Affichage des articles dont le libellé est Baudrier Pierre. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Baudrier Pierre. Afficher tous les articles

dimanche 16 avril 2023

Lettre manuscrite de Deschapelles

Fin mars 2023, une lettre manuscrite de Deschapelles a été mise en vente sur le site internet Chesslund.
C'est Alain Barnier, toujours à l'affût des raretés du jeu d'échecs :-) merci à lui, qui m'a alerté sur cette vente. 
Vous avez ici le lien avec la vente. La lettre a été vendu à 961 euros !

Il est intéressant de voir que le vendeur a fait référence à mon site internet pour l'authentification de la lettre. En effet la signature des Deschapelles sur cette lettre est tout à fait similaire à celle présente sur les deux testaments trouvés par Pierre Baudrier et que j'ai publiés dans un précédent article.

Source : base LEONORE - dossier Deschapelles

Signature de Deschapelles sur son premier testament - 1er février 1846
On voit que sa signature a évolué avec le temps. 
Il a ici 66 ans, il est très malade et décédera le 27 octobre 1847.

A nouveau la signature des Deschapelles sur la lettre mise en vente sur le site Chesslund.
Celle-ci est tout à fait semblable à la signature du testament. 
La lettre est datée du 24 mars 1846.

Vous avez ci-dessous le texte de cette lettre, ou plutôt ce que j'ai réussi à lire. 
D'ailleurs le début de la lettre était retranscrit sur le site de vente.
Si vous arrivez à lire les mots qui manquent ou bien à me corriger, n’hésitez pas à me contacter.
 
Ajout du 20 et 21 avril 2023 : Merci à Philippe Bodard qui a réussi à lire la lettre dans son intégralité (voir ci-dessous), ainsi que pour son interprétation du contenu de la lettre.
 
Globalement le contenu de la lettre n'est pas d'un très grand intérêt. 
Mais on y apprend le nom du notaire de Deschapelles.
Un certain "Esnée", en fait Nicolas Joseph Esnée, notaire à Paris, rue Meslay (actuellement à proximité de la place de la République". Il est possible de consulter les minutes et répertoires de ce notaire aux archives nationales, ainsi peut-être d'autres documents présents dans le fonds qui lui est dédié.

Monsieur Esnée, Notaire
Rue Meslay
A Paris

Le 24 mars 1846

Mon cher Esnée, j’ai un contrat à signer, je
vous conseille de me l’envoyer, il doit y avoir de
l’inconvénient à laisser cette besogne à des héritiers.
Je puis être dans une grande erreur, mais je sors 
d’une nuit laborieuse, où plusieurs fois j’ai cru
entrer en prévision de l’éternité. C’est ma 2è lettre
vous êtes prévenu, -- on vient me causer du Cercle
On m’en dit des basses, et je ne sais pas l’emploi
que Larrieu fait de son bonheur, dites le lui de
ma part j’ai eu encore confiance dans ma vieille amitié

Votre dévoué

Deschapelles
 
Interprétation de la lettre par M.Philippe Bodard
 
Il me semble que Deschapelles est inquiet : je crois comprendre qu'il était en relation avec un dénommé Larrieu, que peut-être il lui aurait prêté de l'argent (son bonheur) ou bien qu'il ait participé avec lui à une affaire, et que les nouvelles que l'on lui rapporte du Cercle (des basses, c'est-à-dire des bruits de couloir) sont inquiétantes : Deschapelles prierait donc son notaire de rappeler, à Larrieu, qu'il avait encore fait confiance à ce personnage, au nom de leur vieille amitié mais l'emploi du passé (j ai eu) laisse planer de gros doutes quant à la réalité de cette confiance.

Deschapelles a un style littéraire très particulier et très personnel, un peu ampoulé, mais surtout très imagé. Il n'y a pour s'en convaincre qu'à lire son traité du Whist(e).

