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mercredi 23 juin 2021

Le Café Morillon

Le Café Morillon est un lieu central pour le jeu d'échecs durant la période de 1796 à 1802.
Pendant la Révolution Française, le propriétaire du Café de la Régence, François Haquin, n'était manifestement pas très intéressé par les échecs et les joueurs s'étaient éparpillés dans les cafés du Palais-Royal (alors le Palais Egalité puis le Tribunat). 

Il y avait bien le Salon des Échecs au-dessus du café de Foy, mais celui-ci avait dû arrêter son activité au début de l'année 1796 (voir l'article au sujet du Salon des Échecs au café de Foy, 1er cercle d'échecs en France).

Néanmoins quelque chose ne va pas dans cet article que j'ai écrit sur le Café de Foy, car dans le livre "Une journée de Paris 1796, 1797 – Paris An cinquième, par Ripault", que je cite, il est écrit

"(...) Je me présentai au café de la Régence ; les habitués de l’échiquier l’avaient quitté, et s’étaient établis en face de ce même café. Je lus, au-dessus de la porte : Salon des échecs.(...)"

En face de ce même café... Comme je le pensais à tort précédemment, cela ne pouvait pas être au Café de Foy qui se trouve à plusieurs centaines de mètres de la Régence, dans les jardins du Palais-Royal.

L'explication est arrivée après quelques recherches. En fait, après la fermeture du Cercle des Échecs au-dessus du Café de Foy, le Salon des Échecs s'est retrouvé au café Morillon (du nom de son propriétaire), juste en face du Café de la Régence.

L'Almanach du Commerce de Paris de l'année 1798 donne l'adresse du Café Morillon

Morillon, rue Honoré n°1362 - de la Buttes-des-Moulins

On voit apparaître le Salon des Échecs en 1802, année où Morillon cesse son activité manifestement.
En effet Morillon disparaît de l'Almanach du Commerce de Paris après 1802.
Ceci explique sans doute pourquoi le Salon des Échecs se déplace à nouveau cette année-là.

Source Retronews - Journal de Paris du 2 août 1802 (Dimanche 20 Thermidor - An X).

"Le Citoyen Morillon prévient les amateurs du jeu des Échecs, qu'à compter du 25 du courant, le SALON DES ÉCHECS, se tiendra chez le Citoyen Genella, au 1er, rue St Honoré, n°1371, passage de la Cour des Maures".

Revenons aux adresses : le Café Morillon est au 1362, tandis que le Café Genella est au 1372 (puis au 216 de la rue Saint-Honré selon une nouvelle numérotation) de 1802 jusqu'en 1808.
Le 1371 est probablement une erreur du Journal de Paris car on trouve plutôt le 1372 dans l’Almanach du Commerce de Paris.

Ainsi en 1802 nous avons le Café Moullon (Sic) au 1362 et le Café Genella au 1372 de la rue Saint-Honoré.

En bas de l'image "Moullon" pour Morillon au 1362.

et Genella au 1372, juste à côté.

Ce site internet m'a permis de localiser avec précision ces différentes adresses  
Puis la consultation du cadastre de 1810/1836 en ligne de la ville de Paris permet de les situer sur une carte.

C'est dans ce café que Deschapelles raconte avoir appris à jouer aux échecs en quelques jours selon sa légende et comme le raconte Saint-Amant dans la nécrologie qu'il publie en 1847 dans Le Palamède. Voir plus loin.

Source : Archives de Paris - Cadastre par îlot 1810-1836
6e quartier Palais-Royal îlots n°1 à 3 F/31/75/22

R : Emplacement du Café de la Régence
M : Emplacement du Café Morillon - Salon des Échecs de 1796 à 1802
G : Emplacement du Café Genella - Salon des Échecs de 1802 à ?
F : Emplacement du Café de Foy - Salon des Échecs de 1777 à février 1796

En zoomant sur le plan (CR : Café de la Régence - CM : Café Morillon - CG : Café Genella)

Après ces considérations géographiques, la question suivante qui me vient à l'esprit est : 
Quand le jeu d'échecs revient au Café de la Régence ?

