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mercredi 4 avril 2012

Lucien Lévy

Il y a quelques temps j’avais parlé d’un propriétaire du Café de la Régence vers 1850, Claude Vielle.
Voici un article sur un autre propriétaire, Lucien Lévy.

Lucien Lévy est un parisien, né le 13 mai 1864 dans le 11ème arrondissement de Paris.
Il est issu d’une famille modeste comme nous l’apprend son acte de naissance (source archive de Paris). Au moment de sa naissance, son père Louis Lévy est commis, et sa mère, Marguerite Félicité Jacob est institutrice. 

 (Source - Archives de Paris)

Il se marie le 29 juin 1897 avec Laure Jenny Rachel Reiss sans profession.
L’acte de mariage indique que Lucien Lévy est alors négociant sans plus de précision.

Son ascension sociale est certaine puisqu’il arrive en 1903 à faire l’acquisition du très à la mode Café de la Régence. Très à la mode car je rappelle que celui-ci fait face au Théâtre-Français…
Le propriétaire jusqu’au début de l’année 1903, depuis plus de 25 ans est Joseph Kieffer, Alsacien et vétéran de la guerre franco-prussienne de 1870.

L'été 1903 correspond à de gros travaux suite au changement de propriétaire.
D’ailleurs à l’occasion de ces travaux de nombreux journaux parisiens de l’époque annonçaient la fin des échecs au café de la Régence (article à suivre). La toute jeune association de la loi de 1901 l’UAAR (Union Amicale des Amateurs de la Régence – créée le 5 décembre 1902 – source La Stratégie) allait-elle disparaître ?

Il n’en est rien, et à l’issue de ces grands travaux de l’été 1903, les joueurs d’échecs reprennent leurs habitudes sans doute grâce à l’habileté du président de l’UAAR Eugène Deroste (avocat parisien réputé).

L’assemblée générale de l’UAAR qui suit nomme Lucien Lévy comme trésorier de l’association (Joseph Kieffer l’ancien propriétaire ayant été le 1er trésorier).
Contrairement à Claude Vielle (ancien propriétaire) je n’ai pas (encore ?) trouvé de trace de Lucien Lévy joueur d’échecs. C’est peut être justement là un des problèmes.

Ensuite en 1910 de nouveaux grands travaux ont lieu qui augmentent considérablement la surface de ce qui n’est plus maintenant un simple café mais plutôt un vaste restaurant où se jouent des concerts. 


Voici une carte postale qui date de cette époque (dessus est écrit 1915) trouvée sur le site de vente de cartes postales Delcampe.
Le restaurant qui fait face à la Comédie-Française est imposant, c’est le moins que l’on puisse dire.
Il est à noter que la vieille pancarte indiquant sur la façade la création du café en 1718 - à une autre adresse d’ailleurs, voir un de mes premiers articles surle Café de la Régence – cette pancarte a disparu.

Vaille que vaille l’UAAR survit dans un local de plus en plus exigu semble-t-il au sein du Café de la Régence. Mais tout n’est pas si rose. Lucien Lévy doit sans doute vivre un peu mal la présence de ses joueurs d’échecs qui font un peu tâche dans ce restaurant rutilant. Des tensions apparaissent.

Manifestement Lucien Lévy mène également la vie dure à ses employés.
Pour rentabiliser son affaire, il use ses employés, et 15 d’entre eux finissent par déposer plainte contre lui en 1910 (source archive de la préfecture de police).
Il est convoqué au commissariat du Palais-Royal pour donner sa version des faits que voici.


