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dimanche 28 avril 2024

Guide touristique de Paris en 1893

M. François Zutter (Suisse) m’a envoyé plusieurs photos d’un guide touristique de Paris datant de 1893, et je l’en remercie. Il s’agit de « Paris, par Paul Joanne », avec la mention « Renseignements pratiques mis au courant en 1893 ». Comme beaucoup de guides touristiques anciens de Paris, il est fait mention du Café de la Régence.
 
Photo de M. François Zutter.

J’ai déjà parlé de ce guide dans un précédent article. Mais il s’agissait alors de l’édition de 1876, par Adolphe Joanne, le père du précédent. 
Je remercie d’autant plus M. Zutter, que je n’ai pas trouvé le guide de 1893 sur Gallica, ni les suivants, ni les précédents pour la plupart. Par exemple sur Gallica, outre celui de 1876, on trouve celui de 1887 qui ne contient que quelques lignes sur le jeu d’échecs.

Le texte de 1893 reste assez similaire à celui paru dans le guide de 1876. Par exemple sur le prix de la location d’un jeu d’échecs, ou bien les enjeux des parties. Mais, de mon point de vue c’est une assez bonne synthèse du Café de la Régence de l’époque et de la revue La Stratégie. La photo qui illustre ce blog date approximativement de cette époque.
 
Une photo fameuse (dont je possède un tirage d'époque), où l'on peut voir le propriétaire du Café de la Régence à l'époque, Joseph Kieffer.

Il y a quand même une phrase qui m’intrigue dans le texte du guide touristique de 1893.
« Le Demi-Cavalier ne se rend pas dans les tournois. »
J’avoue ne pas connaitre cet avantage. Un joueur peut rendre un Cavalier, mais je ne vois pas à quoi correspond le demi-cavalier. Si un lecteur a une idée à ce sujet, je suis preneur !
 
Photo de M. François Zutter.
 
Les Échecs.

Le Café de la Régence (actuellement rue Saint-Honoré, 161, sur la place du Théâtre-Français), fondé en 1718, et dont l'histoire est si intimement liée à celle de Paris, a vu, comme le Café Procope, défiler les personnages illustres des deux derniers siècles.

C'est à La Régence que Diderot allait dépenser les six sous que sa femme lui donnait tous les jours pour sa tasse de café, et c'est le décor où il a placé la scène de ce chef-d'œuvre d'esprit français qui s'appelle Le Neveu de Rameau.

Parmi ses souvenirs, on y voit les bustes de Philidor et de Morphy, les portraits des joueurs célèbres et la Table de Bonaparte, en marbre noir, portant cette inscription gravée sur une plaque d'argent :
« Table où Napoléon, Premier Consul, joua aux échecs. — Café de la Régence »

On peut dire que La Régence est le Salon des Échecs, où s'unit le calme d'un cercle à la liberté d'un café. Une courtoisie toute française est de tradition entre les habitués, et les étrangers y trouvent cette hospitalité qui fait de Paris une ville d'élection, une monde patrie. On reçoit surtout les journaux scandinaves.

On joue moins aux échecs à Paris qu'à Londres ; mais Paris n'en reste pas moins le grand théâtre où les joueurs célèbres, comme les artistes, viennent consacrer leur réputation et recueillir leur plus belle couronne.

L'école française a été longtemps incomparable pour ne pas dire unique en Europe ; aux Grands-Maîtres de l’Échiquier, Philidor, Deschapelles et La Bourdonnais, l'Amérique ne saurait opposer celui dont le génie éclipse tous ses devanciers : Paul Morphy appartient à la France par son origine, et c'est à Paris, à La Régence qu'il a remporté ses premières victoires, reçu les honneurs du triomphe et le baptême de la célébrité.

Parmi les joueurs contemporains, on pourrait citer les vainqueurs et les champions des tournois internationaux ; mais le cadre restreint de cette étude pratique ne permet pas d'inscrire les favoris du Livre d’or, encore moins d'établir la hiérarchie d'une classification. 
 
Photo de M. François Zutter.

La location d'un échiquier, pour toute la durée d'une séance, est fixée à 40 c. dont les frais sont également partagés entre les deux adversaires. Le jeu d'échecs a assez d'attrait par lui-même pour que ce léger impôt suffise à intéresser la partie ; cependant l’enjeu varie de 50 c. à 5 fr., et c'est aussi le prix d'une étude ou d'une leçon.

