vendredi 30 septembre 2022

L’émergence des ligues régionales

Après dix premières années difficiles pour la Fédération Française des Échecs, qui a vu à plusieurs reprises son existence même menacée, un nouveau président arrive à la tête de la FFE, Pierre Biscay, en 1932 avec une nouvelle idée : la création de ligues régionales.

(La Fédération Française des Échecs) a la charge de l’administration, les ligues, celle de l’organisation.
 
Mais peut-être a-t-il repris cette idée à son compte pour ne pas se laisser déborder...
 
Pierre Biscay - L'Echiquier 1933
Héritage des Échecs Français
 
Mais revenons à l’origine. Dans le bulletin numéro 53 de la FFE (novembre-décembre 1931) j’ai découvert ce qui me semble être la première mention d’une ligue régionale, « sous-entité », « organe décentralisé » ou bien tentative de sécession vis-à-vis de la Fédération Française des Échecs alors en difficulté ?
 

Bulletin n°53 de la FFE - Novembre Décembre 1931 - Fonds Mennerat Belfort

Ligue des Cercles d’Échecs de la Région Parisienne

Le mercredi 2 décembre 1931, la L.C.E.R.P., dont le siège social est fixé au grand Café de la Bourse, 2, rue de la Bourse, à Paris, a élaboré ses statuts et élu son bureau qui est ainsi constitué :

Président, M. Segal (Lutèce) ; vice-président, M.Collins (British) ; secrétaire, M. A. Milaire (Buttes-Chaumont) ; secrétaire-adjoint, M. Lion (Fou du Roi) ; trésorier, M. Guyot (Nation) ; trésorier-adjoint, M. Thadée Lilienstern (Potemkine) ; directeur technique, M. A. Voisin (Butte-Chaumont) ; représentant des Cercles de la Banlieue, M. Louvet (Echiquier Dyonisien) ; directeur de la Propagande, M. L . Désandré (Astarté).

La FFE est certaine que sous la présidence éclairée de M. L. Segal, la LCERP fera du bon travail et obtiendra d’excellents résultats.


Mais en fait tout n’est pas si rose que ça, car dans le bulletin suivant de la FFE (Bulletin numéro 54 – Janvier Février 1932) on apprend :

(…) Néanmoins, la FFE regrette vivement que, par suite d’un désaccord sur l’un des articles des statuts de la Ligue, l’un des cercles les plus actifs et des plus influents de Paris, le Cercle de la Rive Gauche, n’ait pu adhérer à la nouvelle Ligue et nous espérons encore un arrangement amiable. (…)

Dès le début, nous avons donc déjà un désaccord… Est-ce une constante indissociable de la ligue d'IDF ?
 

Le Journal Officiel du vendredi 8 avril 1932 publie l’annonce officielle de la création de l’ancêtre de la Ligue IDF.

Déclaration du 11 mars 1932 (n° 169368). LIGUE DES CERCLES D’ÉCHECS DE LA RÉGION PARISIENNE. But : diffusion du jeu d’échecs dans la région parisienne. Siège social : 21, avenue Victor-Emmanuel III, Paris (7e).

En tout cas, cette idée plait bien au futur président de la FFE, Pierre Biscay. Elle fait partie de son programme quand il est élu le 26 avril 1932 à la présidence de la FFE.
 
Extrait du bulletin n°56 de la FFE de juillet 1932 - Fonds Mennerat Belfort

(…) Le programme du nouveau Comité est le suivant : Création de ligues régionales (…)
 
Et un peu plus loin dans le même bulletin, ouf la ligue de Paris ne fera finalement pas sécession !
A noter aussi que la première ligue régionale de province est celle de Moselle.
 

LIGUES

La Création des Ligues est l’un des points du programme fédéral et tous les cercles en comprendront l’utilité.
Ces ligues ne sont pas des États dans l’État, mais des organismes destinés à faciliter la bonne marche de la Fédération. Celle-ci a la charge de l’administration, les ligues, celle de l’organisation : il est bien évident que seul un comité composé des Membres des cercles intéressés pourra organiser soit des rencontres inter-cercles, soit un championnat régional.
Deux ligues florissantes sont déjà officiellement formées : la Fédération de la Moselle et la Ligue de Paris. Cette dernière, par suite d’un malentendu initial, avait paru ne pas vouloir prendre part à l’œuvre fédérale ; mais nous sommes heureux d’annoncer qu’il n’en est rien et que son accord avec la FFE est dès maintenant réalisé. (…)


L'idée fait son chemin, et dès le bulletin suivant de décembre 1932 (Bulletin n°57 de la FFE) apparaissent les noms des Ligue de l’Ouest, Ligue de Normandie, Ligue du Nord-Est...
 

Et quelques années plus tard, dans le bulletin de Mars 1938, se trouve une proposition de statuts des ligues Echiquéennes en France, Algérie, Tunisie, Colonies Françaises et Pays de Protectorat …
 

jeudi 29 septembre 2022

Une célèbre gravure

Dans mon article d'hier, j'ai publié un portrait de Jules Arnous de Rivière provenant d'une gravure du journal The Illustrated London News en date du 14 juillet 1855.
 

The Illustrated London News - 14 juillet 1855 - British Newspaper Archive
 
L'intérêt de cette gravure est d'avoir un portrait de Jules Arnous de Rivière quand il était jeune.
Car le plus souvent il est représenté quand il avait déjà un certain âge, avec son bonnet d'astrakan caractéristique.


Un lecteur de ce blog m'a demandé de voir la gravure dans son intégralité. C'est donc l'occasion d'en faire un petit article.
 