Je pense qu'il est possible de dater ce retour un peu avant 1807, comme cela est écrit dans "Les Échecs, poème en quatre chants par feu l’abbé Roman – Paris 1807" (page 25) 

« (…) Le jeu des échecs, du temps de Philidor, fut en grande faveur à Paris (…) La Révolution renversa pendant plusieurs années presque toutes les idées libérales, dispersa les habitués du café de la Régence (…) Le café de la Régence reprend son ancienne splendeur, et les amateurs d’échecs y reviennent s’exercer autour du buste de Philidor. »

Manifestement le nouveau propriétaire des lieux, Beaupied, a réussi à attirer les joueurs d'échecs et à les faire revenir !


Source Gallica - Almanach du commerce de Paris en 1803
Beaupied (Café de la Régence), Place du Tribunat - Tuileries

Pour terminer, voici la fameuse histoire au sujet de Deschapelles et comment il explique avoir appris à jouer aux échecs. M. Herbert Bastian pense que Deschapelles a appris à jouer aux échecs durant son séjour à l'école de Brienne quand il avait une dizaine d'années. Ceci semble plus raisonnable...

Le Palamède - 1847


« En 1798, pendant un congé que je (Deschapelles) vins passer à Paris, je me promenais dans le Palais-Royal, ne sachant encore ce que je ferais de ma soirée. 
J'entrevois un endroit médiocrement éclairé (le Café Morillon), où quelques hommes, la plupart âgés, semblaient parfaitement préoccupés. 
Je n'avais pas encore vu un Échiquier, et ma curiosité fut piquée. 
Je me présentai à la porte et demandai à une espèce de garçon de salle, ce qu'on faisait dans l'intérieur, et si un étranger pouvait y être admis. 


Il me répondit qu'on jouait aux Échecs et que c'était une société particulière, dans laquelle on n'était admis qu'à certaines conditions : payer douze sous par mois et écrire son nom sur un livre. 
Je lui jetai un écu de six livres en lui disant : voilà pour dix mois, et ne voulant pas donner mon nom à cause de mes parents encore dans l'émigration, j'inscrivis sur le registre Philiam, c'était le nom d'un petit chien qui m'accompagnait. 
On estropia depuis ce mot, car c'est sous le nom de William que je fus introduit. 
Depuis, on m'a longtemps appelé de ce nom ; fort indifférent à la gloire de remuer mieux qu'un autre de petits morceaux de bois, je ne réclamai pas contre le sobriquet. »
 
M'étant fait indiquer celui qui passait pour l'aigle, je pris place à côté de lui, et pendant deux heures je suivis attentivement son jeu. 
Ses secrets, d'abord impénétrables pour moi, se développèrent rapidement à mon esprit, et sans l'heure trop avancée, je crois que j'aurais eu la témérité d'attaquer tout de suite M. Bernard, que je venais de voir jouer. 
Je ne m'étais pas permis un mot, et mes premières paroles (qui firent une espèce de sensation) furent pour demander à M. Bernard s'il me ferait l'honneur de m'accepter pour son adversaire.

— Dès demain, mon jeune citoyen, si cela vous est agréable. 
— L'heure et le lieu? 
— À sept heures du soir, ici. 
— Vous n'aurez pas à m'attendre. 

Une espèce de rumeur dans l'assemblée sembla nous assurer pour le lendemain une nombreuse galerie. Je sortis après m'être incliné, et jusqu'au moment de la rencontre que je venais de provoquer, j'avoue à ma honte que je n'y pensai pas une seule minute. — Je fus pourtant exact, et je trouvai la même réunion discutant avec animation. Tout cessa quand j'eus pris place en face de M.Bernard qui m'avait devancé autour de l'Échiquier. En prenant deux Pions de différentes couleurs dans ses mains pour tirer le trait, il me demanda si je désirais un avantage. 

— Pour quoi faire? lui dis-je.
— Comme il vous plaira; votre jeu? 
— Le vôtre, Monsieur. 
— Nous jouons ordinairement 24 sous.
— Soit. Je désignai sa main gauche, et il en laissa tomber un Pion blanc, qui était celui de la couleur des pièces devant lui. 
— À moi le trait, dit-il avec un air de satisfaction, que je partageai, car il me sembla que je serais moins embarrassé de ne jouer que le second. 

Je dois déclarer que les premiers coups ne me parurent pas aisés. 
Je pris quelque mauvaise disposition, sans doute, et ma partie fut perdue assez promptement. 
Je réclamai la revanche pour laquelle M. Bernard prit encore le trait, comme gagnant, suivant la règle d'alors; mais cette fois-ci je corrigeai ce qui m'avait paru défectueux la première fois, et la partie fut longue et vivement disputée.