Les forces des joueurs sont connues et classées par les résultats des tournois handicap qui ont lieu fréquemment à La Régence, et s'équilibrent par des avantages : Les joueurs de première classe rendent aux quatre classes inférieures Tour, Cavalier, Pion et 2 traits et Pion et trait. Le Demi-Cavalier ne se rend pas dans les tournois. Une galerie nombreuse suit en silence, mais avec une curiosité passionnée, les luttes émouvantes et les brillantes parties engagées depuis 2 h. de l’après-midi jusqu’à minuit.
 
La Stratégie, le Moniteur des Échecs, fondée en 1867 par Jean Preti, aujourd’hui dirigé par son fils et rédigée une Société d'amateurs, est publiée sous la forme d’une Revue, le 15 de chaque mois ; elle a son siège à Paris, rue Saint-Sauveur, 72, et l’abonnement coûte 20 fr. par an. M. Numa Preti continue également la publication des ouvrages classiques sur les Échecs, qui constituent une Encyclopédie spéciale et complète, tenue au courant par La Stratégie. On peut s’adresser à lui pour tout ce qui concerne cette science, livres anciens et modernes, français et étrangers, collections de journaux, échiquiers, pièces, diagrammes, etc.

samedi 4 mai 2019

Un jeton de café

Il y a quelques semaines, j'ai acquis sur Ebay une nouvelle relique du Café de la Régence.
Celle-ci est assez modeste, il s'agit d'un jeton.

Celui-ci à la taille d'une pièce de 20 centimes d'euro.


Traditionnellement il s'agit d'une forme d'avoir.
"Bon pour xx centimes en consommation" se retrouve fréquemment sur ce type de jeton, mais pas celui du Café de la Régence.


L'authentification provient du nom "Café de la Régence" associé à "Kieffer".
Il s'agit de Joseph Kieffer, propriétaire du lieu de 1875 à 1903, sur lequel j'ai rédigé plusieurs articles.
Ce jeton date donc de la fin du XIXème siècle.

dimanche 18 février 2018

Tricentenaire du Café de la Régence

Cette année, c'est le tricentenaire du Café de la Régence.
A l'occasion de ce tricentenaire, il serait bien que la mairie de Paris pose un panneau historique devant le 161 de la rue Saint-Honoré. J'en ai fait la demande et j'attends leur réponse...

Certes le café existait auparavant, mais sous un autre nom "Café de la place du Palais-Royal" et ce dès la fin du XVIIe siècle.

Louis XIV décède le 1er septembre 1715, et le pouvoir revient provisoirement à Philippe, duc d'Orléans. C'est ainsi que commence "La Régence" jusqu'en février 1723.
Et c'est probablement l'installation du Régent au Palais-Royal qui influence le propriétaire du Café à changer le nom de son établissement.

Voici une photo (non datée), qui est en ma possession.
Je pense qu'il est possible de la dater vers 1890.
Il est difficile de rater la pancarte sur la gauche avec la fameuse date de 1718.



Curieusement on trouve cette photo avec des personnages ajoutés.
Ci-dessous, l'heure indiquée par la pendule est la même, et c'est ce détail qui fait penser à une retouche d'image.


Vous pouvez jouer au jeu des 7 erreurs... Pour le moment j'ai trouvé 3 personnages ajoutés, il y en a peut-être d'autres (le couple sur la droite, et l'homme en haut-de-forme debout sur la gauche).

Il est également possible de remarquer le propriétaire du Café de la Régence, Joseph Kieffer.
Il est debout, sur le centre droit de la photo.


A comparer avec la photo qu'un de ses descendants m'a fait parvenir.


Pour terminer, voici un zoom sur l'entrée du Café qui permet de voir les pièces d'échecs sur le chambranle de la porte (si, si, en regardant bien :-))



mardi 20 décembre 2016

Joseph Kieffer

Selon moi, deux propriétaires ont véritablement marqué l'histoire du Café de la Régence.
Il s'agit de Claude Vielle et de Joseph Kieffer.

Curieusement les seuls contacts que j'ai eus avec des descendants de propriétaires proviennent justement de descendants de Claude Vielle et Joseph Kieffer !

Je souhaite remercier particulièrement M. Gaëtan Portier et M. Régis Delisle pour les informations qu'ils m'ont communiquées au sujet de Joseph Kieffer leur aïeul, ainsi que leur autorisation de publier les photos qui illustrent cet article.

Pour commencer, voici une photo inédite de Joseph Kieffer.