Elle est assez connue et il est facile de la trouver sur internet, par exemple ici
 
 
Cette gravure est accompagné d'un texte concernant le banquet final du congrès d'échecs de Leamington.
Leamington Chess Meeting at the Regent Hotel, June 25th 1855
 
Les différentes personnes sur la gravure sont listées ci-dessous. J'indique également leur rang mondial estimé selon l'EDO Historical Chess Rating de 1855.
 
n°1 - Lowenthal, Johann - 8ème selon l'EDO - 2552
n°2 - Arnous de Rivière, Jules - 17ème selon l'EDO - 2455
n°3 - Wyvill, Marmaduke - 27ème selon l'EDO - 2435
n°4 - Falkbeer, Ernst - 23ème selon l'EDO - 2446
n°5 - Staunton, Howard - 3ème selon l'EDO - 2632
n°6 - Lyttelton, George - 161ème selon l'EDO - 1782 - Le meeting est sous son patronage.
n°7 - Kennedy, Hugh - 51ème selon l'EDO - 2366
 

mercredi 28 septembre 2022

Lettre d‘Arnous de Rivière à Tassilo von der Lasa en date du 18 mai 1854

Voici la plus ancienne lettre disponible au sujet de la correspondance entre Jules Arnous de Rivière et Tassilo von der Lasa. Elle date du 18 mai 1854, et provient de Kornik en Pologne (voir mon précédent article). Ce n'est pas forcément la plus intéressante, le meilleur est à venir !
 
Portrait de Jules Arnous de Rivière
Extrait d'une gravure publiée dans le journal Britannique Illustrated London News du 14 juillet 1855
 
Qui sont les protagonistes de cette lettre ?

En 1854, Jules Arnous de Rivière est un jeune homme de 24 ans, d’un très bon niveau aux échecs, qui s’adresse à Tassilo von der Lasa, un diplomate au service de la Prusse âgé de 36 ans, mais également un des meilleurs joueur d’échecs au monde à cette époque. Jules Arnous de Rivière sera par la suite, et jusqu’à son décès, un personnage majeur du jeu d’échecs en France jusqu’au tout début du XXe siècle.
 
Tassilo von der Lasa
Il est fait mention « du Cercle », de quoi s’agit-il ?

Jusqu’en août 1853, le propriétaire du Café de la Régence, Claude Vielle, organise son établissement en plusieurs parties. Au rez-de-chaussée se trouve le café proprement dit, avec le tout-venant aux échecs, et au premier étage se trouve un cercle privé, là où a eu lieu en 1843 le match entre Saint-Amant et Staunton.

En août 1853, le jugement d’expropriation du Café de la Régence est publié dans la presse. En effet, la Place du Palais-Royal va être totalement revue avec notamment le percement de la rue de Rivoli et le dégagement du Palais du Louvre, nous sommes au début des grands travaux parisiens sous Napoléon III.
 
Ainsi, le Café de la Régence se retrouve provisoirement au 21 rue de Richelieu (jusqu’en 1855). Et de son côté, le Cercle des échecs, qui était depuis plus de 10 ans au 1er étage du Café de la Régence quand il était place du Palais-Royal, se réfugie au-dessus du Café de Lyon (au Palais-Royal), sous le nom de « Cercle Philidor » (encore un !)...

Que contient la lettre ?

Il est fait mention de deux brochures sur les règles du jeu d’échecs. En effet, à l’époque, les règles sont loin d’être uniformisées partout en Europe. Il suffit par exemple de citer la règle particulière du Roque en Italie (évoquée dans la lettre), où le Roi peut aller dans le coin de l’échiquier (c'est-à-dire en h1 au lieu de g1). Le Café de la Régence dispose de ses propres règles pour jouer aux échecs, que l’on trouve par exemple dans une brochure écrite en 1844 par Claude Vielle, le propriétaire des lieux.
 
Jules Arnous de Rivière évoque également sa chronique d’échecs qu’il a démarré dans le journal « L’illustration ». Lionel Kieseritzky, joueur le plus fort d’alors au Café de la Régence, est décédé en mai 1853, et depuis 1851, la revue d’échecs « La Régence » dont il était le rédacteur principal, a disparu et n’a pas encore trouvé de repreneur. 
 

Par Claude Vielle

Voici le texte de cette première lettre.
 
Paris, 18 mai 1854        

Monsieur,

Je viens vous remercier au nom du Cercle (mais j’ajouterai avec plus de vérité en mon propre nom, car le Cercle est inanimé) de l’envoi de deux brochures de M. Jaenisch « Règles du jeu des Échecs, etc » et je crois pouvoir vous dire que si les Amateurs Français ne prennent pas de ce travail la connaissance approfondie qu’il mérite, ils seront du moins assez sages pour donner leur adhésion pur et simple aux lois que vous avez faites et qui sont déjà enseignées en France pour la plupart.

Cependant quelques membres du Cercle ont entrepris la lecture de ce code nouveau et l’ont trouvé fort bon, fort utile ; il est certes bien désirable que l’on s’entende sur tous les points et unanimement (sur le Roc, la prise des Pions au passage, le système de notation et la durée des parties) ; j’ai le ferme espoir que vous réussirez à mener à bonne fin cette entreprise et si mon concours – tant insignifiant qu’il soit – vous paraitrait utile, je vous prie, Monsieur, de disposer de moi avec une entière liberté.

Maintenant permettez-moi de vous demander pour la publication que j’ai commencée dernièrement dans l’Illustration Française deux ou trois de vos parties. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’elles seront lues avec admiration par tous les vrais amateurs en France et reçues par moi avec reconnaissance.

Depuis la mort de M. Kieseritzky, personne ne s’était occupé de publier sur les échecs, je me suis dévoué à cette tâche très pénible ici, je vous assure, à cause de l’apathie du plus grand nombre. M. Staunton est en correspondance avec moi depuis que j’ai quitté Londres, voilà bientôt six semaines.

Mon nom vous étant très méconnu je me recommanderai, Monsieur, de deux noms qui vous sont amis. Pendant mon séjour en Angleterre j’ai rencontré souvent M. John Wallis qui est un intime dans la maison de mon oncle. Il m’a longuement parlé de vous et me disait que déjà à l’Université de Berlin (?) vous étiez un grand joueur d’échecs. M. Gréville se rappelle par mon intermédiaire à votre bon souvenir.

Agréez, Monsieur, l’expression des sentiments que je vous porte comme amateur passionné des Échecs, ce sont ceux du respect et d’une admiration sans bornes.
Personnellement j’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre tout dévoué serviteur.

J.Arnous de Rivière
95 Faubourg St Honoré
Paris


mardi 27 septembre 2022

La correspondance de Tassilo von Heydebrand und der Lasa

Tassilo von Heydebrand und der Lasa est un personnage central des échecs en Allemagne au XIXe siècle.
Sa page Wikipedia est tout à fait correcte d'après Herbert Bastian et je vous invite à la consulter.
Tout au long de sa vie, le Baron von der Lasa a entretenu une correspondance assez abondante à travers l'Europe. Son but était d'enrichir sa collection de livres et de manuscrits sur le jeu d'échecs.
 