Cependant je perdis encore ; pour le coup je sentis le rouge me monter au visage, et ma confusion fut grande, malgré les compliments que me décerna la galerie ; j'aurais passé la nuit pour prendre ma revanche ; mais M. Bernard tirant gravement sa montre, me dit qu'il était dix heures et demie et que c'était le moment de se retirer. Je posai sur l'Échiquier un petit écu en échange duquel il me remit une pièce de 12 sous, qu'en sortant je donnai au garçon. Rendez-vous fut pris pour le lendemain à la même heure. J'arrivai piqué au jeu et dans des dispositions toutes différentes de la veille. J'avais la sottise d'être honteux de moi-même pour le rôle que j'avais joué.
 
La revanche fut éclatante, et à l'exception d'une partie remise, M. Bernard les perdit toutes. Je pouvais lui donner Pion et deux traits. Depuis cette époque je n'ai fait aucun progrès, et ne pouvais pas en faire. En trois séances au plus, et j'en juge d'après ce qui m'est arrivé, on doit savoir aux Échecs tout ce qu'on peut y apprendre et y devenir. Y consacrer plus de temps serait une puérilité. Il est des personnes qui ne pensent peut-être pas comme moi, et je ne discuterai jamais avec elles ; je n'ai point mission de rectifier leur jugement ; mais mon opinion, à moi, n'est susceptible d'aucune modification. Si l'on n'a pas de disposition pour bien jouer aux Échecs, pourquoi y perdre un temps qui peut être plus utilement employé ailleurs? Du reste, je trouve que presque tout le monde joue suffisamment bien, et j'ai rencontré, dans ma vie, cent bons joueurs pour un qui n'y entendait rien. Une nuance si faible nous sépare les uns des autres que l'on peut dire, que nous sommes tous de la même force. »
 
Quelque incroyable que tout ceci puisse paraître à ceux qui n'ont pas connu Deschapelles, c'est d'une exactitude telle qu'il n'y a pas un mot à changer. Mais il faut avoir vu son air froid, calme, sévère et consciencieusement pénétré, pour en avoir une idée complète. C'était la dernière conversation de Socrate avec ses disciples par le recueillement et la soumission avec laquelle il fallait écouter. — Le moindre mot, la plus légère observation, il s'arrêtait, et ne reprenait pour continuer, que lorsque le silence était revenu. En général, on ne discutait pas avec Deschapelles , il aurait fallu se fâcher. Ceux qui le connaissaient se conformaient ; les étrangers n'acceptaient pas toujours aussi complaisamment. — Qu'arrivait-il ? Deschapelles finissait et s'éloignait. — Nous l'avons entendu répondre à un de nos bons joueurs d'Échecs qui avait voulu hasarder une simple question, — « Brisons là, Monsieur, nous ne lisons pas dans le même Dictionnaire. » 

Il fallait donc, quand il était en train de causer, ou écouter, ou le fuir ou bien l'interrompre, et priver ainsi tout l'auditoire de l'entendre. C'était imposer une grande privation que de le rendre silencieux, car son langage n'était pas celui de tout le monde. Il abondait en traits originaux, en pensées hardies, dont on était toujours bien libre de ne prendre que ce que l'on voulait. Il tranchait avec aplomb ; mais il faisait bonne part à tout le monde, tout en se réservant celle du lion. 

Du reste, il n'acceptait un interlocuteur qu'avec précaution; quand il le connaissait peu ou qu'il ne lui revenait pas, il n'ouvrait pas la bouche. Nous l'avons vu une fois dans le jardin du Palais-Royal, assailli par l'ancien entrepreneur du Club d'Échecs des Panoramas, dont il était très mécontent. En vain ce pauvre diable s'évertua-t-il à lui expliquer sa position sur tous les tons et avec autant de douceur que d'humilité, chaque fois qu'ils arrivaient au bout de l'allée, au moment de tourner, Deschapelles lui disait en s'inclinant un peu, et d'un air froid et glacial : « J'ai bien l'honneur de vous saluer. » Ces mots, répétés pendant dix tours de promenades, furent les seuls qu'il laissa échapper et toujours sur le même diapason. » 

Le Palamède - Novembre 1847 - Article nécrologique de Saint-Amant sur Deschapelles


vendredi 18 juin 2021

Les soirées d'échecs chez Lord Francis Egerton à Paris

25/06/2021 - Correction du nom/prénom de Montigny auteur du livre "Les Stratagèmes des Échecs"grâce à l'aide d'Hebert Bastian - Voir l'article à ce sujet

Après le duc de Brunswick, riche excentrique et amateur du jeu d'échecs à Paris sous le second Empire, voici Francis Egerton, pair Britannique et 8ème comte de Bridgewater, qui fut pas mal aussi dans son genre dans la première partie du XIXe siècle.Wikipedia le présente comme un noble excentrique.

