs, peu versés dans la science périlleuse des échecs.

Au reste le public paraissait s'intéresser vivement aux gestes des joueurs. Alekhine, ce jeune Russe, que nombre de spécialistes considèrent comme le plus proche rival de Capablanca, Alekhine se tient debout pendant que joue son adversaire. Il observe le nouveau coup... puis il fait un petit tour et jette un regard sur les autres jeux.

Le moment est-il venu de riposter? Il saisit entre ses doigts une de ses boucles blondes — c'est le seul blond parmi les joueurs d'Hastings. Il roule nerveusement la volute de cheveux : c'est sa manière de réfléchir. Avec ses cheveux courts et, noirs, Rubinstein, le maître polonais, offre un contraste très marqué avec Alekhine.

Assis. Rubinstein se balance constamment de droite à gauche, un peu à la manière d'un éléphant, précisent quelques spectateurs. Quand il n'étudie pas son jeu ou celui de ses rivaux, il arpente la pièce d'un pas alerte. En souriant il rejoint ses deux mains derrière la tête. Et ces gestes insignifiants sont avidement épiés et commentés par les spectateurs de ces batailles pacifiques qui ont pour champ un damier.

 




[Event "Hastings Six Masters"] [Site "Hastings"] [Date "1922.09.21"] [Round "10"] [White "Bogoljubow, Efim"] [Black "Alekhine, Alexander"] [Result "0-1"] [ECO "A84"] [Annotator "Alekhine/Kasparov"] [PlyCount "106"] [EventDate "1922.09.10"] [EventType "tourn"] [EventRounds "10"] [EventCountry "ENG"] [SourceTitle "HCL"] [SourceDate "1999.07.01"] [SourceVersion "2"] [SourceVersionDate "1999.07.01"] [SourceQuality "1"] {[%evp 0,106,31,18,74,45,35,35,35,42,46,39,28,32,31,31,28,33,29,2,74,11,10,4, 19,-7,13,-50,1,0,22,17,28,-56,-65,-95,-95,-112,-112,-111,-111,-111,-106,-122, -120,-124,-125,-134,-151,-194,-197,-194,-194,-194,-186,-195,-175,-208,-223, -286,-322,-322,-371,-371,-414,-436,-421,-418,-421,-429,-444,-452,-275,-283, -275,-291,-280,-289,-311,-298,-298,-338,-336,-362,-371,-413,-418,-433,-390, -384,-384,-418,-418,-418,-418,-466,-340,-704,-942,-942,-1103,-1285,-1260,-1260, -1260,-1319,-1311,-1418,-1276]} 1. d4 {[%mdl 1] Cette partie a été publiée dans de nombreux livres dont les meilleures parties d'Alekhine.} f5 {Alekhine : "Une défense audacieuse que je n'utilise que dans des cas exceptionnels. Dans cette partie, pour avoir une chance de remporter le premier prix, je devais absolument jouer pour gagner, alors que mon adversaire aurait pu se contenter de la nulle pour obtenir la troisième place. Je devais donc chercher à rendre le jeu plus difficile".} 2. c4 Nf6 3. g3 {Alekhine : "Dans la partie hollandaise, il est préférable pour les Blancs de fianchetter le Fou avant c4, sinon les Noirs peuvent échanger leur Fou royal -- une pièce très peu utile dans cette ouverture".} e6 4. Bg2 Bb4+ 5. Bd2 Bxd2+ 6. Nxd2 {Alekhine : "Il était préférable de prendre la dame et de jouer Cc3".