Tassilo von Heydebrand und der Lasa - Wikipedia, photo non datée

J'ignorais l'existence de cette correspondance jusqu'à ce qu'Herbert Bastian me la fasse découvrir. Je le remercie tout particulièrement de m'avoir partagé les informations et les documents au sujet de cette correspondance. Je remercie également la bibliothèque de Kornik en Pologne. Car la bibliothèque de Tassilo von Heydebrand und der Lasa est conservée au château de Kornik en Pologne.

Les copies des documents que j'ai obtenues représentent la correspondance de von Heydebrand approximativement sur la période de 1840 à 1890.
 
Kornik, Pologne - Autographe de Lionel Kieseritzky
 
Ces lettres sont en Allemands (essentiellement de la part de Lionel Kieseritzky à Paris - mais difficiles à déchiffrer - différentes de celles que j'ai déjà publiées), en Italien (majoritairement d'un dénommé Enrico Del Lungo que je ne connais pas) et en Français de différentes personnes.
 
Kornik, Pologne - Autographe de Serafino Dubois

Celles en Français proviennent pour beaucoup du collectionneur Camille Théodore Frédéric Alliey (qui partageait la même passion que Tassilo von Heydebrand et écrivit notamment pour Le Palamède), de Jules Arnous de Rivière (personnage central des échecs en France pour la deuxième moitié du XIXe siècle) et de Numa Préti (alors directeur de la revue consacrée au jeu d'échecs La Stratégie fondée par son père Jean Préti). Mais pas uniquement.
 
Kornik, Pologne - Enveloppe d'une lettre envoyée par Numa Préti 

La difficulté consiste à déchiffrer ces lettres (ce qui est un peu compliqué avec l'écriture d'Alliey par exemple et très complexe avec Kieseritzky en Allemand), à les resituer dans leur contexte et à en mesurer leur intérêt. Ainsi pour la trentaine de lettres écrites par Numa Préti très peu portent des informations intéressantes sur l'histoire des échecs durant cette période.

Mais ce n'est pas le cas avec la quinzaine de lettres d'Arnous de rivière qui sont très intéressantes notamment au sujet de ses relations avec Saint-Amant et l'échec de l'organisation d'un tournoi international d'échecs à Paris en 1855. Tout devient clair avec les révélations de Jules Arnous de Rivière...

Je publierai dans les jours à venir une première lettre d'Arnous de Rivière.
 
Kornik, Pologne - Autographe de Jules Arnous de Rivière

dimanche 25 septembre 2022

Match Paris-Londres par correspondance

Avec la rivalité entre les deux pays, la France et l'Angleterre, le fait de montrer sa supériorité par une joute intellectuelle comme le jeu d'échecs apparait comme étant d'une grande importance, surtout quelques années seulement après la cinglante défaite de Waterloo.

Le seul portrait connu à ce jour de La Bourdonnais - Le Palamède 1842

La première tentative d'un match par correspondance semble être à l'initiative des Français en fin d'année 1823, et plus particulièrement de la part de La Bourdonnais. Malheureusement le match n'aura pas lieu.
Il faudra attendre 1834 pour qu'une deuxième tentative aboutisse, avec une victoire totale des joueurs Français...

Voici quelques extraits de journaux de l'époque au sujet du match avorté. Détail intéressant, on y apprend qu'il existait alors à Paris un Cercle Philidor, au-dessus du Café de la Régence, à ne pas confondre avec le Cercle Philidor qui sera fondé dans les années 1880 à Paris et qui subsistera jusqu'à la deuxième guerre mondiale.
 
La Bourdonnais est appelé "le second joueur d'échecs de Paris" par les Anglais, le premier étant Alexandre Deschapelles qui se retira peu de temps après des échecs, pour revenir en 1836.


14 février 1824 Journal des débats - Retronews

Le club des échecs de Paris a invité le club des échecs de Londres à jouer une partie. L'enjeu est de 50 guinées. Deux comités de cinq membres dirigent les opérations de cette guerre pacifique. Les mouvements sont transmis d'une capitale à l'autre par la poste.
 
Le Journal des débats est alors un peu en retard sur l'actualité, car en fait le match est déjà annulé, comme on l'apprend dans Le Pandore du 23 février 1824.
 


GUERRE ENTRE LA FRANCE ET L'ANGLETERRE.
 
Quoique la politique nous soit interdite, nous osons annoncer avec assurance que la guerre s'est rallumée entre la France et l'Angleterre. Le Courrier anglais avait déjà parlé du défi porté par le club des Échecs de Paris, nommé le Cercle de Philidor, au Chess-club de Londres; les mouvements devant être transmis par la poste ou par courriers extraordinaires.
 
Le défi a été accepté, et cinquante guinées ont été déposées pour l'enjeu. Mais il parait que la discorde s'est introduite dans le Cercle de Philidor, qui est sur le point d'être dissous. En conséquence , M. de la Bourdonnaye , qui est le second joueur d'échecs de Paris (second player in Paris), a rompu la gageure.
Deux parties devaient être jouées en même temps ; les Français enraient eu le premier coup dans l'une, et les Anglais dans l'autre ; et l'on a calculé que, si les coups étaient transmis par la poste , ces deux parties auraient duré environ un an. 

Un enthousiaste des échecs du club de Londres a prétendu que l'honneur national était compromis dans une telle affaire , et que les ministres devraient rétablir les communications télégraphiques entre les deux pays pour cet objet spécialement.
Ce projet abrégerait considérablement la durée de ces parties, et ne coûterait aux deux pays que la bagatelle de dix mille livres sterlings ( 250,000 francs). 

Et finalement le club de Londres jouera un match contre un cercle Écossais comme nous l'apprend un journal Britannique parmi d'autres.