Francis Henry Egerton, 1824
Archivio storico dell'Accademia delle Scienze di Torino

Voici deux documents au sujet de Francis Egerton en lien avec le jeu d'échecs à Paris, pour une période (1800 - 1825) où nous avons très peu d'informations. 

Il faut noter qu'Egerton est le nom qui apparaît dans le premier document connu qui mentionne Deschapelles en tant que joueur d'échecs en 1807. Il s'agit d'un texte publié dans
L’Ambigu ou variétés littéraires et politiques, publié les 10, 20 et 30 de chaque mois par M. Peltier (Jean-Gabriel) – Imprimé à Londres

Nous sommes en pleine période Napoléonienne et il est étonnant de trouver la description de cette séance d’échecs parisienne, au milieu d’informations relatives à la Grande Armée. À noter que le même article, mais en anglais, se trouve dans The Gentleman’s Magazine and Historical Chronicle de juillet 1807. 
Deschapelles y est appelé Guillaume de Préton et Guillaume Le Préton dans The Gentleman’s Magazine. Est-ce bien Deschapelles ? 

The Gentleman’s Magazine and Historical Chronicle de juillet 1807. page 605

Tout d’abord pour le nom, il s’agit bien entendu d’une déformation de Lebreton.  Pour le prénom, qui passe d’Alexandre à Guillaume, le tour de passe-passe est plus compliqué, et en voici l’explication de la bouche même de Deschapelles qui raconte comment il découvre le jeu d’échecs en 1798 au Café Morillon.

Le Palamède – Novembre 1847 – Article nécrologique de Saint-Amant au sujet de Deschapelles

«(…) j'inscrivis sur le registre Philiam, c'était le nom d'un petit chien qui m'accompagnait. 
On estropia depuis ce mot, car c'est sous le nom de William que je fus introduit. 
Depuis, on m'a longtemps appelé de ce nom ; fort indifférent à la gloire de remuer mieux qu'un autre de petits morceaux de bois, je ne réclamai pas contre le sobriquet. (…) »

William étant l’équivalent anglais de Guillaume… Cette théorie n’est pas la mienne, mais il s’agit là de mon interprétation de la conclusion donnée par H.J.R. Murray dans son monument A History of Chess et qui cite Deschapelles comme conduisant l’équipe opposée à Carlier.

Voici la description des séances d'échecs chez Lord Egerton en 1807 à Paris :

« Aux Amateurs du jeu d’Échecs

Les parties d’échecs, données à Paris chez l’honorable Francis-Henri Egerton, qui ont si fortement occupé l’attention des amateurs de cette capitale, étaient, dans leur manière, entièrement nouvelles vu qu’elles étaient jouées par deux comités séparés, composés chacun de plusieurs personnes, et non par des individus assis devant le même échiquier, l’un vis-à-vis de l’autre.

Ainsi, les membres de chaque comité avaient la facilité de conférer en secret entr’eux, raisonnant sur chaque coup, et combinant leur plan, leur arrangement et le système de leur jeu, sans l’intervention ou la connaissance du comité adverse. La manière était comme il suit : il y avait deux comités, l’un composé de M. Guillaume de Préton , et six ou sept autres Messieurs ; l’autre composé de M. Carlier, et de six ou sept autres Messieurs, tous joueurs de la première force.

Chaque comité avait une chambre séparée, à une assez grande distance l’une de l’autre ; un échiquier était placé devant chaque comité, avec les diverses pièces, blanches et noires, régulièrement arrangées de chaque côté sur l’échiquier.

Dans une chambre de milieu, entre les deux comités, était placé un troisième échiquier, avec toutes ses pièces, blanches et noires, régulièrement arrangées; cet échiquier intermédiaire était commun aux deux comités, et était celui sur lequel on jouait et décidait de la partie ; mais aucun des membres de l’un ou de l’autre comité n’avait la permission d’entrer ni dans la chambre commune ni dans la chambre du comité adverse, pendant la durée de toute la partie.