} Nc6 7. Ngf3 O-O 8. O-O d6 9. Qb3 {Alekhine : "Cette manœuvre n'empêche pas les Noirs de réaliser son plan ; mais il est déjà difficile de trouver une bonne idée pour les Blancs".} Kh8 10. Qc3 e5 11. e3 ({Alekhine : "Si} 11. dxe5 {alors} dxe5 12. Nxe5 $2 Nxe5 13. Qxe5 Qxd2) 11... a5 {Alekhine : "Comme on le verra bientôt, il était très important de ne pas autoriser temporairement le coup b4".} 12. b3 ({Alekhine : "Mais pas} 12. a3 {à cause de} a4) 12... Qe8 13. a3 Qh5 {Alekhine : "Maintenant, les Noirs passe à l'attaque. ....} 14. h4 { Alekhine : "Un bon coup de défense qui donne au Cavalier f3 une case de repli et renouvelle la menace dxe5".} ({.... Les Blancs ne peuvent pas jouer} 14. dxe5 dxe5 15. Nxe5 Nxe5 16. Qxe5 {à cause de} Ng4 {et gagne}) ({Ni} 14. b4 $2 e4 15. Ne1 axb4) 14... Ng4 15. Ng5 {Alekhine :" pour chasser le cavalier par f3, les blancs affaiblissent encore plus leur pion.} (15. b4 {aurait sans doute été préférable".}) 15... Bd7 16. f3 ({Alekhine : "Si} 16. Bxc6 {alors } Bxc6 17. f3 exd4 18. fxg4 dxc3 19. gxh5 cxd2 {à l'avantage des noirs".}) 16... Nf6 17. f4 {Alekhine : "Est déjà à cause de la menace 18. ... f4 nécessaire".} e4 18. Rfd1 {Alekhine : "Pour couvrir le pion g3 dans le cas où il serait menacé par Dg4 et Ch5 avec le Cavalier depuis f1. Le temporaire 18. d5 ! donnait cependant aux Blancs de plus grandes chances de défense".} h6 19. Nh3 d5 {Alekhine : "Par ce coup, les Noirs détruisent toutes les chances adverses au centre et, de manière inattendue, passent à l'attaque sur l'aile dame".} 20. Nf1 Ne7 21. a4 Nc6 22. Rd2 Nb4 23. Bh1 {Alekhine : "Le fait que les Blancs doivent recourir à des manœuvres aussi incroyables pour consolider d'une manière ou d'une autre leur aile-roi prouve mieux que tout autre la difficulté de leur position".} Qe8 {Alekhine : "Un coup très fort qui apporte de nouveaux avantages aux Noirs ; soit la possession de la case d5 après cxd5 ; soit l'ouverture des lignes de l'aile dame par b6 après c5, soit, enfin, la prise de pions comme dans la partie".} 24. Rg2 {Alekhine : "Les Blancs souhaitent maintenant obtenir g4, mais même cette faible chance est irréalisable".} dxc4 25. bxc4 Bxa4 26. Nf2 Bd7 27. Nd2 b5 {Alekhine : "Pour la possession des cases centrales, une lutte s'engage maintenant, qui conduit à des situations très originales".} 28. Nd1 {Kasparov : La position des Blancs semble assez terrible : Il a un pion en moins et les pièces ont à peine le temps de respirer.} Nd3 $1 {Alekhine : "Prépare la combinaison suivante. Une mauvaise décision serait bxc4, car dans ce cas le Cavalier c4 se serait installé en e5". Kasparov : Alekhine ne permet évidemment pas à l'adversaire d'avoir l'activité tant attendue. Maintenant, les Blancs récupèrent leur pion, mais leurs forces sont condamnées à être détruites dans leur propre camp.} ({Mais après la tentative primitive} 28... bxc4 29. Nxc4 Nfd5 30. Qa3 {la coordination des pièces blanches est en grande partie rétablie, et en plus le pauvre cavalier obtient une jolie place en e5.