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dimanche 29 octobre 2023

Fait divers

Au hasard de mes recherches, je suis tombé sur plusieurs articles de journaux qui mentionnent un fait divers avec un lien ténu avec le Café de la Régence. Néanmoins je le trouve intéressant car cela permet de connaitre une personne qui a travaillé à la Régence dans les années 1880.  Il est également intéressant de voir comment ce fait divers est traité par les journaux de l’époque...
 
Musée Carnavalet - Rue des Deux-Ecus n°36 à 48 (actuelle rue Berger) - Jules Gaildrau 1887.

Joseph Marie Grosroyat, 43 ans, célibataire, demeurant au 40 rue des deux écus, est cuisinier au Café de la Régence. Le samedi 26 juin 1880 à 17h30 (d’après le jugement consultable aux archives de Paris) arrive un fâcheux incident alors qu’il se rend probablement pour son service du soir à la Régence.
 

Le Figaro du 27 juin 1880 explique l’affaire de façon assez factuelle, même si le nom du cuisinier est très approximatif.

Hier soir, à cinq heure moins un quart, le sieur Grosolial (sic), cuisinier au Café de la Régence, demeurant, 40, rue des Deux-Ecus, tournait l’angle de l rue Saint-Honoré et de la rue des Bons-Enfants.
 
La voiture numéro 11.461, Compagnie l’Urbaine, conduite par le cocher Perrin, arrivait en sens inverse. Grosolial se trouva serré entre le trottoir et la voiture qui lui toucha assez fortement le pied. Il avait à la main un paquet, contenant divers ustensiles qu’il rapportait de chez le repasseur. Instinctivement, il étendit la main vers le cocher qu’il frappa avec ce paquet. Puis il voulut continuer son chemin.
 
A ce moment on vit le cocher pâlir. Il descendit de son siège et l’on s’aperçut qu’il perdait le sang par une blessure qu’il avait au bas ventre. Un couteau, dépassant le paquet, lui avait perforé l’abdomen.
Il a été conduit à la pharmacie du passage Montesquieu, puis à l’hôpital Lariboisière. Son état est des plus graves. Grosolial a été mis à disposition de M. Allais, commissaire de police.  
 
Le journal Gil Blas du 28 juin 1880 fait moins dans la dentelle. Grosroyat est décrit comme un assassin qui a sciemment poignardé le cocher. Curieusement l’article lui donne le prénom « Gérard ».

Petites Nouvelles

En tournant le coin de la rue des Bons-Enfants et de la rue Saint-Honoré, le fiacre n° 1,461, frôla légèrement le pied d'un passant. Furieux, celui-ci se précipita sur le cocher et le frappa d'un coup de couteau dans le bas-ventre.
Le blessé a été transporté dans un état désespéré à l'hôpital Lariboisière. Quant à l'assassin, qui se nomme Gérard et exerce la profession de chef de cuisine, il a été écroué sur-le-champ au Dépôt.

 
Le journal Le Temps du 28 juin 1880 reprend lui aussi l’idée d’un coup de couteau volontaire « (…) lui faisant une plaie de trois centimètres de profondeur. (…) » et fait dans le pathos « (…) ce malheureux, qui est veuf, est père d’un enfant de dix ans (…) ».

Le point final est donné par le journal Gil Blas du 29 juin 1880 (voir ci-dessous). Les trois centimètres de la blessure sont devenus trois coups de couteau et le malheureux cocher est mort des suites de ses blessures. Son fils ayant pris deux ans en une journée. Le journal La Presse ne fera guère mieux le même jour, annonçant également la mort du cocher, et le lendemain, le 30 juin 1880, le journal Le Peuple Français titrait « Assassiné par accident ».
 


Nous avons raconté, hier, que, pris tout à coup d'un accès de folie furieuse, un employé d'un des grands cafés parisiens, nommé Grosolial, s'était élancé sur un cocher dont la voiture l'avait légèrement frôlé au coin de la rue Saint-Honoré, et l'avait frappé de trois coups de couteau.
Le pauvre diable avait été aussitôt transporté à l'hôpital Lariboisière, sans avoir pu reprendre connaissance. Il y est mort, hier, dans la matinée, a milieu d'atroces souffrances. Le malheureux laisse un pauvre petit garçon de douze ans, qui se trouve aujourd'hui entièrement abandonné.

 
Le cocher Perrin et le cuisinier Grosroyat se retrouvent tous les deux au tribunal en octobre 1880, et le Journal des Débats publie un résumé du jugement dans son édition du 11 octobre 1880.
 
Pour tous les journaux, source Retronews

Bulletin judiciaire

Le 26 juin dernier, vers six heures du soir, Perrin, cocher de la Compagnie l'Urbaine, conduisait sa voiture au stationnement de la rue Radziwill. Son cheval allait au pas. Au moment où il tournait la rue Saint-Honoré pour entrer dans la rue des Bons-Enfans, Grosroyat, cuisinier au café de la Régence, n'entendant pas les cris de « Gare ! » poussés par le cocher, descendait du trottoir et posait le pied sur la chaussée.