Aussitôt que le comité A avait décidé un coup, et l’avait fait sur son propre échiquier A, M. Calma, et un autre monsieur, allaient dans la chambre du milieu B, à l’échiquier commun B, jouaient le coup sur l’échiquier commun B, et, allant aussitôt à travers cette chambre du milieu, passaient dans la chambre la plus éloignée C, au comité C, attendaient pour savoir le coup du comité C, le voyaient aussi porté sur l’échiquier C, retournaient et faisaient le coup du comité C, dans la chambre B, sur l’échiquier B, et, allant encore à travers cette chambre, annonçaient le coup porté par le comité C, déjà fait sur l’échiquier C, dans la chambre du comité A, sur l’échiquier A.

Ces deux messieurs exécutaient de cette manière tous les mouvements de cette partie, ainsi que de toutes celles qui se faisaient ensuite. Dans la chambre du milieu B, près de l’échiquier B, était assis l’éditeur des « Stratagèmes d’Échecs », avec un autre amateur : ces deux messieurs écrivaient chaque coup, tel qu’il avait été joué durant chaque partie, et pendant toutes les parties subséquentes. 
On jouait ordinairement trois parties par soirée ; et l’honorable M. Egerton a donné chez lui, grand hôtel de Richelieu, huit à dix séances pendant son séjour à Paris.

Les différentes parties se prolongeaient ordinairement de trente-six à cinquante-deux coups de chaque côté. On les a laissées, en manuscrit, entre les mains de M. Calma et de l’éditeur des « Stratagèmes d’Échecs », peut-être seront-elles imprimées avec quelques conclusions extraordinaires de parties, comme faisant supplément à un autre volume de son ouvrage sur les « Stratagèmes d’Échecs » » 

Ainsi ce document laisse entrevoir un espoir de retrouver un jour des parties jouées par équipe avec Deschapelles. Un des arbitres de cette rencontre est Clément Félix Brossier Montigny Alfred de Montigny, auteur en 1802 du livre Les Stratagèmes des Échecs.

Les Stratagèmes des échecs ou Collection des coups d’échecs les plus brillants et les plus curieux – Strasbourg An X (1801 1802) Chez Amand König, libraire quai des Augustins N°18 – Un Amateur (pseudonyme pour Clément Félix Brossier Montigny)

Comme je l'indiquais, j'ai découvert un deuxième document qui parle de Lord Egerton, mécène du jeu d'échecs. Dans le journal Le Sport du 29 avril 1857, Saint-Amant raconte son expérience de joueur d'échecs chez Egerton.

Quelques remarques sur le texte à suivre :

Nous sommes en 1823, et Saint-Amant indique que Deschapelles joue toujours et rend l'avantage de 2 traits et du pion à La Bourdonnais, ce qui est assez surprenant. En effet depuis le match triangulaire à Saint-Cloud avec Cochrane et La Bourdonnais en 1821/1822, Deschapelles avait indiqué : « Je renonce formellement aux Échecs maintenant, disait Deschapelles, et abandonne le trône à La Bourdonnais. Il est digne de me succéder, et le sceptre sera bien sûrement placé dans ses mains ».

Dans le texte, il est également question d'un joueur nommé "Calmant". S'agit-il du Calma du texte précédent ?!

Puis Saint-Amant indique que Calmant débute la partie contre lui et pour autant le diagramme indiqué dans le journal lui donne les pièces noires ? L'explication est simple : les joueurs prenaient indifféremment les blancs ou les noirs pour démarrer la partie. Le fait de commencer avec les blancs est juste une convention (j'ignore pour le moment quand cette convention est apparue). J'ai consacré un article sur le règlement appliqué au Café de la Régence en 1844. Nous sommes loin des règles actuelles de la FIDE, mais il n'est pas précisé que le joueur qui a les blancs doit débuter la partie.

Le Palamède 1837 - Dans cet exemple, M. Bonfil commence la partie contre La Bourdonnais en ayant les pièces noires - un gambit du Roi

Source : Gallica

Le Sport – 29 avril 1857
Échecs

Souvenirs d’une soirée d’échecs

Sans être très-avancé vers le déclin de la vie, on peut se rappeler avoir vu, dans l’ancienne rue de Rivoli, qui se bornait à former un parallélogramme avec la terrasse des Feuillants, une douzaine d’arcades nues, sans boutiques, sans corps de bâtiments adhérents. D’après la loi on avait pu forcer le propriétaire de ce terrain à bâtir ces arcades en alignement, mais on n’avait pu l’obliger à rien faire au-delà.

