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mercredi 12 mai 2021

Le tableau de Marlet sur le match entre Saint-Amant et Staunton en 1843 au Cercle des Échecs

Cet article est consacré au conflit relatif au tableau peint par Jean Henry Marlet durant le match joué en 1843 entre Saint-Amant et Staunton. Plus exactement ce tableau représente la 19ème partie du match, jouée le 16 décembre 1843. Ce conflit aboutira à un procès entre Saint-Amant et le peintre Marlet.

A noter que ce tableau fut victime de son succès, y compris à notre époque, car actuellement une copie (un faux) est en vente sur eBay à un prix déraisonnable, et je montre dans cet article pourquoi ce n'est qu'une copie.

Le tableau de Marlet est un document exceptionnel à plus d’un titre :
- La plupart des notabilités du Cercle des Échecs (au 1er étage de la Régence) sont représentées, à l’exception significative de Deschapelles.
- C’est à ma connaissance la seule représentation du Cercle des Échecs.

Je vous invite tout d’abord à lire l’article d’Etienne Cornil, dans cet excellent document (pdf de 9Mo) sur l’histoire du Café de la Régence qu’il a rédigé, article qui commence en bas de la page 26, au sujet du match entre Saint-Amant et Staunton, et à partir de la page 32 au sujet du tableau de Marlet. 
Le passage concernant le tableau est également le fruit de ses échanges avec Dominique Thimognier du site Héritage des Échecs Français.

Portrait de Saint-Amant - Le Palamède 2ème série, tome deuxième, 15 juillet 1842
P.CH.F. de Saint-Amant (Pierre Charles Fournier de Saint-Amant) Directeur du Palamède 
Par Henri Grévedon

Si j’ai décidé de consacrer un article à cette peinture, c’est pour deux raisons :
- J’ai découvert le compte rendu du procès qui a opposé Marlet à Saint-Amant au sujet du tableau. Ce compte rendu apporte plusieurs détails très intéressants que Saint-Amant mentionne partiellement dans Le Palamède.
- Une copie du tableau est actuellement en vente sur eBay comme étant l'original à un prix qui me semble prohibitif (voir à la fin).

Comme vous avez pu le constater dans l’article d’Étienne, il existe pour ainsi dire au moins 3 versions de ce tableau :
- L'original de Marlet
- Une lithographie d'Alexandre Laemlein 
- Des copies peintes à partir de la gravure. 

À noter que je ne sais toujours pas où se trouve l’original du tableau, ceci fait l’objet du mystère numéro 3 du Café de la Régence. 

Notez aussi que les deux images ci-dessous semblent être le même tableau ? 
Mais elles ne sont pas de bonne qualité. 
Avons-nous ici l’original et une copie du tableau, ou bien est-ce simplement la lumière qui provoque cette différence de coloration ?

Source : ''Schach auf Ölgemälden'', de Gerhard Josten
Cité par Etienne Cornil

Cité par Etienne Cornil.
Comptez 34 personnages et une fenêtre au fond...
On remarque également deux bustes, celui de gauche est La Bourdonnais et à droite Philidor.

Mais comment puis-je être sûr qu’il s’agit du tableau original ?

Dans le journal « Le Droit, bulletin des tribunaux » du 4 janvier 1846 (source Retronews), l’avocat de Marlet, Étienne Blanc nous donne l’élément qui permet d’identifier le tableau comme étant l’original :

« Me Étienne Blanc soutient, en fait, que toutes les présomptions sont en faveur de son client, et tendent à établir que les parties n’ont voulu contracter que pour la propriété du tableau. L’infériorité du prix en est la preuve manifeste, puisque, pour 500 fr., on a une œuvre composée de trente-quatre personnages, et, ce qui est plus décisif encore, de trente-quatre personnages peints d’après nature, c’est-à-dire trente-quatre portraits, y compris celui de l’acquéreur ; ce qui donne une moyenne de 14 francs 70 centimes par portrait.
Ainsi, l’œuvre seule, la toile, l’objet matériel, a été vendue à vil prix, que sera-ce donc si on y ajoute le droit de reproduction ? »

C’est écrit ci-dessus à plusieurs reprises, le tableau original comporte 34 portraits. 
Le jugement permet d’apprendre aussi que le prix du tableau a été obtenu par ruse, ce qu’élude Saint-Amant dans Le Palamède quand il se justifiera. 