}) 29. Rxa5 ({ Alekhine : "Si} 29. cxb5 {alors} Bxb5 30. Rxa5 Nd5 31. Qa3 (31. Rxa8 Qxa8 32. Qb3 Ba4 {etc.}) 31... Rxa5 32. Qxa5 Qc6 {avec une forte attaque".}) 29... b4 30. Rxa8 ({Alekhine : "Si} 30. Qa1 {alors} Rxa5 31. Qxa5 Qa8 32. Qxa8 Rxa8 { et la pénétration de la tour noire dans le camp ennemi décide de la partie". }) 30... bxc3 $3 {Alekhine : "Comme il ressort de ce qui suit, cette suite est beaucoup plus forte que ....} ({....} 30... Qxa8 31. Qb3 (31. Qc2 Ne1) 31... Ba4 {Et Blanc pourrait encore se défendre".} ({Kasparov :} 31... Qa1 32. Qb1 Ra8 {aurait forcé un abandon rapide par les Blancs. Mais Alekhine ne s'est pas contenté de cette conclusion prosaïque. Il voulait créer quelque chose d'immortel !}) 32. Qb1 {et les Blancs pourraient encore se défendre".}) 31. Rxe8 c2 {Alekhine : " La clé de la combinaison commencée au 27ème coup ".} 32. Rxf8+ Kh7 {[#] Kasparov : La tour blanche, qui était initialement en a1, peut être fière : elle a capturé la dame noire et les deux tours. Mais le modeste petit pion de b7 réduit à néant cet exploit. Des générations de joueurs d'échecs ont apprécié cette position époustouflante.} 33. Nf2 {Alekhine : "Forcé".} c1=Q+ 34. Nf1 Ne1 $1 { Alekhine : "Menace d'un mat étouffé inattendu". La menace n'est ni plus ni moins que Cf3#.} 35. Rh2 Qxc4 { Alekhine :" une nouvelle menace de mat en quelques coups par 36. Fb5 etc. oblige les Blancs à sacrifier la qualité. Kasparov : L'attaque ne s'arrête tout simplement pas - dans un instant, le fou noir, candidat à la mort en b5, interviendra aussi de manière décisive dans l'action.} 36. Rb8 {Kasparov : La seule défense.} Bb5 37. Rxb5 Qxb5 38. g4 {Alekhine : "Forcé, car après 40. g5 les noirs auraient obtenu deux pions libres par Cg4 etc.". Pour un moment, une lueur d'espoir pour le pauvre fou en h1.} Nf3+ 39. Bxf3 exf3 40. gxf5 Qe2 $1 {Alekhine : "Ce coup crée une situation problématique : les Blancs ne peuvent pas déplacer une pièce sans perdre immédiatement, .... Kasparov : Forcer le trait ! Les pièces blanches ne peuvent plus se déplacer du tout, par exemple 41.Th3... Zugzwang!} 41. d5 ({....} 41. Rh3 Ng4 $1 ) ({.... ou bien} 41. Nh3 Ng4 $3 {et les Noirs gagnent.} 42. Rxe2 fxe2 {et une nouvelle dame noire fait son apparition.}) 41... Kg8 42. h5 Kh7 {Un signe de force.} 43. e4 Nxe4 44. Nxe4 Qxe4 {Kasparov : et les noirs ont facilement gagné la partie.} 45. d6 {Alekhine : "Apparemment, les pions ne sont plus défendables".} cxd6 46. f6 gxf6 47. Rd2 Qe2 {Alekhine : "Une conclusion élégante, digne de la partie. Les noirs forcent une finale de pions gagnée".} 48. Rxe2 fxe2 49. Kf2 exf1=Q+ (49... e1=Q+ 50. Kxe1 Kg7 51. Kf2 Kf7 52. Ke3 Ke6 53. Ke4 d5+) 50. Kxf1 Kg7 51. Kf2 Kf7 52. Ke3 Ke6 53. Ke4 d5+ {Alekhine : L'une des plus belles parties que j'ai jamais jouées.} 0-1