Ce propriétaire était un noble insulaire contraint, disait la chronique scandaleuse, de quitter son pays pour une déviation de goût qu’il avait de commune avec plus qu’un grand homme de l’antiquité. 
Quoiqu’on ne pende en Angleterre que les vilains, tout lord qu’il était, on affirmait qu’il y avait été chagriné à l’instigation du beau sexe. Quoi qu’il en soit, il s’était réfugié à Paris, ville de tolérance et de mœurs moins inquisitives, pour vivre tranquillement.

(...Nous apprenons qu'Egerton possède une propriété rue de Rivoli avec un grand jardin...)
 
Il jouissait de 80,000 livres sterling de rente annuelles, soit deux millions de francs, qu’il ne pouvait dépenser, malgré trois fortes passions : Celle des échecs en toute innocence, celle des mignons comme Henri III, celle des chiens comme feu la première douairière de Canino. Je vais parler de la première de ces passions, glisser sur la seconde et dire un dernier mot sur la troisième.

Lord Egerton n’était pas fort aux échecs ; il n’aimait pas à se casser la tête pour faire manœuvrer seize petits morceaux de bois ou d’ivoire, - il avait bien raison, - mais il aimait beaucoup à voir les autres se casser la tête, - et il n’avait pas tort, puisqu’il payait. 

Il adorait la partie des grands joueurs, et « rien au monde » disait-il, « n’offrait un spectacle plus attrayant, après le triomphe de la vertu, que de voir le génie aux prises avec les difficultés ». 
S’il eût suffi de quelques milliers de guinées pour faire sortir Philidor de la tombe où il reposait depuis un quart de siècle, Egerton n’eût pas hésité à faire ce sacrifice.

A défaut, il courtisait les célébrités contemporaines, et certes ont eût pu se contenter à moins : Deschapelles, La Bourdonnais, Mouret, Boncourt, Veille et Calmant. Une fois par semaine il les priait de venir s’escrimer devant lui ; chacun jouait une partie. Le prix de la lutte était fourni par ce Mécène d’un nouveau genre : il consistait en un jeton de 40 francs ; le vaincu avait une fiche de consolation de 20 francs. Tout le monde sortait content.

C’était le juif Calmant, quoique le plus faible de cette pléiade, qui remplissait les fonctions d’ordonnateur de la fête. Un jour que Mouret, surnommé le Béquillard, sujet à se livrer à de trop copieuses libations, ne pouvait aller au rendez-vous, Calmant m’offrit de me présenter à l’hôtel Egerton, où je comblerai le vide, bien que je ne fusse pas encore revêtu officiellement de l’hermine du professorat. 

A peine venais-je de dépasser l’âge où l’on s’affranchi de l’impôt du sang. Outre que je ne doutais pas facilement alors, j’avais un goût tellement prononcé pour les échecs, que, quoique recevant pion et trait et pion et deux traits des illustres maîtres, je n’hésitai pas à passer mon Rubicon, et je saisis avec empressement cette occasion d’aller me mêler au faisceau des illustrations. Ce fut mon premier pas sur un grand théâtre.

Hélas ! J’étais le plus jeune, et à ce titre-là j’avais le plus de chances de vivre encore longtemps. 
Aussi depuis dix ans suis-je le seul survivant. Amphytrion et invités ont successivement disparu ; le temple lui-même s’est écroulé, et ses débris ont subi une complète métamorphose. Il faut donc que je me hâte de consigner ces fastes de l’échiquier, si je veux les sauver de l’éternel oubli.

Autant que ma mémoire peut être fidèle, c’était le 26 juillet 1823, - la chaleur était assommante, quoique le soleil eût disparu sous l’horizon. Nous fîmes notre entrée à peu près simultanément dans cet élégant jardin si contraire à la propre élégance de la rue de Rivoli. Les échiquiers étaient disposés, les vérines étincelaient et les rafraichissements se congelaient sous des montagnes de glace. 


Mylord, tourmenté par la goutte, languissait mollement étendu sur un divan à roulettes, auquel deux énormes valets imprimaient la locomotion nécessaire pour que leur maître put parcourir sans fatigue les divers champs de batailles. Trois ou quatre petits chiens de diverses races, bien gros, bien dodus, partageaient les commodités du divan. 