Repensons à cette phrase du Palamède du 15 janvier 1846 avant de lire la suite...

« M. Marlet, lié d'amitié avec Saint-Amant depuis plus de vingt ans, lui demanda d'assister aux séances du Grand Défi contre les Anglais. » (Grand défi contre Staunton bien entendu).

Je poursuis avec le texte du journal « Le Droit » avec l'avocat de Marlet :

« C’est le Palamède, revue mensuelle des échecs et autres jeux, où on lit, à la date du 15 février 1844, que la belle composition de Marlet a pour tous les joueurs d’échecs un prix inestimable ; on y exalte le génie du peintre et on exprime le vœu de voir son tableau gravé, pour que chaque amateur puisse s’en procurer un exemplaire.
Or il faut que le Tribunal sache que ce journal est signé Saint-Amant et que ce tableau n’était point encore achevé. »

Ainsi Saint-Amant avait déjà sa petite idée derrière la tête…faire commerce avec des reproductions du tableau, avant même qu'il ne soit achevé. La suite est intéressante :

« Quelques jours après, Marlet voit entrer dans son atelier Mme Saint-Amant. Elle a le plus vif désir d’acheter ce tableau, dans lequel son mari joue le principal rôle : c’est une surprise qu’elle lui ménage, mais il faut lui en garder le secret, et surtout il faut que Marlet, par considération pour la vieille amitié qui les lie, soit peu exigeant pour le prix, car Mme Saint-Amant paiera avec ses petites épargnes.

Marlet consent, et, séance tenante, Mme Saint-Amant se fait signer en son nom une promesse de vente. Cette précaution inusitée révèle l’accord existant entre le mari et la femme pour obtenir un prix inférieur de l’œuvre de Marlet. En effet, peu de jours après, le tableau est retiré et payé par le mari, ainsi que le constate le reçu délivré par l’artiste. S’il y a eu une surprise, vous voyez qu’elle ne fut pas pour Saint-Amant ; mais pour Marlet, qui avait été manifestement victime d’une ruse concertée assez habilement. »

Saint-Amant réplique à Marlet par l’entremise du Palamède du 15 janvier 1846 (page 36) :

« Nous remîmes le billet de banque de cinq cents francs. Et cependant M. Marlet était notre débiteur, par compte reconnu, arrêté et échu, de plus de 800 fr., pour fourniture de vin, depuis longues années ! Notre avocat a fait mention de ces faits. Nous passons dessus ainsi que sur l’affaire du cadre, misérable vilenie qui fut pourtant cause de notre rupture ».

Marlet constate peu après l’existence d’une lithographie faite à partir de son tableau. Il s’en plaint vivement à Saint-Amant. Pour essayer d’éviter le procès, ils conviennent de se partager les bénéfices, mais Saint-Amant demande à Marlet de partager les frais, ce que Marlet refuse. Son nom est même retiré de la lithographie pour y substituer celui du lithographe, Alexandre Laemlein.

Que ce soit Marlet ou Saint-Amant, les deux ne sont donc pas très nets dans leur relation d’amitié de plus de 20 ans, qui se termine avec ce procès. Au final, le tribunal autorise Saint-Amant à diffuser la lithographie, mais reconnait un préjudice à Marlet.

« (Le tribunal) déboute Marlet de la demande principale ;
Condamne Saint-Amant à payer à Marlet 200 fr. de dommages-intérêts pour le préjudice à lui causé jusqu’à ce jour.
Dit et ordonne que Saint-Amant sera tenu de mettre au bas des exemplaires qui seront de nouveau émis les noms de Marlet et Lavaucher »


Reproduction de la lithographie de Laemlein dans La Stratégie - Novembre 1911 - Cité par Etienne Cornil

Voici donc cette lithographie. Je vous renvoie au document d’Etienne Cornil pour avoir l’identification des différentes personnes représentées. La lithographie ne contient plus que 32 personnages (contre 34 pour l'oeuvre originale).

Et enfin une copie faite à partir de la lithographie. Quand cette dernière arrive en Angleterre, il semble qu'un ou plusieurs artistes la transformèrent pour avoir un nouveau tableau. Ces copies sont faciles à identifier, elles ne comportent que 30 personnages et on peut apercevoir que la fenêtre du fond a disparu.