La roue de droite de la voiture effleura l'extrémité du pied gauche de Grosroyat. Ce dernier injuria le cocher et, dans un moment de colère irréfléchi, frappa Perrin avec un paquet d'outils qu'il tenait à la main.
Malheureusement, au milieu d’autres instruments se trouvait un couteau de cuisine long et effilé, dont la pointe atteignit le cocher au bas ventre et lui fit une affreuse blessure. L'état de Perrin ayant paru grave, ce malheureux fut conduit à l'hôpital Lariboisière, où il est resté soixante-deux jours.
 
Aujourd'hui encore Perrin n'est pas complétement guéri des suites de sa blessure. Grosroyat, poursuivi pour coups volontaires, vient de comparaître devant la police correctionnelle. Perrin s'est porté partie civile. 

Sur les plaidoiries de Maître Georges Petit pour Perrin, et de Maître Charbonnel pour Grosroyat, le tribunal a condamné le prévenu à six jours d'emprisonnement et à. 1,000 fr. de dommages-intérêts.
1000 francs représente une somme assez considérable à l’époque, représentant la moitié d’un salaire d’un ouvrier pour 6 mois.

Par curiosité j’ai consulté le jugement du tribunal correctionnel de Paris aux archives de la ville de Paris. Le début du document de jugement indique les éléments suivants :
 
Archives de Paris

Pour le Procureur de la République
et
Le sieur Perrin Jean Marie, 43 ans, cocher, demeurant à Paris, rue Doudeauville (NDA - près de Montmartre), n°77, assisté par les conclusions écrites signées de Maître Aymé, avoué
Contre
Lib. (NDA – Libre ?) Grosroyat Joseph Marie, 43 ans, cuisinier, né à Nasbinals, arrondissement de Marvéjols (Lozère) , le 27 mai 1837, de Jean Jacques et de Marie Jeanne Coste, demeurant à Paris, rue des deux écus, n°40, célibataire.
Coups et blessures, blessures par imprudence (…)
Attendu qu’il n’est pas établi que Grosroyat ait volontairement porté le coup dont il s’agit (…)
(…) La roue droite de la voiture lui pressa l’extrémité de son pied (…).

J’ignore si Perrin a vécu longtemps après ce grave incident et si Grosroyat a conservé son travail au Café de la Régence.
 
Plan de poche - Paris Hachette 1894
 
Pour se situer dans le quartier
1 - Café de la Régence - 161 rue Saint-Honoré
2 - Angle de la Rue Saint-Honoré et de la rue des Bons-Enfans
3 - 40 rue des Deux-Ecus, adresse de Grosroyat 
4 - Stationnement des fiacres de la rue Radziwill

dimanche 8 octobre 2023

La situation des échecs en France avant l’Exposition universelle de Paris en 1889

Après les prémices d’une association de joueurs d’échecs Français, vues dans un précédent article, il ne se passe pas grand-chose concernant ce beau projet de création d’une association ou d'une fédération des joueurs d’échecs Français entre 1874 et 1886 environ. Mais plusieurs évènements d’importance pour les échecs en France se déroulent durant cette période.
 
Panorama sur les Palais de l’Exposition Universelle de Paris en 1878 
Musée Carnavalet.

Pour résumer :
1878 – Deuxième tournoi international de Paris remporté par Johannes Zukertort durant l’exposition universelle.
Le Français d’origine (Albert Clerc) et d’adoption (Samuel Rosenthal) ne brillent pas et se classent respectivement 9ème et 8ème sur 12 participants.

Puis le nouveau Cercle des Échecs de Paris, fondé en 1879, au 11 rue du Beaujolais, derrière le Palais-Royal, organise l’ancêtre du championnat de France d’échecs.

1880Premier tournoi national remporté par Samuel Rosenthal. A noter qu’à cette date Samuel Rosenthal n’est pas encore admis à domicile (étape précédant la naturalisation) et il n’est donc pas Français.
1881Deuxième tournoi national remporté par Edward Chamier, avec un point de règlement qui empêche Samuel Rosenthal de défendre son titre.
1883Troisième tournoi national remporté par Albert Clerc.   

Ce point de règlement qui empêche Samuel Rosenthal de défendre son titre de « champion Français » en 1881 n’est pas anodin et provoque sans doute des rancœurs.
 
Revue Encyclopédique - Avril 1894 - Gallica
Quelques membres du Grand Tournoi international d'échecs de 1878
 
En 1884 a lieu le match par correspondance entre Paris et Vienne, tournant des échecs en France en cette fin du XIXème siècle. Un incident assez banal prend des proportions inimaginables. J’ai consacré un article à cet incident.
Les meilleurs joueurs d’échecs Français se déchirent. D’un côté Jules Arnous de Rivière, Albert Clerc et Edward Chamier, tous les trois liés au Café de la Régence, et de l’autre Samuel Rosenthal, qui ne remettra plus les pieds à la Régence, et œuvrera désormais au Grand cercle et cercle des échecs, 16 boulevard Montmartre.