(...) La Bourdonnais, ce soir-là, joua avec Deschapelles, qui lui donnait encore pion et deux-traits. 
La partie, très vivement disputée, fut nulle ; Boncourt et Veille firent la partie à but, et je jouai bravement de même avec Calmant. Je ne craignais pas son jeu, qui était tout de pièges et entremêlé de beaucoup de fausses marches, plus ou moins involontaires. Calmant m’avait traité assez cavalièrement et en vétéran qui ne peut pas, qui ne doit pas craindre un conscrit.
 
Malheureusement pour lui il entama le jeu, dont le trait lui était échu, par une partie du Calabrais qui était justement un de celles que j’avais le plus étudiées. Aussi ne fis-je pas la faute, et la ruse se brisa-t-elle contre une défense classique. A cette époque on n’écrivait pas les parties, ce dont on a tant fait abus depuis, surtout en Angleterre. De celle que je fis avec Calmant, le souvenir des cinq derniers coups m’est resté fidèlement, parce que cette fin forme une espèce de petit problème, qui me tient lieu de ceux que je n’ai jamais été habile à composer. Le voici, et je le donne pour ce qu’il peut valoir.

Aux blancs de jouer et à faire mat en cinq coups.



Je lui avais annoncé le mat, ce qui lui attira de nombreux sarcasmes de Mylord, qui a mon endroit n’eut que de gracieusetés et de compliments flatteurs ; il m’invita à revenir, et je crus comprendre que dès ce moment je devais me considérer comme enrôlé dans sa troupe…. 

De joueurs d’échecs. En sortant, le maître de cérémonies me remit un pli cacheté dans lequel je trouvai un double jeton. Le lendemain j’en donnai la moitié à Calmant, qui m’avait servi d’introducteur et de victime. Aussi prit-il fort bien et sans aucune façon ces 40 francs comme lui étant dus. Il ne me remercia même pas, et je demeurai convaincu que si je n’avais pas eu le bon esprit de prendre cette initiative, je lui aurais occasionné le désagrément d’en faire la demande.

La goutte de lord Egerton devint plus obstinée et le fit souffrir au point d’interrompre ses réunions. 
Son médecin, que Dieu confonde ! qui n’aimait pas les échecs et qui répétait toujours, d’après Mointaigne, que c’était une futilité ; cet ignorant, qui passait sa vie à jouer aux dominos à quatre, et qui osait blasphémer contre le culte de Palamède ! fit tant et si bien, qu’il ne guérit nullement son malade, mais finit par lui persuader que la préoccupation même de voir le génie aux prises avec les difficultés était contraire à l’hygiène. 

Bref, plus d’appel aux princes de l’échiquier. Calmant fut le seul qui continua à fréquenter l’hôtel Bridgewater, et encore n’y entrait-il plus que le soir, par la porte de derrière, et pour service étranger aux échecs. De ses trois passions, la goutte avait enlevé la plus noble ; Mylord n’en avait plus que deux, et encore celle des chiens est la seule qui ne l’ait jamais abandonné.


(...Saint-Amant décrit alors la fin de vie de Lord Egerton...) 

L’hôtel fut vendu par d’avides héritiers collatéraux, et les nouveaux acquéreurs n’eurent rien de plus pressé que de le mettre en pleine valeur, ne s’embarrassant guère que les successeurs de Philidor en eussent immortalisé le jardin. Le moellon se substitua, sans gêne et sans remords, à ces charmants bosquets qui avaient ombragé les échiquiers des grands maîtres…

(...Saint-Amant explique qu'Egerton a légué une rente à ses chiens ...)

Egerton n’a laissé d’autre souvenir aux échecs qu’un legs de 1200 fr. à ce pauvre Calmant qui ne connut pas, lui bipède, le secret pour perpétuer cette rente. Il mourut une année après le donateur, et l’on est encore à se demander si c’est d’avoir été traité comme un chien ou d’un mat étouffé.