 
Joseph Kieffer - Propriétaire du Café de la Régence de 1875 à 1903

« (…) Un jeune patron dirige le vieil établissement. Le propriétaire est Joseph Kieffer, un alsacien de naissance et de sympathie.
Sa figure a une frappante ressemblance avec celle du général Grant alors que Grant avait 30 ans.
Ce tavernier jouit de la plus heureuse des idiosyncrasies. Il préside un synode de joueurs d’échecs sans avoir appris l’A, B, C du jeu.
Je lui ai même entendu dire qu’il ne savait pas reconnaitre un Roi d’une Reine !
Cette louable ignorance est sans doute ce qui fait que la Régence hospitalière peut offrir aux amis et aux étrangers non seulement la meilleure Académie des Échecs de France, mais encore le meilleur Café de Paris. (…) »

Source :
LE CAFE DE LA REGENCE
Extrait de « The European correspondent »
(Du 13 novembre 1886)
Traduction parue dans la revue La Stratégie de décembre 1886

Je vous laisse juge de la ressemblance avec le général Grant.

Le général Grant

Ensuite je me suis toujours posé la question de savoir pourquoi Joseph Kieffer cédait le Café de la Régence en 1903.
Joseph Kieffer en était le propriétaire depuis 1875, soit 28 années et il a sans doute considéré qu’il était temps de céder sa place.
Son acte de décès indique qu’il est mort assez âgé (86 ans). Ma conclusion est qu’il a tout simplement cédé son établissement à un bon prix à Lucien Lévy et qu’il a pu profiter assez longtemps de sa retraite.

« Le six décembre, mil neuf cent trente-trois, trois heures, est décédé à Neuilly sur Seine (Seine), Avenue de Neuilly, 128, son domicile : Joseph Jean-Baptiste KIEFFER, sans profession, né à Benfeld, Bas-Rhin, le neuf Mai mil huit cent quarante-sept ; fils de Jean Pierre KIEFFER et Marie Aimée MULLER, époux décédés. Veuf de Louise Marie Mélanie Adeline FROMENT. Dressé le six décembre mil neuf cent trente-trois, neuf heures trente, sur la déclaration de Henri FROC, cinquante-sept ans, employé, à Neuilly sur Seine, 119 avenue du Roule, qui, lecture faites signé avec Nous, Célestin, Louis VILLENEUVE, chevalier de la Légion d’honneur, Conseiller général de la Seine, Adjoint au Maire de Neuilly sur Seine, Seine, officier de l’état civil par délégation. »


Il repose dans le petit cimetière du Val-Saint-Germain au sud-ouest de Paris, village d’où était originaire son épouse.

Photo que j'ai prise en août 2016

Enfin pour terminer cet article, voici des photos de "reliques" du Café de la Régence.
Celles-ci sont tellement rare...
Il s’agit de couteaux marqués du nom de notre célèbre Café.

Il est indiqué « Sabatier, 84 rue Saint-Honoré ». La boutique n’est plus là, mais l’entreprise de coutellerie existe toujours.






mercredi 1 mai 2013

Joseph Kieffer

Comme Claude Vielle, il s’agit d’une personne totalement oubliée et qui pourtant a été de la première importance pour le jeu d’échecs en France à la fin du 19ème siècle.
Joseph Kieffer fut en effet le propriétaire du Café de la Régence de 1873 (ou 1875) à 1903.

Contrairement à deux autres propriétaires, Lucien Levy ou encore à Claude Vielle, je n’ai pas trouvé trace de Joseph Kieffer aux archives en ligne de Paris.
J’ignore donc où il est né et où il a terminé sa vie.

En 1893, un certain Charles Mallet rencontre Joseph Kieffer et il écrit une monographie d’une dizaine de pages sur le Café de  la Régence (Source BNF – le document n’est pas encore en ligne sur internet).

En voici un extrait qui est intéressant au sujet du propriétaire lui-même, mais également pour son début au sujet des « proto »-champions de France d’échecs :

« (…) Est-il en effet, dans le monde entier, un joueur célèbre qui ne soit passé ou qui passe à la Régence ? N’est-ce pas dans ce lieu, qu’on pourrait dénommer le Forum de l’Echiquier, n’est-ce pas dans cette vieille maison française, que la réputation des maîtres en cet art se fait ou se consacre, que leur véritable renommée doit prendre son cachet ineffaçable ?

On y trouve, organisée depuis longtemps et bien assise, une institution essentiellement française qui étend son influence morale sur toutes les autres nations. C’est le Championnat, qui consiste en ce que chaque année, aux mois de décembre et de janvier, les salons de la Régence sont ouverts à un grand tournoi dont le vainqueur est proclamé, pour l’année, le champion des joueurs français.