13 mai 1824 – Devizes and Wiltshire Gazette - Article que j'ai partiellement traduit en Français

Nous avons indiqué il y a quelque temps que le Club d'échecs de Paris, appelé le Cercle de Philidor, avait lancé un défi au Club d'échecs de Londres pour toute somme que ce dernier pourrait désigner ; les coups devaient être transmis soit par la poste, soit par des courriers extraordinaires.
Le London Chess-Club accepta le défi, nomma un comité de ses propres membres pour diriger les coups, et proposa que la mise soit de 50 guinées par partie. Une réponse fut renvoyée par M. Labourdonnaye, le premier joueur d'échecs de Paris, qui envoya le défi de la part du Club français, déclinant le match, au motif que le Cercle de Philidor était sur le point de se dissoudre.
 
En 1836, La Bourdonnais lance son journal d'échecs Le Palamède, et un des tous premiers articles qu'il rédige est consacré justement au match entre Paris et Londres par correspondance, match commencé deux années auparavant en 1834. La Bourdonnais nous parle également des évènements de la fin d'année 1823. 
 
Le Palamède 1836

UN DÉFI PAR CORRESPONDANCE.
 
On a beaucoup entendu parler de ces interminables parties d'échecs qu'on se léguait eu mourant, en Espagne surtout ; aussi, plusieurs fois on est venu me demander s'il était vrai que j'eusse accepté de continuer une partie par correspondance commencée par Philidor il y a soixante ans. A diverses époques, de forts amateurs d'échecs, séparés par de grandes distances, ont effectivement joué par lettres. 

En 1821, quelques amateurs formèrent un cercle au-dessus du café de la Régence, et le nommèrent cercle de Philidor. M. Deschapelles en était le président , et moi le secrétaire. Nous envoyâmes un défi au club de Londres, laissant nos adversaires maîtres de fixer la somme qu'ils voulaient engager. Les Anglais nous répondirent au bout de trois mois. Dans l'intervalle, quelques divisions s'étaient glissées dans notre cercle, dont le local était trop rétréci. Nous nous trouvâmes dans la nécessité de suspendre le défi. Les journaux anglais s'étaient beaucoup occupés de cette petite guerre ; dès qu'ils virent qu'elle ne s'engageait pas, ils dirent que probablement les Français avaient craint une seconde journée de Waterloo. 

Alors je me décidai à partir pour l'Angleterre, et bien qu'à cette époque je ne fusse regardé que comme de seconde force en France, je donnai un défi à tous les joueurs d'Angleterre. Ils acceptèrent et furent battus.
 
Il y a deux ans, un club d'échecs de Paris a proposé un défi à un club de Londres ; le défi a été accepté, et l'une des parties, la première, a déjà été perdue par les Anglais; l'autre continue, et nous parait belle. Le défi ne se compose que de deux parties. MM. Boncourt, Saint-Amant, Alexandre et Cbamouillet ont supérieurement conduit le jeu français. 
 
Voici les deux parties de ce match entre Paris et Londres, match commencé en 1834 et achevé en 1837 par deux victoires.La partie où Paris est le joueur en second est particulièrement intéressante d'un point de vue historique.C'est en effet après cette partie que la partie du pion Roi un pas devient la partie Française...
Une défense particulièrement appréciée par le joueur Jacques François Mouret qui en était le promoteur. 
 
La première partie est commentée par La Bourdonnais, et la seconde par Saint-Amant, dont les commentaires sont particuliers :-)