Une copie, avec 30 personnages et la fenêtre du fond a disparu.
C'est cette copie que l'on trouve sur Wikipedia comme étant de Marlet.

N’empêche qu’actuellement sur eBay, cette copie indiquée comme étant l’œuvre originale de Marlet, est en vente pour plus de 12000 USD (plus de 10000 EUR).

Pour terminer, voici une variante de la lithographie publiée dans le journal l’Illustration du 10 janvier 1846, soit quelques jours après la publication du compte rendu du procès. 

Bref, Marlet est passé à côté de quelque chose...et Saint-Amant a flairé la bonne affaire.



dimanche 24 mai 2020

Échecs et Phrénologie

La bosse des maths ou du commerce ? Cela vous dit quelque chose ?
Ces expressions proviennent d'une pseudo-science très à la mode au milieu du XIXè siècle, la phrénologie.

Voici un article du journal Anglais "Bell's Life in London and Sporting Chronicle" daté du 24 janvier 1841.
Je le commente juste après la traduction d'Oliver Sheppard que je remercie tout particulièrement pour son aide.

Bell's Life in London and Sporting Chronicle - 24 janvier 1841
Source : The British Newspaper Archive

ÉCHECS ET PHRÉNOLOGIE 

Deux conférences intéressantes ont été tenues à la Société Londonienne de Phrénologie, à Exeter Hall, au sujet du moulage de la tête de M. La Bourdonnais, qui nous a récemment quittés, et dont le moulage a été réalisé, après le décès, par Deville (The Strand, Westminster), la ressemblance étant remarquablement conservée. 

Dr Elliotson a donné une description phrénologique de la tête, qui - pour ceux qui connaissaient les us et coutumes du joueur d’échecs dont il était question-, était remarquablement proche de la vérité. 
En tant qu’échantillon phrénologique, le moulage présente des qualités de la plus grande finesse. 
C’est une tête d’une grande puissance comme on en voit rarement ; les organes de la constructivité, du stratagème, de la causalité (et autres directement liés aux échecs) sont remarquablement développés.  

Dr Elliotson a très justement fait remarquer que -vu les capacités de ce cerveau- le défunt aurait excellé n'importe quel domaine scientifique que le destin aurait choisi pour lui. 
Ses organes animaux étaient, de même, prodigieux, ce qui donnait cette impulsion à l’esprit qui lui permettait, aux échecs, de balayer toute opposition. 
Comme général d’armée, La Bourdonnais aurait pu aller loin, et une énorme destructivité en lui, a peut-être été l’un des principaux motifs pour qu’il consacre sa vie aux échecs, avec pratiquement aucune autre occupation pour lui, à l’exception de la guerre réelle ou de bagarres violentes, donnant là libre cours à celle-ci. 

Cet exposé intéressant du Dr Elliotson fut suivi de quelques remarques de M. George Walker concernant la vie et les habitudes de La Bourdonnais, confirmant pleinement les points de vue phrénologiques des scientifiques qui avaient précédemment abordé le sujet. 

Lundi dernier, le moulage de Sam Scott (*) -la tête du cascadeur-, succéda à celui de La Bourdonnais, et ici l’organe de fermeté semble même avoir été développé de façon extraordinaire.
Seuls les débats contradictoires permettent d’élucider la vérité, et la phrénologie ne demande rien de plus que du fair-play de la part de tous. 

Nous croyons savoir qu’un moulage de la tête de La Bourdonnais est en vente chez Deville (The Strand, Westminster), et nul doute que de nombreux clubs d'échecs seront heureux de se procurer une relique d’une telle grande valeur. 


Le masque mortuaire de La Bourdonnais

La constructivité, une qualité si essentielle aux échecs -dans laquelle les stratégies sont élaborées, et leurs différents mérites comparés de façon critique et exacte-, est d’une taille immense dans la tête de La Bourdonnais, et ce n’est pas sans raison qu’il fut remarqué à la Société de Phrénologie -pour étayer le cas d’une certaine façon- que La Bourdonnais perdit sa fortune lors de sa jeunesse, 
dans une affaire de spéculation immobilière à St-Malo (**).


(*) NDT – Samuel Gilbert "Sam" Scott (c. 1813 – 11 janv. 1841, cascadeur américain, se tua lors d’une performance à Waterloo Bridge, Londres).
(**) A ce jour je n'ai trouvé aucun élément au sujet d'une spéculation immobilière à Saint-Malo de La Bourdonnais.