C’est actuellement un jeune alsacien, français par option, qui possède cet honneur, et pour la seconde fois ; car, deux années de suite, il a remporté le premier prix du tournoi du CHAMPIONNAT FRANÇAIS. Les plus grands joueurs estiment même qu’il s’est révélé d’une aptitude extraordinaire pour les parties à l’aveugle. On le nomme Goetz ; il habite Paris, et joue ses parties habituelles à la maison de la rue Saint-Honoré.

Il est assez curieux de constater que celui qui tient aux échecs, aujourd’hui, le drapeau des joueurs de France, soit de cette Alsace à laquelle doit aussi son origine le propriétaire de la Régence, M. Joseph Kieffer.
M. Kieffer appartient même à cette jeune génération d’Alsaciens-Lorrains qui lutta vaillamment dans les deux (…texte abîmé illisible…) Strasbourg, de Strasbourg à Belfort, pour essayer d’arrêter (…texte abîmé illisible…) qui se rua sur leur sol en 1870 ; il habitait Paris, mais il était sous-officier dans les mobiles du Bas-Rhin, et c’est en hâte qu’il rejoignit son corps aussitôt la rupture de la paix.

(Source BNF – le document n’est pas consultable sur internet).

Il se trouva parmi les combattants du siège de Schlestadt, que le chef d’escadron de Reinach de Foussemagne, commandant de la place, défendit contre les Allemands du 9 au 23 octobre 1870, malgré les trente-deux grosses pièces d’artillerie qui bombardèrent sans merci cette petite ville pendant cinq jours, et la détruisirent à moitié.
Fait prisonnier, M. Kieffer fut conduit à Ulm et interné au fort de Guillaume. C’est la haine au cœur pour les envahisseurs de son pays, qu’il opta ensuite pour la France et s’empressa de regagner Paris.

Dès 1873, il était à la tête du Café de la Régence. Tous les vieux souvenirs qu’il y trouva, il les respecta religieusement et, pendant les vingt années qui viennent de s’écouler, ce temple du grand jeu des échecs, unique dans le monde entier, a été pour ainsi dire son culte.
Il a toujours considéré et il considère toujours cette maison comme une gloire française, qui charme ses sentiments de patriote dont la pensée n’oublie pas la guerre terrible ; c’est une satisfaction profonde pour lui, quand il voit la France dominer dans les tournois qui se tiennent sous ses yeux.
Et c’est pourquoi peut-être, ne visant qu’à la maintenir dans le principe traditionnel des échecs, il ne s’est pas préoccupé des changements qu’a pu subir la société dans ses manifestations de vie extérieure.
La Régence n’a pas, en effet, suivi les voies nouvelles ; elle n’a fait aucune concession aux idées de la grande foule ; aucune innovation n’a eu lieu, si ce n’est des tables de restaurant, afin que les amateurs d’échecs aient moins à se déranger dans leurs parties, et que les curieux, qui viennent de partout, puissent également ne pas aller chercher plus loin un repas confortable.
Et encore cette innovation est rentrée dans l’aspect d’ensemble qu’offre l’antique établissement : luxe de distinction, discrètement présenté, élégance tout aristocratique et, le mot trouve bien ici son emploi, très régence.

Il y a toujours un monde choisi qui aime à se trouver dans un milieu de ce genre, et aujourd’hui comme hier, comme dans le temps passé, la Régence peut attendre en toute certitude, des meilleures classes de la société, les garanties les plus sérieuses d’un succès jusqu’à ce jour inaltérable.
M. Joseph Kieffer a donc bien fait de rester dans les vieilles traditions, traditions qui ont d’ailleurs établi la fortune de sa maison et la maintiennent au premier rang dans Paris (…).»




J’ai cependant un gros doute sur l’acquisition en 1873 du Café de la Régence par Joseph Kieffer.
En effet j’ai trouvé dans le numéro du 8 juillet 1875 de « Archives Commerciales de la France » (Source Gallica) en date du dimanche 4 juillet 1875, l’inscription de la vente par (Laurent) Catelain du Café de la Régence à (Joseph) Kieffer. Il y a là deux ans d’écart avec ce qui est indiqué dans le texte.