[Event "Correspondance"] [Site "?"] [Date "1834.??.??"] [Round "?"] [White "Londres"] [Black "Paris Cercle des Echecs"] [Result "0-1"] [ECO "C01"] [Annotator "de la Bourdonnais"] [PlyCount "54"] {A noter qu'en fait le club de londres avait les noirs et le trait. Pour une lecture moderne de la partie je leur donne les blancs - JOL.} 1. e4 e6 2. d4 d5 3. exd5 exd5 4. Nf3 Nf6 5. Bd3 c5 6. Qe2+ {Ce coup de la part des blancs est une faute. Cet échec fait sortir une pièce aux noirs et place la dame devant le roi, position souvent dangereuse.} Be7 7. dxc5 O-O 8. Be3 {Les blancs, en jouant ce coup, veulent défendre le pion qui a pris le gambit de la dame, et cette défense est très dangereuse; ils auraient mieux fait de roquer et d'abandonner le pion.} Re8 9. Bb5 {Ce coup est très mal joué, il ne sert qu'à faire dégager le jeu de son adversaire.} Nc6 10. Nd4 {En portant à cette case leur cavalier, les blancs pensent gagner un pion ou forcer les noirs à un coup de défense; ils se trompent de nouveau, les coups suivants vont le démontrer} Bxc5 11. Bxc6 {Si les blancs avaient pris le cavalier avec leur cavalier, les noirs n'auraient pas dù reprendre, mais porter leur dame à la troisième case de son cavalier; par ce coup, ils auraient repris leur pion avec une excellente position.} (11. Nxc6 Qb6 $1) 11... bxc6 12. c3 {Les blancs ne peuvent prendre le pion avec leur cavalier, car s'ils le faisaient, les blancs, en jouant leur dame à la 3è case de son cavalier, gagneraient une pièce} (12. Nxc6 Qb6 $1) 12... Bxd4 13. cxd4 c5 14. Qd3 {C'est ici que l'on peut voir combien la position de la dame blanche devant son roi était dangereuse. Les blancs, sur ce coup, en portant leur dame à sa 3è case, jouent encore fort mal; elle eût été mieux placée à sa deuxième case.} Qb6 15. O-O Ba6 16. Qb3 Qxb3 17. axb3 Bxf1 18. Kxf1 Ng4 19. dxc5 Nxe3+ 20. fxe3 Rxe3 21. Nd2 Rae8 22. b4 Rd3 23. Rxa7 {Les blancs, en prenant ce pion et en abandonnant leur cavalier, terminent par une faute grave une partie fort mal jouée dès le début. S'ils voulaient continuer la partie qu'ils devaient perdre infailliblement, il fallait conserver ce cavalier; en le perdant, ont-ils cru pouvoir conduire à dame leurs pions, c'est difficile à croire; il s'est toujours écoulé quinze jours entre chaque coup de cette partie, et il ne faut pas quinze minutes pour voir que les noirs arrêteront facilement les pions des blancs dans leur marche, et resteront avec une tour de plus. Au reste, si toutes les parties par correspondance devaient être jouées ainsi, il faudrait renoncer à ce mode, car cette partie n'est certainement pas un modèle, et ne peut faire faire aucun progrès au jeu; cependant elle a duré près de deux ans.} Rxd2 24. b5 Rxb2 25. b6 d4 26. b7 d3 27. Ra8 Kf8 {Dans cette position, le club de londres a abandonné la partie comme perdue.} 0-1 [Event "Correspondance"] [Site "?"] [Date "1834.??.??"] [Round "?"] [White "Paris Cercle des Echecs"] [Black "Londres"] [Result "1-0"] [ECO "C56"] [Annotator "Saint-Amant"] [PlyCount "78"] 1. e4 e5 2. Nf3 Nc6 3. Bc4 {Il y a eu hésitation pour savoir si nous ne jouerions pas le pion de la reine deux pas. C'est un sacrifice momentané qui amène une belle attaque, et dont un exemple se trouve dans les parties jouées il y a quinze ans entre Londres et Edimbourg.} Bc5 4. c3 {Ici se présentait l'occasion de jouer la partie inventée par un Anglais d'une force remarquable, le capitaine Evans. Elle consiste à sacrifier le pion du cavalier de la reine. On retrouve au moins l'équivalent de ce pion dans les avantages de la position quand on joue contre un adversaire qui ne connait pas bien la défense. Ici ce n'était pas le cas.} d6 5. d4 exd4 6. cxd4 Bb6 7. h3 {Le coup a été fortement critiqué par les supériorité d'Angleterre. Nous avons été accusés de jouer un coup de défense, lorsque, ayant eu le trait, nous devions pousser vivement l'attaque. Il est très vrai que c'est un coup de prévoyance; mais on est souvent obligé d'aiguiser ses armes dans l'ombre pour amener les coups qu'on doit porter plus tard jusqu'au coeur de son ennemi. En poussant ce pion de la tour du roi, on évite l'arrivée du fou de l'adversaire, qui, venant se poser à la quatrième case du cavalier de votre roi, gêne votre jeu en forçant trois ou quatre coups de défense, qui font nécessairement diversion à l'attaque et changent momentanément les rôles. Du reste, les blancs n'ont pas eu un seul moment à se repentir d'avoir poussé ce pion, et ils attendent encore la démonstration de la critique un peu hasardée dont on les a poursuivis jusque dans les journaux anglais.} Nf6 8. Nc3 O-O 9. O-O Re8 10. a3 h6 11. Re1 a6 12. b4 Re7 {Sans chercher à blâmer ceux que nous devons nous contenter de gagner, il est permis de trouver ce coup assez faible. Il est la perte bien réelle de deux temps, car cette même tour devra s'en retourner au quinzième coup lorsqu'elle sera attaquée par le cavalier des blancs. On peut considérer ce ocup comme un de ceux qui ont contribué à donner mauvais jeu aux noirs. Cette partie française ne sera pas perdue comme l'autre par de grosses fautes. Les nuances sont ici plus délicates, aussi la partie sera-t-elle toujours plus remarquable que la partie anglaise.} 13. Ra2 Ba7 14. Rae2 Nh7 15. Nd5 Re8 16. Nf4 Ng5 17. Qb3 Ne6 18. Nxe6 fxe6 19. Bb2 Nb8 {Rentrer ainsi dans son jeu parait encore une perte de temps, puisque ce cavalier reviendra au vingt-deuxième coup occuper la case qu'il vient d'abandonner au dix-neuvième. Peut-être aussi est-ce une nécessité cruelle imposée par la position. Les noirs doivent craindre de voir pousser le pion de la reine, qui forcerait le pion de leur roi et donnerait une entrée dangereuse dans le jeu.} 20. a4 Bd7 21. Qc2 Re7 22. Ba2 Nc6 23. Bc3 Rf7 24. d5 Rxf3 25. dxe6 Qh4 26. exd7+ Kh8 27. Be6 {Il est évident qu'en prenant la tour avec le pion du cavalier du roi on gagnerait la pièce; mais alors les nours avaient la remise en donnant échec au roi à la sixième case du cavalier de leur roi. Ayant une tour de moins, ils se contentaient forcèment de cet échec perpétuel. Ils n'en eussent pas moins perdu le défi, puisque nous avions gagné l'autre partie; mais l'amour-propre était moins froissé. Ce sentiment, qui leur faisait désirer une défaite plus prompte mais moins complète, nous a empêché d'y consentir. Notre partie étant encore meilleure que celle de nos adversaires, nous avons voulu combattre et remporter une pleine victoire. Négligeant donc la question financière, nous montrons l'ambition de gagner les deux parties. Jusqu'à présent les chances sont belles, et, sans trop de présomption, on peut se flatter de voir le succès couronner la noblesse de l'intention. Il n'y a pas eu unanimité parmi les actionnaires sur la manière d'apprécier la conduite de la commission. Si la responsabilité doit peser plus particulièrement sur un membre de la commission, l'auteur de cet article ne la décline pas; il a été conséquent avec l'esprit dans lequel il a toujours envisagé le défi: secondaire sous le point de vue pécuniaire (quoiqu'il soit le plus fort actionnaire), mais essentiel surtout comme suprématie nationale.} (27. gxf3 Qg3+) 27... Qg3 28. Ba1 Raf8 29. Bf5 Bb6 30. Qd2 Rf4 31. Rc1 Qg5 32. Kh1 Rxf2 {On reprend le pion qu'on avait de plus; mais on le regagnera plus tard, et en attendant, on a fait doubler le pion du cavalier, ce qui sera un grand désavantage pour les noirs.} 33. Qxg5 hxg5 34. Rxf2 Bxf2 35. b5 {La partie en est là aujourd'hui. Nous attendons la réponse à notre trente-cinquième coup. Notre jeu est très beau; il n'y a qu'une distraction qui puisse le compromettre. Dans les exercices que font les divers amateurs en jouant entre eux cette partie, c'est presque toujours le jeu des blancs, même dirigé par une force inférieure, qui gagne la partie. Aussi dans notre camp est-on plein de confiance, et les actions sont considérablement à la hausse. On peut espérer la solution dans une quinzaine de coups, ce qui fera encore une année, et comme nous commençâmes en février 1834, si nous ne terminons qu'au printemps 1837, ce sera un peu plus de trois ans. On sent bien que de pareilles parties ne peuvent se recommencer tous les jours. En voilà sans doute pour quelques années, et ce seront nos neveux qui offriront la revanche. Il est un témoignage que nous nous plaisons à rendre publiquement à nos adversaires, c'est qu'ils ont été très beaux joueurs et que nos rapports avec eux nous ont été extrêmement agréables. Notre courtoisie n'a pas dégénéré depuis cent ans, et l'esprit révolutionnaire des deux pays ne leur a pas fait négliger les procédés chevalresques de leurs ancêtres dans cette seconde bataille de Fontenoi. Saint-Amant} axb5 36. axb5 Nd8 37. Rxc7 Kg8 38. Bg6 Bb6 39. Rc8 Ne6 { le club de Westminster a laissé passer le délai fixé pour répondre, nous devons croire qu'il a abandonné la seconde partie, qui était au reste dans un état désespéré} 1-0