dimanche 4 juillet 2021

Capablanca à Paris en septembre 1919

La première fois que Capablanca vient à Paris et au Café de la Régence, c’est en mars/avril 1911, suite à sa victoire au tournoi de Saint-Sébastien en Espagne. Il reviendra plusieurs fois avant le premier conflit mondial.

En septembre 1919, nous le retrouvons pour un court séjour. Mais cette fois-ci la rencontre avec les joueurs d’échecs ne se fait pas au Café de la Régence, 161, rue Saint-Honoré … mais au Café de l’Univers, juste à côté au 159, rue Saint-Honoré. En effet l’association des joueurs d'échecs, l'U.A.A.R., a quitté la Régence depuis juillet 1918 suite à un désaccord avec le propriétaire des lieux, Lucien Lévy. 
L'association s'appelle désormais "Les Échecs du Palais-Royal". Voir mon précédent article.

José Raul Capablanca

Il s’agit là de l’évènement le plus important qui se déroula au Café de l’Univers pour le jeu d’échecs avec l'association des Échecs du Palais-Royal, avant son déménagement au Café de la Rotonde dans le jardin du Palais-Royal.

La Stratégie - Septembre 1919

« Capablanca à Paris

Le maître cubain, venant d’Angleterre, fit un court séjour parmi nous du 6 au 15 septembre ; n’ayant pas été prévenu de sa visite écourtée, les organisateurs parisiens ont dû se contenter de deux séances fixées à bref délai. 
Toutes deux ont eu lieu aux Échecs du Palais-Royal (Café de l’Univers) : dans la première du samedi 6, le maître conduisit deux parties, l’une contre MM. A. Aurbach et W. Bienstock et l’autre contre M. A. Gibaud, il gagna les deux ; dans la seconde du samedi 13, Capablanca mena de front 25 parties ; en 2 heures, il obtint le brillant résultat de 24 gagnées et 1 nulle avec M. E. Pape, étonnant joueurs et spectateurs par l’extrême rapidité de son jeu précis et élégant. »

Pour la petite histoire il faut signaler que ce même Edouard Pape qui donna du fil à retordre à Capablanca en 1919, le battit lors d’une autre simultanée en mai 1922 à Paris ! 
Edouard Pape bête noire de Capablanca :-) !?

Source : Retronews - Le Petit Parisien, 14 septembre 1919

Dans l’article du Petit Parisien (ci-contre), ou encore dans le texte sous la photo du journal Excelsior, Edouard Pape se fait appeler Papin...

Source : Retronews - Excelsior 14 septembre 1919
Capablanca durant la simultanée du 13 septembre 1919 au Café de l'Univers.

« Hier, le fameux champion cubain des échecs, Capablanca, a joué en même temps vingt-cinq parties d’échecs dans un « meeting » organisé par la Société des échecs du Palais-Royal. 
La séance, commencée à 15h10, se termina à 17h10. Capablanca remporta brillamment vingt-quatre victoires, et fit une partie nulle avec M. Papin (sic). 
Si l’on songe que chaque joueur déplaça environ 40 fois ses pièces, le champion, pour leur répondre, marqua environ 1000 coups, soit 500 coups à l’heure.»

Voici 3 parties de cette visite de Capablanca à Paris.
J'ai laissé les commentaires de l'époque (qui comportent des erreurs d'analyse).
La manœuvre du roi noir de Capablanca dans la partie contre Bienstock est intéressante.