(Source - Archive de la préfecture de police de Paris - Main courante du commissariat du Palais-Royal 1910)

Main courante du commissariat de police du quartier du Palais-Royal
4 et 6 juin (1910) - N°463 – Parquet
Etat Civil
Lévy (Lucien) né le 13 mai 1864 à Paris 11ème de Louis et de Jacob Félicité, marié avec Mlle Reiss (Laure) le 1er juillet 1897 à Paris 1er arrondissement. Propriétaire du Café de la Régence 161 rue Saint-Honoré.
Résumé de l’affaire
Instruction du parquet pour interrogatoire
Infraction à la loi du 13 juillet 1906 – quinze employés n’ayant pas le repos hebdomadaire – Dit que les employés prennent ce qu’ils veulent et beaucoup préfèrent grouper leur repos pour avoir plusieurs jours de suite – Mais tous ont la faculté de prendre un jour par semaine.

Mais la disparition du président de l’UAAR, Eugène Deroste décède le 5 novembre 1917 à l’âge de 68 ans (source La Stratégie), ainsi que la 1ère guerre mondiale (et fatalement une moins grande fréquentation du lieu par les joueurs d’échecs) entraîne le divorce entre le Café de la Régence et l’UAAR  – Ceci fera l’objet d’un prochain article.

Divorce provisoire puisque dans les années 30 un nouveau propriétaire donnera ses dernières heures de gloire au jeu d'échecs dans ce lieu mythique.

vendredi 30 septembre 2011

Le gambit d'Aquitaine

Voici un article extrait de la revue « La Stratégie » de mars 1917.
L’article n’a que peu d’intérêt théorique, surtout à l’heure actuelle où il est possible avec un bon logiciel d’échecs de vérifier en quelques minutes si un sacrifice tient ou non la route.
(Image : La Stratégie - Source BNF)

Mais son intérêt est ailleurs. Au travers de cet article on voit bien l’importance qu’occupe encore le Café de la Régence dans les échecs français du début du 20ème siècle.
Il montre également l’étroite relation entre les différentes revues françaises d’échecs du 19ème et début 20ème siècle avec le fameux Café de la Régence.

Dernière précision: la notation dans « La Stratégie » est une notation descriptive française. Je l’ai transcrite en notation algébrique pour une lecture plus aisée.

Le Gambit d’Aquitaine dans la partie Lopez

1.é4 é5 2.Cf3 Cç6 3.Fb5 a6 4.Fxç6 dxç6 5.Cxé5 Dd4 (ou De7 ou Dg5) 6.0-0 Le coup constitutif, comme dit notre directeur Delaire. 6….Dxé5 7.d4

Voici la position que notre confrère anglais, le British Chess Magazine (mars 1917, p.71) soumet à l’appréciation de ses lecteurs, à la suite d’une lettre adressée par R.Gaudin, de Bordeaux, champion de l’Echiquier d’Aquitaine, l’inventeur de ce « gambit ». Mr. G. semble bien se douter que son gambit ne saurait résister à une analyse sérieuse, mais il sollicite néanmoins l’examen en vue de son emploi pratique.