mercredi 21 septembre 2022

Un tableau du peintre Louis Marie de Schryver

 
Voici un tableau peint en 1895 par le peintre Français Louis Marie de Schryver.
 
 
Il est intitulé "Le marchand de quatre saisons" et il est exposé au Musée des Beaux-Arts de Cambrai (d'après Wikipedia). À première vue, rien de particulier dans ce tableau. Mais en fait, il a tout à fait sa place sur mon blog !

Quand je l'ai vu, j'ai immédiatement remarqué le texte "Hôtel du Lou" en arrière-plan au-dessus de la tête du marchand.
 

Il s'agit du célèbre hôtel du Louvre qui donne sur la place André Malraux, anciennement Place du Théâtre Français. Et l'angle avec lequel le tableau a été peint nous permet d'apercevoir la devanture du Café de la Régence en 1895. C'est-à-dire à la même époque que la photo d'entête de ce blog.
 

 
A peu près le même angle de vue de nos jours (Google map).
 

 

 


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Photo du Café de la Régence à la fin du XIXe siècle
 
Je suis convaincu que d'autres tableaux représentent le Café de la Régence (l'ancien - Place du Palais Royal jusqu'en 1853 et le plus récent - jusqu'en 1955). Par exemple, le célèbre peintre Camille Pissaro a peint l'Avenue de l'Opéra en 1898 depuis une chambre de l'hôtel du Louvre d'après l'angle de vue du tableau.
 
Camille Pissaro - 1898 - L'avenue de l'Opéra - Peint depuis une fenêtre de l'Hôtel du Louvre.
Au premier plan, la Place du Théâtre Français. Le Café de la Régence se trouve à gauche, mais il n'est hélas pas représenté sur ce tableau.


Ne serait-ce que par curiosité, Pissaro est très probablement allé voir les joueurs d'échecs à la Régence et peut-être a-t-il laissé quelques croquis ? Pour l'ancien café de la Régence, Place du Palais-Royal, à l'époque de sa destruction, un de ses voisins était un daguerréotypiste, ancêtre du photographe.
A des fins de souvenirs, n'aurait-il pas fait quelques daguerréotypes de sa boutique et du quartier avant sa démolition ? Si oui j'espère qu'ils existent toujours quelque part...

dimanche 18 septembre 2022

Les Olympiades d'échecs à Nice en 1974

Dominique Thimognier, rédacteur de l'excellent site Héritage des Échecs Français, a présenté la dernière conférence à Marostica (Italie) le samedi 10 septembre dernier.
Vous avez ci-dessous le support de sa conférence consacrée à l'Olympiade d'échecs à Nice en 1974.

Dominique Thimognier

Il s'agit de la seule Olympiade du jeu d'échecs organisée en France, si l'on excepte celle de 1924, lors des Jeux Olympiques de Paris, et considérée comme non-officielle.

Dominique Thimognier a bénéficié de 2 témoignages d'époque, avec Michel Benoit, champion de France 1973 et membre de l'équipe de France à Nice, et Louis Risacher, arbitre lors de ces Olympiades.
 
Une organisation difficile : avec 10 fois moins de bénévoles que les précédentes olympiades, alors que beaucoup plus d'équipes y participent, l'hôtel pour héberger les équipes est toujours en travaux, etc. 

samedi 17 septembre 2022

Le 3ème championnat du Monde d'échecs junior à Antwerp en Belgique en 1955

Voici le support de la 3ème conférence donnée à Marostica samedi 10 septembre 2022 dans le cadre de l'assemblée générale de l'association internationale CH&LS.

Frank Hoffmeister et Henri Serruys

Le 3ème championnat du Monde d'échecs junior à Antwerp (Anvers) en Belgique en 1955, par Henri Serruys, trésorier de l'association.

vendredi 16 septembre 2022

Le difficile parcours de Lasker après la première guerre mondiale

Voici le support de la deuxième conférence donnée dans le cadre de l'assemblée générale de l'association CH&LS.

Frank Hoffmeister, président de l'association CH&LS, "Chess History and Literature Society", durant l'AG à Marostica.

Frank a présenté la conférence ayant pour thème :Le difficile parcours de Lasker après la première guerre mondiale, par Frank Hoffmeister, dont vous avez le support ci-après.
 
Il est intéressant de noter qu'un des spectateurs a ajouté que Lasker s'était retrouvé ruiné à deux reprises au cours de sa vie.la première fois juste après a première guerre mondiale, car il avait investi dans des emprunts de l'état allemand pour financer la guerre, puis après le krach d'octobre 1929.  

jeudi 15 septembre 2022

Assemblée générale de l'association CH&LS et conférences à Marostica

Samedi dernier 10 septembre 2022, l'association CH&LS "Chess History and Literature Society" s'est réunie pour son assemblée générale à Marostica en Italie.
Marostica est célèbre pour son spectacle autour du jeu d'échecs et qui a lieu tous les deux ans. 
Une petite ville tout à fait adaptée pour cette assemblée générale !


Au sujet de mon séjour à Marostica j'ai rédigé un article avec quelques photos sur le site internet du club d'échecs dont je suis le président. C'est par ici

 
 
4 conférences sur l'histoire des échecs ont été présentées à l'occasion de cette assemblée générale.Je publierai les supports de ces 4 présentations sur ce blog, ainsi que sur le site de l'association CH&LS.