 
Ci-dessous les images publiées sur le site Chesslund par le vendeur.
 



mercredi 22 mars 2023

Plaque commémorative du Café de la Régence

Mise à jour du jeudi 23 mars 2023 : Ajout de 2 photos de l'adresse actuelle - 161 rue Saint-Honoré à Paris

Après plusieurs années d'efforts, une plaque commémorative va enfin être inaugurée, le mardi 4 avril 2023 à partir de 14h15, au 161 rue Saint-Honoré à Paris.
Il s'agit de la dernière adresse du Café de la Régence, et vous pouvez venir assister à la cérémonie.
 
La Fédération Française des Échecs a annoncé l'évènement sur son site internet. 
 
 
Je remercie la Mairie de Paris qui a accepté ce projet, et tout particulièrement M. Jacques Baudrier, adjoint au maire de Paris, pour l'aide qu'il m'a apportée.
M. Jacques Baudrier est un fort joueur d'échecs (à plus de 2200 ELO) et fils de Pierre Baudrier, le spécialiste d'Alexandre Deschapelles.

Au 161 rue Saint-Honoré se trouve l'office du tourisme du Maroc.
Mais la boutique est fermée depuis pas mal de temps.

A comparer avec la photo qui illustre mon blog, photo qui date de 1895 approximativement.



La plaque commémorative est de grande taille et sera fixée là où se trouve le rectangle rouge que j'ai ajouté.

Vous avez au début de l'article le texte de la plaque qui sera posée au 161 rue Saint-Honoré, et ci-dessous le texte de la délibération du conseil municipal de Paris de fin mai 2022. J'ai écrit les deux textes qui ont été validés par la mairie de Paris.

 

jeudi 24 juin 2021

Les Stratagèmes des Échecs

Suite à ma publication il y a quelques jours de l'article sur Lord Egerton, Herbert Bastian m'a signalé une erreur et il m'a surtout envoyé un fantastique article paru dans la revue Schach d'août 2020. Je le remercie tout particulièrement pour les informations qu'il m'a envoyées et que je publie dans cet article.

Cet article dans Schach est le fruit d'une enquête de plusieurs années principalement de sa part au sujet de l'auteur du recueil de problèmes d'échecs paru en 1802 et intitulé "Les Stratagèmes des Échecs". 
L'article est en allemand, mais avec Google Traduction et l'aide d'Herbert j'ai pu en extraire l'essentiel que je vous présente ici. Je mentionne les noms des personnes qui ont précédé ou aidé Herbert dans cette enquête.

L'erreur au sujet de mon article sur Egerton concerne le nom de l'auteur du livre "Les Stratagèmes au Échecs". Une recherche rapide sur internet montre que celui-ci est appelé Alfred Montigny, ce qui ne correspond pas à la réalité.

Plusieurs éléments permettent d'indiquer que le vrai nom de l'auteur est en fait Clément Félix Brossier Montigny. Le premier indice provient du Palamède de 1845, où un collectionneur, Camille Théodore Frédéric Alliey (1799 - 1856) écrit une lettre à Saint-Amant où il parle notamment de Montigny et évoque son âge. 

En voici quelques extraits, et vous pouvez trouver le Palamède de 1845 ici.






Alliey donne une indication intéressante avec l'âge de Montigny au moment de son décès : 72 ans en 1840.
Les archives reconstituées de la ville de Paris, permettent de trouver une fiche au sujet d'un "Montigny" décédé en 1840 (découvert par Pierre Baudrier).

Archives numérisées de la ville de Paris
Côte : Montigny (1789) Montigny (1843) Décès V3E/D 1081

Et ceci a été confirmé à Herbert Bastian par la découverte de la bibliographie d'Alliey dont il a obtenu une copie de la part de la bibliothèque municipale de Grenoble en 2019.