Source : Gallica - Journal "Paris Soir" du 13 mars 1925
Voir sur Héritage des Échecs Français une courte biographie de ce joueur d'échecs d'origine Russe.
[Event "Paris, Café de l'Univers"] [Site "?"] [Date "1919.09.06"] [Round "?"] [White "A.Aurbach et W.Bienstock"] [Black "Capablanca, J.R.."] [Result "0-1"] [ECO "C46"] [Annotator "Gaston Legrain"] [PlyCount "94"] {Partie publiée dans l'Action Française du 21 septembre 1919 et commentée par Gaston Legrain. A noter que les mêmes commentaires apparaissent dans la revue La Stratégie de septembre 1919, avec le commentaire : "Jouée le 6 septembre au "Echecs du Palais-Royal" (Simultanément avec une partie Capablanca-Gibaud)". Gaston Legrain indique que Capablanca a gagné les deux parties.} 1. e4 e5 2. Nf3 Nc6 3. Nc3 Bb4 4. Nd5 Bc5 ({La réplique habituelle} 4... Nf6 5. Nxb4 Nxb4 6. c3 Nc6 7. d4 exd4 {semble préférable} (7... Nxe4)) 5. Bc4 d6 6. d3 Na5 7. Bb3 {Ce coup délaisse l'initiative.} ({Envisageons} 7. b4 c6 (7... Nxc4 8. bxc5 Na5 9. cxd6 cxd6 10. O-O {avec un bon développement}) 8. bxc5 Nxc4 9. dxc4 cxd5 10. Qxd5) 7... Nxb3 8. axb3 c6 9. Nc3 Ne7 10. d4 exd4 11. Nxd4 O-O 12. O-O f5 13. Bg5 h6 14. Bxe7 Qxe7 15. Nxf5 Bxf5 16. exf5 Rxf5 {Liquidation favorable aux noirs} 17. Na4 (17. Qg4 Re5 18. b4 {suivi de b5 valait peut être mieux}) 17... Rd5 18. Qg4 Rf8 19. Nxc5 Rxc5 20. c3 Rcf5 21. Qd1 ({Il est évident que si } 21. Rxa7 Rxf2 22. Raa1 Qe3 {gagne}) 21... Rd5 22. Qc2 a6 23. Rae1 Re5 24. Rxe5 Qxe5 25. Qd2 Re8 26. Rd1 d5 27. b4 Qe2 28. h3 Qxd2 29. Rxd2 Re1+ 30. Kh2 Kf7 31. Kg3 Kf6 32. Kf3 Ke5 33. Rd4 b6 34. Rd3 Rb1 35. Re3+ Kd6 36. Re2 c5 37. bxc5+ bxc5 38. Ke3 c4 39. Kf4 g6 40. h4 a5 41. h5 gxh5 42. Kf5 a4 43. Kg6 Rc1 44. f4 a3 45. bxa3 Rxc3 46. f5 Rxa3 47. Re6+ Kc5 {Les blancs abandonnent, ils ne peuvent arrêter la marche des pions noirs du côté Dame, même par la menace de leur pion du fou du roi.} 0-1 [Event "Paris, Café de l'Univers"] [Site "?"] [Date "1919.09.??"] [Round "?"] [White "Bienstock, W.."] [Black "Capablanca, J.R.."] [Result "0-1"] [ECO "C68"] [Annotator "L'Action Française 2 mai 1927"] [PlyCount "102"] {Partie publiée dans l'Action Française du 2 mai 1927 dans la chronique de Gaston Legrain. Les commentaires sont de Wladimir Bienstock. La partie a été jouée en septembre 1919.} 1. e4 e5 2. Nf3 Nc6 3. Bb5 a6 4. Bxc6 {Variante employée avec succès par Emmanuel Lasker. Les pions blancs, côté Roi, obtiennent une situation prépondérante.