Saint-Amant

[Event "Paris Hôtel Egerton"] [Site "?"] [Date "1823.07.26"] [Round "?"] [White "Saint-Amant"] [Black "Calmant"] [Result "1-0"] [SetUp "1"] [FEN "1r1r2k1/4P1pp/p7/qp1N4/2Q2R2/8/4K3/8 w - - 0 0"] [PlyCount "9"] {Les Blancs jouent et font mat en 5 coups.} 1. e8=Q+ Rxe8+ 2. Ne7+ Kh8 3. Qg8+ Rxg8 4. Ng6+ hxg6 5. Rh4# 1-0

samedi 28 avril 2012

Le comte du Nord - Paul 1er de Russie

Lors d’un précédent article, j’avais raconté la courte visite au café de la Régence en 1777 de l’Empereur Joseph II « Empereur du Saint-Empire Romain Germanique ».
Celui-ci voyageait incognito sous le nom de comte de Falkenstein.

Quelques années plus tard, en mai/juin 1782, c’est au tour du fils de Catherine II de Russie, de se rendre en France avec son épouse. Ceux-ci voyagent sous le nom de comte et comtesse du Nord.
Paul 1er, futur Tsar de Russie, se rend incognito au café de la Régence.


(Paul Ier de Russie par Vladimir Borovikovski)

Cette visite est mentionnée par plusieurs sources.
En voici une trouvée dans Google Books qui date de 1807.
Il s’agit d’un « guide touristique » du Paris du début du 19ème siècle !
Outre le bref passage au Café de la Régence du futur Tsar, l’auteur apporte des informations intéressantes sur le quartier du Palais-Royal et sur la localisation des joueurs d’échecs en 1807.
J'ai donc laissé les passages après la mention du comte du Nord.


Miroir historique, politique et critique de l’ancien et du nouveau Paris et du département de la Seine.
Troisième édition – TOME V
Par L.Prudhomme, Membre de plusieurs sociétés littéraires
Troisième promenade – PARIS mil huit cent sept.

CHÂTEAU – D’EAU
Place du Palais-Royal
L’entrée du Château-d’Eau, occupe le fond de cette place ; il est au coin de la rue Froidmenteau. Il fut élevé en 1719, sur les dessins de de Cotte, architecte ; ce Château contient des réservoirs d’eau de la Seine et d’Arcueil. (…)
A gauche du Château-d’eau on voit le
CAFÉ DE LA RÉGENCE
Ce café est fameux pour les joueurs d’échecs, c’est là que Rousseau jouait avec Philidor. C’est dans ce café que l’Empereur de Russie, voyageant sous le nom de comte du Nord, fit un pari d’un louis qu’il gagna pour un coup d’échec qui présentait beaucoup de difficultés.
Il n’était pas connu ; mais en s’en allant il mit 4 louis dans les mains du garçon limonadier : cette générosité le fit connaître.

Un peu plus loin on apprend donc quelques détails historiques intéressants

(…)
PALAIS-ROYAL ou DU TRIBUNAT, ci-devant ÉGALITÉ
Depuis la révolution, ce palais a changé plusieurs fois de nom ; il s’est d’abord appelé Palais-Royal ; ensuite, Palais Égalité, et enfin Palais du Tribunat.
(…)

Plus loin on peut lire que les arcades des jardins du Palais Royal comportent 29 cafés à l’époque.
Et suite à la Révolution qui avait un peu éparpillé les joueurs d’échecs, on y apprend que

(…)
Café Bidaut, ce sont des habitués modestes et grands joueurs d’échecs : la maîtresse est l’une des plus jolies femmes sous les galeries de pierres.
Café Valois, surnommé autrefois Café des Incurables. Il était protégé par Malmesbury. On y joue beaucoup aux échecs.
(…)
Dans beaucoup de cafés on tient bureau académique ; on y juge les auteurs, les pièces de théâtre ; on y décide de la guerre et de la paix ; on y remporte des victoires ; et on se dit à l’oreille les désastres que les Français, dit-on, éprouvent.
La crédulité et le bavardage du Parisien n’ont point de bornes. Dans d’autres cafés l’on ne dit pas un mot. Des rentiers, des bourgeois, des ci-devant marguilliers de paroisse, jouent pendant quatre heures aux dames, aux dominos, aux échecs, sans dire un mot.
Lorsque la maîtresse du café est jolie, elle est environnée d’hommes qui lui prodiguent des compliments ; souvent elle fait la cruelle. Ces femmes sont presque toutes coquettes ; c’est un attribut indispensable de leur commerce.
Chaque café a son bavard ou son orateur. Il en est où les habitués changent d’opinion quatre fois par jour ; ils sont toujours les partisans du dernier ordre des choses.
Autrefois on lâchait des mouchards dans tous les cafés, souvent même le maitre était attaché à la police.