Montigny, Clément Félix Brossier, né à Dijon le 23 novembre 1768 et mort à Paris le 18 janvier 1840

Dédicace de Montigny à Alliey en son nom.
"Br." correspond à l'abréviation de "Brossier"
Source : communication de la bibliothèque de Grenoble par Mme Marie-Françoise Bois-Delatte

Herbert indique que Montigny est bien connu de la scène échiquéenne parisienne de la première moitié du XIXe siècle comme l'indique son nom qui apparaît à de nombreuses reprises dans Le Palamède.

Exemple avec Le Palamède de 1836...

... Ou encore celui de 1837

Herbert Bastian explore le contenu du livre et parle d'un système de notation des positions d'échecs assez novateur, et très proche de notre notation algébrique. Une idée prise à Stamma ?


Il parle également d'une variante du jeu d'échecs très en vogue au début du XIXe siècle à Paris, le pion coiffé (où l'on s'engage au début de la partie à mater avec ce pion), où seule l'expression pion marqué était usité avant 1802. Et l'on retrouve le nom de Montigny lors des rencontres chez Lord Egerton. Montigny y nota les parties jouées par Deschapelles, j'espère qu'elles ne sont pas perdues et qu'elles seront découvertes un jour...

Pion coiffé ou pion marqué, interprétation d'Herbert Bastian :-)
Les Stratagèmes des Échecs

La suite de l'article apporte des éclaircissements très intéressants sur le rôle de Montigny. 
Sur le site internet de la bibliothèque de Cleveland aux Etats-Unis se trouvent trois carnets manuscrits intitulés "Les Stratagèmes aux Échecs". En voici le lien.

L'analyse d'Hebert Bastian montre que le premier carnet est très probablement le manuscrit original de Montigny. Voici quelques éléments :

Le Manuscrit
Le livre "Les Stratagèmes des Échecs"

 
Le Manuscrit

Le livre

Pour le deuxième carnet, Frank Hoffmeister (cité par Herbert Bastian) a fait une découverte remarquable. Ce carnet est très proche du manuel d'échecs de La Bourdonnais publié en 1833 et intitulé "Nouveau traité du jeu des Échecs".

La conclusion de l'analyse du deuxième carnet par Frank Hoffmeister serait que Montigny a écrit une bonne partie du "Nouveau traité du jeu des Échecs", en collaboration avec La Bourdonnais qui ajoute le chapitre spécifique au jeu à handicap (où un camp rend un pion, un cavalier etc.). A noter que les diagrammes d'échecs présents dans le deuxième carnet se retrouvent dans le livre de La Bourdonnais, et qu'un système de notation très proche du livre de Montigny est utilisé. Pour autant ce ne sera pas ce système de notation que La Bourdonnais utilisera en 1836 pour Le Palamède, ce qui est également un élément en la faveur de Montigny comme co-auteur principal.

Nouveau Traité du jeu des Échecs - La Bourdonnais, 1833

Du milieu des parties - livre de La Bourdonnais

Du milieu des parties - 2ème carnet de Montigny
Le texte est similaire, avec la même écriture que le premier carnet.

Enfin le troisième carnet contient en partie des positions d'échecs postérieures à la mort de Montigny, c'est-à-dire publiées dans les années 1845/1860. Ce carnet a donc été co-rédigé par Montigny puis par un des propriétaires suivant du carnet qui est à ce jour inconnu. S'agit-il de Saint-Amant ? 

Herbert Bastian est sûr que Saint Amant a eu les carnets en sa possession pendant un certain temps. 
En effet, une partie des exercices a été publiée entre 1844 et 1847 par Pierre Charles Fournier de Saint-Amant (1800-1872), le meilleur joueur français de l'époque, dans sa chronique d'échecs dans le journal  L'Illustration

Enfin, Herbert Bastian indique qu'un joueur du nom de Montigny apparaît dans la revue La Régence en 1856. Il est surnommé "Le petit La Bourdonnais". Ce joueur décède en 1857 et pourrait être le petit fils de Clément Félix Brossier Montigny.