} dxc6 5. d4 exd4 6. Qxd4 Qxd4 7. Nxd4 Bd7 8. Nc3 (8. Be3 O-O-O 9. Nd2 Ne7 10. O-O-O c5 11. Ne2 Nc6 {donne l'égalité}) 8... O-O-O 9. Be3 g6 10. O-O-O Bg7 11. Nde2 Ne7 12. f3 Rhe8 {préparant f7-f5} 13. Bf2 b6 14. Rhe1 c5 15. Nd5 Nxd5 16. Rxd5 ({Meilleur que} 16. exd5) 16... Be6 17. Rxd8+ Rxd8 18. a3 Bh6+ 19. f4 Bg4 20. g3 Bg7 21. Nc3 (21. e5 {vaut sans doute mieux que le coup du texte qui laisse le Roi exposé. La position des blancs est déjà difficile.}) 21... Bxc3 22. bxc3 Kb7 {Début d'une offensive subtile et intéressante.} 23. Be3 Kc6 24. Bd2 Kb5 25. Re3 c4 {Ce coup paralyse le jeu de la Tour.} 26. Re1 Ka4 27. h3 Bxh3 28. Rh1 Be6 29. Rxh7 Kxa3 30. g4 Bxg4 31. Rxf7 Ka2 32. Rxc7 (32. Rh7 {empêchait la manoeuvre qui va suivre mais la pression des pions du côté Dame devenait beaucoup plus forte.}) 32... Rh8 33. Be1 Rh1 34. Kd2 Kb2 35. Bf2 Rd1+ 36. Ke3 Kxc2 37. Bg3 Rd3+ 38. Kf2 Rd2+ 39. Ke3 b5 40. f5 g5 41. Be5 Re2+ 42. Kd4 Bf3 43. Kc5 Rxe4 44. Bd4 g4 45. f6 g3 46. Rg7 g2 47. f7 Rf4 48. Kb6 b4 49. cxb4 Kd3 50. Bc5 c3 51. Rxg2 Rxf7 {Les blancs abandonnent.} (51... Bxg2 {donne la nullité} 52. f8=Q Rxf8 53. Bxf8 c2 54. Bh6) 0-1 [Event "Paris, Café de l'Univers"] [Site "?"] [Date "1919.09.13"] [Round "?"] [White "Capablanca, J.R.."] [Black "Pape, Edouard"] [Result "1/2-1/2"] [ECO "C84"] [Annotator "La Stratégie, Septembre 1919"] [PlyCount "76"] {La Stratégie, septembre 1919. Partie jouée le 13 septembre 1919 dans la séance de 25 parties simultanée aux Echecs du Palais-Royal, à Paris.} 1. e4 e5 2. Nf3 Nc6 3. Bb5 a6 4. Ba4 Nf6 5. O-O d6 6. Bxc6+ {A ce coup favori du maître cubain, on préfère généralement Re1 ou d4} bxc6 7. Nc3 Be7 8. d4 exd4 9. Nxd4 Bd7 10. Qd3 O-O 11. Bg5 Ng4 12. Bxe7 Qxe7 13. f4 Rfe8 14. Rae1 c5 15. Nd5 Qd8 16. Ne2 Rb8 17. b3 a5 18. f5 Ne5 19. Qg3 f6 20. Nef4 Kh8 21. Re3 c6 22. Nh5 Rg8 23. Ndf4 Be8 24. Ne6 Qe7 25. Nhf4 ({Il semble que} 25. Qh4 {suivi de Rh3 ou Rg3 était plus fort}) 25... g5 26. fxg6 Nxg6 27. Qf2 Ne5 $1 {Très bien joué. Non seulement ce coup évite la liquidation favorable aux Blancs, mais il assure le gain d'une pièce par la menace Ng4 suivi de Bd7 et Rb7} 28. Rh3 Bd7 29. Qh4 Rb7 30. Nxc5 dxc5 31. Rg3 Rxg3 32. Qxg3 Rb8 33. Nh5 Rf8 34. Qc3 Ng4 35. h3 Qe5 36. Qxe5 Nxe5 37. Rxf6 Rxf6 38. Nxf6 Be6 {Partie nulle. Tout en restant avec de bonnes chances de gain, les Noirs offrirent la nullité afin de ne pas prolonger la séance pour cette seule et dernière partie.} 1/2-1/2