Conférence 1 - Les échecs comme moyen d'éducation morale au Moyen Âge - Par Björn Reich (support en anglais)
Conférence 2 - Le difficile parcours de Lasker après la première guerre mondiale - Par Frank Hoffmeister (support en anglais) 
Conférence 3 - Le 3ème championnat du Monde d'échecs junior à Antwerp en Belgique en 1955 - Par Henri Serruys (support en anglais)
Conférence 4 - Les Olympiades d'échecs à Nice en 1974 - Par Dominique Thimognier (support en français)


Voici le support de la première conférence par Björn Reich.
Les échecs comme moyen d'éducation morale au Moyen Âge.
 

mercredi 7 septembre 2022

Le jeu d'échecs brise les stéréotypes

Le championnat de France féminin d’échecs de 1934 est organisé par le journal Comoedia dans ses locaux du 26 avril au 9 mai 1934. Jeanne Léon-Martin y tient la chronique du jeu d’échecs et son mari y travaille, ce qui a sans doute favorisé les choses.
 

A cette occasion un journaliste de la revue La gazette photographique se rend sur place. L’intérêt essentiel de son article repose sur les trois photos qu’il contient. Rare témoignage de ce championnat. Voici comment Jeanne Léon-Martin en rapporte le contenu :
 
Comoedia 17 juin 1934 - Retronews

Championnat de France féminin.
Le dernier numéro de la Gazette Photographique (Modern Studio, 66, boulevard Saint-Michel), publie d'intéressantes épreuves photographiques sur le récent championnat féminin. Nous recommandons surtout à nos lectrices l'interview... ultra-fantaisiste qu'illustrent ces photographies ! 
Jeanne LÉON-MARTIN

Effectivement cet article contient pas mal de … fantaisies. Pour ma part c’est la phrase suivante que je retiens :
(…) et l'on constate, non sans surprises, que les dames savent rester des heures entières sans bavarder (…)
 
De la misogynie, reflet d’une certaine époque et sans aucun doute toujours d’actualité, et qui ne favorise pas le jeu d'échecs auprès des femmes. 
 
Rappelons par exemple qu'en 1934 les femmes n'ont toujours pas le droit de vote et ce sera seulement en 1965 que les femmes auront le droit d'avoir leur propre compte en banque sans avoir l'autorisation de leur mari ! Ou bien encore il faudra attendre la constitution du 27 octobre 1946 pour voir le principe d'égalité des droits entre les femmes et les hommes inscrit dans le préambule. « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l'homme »...


La gazette photographique, Revue d'informations professionnelles et d'amateurs
1934, Mai / Juin (n°17) - BNF


La Coupe finale du championnat féminin de la Fédération Française des Échecs.

Les Salons de Comoedia, avenue des Champs-Elysées, réunissaient le 8 mai, tous les joueurs et joueuses d'échecs. Nombreux étaient les Messieurs, venus par courtoisie assister au championnat de dames, qui, seules avaient le droit de déplacer les figurines de buis.

Mlle Maud Flandin et Mme Tonini. 
Il est à noter l'absence de pendule.
 
Après de longues heures, passés dans un silence le plus parfait, la coupe de championnat fut gagnée par Mlle Maud Flandin qui devient championne de France. Comme partenaire, notre nouvelle championne avait Mme Torini (Italie) (NDLR – Alice Tonini) classée première du tournoi et gagnante de la superbe coupe de Comoedia. 

Mme Torini est une joueuse réputée qui participa à de nombreux tournois d'échecs internationaux : Angleterre, Italie, etc., obtenant partout de très beaux classements. Nous avons pu voir Mme Léon Martin, présidente du Comité Féminin de la Fédération Française des Échecs. Avec grande amabilité, Mme Léon Martin voulut bien nous donner quelques informations sur le mouvement qu'elle préside et nous avons pu ainsi nous familiariser quelque peu avec le « Noble jeu ».

C'est ainsi que nous avons appris (car à notre grande honte, nous n'en savions rien) que le jeux des  Rois, qui restera le Roi des Jeux est apparu pour la première fois au Siège de Troie ! Le premier cheval de buis serait venu de là... 
 
A noter qu'on retrouve quasiment cette même photo dans le journal Comoedia du 11 mai 1934 (ci-dessous)
 

Mme Léon Martin m'assura même que le jeu remonte à la mythologie et qu'on attribue son invention à la déesse Laissa (NDLR – Caïssa) ! Quoi d'étonnant à ce que les dames s'en divertissent ! Poursuivant notre indiscrétion sur l'origine des échecs, nous apprîmes que ce noble jeu était pratiqué dans les harems, que les Druides le connaissaient et les Arabes aussi. 

Voilà déjà qui donne de l'intérêt à ces figurines en buis ; mais il y a mieux et plus près de nous, des noms fameux s'y intéressèrent. Napoléon jouait en effet aux échecs avec Mme de Remusat et cela, paraît-il, l'aida à gagner bien des batailles, si l'on se rapporte aux calculs stratégiques qu'imposent le « Noble Jeu ».
Régina Camier, Colette, Mme Delarue-Mardrus, se passionnent pour les échecs, Brigitte Helm le joue dans I' « Atlantide » et Cécile Sorel en est non seulement une fervente admiratrice, mais le joue, paraît-il, royalement !

En somme, ce jeu convient aux darnes aussi bien qu'aux hommes et l'on constate, non sans surprises, que les dames savent rester des heures entières sans bavarder, ce qui est tout à leur avantage.

Mme Léon Martin nous a même déclaré que les tournois féminins d'échecs étaient beaucoup plus disciplinés que les championnats masculins. Voilà, au moins, une assurance qui présente à l'avantage des joueuses une raison de plus pour leur donner le droit de prendre part au « Noble jeu » réservé, semblait-il, jusqu'à ces derniers temps, aux hommes. Voilà donc encore un point où le sexe fort perd du terrain.
Vraiment, si les hommes n'y prennent garde, quand il s'agit de jeux avec les dames, ils se feront damer le pion ! 
 
Mme Léon-Martin, présidente de la Fédération Française des Échecs (Comité féminin).
 