Pour terminer, Herbert Bastian remercie ses prédécesseurs et les personnes qui l'ont aidé dans cette recherche: Manfred Mittelbach, le Dr. Michael Negele, Pierre Baudrier et Frank Hoffmeister.

Voici l'article intégral d'Herbert Bastian paru de la revue Schach d'août 2020, avec l'aimable autorisation de M. Raj Tischbirek.


dimanche 15 novembre 2020

Les testaments de Deschapelles

Le 27 octobre 1847 disparaissait Deschapelles, personnage exceptionnel et méconnu de nos jours, successeur de Philidor.
Rappelons que Deschapelles (Alexandre Louis Honoré Lebreton Deschapelles) était considéré comme plus fort aux échecs que Philidor, par les personnes ayant connus les deux joueurs.
Je vous renvoie à la courte biographie que j'ai faite à son sujet.

Un passionné, Pierre Baudrier, que j'ai déjà cité et que je remercie, a mené de minutieuses recherches à son sujet au cours des années 1970 / 1980.
Et dans le numéro 258 d'Europe Échecs (juin 1980), il publia deux documents remarquables.
Il s'agit des deux testaments manuscrits de Deschapelles en provenance des Archives Nationales.

Les circonstances actuelles ne me permettent malheureusement pas d'aller aux Archives Nationales pour consulter les originaux. Aussi je me contente des photos publiées dans la revue Europe-Échecs de juin 1980.

Europe-Échecs n°258 - Juin 1980

Voici un extrait de cet article de Pierre Baudrier :

"Le champion d'échecs Alexandre-Louis-Honoré Lebreton Deschapelles (7 mars 1780 - 27 octobre 1847) a été méconnu (...).
Deschapelles lui-même n'y était pas étranger. Pendant la monarchie de juillet il conspirait contre le pouvoir et lisait à qui voulait l'entendre sa loi du peuple qui parut en 1848.

Inversement, il habitait en 1789 le château de Versailles - son père était officier de la Maison du Roi - Louis XVI l'avait "nommé", c'est-à-dire qu'il avait permis qu'on lui donne son prénom de Louis. L'un de ses frères avait été fusillé en l'an II pour être passé aux chouans et sous Louis-Philippe son beau-frère O'Hégerty était l'écuyer de Charles X et du comte de Chambord en exil. On ne peut que faire des suppositions sur la véritable personnalité de Deschapelles".

Lors du décès de Deschapelles en 1847, Saint-Amant publia, dans Le Palamède, un long article nécrologique avec un extrait d'un des testaments.

Le Palamède 1847

Pierre Baudrier ajoute :

"L'extrait du texte avait dû être fourni à Saint-Amant par la légataire universelle ou par un ami de Deschapelles, O'Reilly, qui avait signé l'acte de décès et appartenait au même milieu que Saint-Amant, celui du journal républicain Le National.

O'Reilly avait brandi le drapeau rouge le 5 juin 1832, lors de l'insurrection organisée par Deschapelles et évoquée par Victor Hugo dans Les Misérables.
Il fut nommé consul à Malaga puis secrétaire général de la Préfecture de Police en 1848 et maire du Xème arrondissement de Paris en septembre 1870."

Voici le texte du 1er testament de Deschapelles, en date du 1er février 1846.

Minutier Central, notaire LXXXV, liasse 1009 - Archives Nationales

"Mon testament

Aujourd'hui 1er février mil huit cent quarante six, je lègue à Mademoiselle marie, anne, caroline Lefèbvre brevetée pour l'exploitation des châssis de couches, demeurant avec moi de présent rue poissonnière n°29 à Paris: je lègue dis-je, tout ce que je laisserai après ma mort, immeubles, meubles, argent, créances ou papiers, pour qu'elle en jouisse après moi en toute propriété.
Je regrette de n'en pas laisser davantage craignant que ma chère caroline ne soit obligée de se retrancher dans la vie que nous menons depuis environ 23 ans. 