La Bourdonnais, champion et génie du jeu d'échecs injustement oublié, décède le 13 décembre 1840 à Londres.
A ma connaissance il n'existe pas de portrait réalisé de son vivant.
Dans l'article ci-dessus, j'ai mis la photo de ce moulage (j'ignore où il se trouve) et ci-dessous le portrait réalisé à partir de ce moulage par Jean Henry Marlet et publié dans Le Palamède repris pas Saint-Amant.


"Il n’existe aucun portrait de La Bourdonnais. À sa mort, M. Deville moula sa tête. C’est sur ce plâtre et les souvenirs qu’il en conservait que M. Marlet a osé entreprendre de remplir cette lacune. – Nos lecteurs jugeront la ressemblance et sauront apprécier toutes les difficultés qu’un artiste de mérite a eu à surmonter pour faire revivre les traits de La Bourdonnais."

Le Palamède - Décembre 1841

mardi 9 octobre 2018

Les mystères du Café de la Régence - numéro 3

Correction du mardi 11 mai 2021 : remplacement de la copie du tableau de Marlet par une photo du tableau original.

Poursuivons avec le mystère numéro 3 : Où pouvons-nous voir l'original du tableau de Marlet qui représente le match de 1843 entre Saint-Amant et Staunton ?


Dans la page sur les mystères du Café de la Régence, vous pourrez découvrir la dernière trace connue de ce tableau grâce à Etienne Cornil. 

Voici quelques mots au sujet du match entre Staunton et Saint-Amant.
Vous en avez tout le détail si vous consultez Le Palamède de 1843

Comme chaque année au printemps, Saint-Amant se rend en Angleterre, et donc à Londres, pour vendre du vin de Bordeaux.
Il en profite bien évidemment pour jouer aux échecs.
Depuis la mort de La Bourdonnais le 13 décembre 1840, c'est Saint-Amant qui porte "le sceptre" des échecs. 
Et donc en ce printemps 1843 à Londres, Saint-Amant remporte un match en 6 partie face au meilleur anglais, Staunton, sur le score de 3,5 à 2,5.
Après l'été il est convenu d'un match revanche qui se jouera à Paris en fin d'année 1843.
Et là, c'est un peu la catastrophe pour Saint-Amant qui perd sur le score sec de 13 à 8, mettant fin à plus d'un siècle de domination du jeu d'échecs par "l'école française".

Il était prévu un troisième match qui n'aura finalement pas lieu suite aux tergiversations d'Howard Staunton il faut bien le dire.
Mais je doute que Saint-Amant aurait alors gagné. 
En effet, Saint-Amant, contrairement à La Bourdonnais, ne s'adonnait pas pleinement aux échecs (il est négociant en vin).
Tandis que Staunton avait à l'époque une approche "scientifique" du jeu d'échecs et ne faisait que ça ou presque.
Mais on retrouve ces tergiversations quinze ans plus tard, en 1858, avec l'arrivée en Angleterre de Paul Morphy, venu spécialement des Etats-Unis pour se mesurer aux plus forts joueurs européens.
Et Staunton fera tout pour éviter de jouer contre Morphy...

Mais revenons en 1843...
Ce match entre Saint-Amant et Staunton s'est joué au Cercle des Échecs, club privé situé au 1er étage de l'ancien Café de la Régence, alors situé place du Palais-Royal.
Le tout venant jouait aux échecs au rez-de-chaussée dans le café, et les membres du Cercle des échecs jouait au premier étage.

Le Palamède - Novembre 1843

M. Staunton est arrivé à Paris le 9 de ce mois avec M. Worrell, un de ses témoins; son second témoin, M.H. Wilson, retardé par les éléments, est attendu à chaque instant.
Il sera suppléé provisoirement par M.Bryan.
De son côté M. Saint-Amant a désigné pour ses témoins MM. Sasias et Lécrivain.
Les conditions du défi sont déjà réglées.
Quatre séances auront lieu par semaine, les mardi, jeudi, samedi et dimanche ; elles commenceront à onze heures du matin.
Le Cercle des Échecs a déjà subi les changements matériels nécessités par cette solennité.
Mardi, 14 novembre - La foule encombre les salons du Cercle; le plus grand silence est réclamé.
La partie vient de commencer...