Voici donc cette manifestation terminée, et le Challenge de Liberté (quel beau motif pour des dames) gagné par Mlle Flandin, championne de France. Mlle Paulette Schwartzman qui, pendant 7 ans, a toujours été classée première sans perdre une seule partie s'est classée troisième. En quatrième ex-aequo, nous voyons Mme Delamarre de Mouchaux (NDLR – Delamarre de Monchaux), Mme la doctoresse Jacobson et Mme Valentin et en septième, Mme Tarnay. 
 
Nous avons pu prendre quelques photos à la fin du championnat que nous sommes heureux de pouvoir reproduire et souhaitons à la Fédération Française des Échecs de voir grossir le nombre des adhérentes au Comité féminin, certains que la présidente les accueillera avec joie et se fera un plaisir de les diriger, les conseiller dans le « Noble Jeu » pour leur éviter des... échecs !

RENÉ BONNEAU

mardi 6 septembre 2022

La lutte des classes aux échecs

Au milieu des années 1930, le Parti Communiste Français adopte une politique ambitieuse concernant le sport et le jeu d’échecs en particulier. 

Extrait de la chronique d'échecs de l'Humanité du 26 mars 1936 - Retronews

Les journaux L’Humanité et Le Populaire mettent en place une chronique dédiée à la propagande du jeu d’échecs. En 1934 est créée la FSGT Fédération Sportive et Gymnique du Travail, dont une des branches est consacrée au jeu d’échecs. 


En 1935 c’est le début de la publication de la revue Le Bulletin ouvrier des échecs. Bref c’est véritablement une fédération parallèle à une Fédération Française des Échecs, alors en difficulté, qui est créée en France.

En France, comme dans tous les pays capitalistes, les jeux de dames et d’échecs ont un développement restreint. Rien d’étonnant dans cette différence avec l’URSS. En régime capitaliste, la bourgeoisie dirigeante, de même qu’elle n’a pas intérêt à instruire la classe ouvrière au-delà du degré primaire, n’a pas intérêt à développer en elle les facultés de calcul, de combinaison, d’attention, d’invention et d’imagination qui s’exercent dans les jeux de dames et d’échecs. 

A quoi serviraient-elles puisqu’à l’usine, l’ouvrier doit ignorer et ignore tout de la façon dont est combinée, agencée la production. Il lui suffit pour un salaire toujours aussi menacé, de donner sa force de travail, d’accomplir tout au long de la journée, à la même chaîne, le même geste mécanique, puis de manger, dormir et aller perdre ses maigres économies sur un cheval de course au profit de M. de Rothschild ou autre propriétaire d’écuries archimillionnaire.

Bulletin ouvrier des échecs de décembre 1935

 
En cela le Parti Communiste Français s’inspire du modèle mis en place en URSS, dont je donne quelques repères ci-après dans cet article. Cette politique du jeu d’échecs en URSS va bouleverser le microcosme échiquéen pendant plus d’un demi-siècle. A mes yeux un des summums de cette politique est probablement le match URSS contre le reste du monde en 1970, qui montre bien toute la domination sur le jeu d'échecs des joueurs soviétiques issus de cette politique.

A noter que les éléments liés à l’histoire du jeu d’échecs en URSS, que je cite, s’inspirent d’une vidéo de la chaine Youtube Levitov Chess (en Russe) où intervient l’historien Dmitri Oleinikov, auteur d’un livre sur les échecs en URSS.

1924 – Congrès des joueurs d’échecs de l’URSS. A cette occasion Nikolai Krylenko est élu président de la section intersyndicale des échecs. Il est convaincu que l'Union soviétique doit « adopter les échecs comme instrument de la culture intellectuelle » 

Nikolai Krylenko

1925 – Premier grand tournoi de Moscou, avec la participation de Capablanca et le tournage du célèbre film « La fièvre des Échecs » au sujet duquel j’avais organisé une soirée dans mon club d’échecs à Saint-Mandé.

1929 – 150.000 joueurs actifs sont recensés en URSS. Ils seront 500.000 en 1934 et 1.000.000 en 1940 ! 1929 correspond également à la crise économique mondiale. L’URSS est touchée, l’argent se fait rare pour les échecs.

1930 - Création d’un organisme directement sous la responsabilité du comité central du Parti Communiste de l’URSS. Il s’agit du Comité (Soviet) d’Éducation physique et sportive de l’URSS, et ce dernier a une section dédiée aux échecs. Par ailleurs le jeu d’échecs continue à se développer localement via des syndicats de travailleurs.

 

1937 - Les ouvriers du combinat métallurgique de Magnitogorsk jouent aux échecs
Photo Ria Novosti - Vladislav Mikocha


Dans les années 1920 la devise était « Les Échecs pour les masses ». Dans les années 1930, elle change est devient « rattraper et dépasser ». sous-entendu les pays capitalistes et dans tous les domaines y compris le jeu d’échecs, à la fois par la quantité et la qualité. Les moyens arrivent petit à petit. Nikolai Krylenko déclare « non seulement les organisations des échecs russes ne sont pas neutres sur le plan politique, mais elles sont fermement engagées dans le programme de la lutte des classes ». L’URSS garde ses distances avec la FIDE et les échecs capitalistes.


Jeu d'échecs en porcelaine par Elisaveta Tripolskaia - 1930
L'industrie (en haut, les pièces noires) contre l'agriculture (en bas, les pièces blanches).
Les pions noirs représentent des ampoules électriques !
Voir également l'article de ce blog sur le jeu d'échecs révolutionnaire

1935 – Un grand tournoi d’échecs des familles est organisé à Bakou sous la devise « Les échecs dans la famille des ouvriers » ! C’est également l’année du deuxième grand tournoi de Moscou.

Mais n’oublions pas qu’un des facettes sombres de l’URSS a été le Goulag. Mais même là on y joue aux échecs. Un grand tournoi est organisé à Solovki en 1936, gagné par un certain Sergei Iasseniev-Kroukovski. 

 

 Femmes jouant aux échecs au Goulag de Tomsk 1938-1939 par Nina Lekarenko
 Provient du site GulagMuseum

Il faudra attendre 1946 avec la mort d’Alekhine et la remise en jeu de son titre pour que l’URSS se rapproche de la FIDE. Les joueurs d’échecs soviétiques, et plus particulièrement Mikhail Botvinnik, sont alors prêts à mettre la main sur le titre de champion du Monde avec le prestige intellectuel qui y est associé.