(3ème ligne en partant de la fin)

Enfin, dans « La Stratégie » de juin 1903, c’est la fin d’une époque :

M. Kieffer, propriétaire depuis trente ans du café de la Régence, vient de céder son établissement ; l’acquéreur a résolu d’apporter de notables améliorations, avec une luxueuse décoration style Louis XV, lesquelles nécessitent la fermeture du vieux Temple des Échecs pendant les mois de juillet et août prochains. Pendant la durée des travaux les amateurs se réuniront à la Taverne de l’Opéra, avenue de l’Opéra, 26.

jeudi 4 avril 2013

1903 une année charnière

J’ai déjà évoqué le changement de propriétaire du Café de la Régence en 1903.
M. Joseph Kieffer, après 30 ans de prospérité, cède alors le café à M. Lucien Lévy.
Un article dans « La Stratégie » parle de ce changement qui semble assez rapide.
Joseph Kieffer, vétéran de la guerre de 1870, a-t'il eu subitement des problèmes de santé pour céder le Café de la Régence ? Est-il tout simplement fatigué ?

En avril 1903 "La stratégie" annonce :

Nous sommes heureux de constater que la nouvelle société l'Union Amicale des Amateurs d'échecs de la Régence est en pleine prospérité, elle compte déjà plus de soixante adhérents et tout fait espérer que sous l'habile direction du Comité actuel, elle deviendra bientôt l'Association générale des Échecs de France.
Nous rappelons que la cotisation annuelle est de 12 fr. et que les inscriptions sont reçues par M. Kieffer, trésorier, au Café de la Régence.


Dans un article récent j'ai mentionné la création de la FFE.
Il semble donc qu'en 1903 l'idée soit déjà là.
En juin 1903, toujours dans "La Stratégie", un article indique la cessation d'activité de M. Kieffer.

M. Kieffer, propriétaire depuis trente ans du Café de la Régence, vient de céder son établissement ;
l'acquéreur a résolu d'apporter de notables améliorations, avec une luxueuse décoration style Louis XV, lesquelles nécessitent la fermeture du vieux Temple des Echecs pendant les mois de juillet et août prochains.
Pendant la durée des travaux les amateurs se réuniront à la Taverne de l'Opéra, avenue de l'Opéra, 26.


Puis encore dans la Stratégie durant l'été 1903

Les portes du Café de la Régence ont été closes le 16 juillet; la réouverture est annoncée pour le 1er septembre.
Nous rappelons que pendant la durée des travaux les amateurs d'échecs se réuniront à la Taverne de l'Opéra, 26, avenue de l'Opéra.


Et enfin le Café de la Régence rouvre ses portes.
Le style Louis XV est devenu un style Louis XVI...

Le Café de la Régence a fait sa réouverture le 6 Octobre dans un cadre merveilleux. Le caractère de la décoration blanc et or, style Louis XVI, a été conservé, mais avec les aménagements d'une élégance appropriée qui ornent les salons, le vieux Temple des Échecs a un aspect gai et bien français.
Au point de vue "restaurant" la transformation est complète;les nouveaux propriétaires ont certainement le désir de se placer au premier rang des établissements parisiens.
Nous avons le plaisir de constater que les Échecs, qui depuis bientôt deux siècles ont rendu universelle la réputation du Café de la Régence, n'ont pas été oubliée; une partie de l'ancienne salle de billard leur est réservée.
Espérons qu'avec une si brillante installation, une nouvelle ère de prospérité s'ouvrira pour eux et pour le Café de la Régence.


La fameuse salle de billard où Morphy donna sa simultanée en septembre 1858...


(Première page du journal "Gil Blas" - 1er juillet 1903 - Source Gallica - photo suivante ; article sur le Café de la Régence dans l'édition du 1er juillet 1903 - Source Gallica)


Mais la presse était inquiète au début de l'été 1903 et plusieurs journaux font état de la fin pure et simple du Café de la Régence. Heureusement ce ne fut pas (encore) le cas.
Mais il est raisonnable de penser que ce changement de propriétaire marque la fin de l’âge d’or du Café de la Régence.
A noter néanmoins ce qu’on peu appeler une prophétie : Le poker fera oublier le jeu d’échecs.
A notre époque hélas, le poker semble avoir largement supplanté le jeu d'échecs.

Donc, le 1er juillet 1903 dans le journal "Gil Blas" parait l’article suivant qui donne quelques détails sur le Café de la Régence.

CROQUIS

La fin de la Régence.

Le Café de la Régence ferme ses portes ! Encore un coin de Paris – du Paris d’autrefois – qui disparaît… ou se transforme, ce qui revient au même ! Quelles jolies anecdotes ne manquera pas de conter à ce propos, M. Maurice Quentin-Bauchart, érudit charmant qui connaît son Paris et l’histoire des souvenirs qui s’y rattachent. C’était, en effet, le dernier café blanc, le vrai café de jadis, auquel la hideuse gargote ne s’était pas encore adjointe, et où les consommateurs ne craignaient pas d’être troublés par de stridents appels téléphoniques… Aujourd’hui, c’est fini, le Café de la Régence est mort, bien mort, qu’il repose en paix !...