Un coup d’œil sur la position révèle l’idée qui a présidé au sacrifice : la D noire est embarrassée, elle n’a directement pas de bonne case à sa disposition. En effet les deux cases sur le côté (Db5 – Da5) ne paraissent pas recommandables, tandis que, sur chacune des 4 autres cases – d6, e6, e7 et f6 elle gène manifestement le développement des pièces noires, tout en restant exposée à l’attaque des P blancs.
Après quelque réflexion, je me suis décidé en faveur de
7. … Df6
Et cela dans l’intention avouée de porter la D à une des deux cases – g6 ou h4, où elle parait être pratiquement inattaquable, tout en préparant une attaque sur le R noir.
Là-dessus je me retourne vers les blancs pour examiner leurs chances. Ils ont un beau centre, c’est incontestable. Mais aussi c’est tout, car le P en plus ne saurait compter comme compensation de la pièce sacrifiée. Leurs deux pièces mineures, F et C, n’ont pas de bien brillantes perspectives. Je me demande particulièrement où devra aller le C et je reste perplexe. Mais avant tout, par suite de l’échange fait au 4ème coup, ils n’ont plus de FR (Fou Roi) ; il leur manque le F d’attaque, sans lequel Philidor, Tarrasch et maints autres ont déclaré ne rien savoir inventer. Il faut donc que l’avantage constaté ou entrevu par le promoteur du gambit consiste dans la difficulté que devront éprouver les Noirs à se développer. Dans ce sens, le gambit est vraiment original. Il est, en effet, d’ordre stratégique, tandis que tous les autres gambits où l’on sacrifie une pièce au début (Muzio, Pierce, Allgaier, Rice, etc.) sont d’ordre tactique et visent directement la position du R noir.
Or pour gêner le développement des Noirs, notamment celui de leur FD (qui menace de dominer, à la longue, sur les cases blanches, conséquence logique de la disparition du FR des Blancs), le meilleur coup parait être
8.f4
Sur quoi les Noirs, réalisant le plan conçu, jouent de suite
8…. g6
Il importe de ne pas laisser venir le P blanc à f5, où il paralyserait pour longtemps le FD des Noirs. Exemple : 8….Dh4 9.f5 Cf6 10.Tf4 Dh5 11.De1 g5 12.Tf1 et le développement des Noirs est pénible. Le coup 8…g6 donne, en outre, une nouvelle issue au FR.
Maintenant le développement des Noirs est assuré. Si 9.é5, à ce moment ou plus tard, ils obtiendront la commande des diagonales blanches pour leur FD. Si par exemple
9.Cc3 Fg7 10.Fé3 Fé6 11.f5 (ou A) 11….gxf5 12.exf5 Fxf5 (12….Fd5 est complètement sûr) 13.g4 Dé7 14.Ff4 Fé6 suivi de Roq TD (grand Roque) et gagnent.
A 11.Ca4 000 12.Cc5 Ff8 13.Cd3 Fxc4 etc. Tout ceci à simple titre d’indication.

Désireux d’avoir l’opinion de quelques très forts joueurs, j’ai soumis au Café de la Régence, le Gambit d’Aquitaine à aéropage de Maîtres, composé de MM. Jean Taubenhaus, Aurbach, E.M.Antoniadi et H.Weinstein, ce dernier tout récemment revenu de Pétrograd. Leur avis unanime a été que, dans la position relativement favorable où se trouvaient les Noirs au 7ème coup, avec leurs deux F dégagés, leur grand Roq assuré, le sacrifice des Blancs n’avait pas obtenu de compensation suffisante. Après quelques analyses sur les lignes indiquées par moi, ces messieurs ont déclaré qu’en allant plus loin ils craindraient « d’enfoncer des portes ouvertes ».
J’en conclus donc que le Gambit de M.Gaudin ne peut être considéré que comme une ingénieuse fantaisie. Ça peut se jouer, contre un joueur faible, dans une partie légère, mais là tout peut se jouer, même des parties à avantage. Mais c’est intéressant, dites-vous ? Oui, je sais bien, les Échecs sont un jeu très intéressant.
J’affirme que je n’ai mis aucun parti-pris dans les lignes qui précédent, et je me sais couvert, dans mes conclusions, par l’unanimité des meilleurs joueurs de France. Peut-être M.Gaudin en tirera-t-il la conclusion qu’il est certaines innovations et inventions qu’il vaut mieux ne pas soumettre à l’examen de la presse échiquéenne. Encore moins faut-il s’étonner de ne pas trouver trace de pareilles fantaisies dans le « Handbuch ». Le célèbre manuel, quelque volumineux qu’il soit, comporte de nombreuses lacunes d’ordre plus sérieux. Ainsi j’ai constaté que la dernière édition ne mentionne pas la défense Rosenthal dans la partie Ecossaise (1.é4 é5 2.Cf3 Cç6 3.d4 éxd4 4.Cxd4 Cxd4 5.Dxd4 Df6)

Paris, 15 mars 1917   A.Geoffroy-Dausay