Je demande pour mon corps, l'enterrement du pauvre: que l'on m'envoye aucun billet de faire-part: que l'on ne mette mon nom dans aucun journal et que l'on ne présente mon corps à aucun culte.

Depuis mon enfance je n'ai reconnu qu'une seule opinion religieuse, la regardant comme le devoir actuel de l'homme : travailler jour et nuit à augmenter sa droiture et son intelligence.

Alexandre, Louis, Honoré, Lebreton Deschapelles"


Voici le texte du testament du 6 avril 1847

"Mon testament

J'ai donné et donne et lègue tout ce que je possède et posséderai, jusqu'à mes hardes et mon dernier chiffon, à Mademoiselle Marie, Anne, Caroline, Lefèbvre, fille aînée de M. Lefèbvre propriétaire à Thémericourt, aujourd'hui adjoint à la mairie de la ville commune : laquelle demoiselle est à la tête de ma maison depuis plus de vingt ans, où elle m'a rendu la vie heureuse, par son intelligence, sa droiture, son amabilité et son dévouement.

Je voudrais lui laisser davantage dans la crainte que les charges de sa fabrique ne deviennent trop fortes et qu'elle ait englouti ce qu'elle a à elle, d'héritages et d'économies. Je ne lui laisse point de conseils, n'ayant pas les qualités pour acquérir et me fiant plus à elle qu'à moi, sur la continuation ou sur le moment de liquider mon entreprise.

Paris le 6 avril mil huit cent quarante sept.

Alexandre, Louis, Honoré, Lebreton
Signé : Deschapelles"

samedi 3 octobre 2020

Un brevet étonnant déposé par Saint-Amant

Saint-Amant est un aventurier et un touche à tout aux multiples facettes.

Pierre Charles Fournier de Saint-Amant

Ainsi vous pouvez trouver dans la base des brevets du 19ème siècle de l'INPI (Institut National de la Propriété Intellectuelle) un brevet sur des procédés de conservation des jaunes d’œufs et leurs applications, qu'il déposa en 1847 avec un pharmacien dénommé Jean-Baptiste Augier.


Les références de ce brevet

Dans l'Annuaire du commerce de Paris de 1847 on s’aperçoit que les deux hommes travaillent à la même adresse, 42 rue Saint-Thomas du Louvre (rue aujourd'hui disparue).


Source Gallica

C'est là que se trouve la société de vente de vin en gros de Saint-Amant, à deux pas du Café de la Régence. Dans l'Annuaire du commerce de Paris de 1847 il est indiqué "Augier-Robert et Cie, poudre dite albumine pour clarifier les vins".
C'est peut-être en manipulant des œufs que les deux compères ont découvert ce qui deviendra un brevet sur la conservation des jaunes d’œufs...

Le brevet est accompagné de la lettre suivante 

Source INPI - Avec notamment l'autographe de Saint-Amant


Paris, le 14 janvier 1847

Monsieur le Ministre,

Nous avons l'honneur de vous prier de vouloir bien nous accorder un Brevet d'Invention de quinze années pour les procédés de conservation des jaunes d’œufs et leurs applications, suivant la description que nous avons déposé ce jour à la Préfecture de la Seine. 
Nous nous conformons aux prescriptions de la Loi du 8 juillet 1844, et aux ordres que Votre Excellence donnera pour la régularisation de ce Brevet.

Agréer, Monsieur le Ministre, l'hommage de notre respect.
Augier   Saint-Amant

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Voici le texte de ce brevet retranscrit par Pierre Baudrier dans un article paru dans Europe Échecs n°268 d'avril 1981. Pierre Baudrier donne également quelques informations intéressantes sur Saint-Amant.