Pauvre Café de la Régence ! … Pauvre M. Quentin-Bauchart !... Pauvres joueurs d’échecs, ce sont eux surtout que je plains !... Où se réuniront-ils maintenant pour prendre le fou avec la dame, et pour résoudre les problèmes compliqués que certains journaux périodiques proposent encore par habitude sur leur couverture colorée, avec image à l’appui ?

De ce café tranquille et silencieux, où l’on pouvait, avec un peu d’imagination, espérer croiser au lavabo l’ombre de d’Alembert, s’entretenant de l’Encyclopédie avec celle de Diderot, où l’on voyait la table où Robespierre gagna de nombreuses parties à Bonaparte, il ne restera bientôt plus rien…
…Tout le monde s’y connaissait, on se serrait la main en entrant, la caissière avait pour chacun de ses clients un sourire et une poignée de main de bonne hôtesse, et, n’eussent été les éclats de voix de M. Paul Mounet, on se serait plutôt cru dans une salle de repos que dans un café. Mais, remplacé par les bars américains et les brasseries allemandes, le café a vécu, le Procope cher à Verlaine est devenu un bouillon à prix fixes, et la Régence disparaît, entraînant avec elle les échecs que le bridge et le poker feront vite oublier !....

On n’avait pas, non plus, l’idée de joueur aux échecs au commencement du vingtième siècle ? C’était coco et suranné, cela ne se portait plus à une époque où l’on se passionne que pour savoir si M. Lépine autorisera ou non le baccara !

La Café de la Régence ne sera plus désormais qu’un prétexte à chronique et à souvenirs rétroactifs : on se souviendra qu’un certain préfet du second empire disait de lui : « C’est le seul café où j’aime à me réunir !... » et qu’un jour, Gambetta, en pleine gloire, y faisant un discours, fut interrompu par un joueur impatienté qui lui cria : « Monsieur, vous parlez si fort que vous m’empêchez d’entendre mes pions !... » L’interrupteur, c’était le prince Poniatowski…
Comme tout cela semble loin !...

Pierre Mortier

lundi 11 février 2013

Un voleur de cavaliers


Il existe une source d’information très intéressante pour la recherche au sujet du Café de la Régence. Il s’agit de la revue « L’intermédiaire des chercheurs et des curieux ».
Le site GALLICA permet sa consultation en ligne de tous les volumes de 1864 (année de sa fondation) à 1936.
C’était une revue participative dans laquelle tout un chacun pouvait poser une question et un lecteur répondait dans une édition suivante s’il avait la réponse, sur des sujets très divers (histoire, géographie, sciences, etc…).

Il semble même que la revue existe encore !? En tout cas il existe un site internet dédié.

Bref dans son édition de juillet 1903 (volume 48) trouvé sur le site de la BNF en ligne « Gallica », se trouve une description du Café de la Régence en 1832 que je n’avais lu nulle part ailleurs. 
Il est néanmoins dommage que la référence du texte ne soit pas mentionnée par la revue.

Pour rappel nous sommes en 1903 et le propriétaire, Joseph Kieffer, cède sa place à Lucien Lévy (nouveau propriétaire) pour une raison que je ne connais pas. 
Ce changement de propriétaire laissa même à penser que la fin du Café de la Régence était proche. Pour le moment j’ignore tous des éléments de ce changement vers 1903.
Le Café subit alors une transformation importante avec ce changement de propriétaire.
Ceci explique le début du texte.

En 1832 il s’agit bien entendu du Café de la Régence sur son emplacement « primitif » de la Place du palais-Royal et nous sommes deux ans après les évènements de 1830 qui ont impliqués des travaux de rénovation conséquents. Le propriétaire est alors Monsieur Evezard.

Le Café de la Régence en 1832

Au moment où l’on transforme ce célèbre établissement, il peut être intéressant d’en lire la description originale suivante, d’après un journal de l’époque.

Le Café de la Régence s’est entièrement mis à la mode : la salle triangulaire qui le compose est tapissée de glaces ; on n’aperçoit pas un seul point de muraille. Le comptoir est élégamment décoré, et la limonadière y est brillante et affable ; tout y respire la civilisation et les belles manières. Cependant, l’observateur qui, ne s’arrêtant pas dans la première et étroite enceinte, formée par ce que j’appellerai le sommet du triangle, pénètre plus loin et s’avance au-delà du poêle, retrouve les traits de physionomie première.