dimanche 30 octobre 2016

En 1911 au Café de la Régence...

Dans mon précédent article j'indiquais ne pas avoir trouvé de photographie avec ces échiquiers particuliers utilisés sur la gravure de l'Illustration en 1873.
M. Etienne Cornil (Belgique), que je remercie, vient de me rappeler à juste titre l'existence d'une photo avec cet échiquier. La voici:


Elle a été publiée dans la revue La Stratégie d'avril 1911.
Nous y voyons bien l'échiquier avec ses bords particuliers pour recueillir les pièces d'échecs comme sur la gravure de l'Illustration en 1873.

La Stratégie indique la légende suivante :
"Les deux frères champions parisiens"
à gauche Frédéric Lazard "Union Amicale de la Régence"
à droite Gustave Lazard "Cercle Philidor"

La photo a probablement été prise dans un café (la bouteille d'eau de Seltz sous pression dans le fond semble l'indiquer). Mais La Stratégie ne précise pas le lieu exact...
Je me plais à croire qu'elle a été prise au Café de la Régence...

Champions parisiens ?

C'est dans La Stratégie de Janvier 1911 que nous apprenons la victoire de Frédéric Lazard au "Tournoi-Championnat d'automne de L'Union Amicale de la Régence".
Il remporte largement le tournoi avec 12 points 2/3 sur 16 devant Gibaud avec 9 points 1/3.
2/3 ? Deux tiers ? Oui car les parties nulles comptèrent pour 1/3 de point...

Le numéro de La Stratégie d'avril 1911 donne le résultat du XXIIè tournoi annuel du Cercle Philidor remporté en 1ère classe par Gustave Lazard.
Le Cercle Philidor a plusieurs fois changé de lieu, mais sauf erreur il était toujours dans un café non loin de la place de la République à Paris.

Enfin pour terminer sur 1911, voici des informations relatives au café de la Régence (La Stratégie - Avril 1911).
José Raul Capablanca (1888 - 1942)

"Les visites que firent au Café de la Régence la plupart des maîtres ayant pris part au Tournoi de Saint-Sébastien ont donné pendant plusieurs jours à notre vieux temple parisien une physionomie d'animation inaccoutumée, au grand plaisir des habitués et, souhaitons-le, au profit de la propagande générale.
- Le 19 mars le maître russe Rubinstein donne dans l'après-midi une séance de 16 parties simultanées, il obtient le beau résultat de 14 victoires et perd contre MM. Gueffier fils et B. Tschabritsch.

- Le 24, une petite rencontre en trois parties est organisée entre les maîtres Teichmann et Taubenhaus. Résultats : Teichmann gagne les deux premières parties, la troisième ne pouvant rien modifier est jouée en analyses.

- Puis le 25, "l'Union Amicale", profitant du très court passage de Capablanca et pour fêter dignement le beau succès qu'il vient de remporter à Saint-Sébastien, réunit hâtivement en un banquet la plupart des sommités de l’Échiquier parisien auquel elle invite également Marshall le grand ami de la Régence et le toujours fidèle professeur Taubenhaus.

Malgré une organisation à l'improviste la fête est en tout point réussie et le jeune lauréat américain gagne bien vite les sympathies de tous les assistants venus le complimenter.
Sont présents : MM. Deroste qui préside, Tauber, Pape, Place, Constant-Bernard et Levy du comité de l'U.A.A.R; MM.Antoniadi, A. Joliet, Merle, Singer, Letorey, Gestesi, etc.
Après le banquet: splendide exploit de notre vétéran A. Joliet, de la Comédie, qui conduit simultanément deux parties, contre... Capablanca et Marshall !! Résultat: une partie nulle avec le dernier nommé; l'autre perdue avec... beaucoup d'esprit.

- Pour terminer la soirée Capablanca mène de front huit parties contre quelques forts amateurs de la Régence, d'aucuns luttant pour leur propre compte, d'autres opposant leurs forces regroupées. Le jeune maître américain joue avec une rapidité vraiment surprenante, puisque exactement en 22 minutes ! il termine sur les huit échiquiers, gagnant 7 parties et ne perdant que celle avec M. Halberstam.