ECHECS et SUCCES MECONNUS 
Par P. BAUDRIER 
SAINT-AMANT CHERCHEUR D'OR 

Pierre Baudrier, incontournable pour ses recherches sur Deschapelles et Saint-Amant, que je remercie tout particulièrement.

Dans sa thèse sur les Etats-Unis devant l'opinion française de 1815 à 1852, l'historien René Rémond consacre quatre pages (1) à Pierre, Charles Fournier-Saint-Amant, champion d'échecs français contemporain de Deschapelles et La Bourdonnais qui, sous la IIè République, avait participé à la ruée vers l'or de Californie. 

Saint-Amant avait alors revendu son commerce de vins pour mener une vie politique mouvementée. Déjà, en 1847, il avait été reçu en audience par Louis-Philippe alors qu'il était capitaine de la Garde Nationale en faction aux Tuileries. En février 1848, Lamartine l'en avait pourtant nommé gouverneur et c'est en 1851 qu'il était parti pour les Etats—Unis où il espérait obtenir du Prince-Président français le consulat de Sacramento. Son espoir fut déçu. A vrai dire, Saint-Amant avait une prédisposition insolite pour le métier de chercheur d'or. 

Le 16 janvier 1847, la vérité dépassant la fiction, il avait déposé un brevet pour la conservation des jaunes d'œufs, portant le numéro 4878, dont voici le texte :


Demande par Jean-Baptiste Augier, pharmacien, demeurant rue Notre-Dame-des-Champs 2 bis, et Charles Fournier Saint-Amant, négociant en vins, demeurant rue Saint Thomas du Louvre 42, d'un brevet d'invention de quinze ans pour des procédés de conservation des jaunes d'œufs et leurs applications. 
1° à l'habillage de peaux dans l'art de la mégisserie et de la ganterie
2° à remplacer la pâte d'amande dans la toilette. 

Mémoire descriptif 

Nous mettons les jaunes d'œufs dans une bassine de terre bien vernie et aussi évasée que possible, nous ajoutons cinq grammes de chlorure de sodium par livre de jaune d'œufs liquide, nous plaçons cette bassine dans un bain-marie que nous tenons chauffé à une température constante de 35 °. Nous remuons la masse pour faciliter l'évaporation aqueuse : lorsque la masse en se concentrant est arrivée à la consistance d'un miel épais nous l'étendons par couches minces sur des jattes vernies ou sur tous autres vases plats non attaquables par les jaunes d'œufs. 

Nous mettons ces vases dans une étuve marquant tout au plus 30° degrés de chaleur ou à l'air libre si c'est en été. Deux ou trois jours après la masse s'écaille et une certaine quantité d'huile liquide de jaune d'œufs se sépare. Dès lors nous plaçons ces vases sur un plan incliné disposé pour les recevoir et pour recueillir cette huile. Nous laissons s'opérer cette transsudation durant environ vingt-quatre heures : ensuite nous prenons avec soin cette masse d'écailles ; nous l'introduisons dans des sacs de toile de coutil pour en former des gâteaux : nous empilons ces gâteaux les uns sur les autres entre la deux plaques d'étain d'une presse destinée à cela. 

Nous exerçons une pression graduée qui peu à peu finit par devenir très forte et nous obtenons ainsi une nouvelle quantité d'huile liquide de jaunes d'œufs que nous laissons poser, que nous filtrons au papier et que nous conservons soit avec la première obtenue, soit séparément dans des bouteilles bien sèches et que nous bouchons avec soin. L'huile liquide de jaune d'œufs obtenue de cette manière se conserve longtemps dans un grand état de fraîcheur. 

D'autre part nous réduisons en poudre grossière, au moyen d'un moulin à bras, ou d'un mortier, le tourteau ou résidu ; nous aidons cette pulvérisation par l'addition de cent grammes d'amidon en poudre torréfié pour un kilogramme de résidu, ou mieux encore par une égale quantité de fécule de pommes de terre aussi torréfiée. 