Voici les joueurs d’échecs : leur attention, leur air de supériorité, leurs chants à demi-voix, leurs tremblements nerveux, l’agitation musculaire de leurs traits et la rapidité des mouvements de leurs mains, révèlent et leur occupation et leur talent. Point d’élégance dans les échiquiers ; ils sont primitifs ; mais pour les joueurs du Café de la Régence, il faut que le cavalier ait sa tête de cheval ; et comme les tourneurs de Paris ne façonnent pas ainsi cette pièce, le maître de l’établissement en a une provision toujours prête. Il y a quelques années, tous les cavaliers disparaissaient chaque soir. On observa, et l’on reconnut qu’un des habitués du jeu d’échecs avait la singulière manie de mettre les cavaliers dans sa poche ; on les lui fit payer.
On loue l’échiquier par heure au Café de la Régence ; le soir, le prix augmente à cause des deux chandelles placées sur les côtés du damier.
Depuis les deux chandelles, que de chemin parcouru par le luxe !

vendredi 18 mai 2012

Tranche de vie au Café de la Régence en 1902

Décidément, la bibliothèque en ligne Gallica BNF permet de faire des découvertes incroyables !
Une de mes dernières découvertes est l’excellent article du journal « Le Temps » daté du 25 septembre 1902 et signé Adolphe Brisson.
Il s’agit d’une tranche de vie au Café de la Régence en 1902.
Quelques jours auparavant, le 12 septembre, le grand Samuel Rosenthal venait de décéder.
Dans quelques mois le propriétaire va changer, ceci va signer la fin d’une époque et le début du déclin inéluctable du Café de la Régence.

Plusieurs grandes figures du café de la Régence de cette époque sont citées : Jules Arnous de Rivière gentleman des échecs français, David Janowski futur candidat au titre mondial, Joseph Kieffer le propriétaire Alsacien du café et ancien combattant de la guerre de 1870 et Auguste Joliet de la Comédie Française qui vient se délasser en jouant aux échecs après avoir joué une pièce de théâtre sur le trottoir d’en face !

Il est fait mention dans l’article d’une partie entre Janowski et Albin.
Cette partie entre dans le cadre d’un tournoi de Maîtres joué à 4 joueurs à cette époque.
Voici un extrait de « La Stratégie » à ce sujet :

Profitant de la présence de Maîtres à Paris, à l'initiative de Tauber un tournoi est organisé réunissant Janowski, Von Scheve, Taubenhaus et Albin.
Tournoi à 2 tours, 3 parties par semaine (mardi, jeudi, samedi) de 13h30 à 17h30 puis 19h30 à 23h30, les parties non achevées sont à terminer le lendemain aux mêmes heures. Cadence 30 coups par heure puis 15 coups par heure. Monsieur Davril est directeur du tournoi (…).

Puis quelques mois après :

Résultat du tournoi de Maître du Café de la Régence. 1er Janowski 4,5 / 6, 2ème Taubenhaus 4 / 6, 3ème Theodor Von Scheve 3 / 6, 4ème Albin Adolf 0,5 / 6.
Adolf Albin a été malade durant tout le tournoi de Maîtres.

LE TEMPS – 25 septembre 1902
Article signé par Adolphe Brisson

PROMENADES ET VISITES

Le joueur d’échecs

Je suis entré hier soir au café de la Régence. J’aime ces vielles maisons où subsiste quelque chose du passé. Celle-ci fut illustre, puisque Philidor y fréquenta avec d’Alembert et que Diderot y rencontra, si nous en croyons son joli conte, le neveu de Rameau. L’établissement a d’ailleurs changé de place ; il s’élevait naguère plus haut dans la rue Saint-Honoré, contre le bureau de tabac de la Civette. Et c’est en 1855 qu’il fut transféré à l’endroit qu’il occupe présentement. On l’inaugura en grande pompe par une partie d’échecs. M. Arnous de Rivière, joueur renommé, et Alfred de Musset, qui passait aussi pour être très habile, s’y mesurèrent. Alfred de Musset n’est plus ; mais Arnous de Rivière est toujours vivant ; il porte gaillardement ses soixante-douze années et ne passe pas un jour sans se livrer à son plaisir favori. Tantôt il suit les parties du cercle Philidor et tantôt celles de la Régence ; il les analyse et les commente dans de courts articles qui sont des chefs-d’œuvre de clarté. C’est le plus distingué des confrères et le plus poli des hommes. Je le vis qui se dirigeait vers le seuil du café. Je le suivis, pensant qu’il y aurait intérêt à deviser avec lui, au lendemain de la mort de ce pauvre Rosenthal.