Un peu plus tard, la revue La Stratégie d’août 1889 montre la pauvreté des échecs en France. Seuls treize lieux de réunion de joueurs d’échecs sont recensés en France contre plusieurs centaines en Angleterre… 
 
La Stratégie août 1889

Les questions centrales sont alors les suivantes : y-aura-t-il un grand tournoi à Paris à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889 ? N’est-ce pas là l’occasion de fédérer les joueurs d’échecs Français autour de ce beau projet ?

Ça semble mal parti, car deux ans après l’incident du match Paris Vienne par correspondance, nous sommes en 1886 et voici deux exemples de ce qu’écrit Jules Arnous de Rivière dans le journal Gil Blas, et la réponse de Numa Préti directeur de La Stratégie.
 
Gil Blas 9 août 1886 - Retronews

Jean Taubenhaus est arrivé en France en fin d’année 1882. Polonais d’origine il devient très vite une figure marquante de la Régence. Il faut lire entre les lignes. C’est véritablement Samuel Rosenthal qui est visé par Jules Arnous de Rivière.

CHAMPION FRANÇAIS
 
Le beau titre de Champion français ne doit pas être donné, nous dit-on, à un étranger ; si sympathique que soit M. Taubenhaus et bien que sa force aux échecs ait été acquise en France, au café de la Régence, M. Taubenhaus n'est pas plus notre champion que ne l'ont été avant lui les Livoniens, les Polonais, les Autrichiens et les Prussiens qui ont vécu à Paris et qui ont cherché, avec plus ou moins d'astuce, à battre monnaie à l'aide du titre ronflant de Champion français ; mieux vaut nous passer de champion que de hisser un étranger sur la glorieuse plateforme où les Philidor, les Deschapelles, les La Bourdonnais ont fait l'admiration du monde entier par la supériorité de leurs combinaisons.

Ce raisonnement est très juste et inattaquable. Quand donc il nous arrivera de décorer M. Taubenhaus du titre de Champion français, nos lecteurs voudront bien entendre que nous cédons par courtoisie à l'usage, abusivement introduit dans plus d'un pays, de considérer comme champion le joueur qui parait dans un tournoi international sous les couleurs de son pays d'adoption. C'est un abus; car si le champion acquiert une grande renommée, il sera réclamé par ses compatriotes comme appartenant à leur nationalité ; si, au contraire, ce champion ou soi-disant tel, est boulé d'une façon ridicule — ainsi que cela arrive fréquemment — ses nationaux s'empresseront de le jeter à la tête des... Français, trop hospitaliers. 
 

 

Gil Blas 13 septembre 1886 - Retronews

Dans cette chronique du journal Gil Blas, Jules Arnous de Rivière publie une partie d'échecs avec ses commentaires.
Il glisse alors un mot au sujet de la partie et fait des allusions marquées à Samuel Rosenthal qu'il qualifie "d'individualité absorbante".
 
 
 
 
 
 


Nous devons la communication de la partie qui précède, à l'obligeance de M. Numa Preti, et profitons de la circonstance pour engager les amateurs d’Échecs et de Dames à se procurer la feuille que M. Preti fait paraître le 15 de chaque mois, et qui forme à la fin de l'année un très intéressant recueil de parties et de Problèmes.
Malgré l'ennui qu'on éprouve à rencontrer presque à chaque page de « la Stratégie » le panégyrique ou les analyses d'une individualité absorbante, ce périodique rend des services réels et deviendra avec le temps moins exclusif. Après tout, M. Preti est maitre chez lui, et il se lassera d'accorder tant de latitude pour aboutir c'est forcé --- à la monotonie. 
Martin Gall 
 
Numa Préti, directeur de La Stratégie, lui répond

Depuis quelque temps M. Arnous de Rivière, sous le pseudonyme Martin Gall, publie chaque semaine dans le Gil Blas qui porte la date du lundi, une intéressante colonne d’échecs que nous recommandons à l’attention des amateurs.

Dans son numéro du 13 septembre dernier, il a bien voulu reproduire une partie de notre deuxième tournoi par correspondance entre MM. Desmarest et Amiros et il profite de cette circonstance pour recommander la Stratégie à ses lecteurs.

Malgré les réserves avec lesquelles notre confrère termine son article, nous le remercions vivement ; seulement, avec tout le respect que nous devons au doyen des joueurs français, nous lui témoignerons le regret de lui voir dépenser tant de talent dans une polémique personnelle et irritante qui n’est comprise et n’intéresse qu’un tout petit « clan d’amateurs » alors qu’en France nous aurions besoin de tant de concorde et d’union pour triompher de l’indifférence presque générale de nos concitoyens pour les échecs.


Bref, à trois ans de l’Exposition universelle de 1889 la concorde et l’union n’est pas vraiment là....
A suivre !