Nous obtenons ainsi une poudre que nous tassons très fortement couche par couche dans des caisses garnies d'étain ou des jarres de terre vernies, fermant le tout le mieux possible. Ainsi obtenue, ainsi tassée, cette poudre qui est d'un beau jaune et peu huileuse, ne s'altère pas de très longtemps. L'huile de jaune d'œuf telle qu'on l'obtient dans les laboratoires, c'est-à-dire au moyen d'une plus forte chaleur ou bien par le secours de l'alcool ou de l'éther contient deux huiles dont l'une est solide à la température de l'atmosphère, tandis que l'autre est liquide à cette température. Il en résulte nécessairement qu'elles se séparent l'une de l'autre à mesure qu'elles se refroidissent. 

En opérant d'après notre procédé, c'est-à-dire à une basse température, nous avons l'avantage : 
1°— d'obtenir de l'huile liquide, la seule employée, dégagée de l'huile concrète et des mucosités que son extraction à chaud y aurait entraînées. 
2°— De ne point déterminer un commencement d'altération dans l'une ou l'autre huile par élévation de température. 
3°— De ne pas cuire la substance de jaune d'œuf que nous pouvons utiliser ensuite. 
4°— De pouvoir à notre gré modifier les proportions des principaux éléments constitutifs du jaune d'œuf selon l'indication qu'il faut remplir et comme nous allons le décrire. 


Jaunes d'œufs conservés pour la mégisserie. 

Sur commande et le plus près possible de l'époque de la livraison nous faisons broyer entre quatre cylindres disposés sur champ, comme on le fait pour le broyage du chocolat, nos jaunes d'œufs conservés et contenant l'huile concrète. Nous incorporons, pendant ce broyage, et petit à petit, l'huile liquide que nous en avions extraite et nous en obtenons ainsi une masse pulvérulente légèrement humide, douce au toucher et dont la solubilité dans l'eau et l'action sur les peaux ne laissent rien à désirer. 

Nous avons même réussi à y incorporer une quantité d'huile de jaune d'œufs supérieure à celle que nous en avions enlevée, et ce changement de proportions a donné sur les peaux un résultat sensiblement plus beau que celui des jaunes d'œufs frais. Cette observation nous a fait penser au moyen d'utiliser le jaune d'œuf privé de son huile liquide et la parfumerie nous en a offert une application naturelle et immédiate. 

Poudre de jaunes d'œufs parfumée pour remplacer la pâte d'amande 

Nous passons au cylindre, et de la manière indiquée ci-dessus, mais sans y ajouter l'huile liquide, les jaunes d'œufs conservés, nous obtenons une poudre impalpable que nous parfumons de diverses manières. Cette poudre est d'un beau jaune, se conserve parfaitement et jouit d'une manière irrécusable de la propriété d'assouplir et de nettoyer la peau. Il faut l'employer de la même manière que la pâte d'amandes et la délayer de préférence avec l'eau chaude.
 
Paris, le 14 janvier 1847. 
Signé : Augier Saint-Amant. 
Vu pour être annexé au brevet de quinze ans, pris le 16 janvier 1847 par les Sieurs Augier et Fournier Saint-Amant. Paris, le 20 février 1847. 
Pour le Ministre et par délégation : Le Conseiller d'Etat, Secrétaire Général. 
Signé : Illisible. 


Finalement, Saint-Amant n'avait pas lâché la proie pour l'ombre en abandonnant, en pleine crise économique, le commerce du vin et le jaune d'œuf pour l'or de Californie. Il fut nommé administrateur de la Société aurifère de Cayenne en 1856 et se retira en 1861 au château d'Hydra, près d'Alger, à Birmandreis, où il décéda en 1872.  

(1) Rémond (René).— Les Etats—Unis devant l'opinion française 1815-1852. Tome premier.— Paris, A. Colin, 1962, pp. 106-109 (Cahiers de la Fondation Nationale des Sciences Politiques. 116.)