(Jules Arnous de Rivière 1830 - 1905)

Nous pénétrâmes dans la salle, dont le plafond figure les soixante-quatre cases de l’échiquier et qui porte sur ses murs les noms de quelques amateurs fameux. Elle était déserte. Le salon d’à côté offrait un peu plus d’animation. Cinq ou six habitués lisaient le journal, un autre sommeillait devant sa tasse vide. Un couple à cheveux blancs s’amusait à pousser des dominos. Les tables du fond étaient garnies. Une foule s’y pressait, à laquelle M. Arnous de Rivière se mêla. Je demandai à la caissière les causes de cet empressement.
-          C’est le tournoi, me dit-elle.
Elle m’expliqua que quatre « maîtres », MM.Janowski, Taubenhaus, Albin et Van Schoeve avaient échangé des cartels. Ils se portaient, en ce moment, des coups décisifs. On était au fort de la bataille. Je m’approchai des lutteurs. M. Janowski avait pour adversaire M.Albin, les deux autres devant, le lendemain, entrer en lice. Ils surveillaient le combat et n’étaient pas moins que les combattants attentifs et absorbés. M. Janowski a des cheveux noirs, des yeux profondément enfoncés et qui brillent d’un feu sombre sous le verre du binocle, un front vaste et tourmenté, un crâne pétri de bosses. M. Albin, trapu, chevelu, évoque l’image robuste et grimaçante de Quasimodo ; il est secoué de soubresauts nerveux, laisse éteindre et rallume sa cigarette, tandis que M. Janowski affecte un calme olympien. Ils sont du reste, loin du monde réel, perdus dans le rêve de leurs obscures combinaisons, hypnotisés par les petits morceaux de buis et d’ébène. Quelquefois leurs mains s’allongent vers le bock à demi plein, ils boivent une gorgée ; mais ce geste machinal s’opère sans qu’une pensée le dirige. Le canon tonnerait à leurs oreilles, qu’ils n’en seraient pas troublés. Ils restent insensibles à ce qui se murmure autour d’eux, à ce qui se passe…

(David Janowski - 1868 - 1927)

Il ne se passe rien. On regarde, on se tait ; lorsque par hasard on prononce une parole, c’est à voix basse et sur un ton de mystère. Les spectateurs se haussent sur la pointe du pied pour mieux jouir de la scène. M. Arnous de Rivière, son chapeau rond sur la nuque, les mains derrière son dos, comme Napoléon, est figé dans une attitude contemplative. Le cafetier s’est joint au groupe ; il demeure immobile, sa serviette sous le bras, le cou tendu.
-          A la bonne heure, lui dis-je ; chez vous les traditions se conservent. C’est toujours comme au temps de Philidor.
Il se retourna, et l’expression de ses yeux bleus, la satisfaction qui rayonnait sur son digne visage me montrèrent que ma remarque l’avait touché.
-          Il n’est que trop vrai, répond-il, que les cafés disparaissent. La brasserie les tue un à un. J’ai, Dieu merci, résisté au mauvais vent qui souffle sur Paris. Le café de la Régence n’a pas le droit de déchoir. Et quand je m’en irai j’exigerai que mon successeur lui garde son caractère… Noblesse oblige !

(Adolf Albin - 1848 - 1920)

Ces paroles m’inspirèrent de l’estime. Je le marquai au bon cafetier. Et, pour m’en récompenser, il fit appel à ses souvenirs. Il m’énuméra les personnages qui s’étaient assis sur ses divans. Vous pensez si, depuis un demi-siècle, ils furent nombreux. Il y eut des peintres, des poètes, des magistrats, des législateurs, plusieurs ministres, et des présidents… M. Grévy y venait assidument, avec son ami, M. Clerc, le conseiller. Lorsqu’il fut élu député, sous l’Empire, cela ne changea point ses habitudes, il continua de cultiver les échecs et le billard. Le café était alors surveillé par la police, qui trouvait sans doute qu’il régnait un fâcheux esprit. Des mouchards obéissant à je ne sais quelle consigne, essayèrent, un jour, d’amadouer M. Grévy, en l’accablant de louanges. Ils feignaient de converser entre eux :
-          Oui, s’écriaient-ils, Grévy est républicain. Mais on peut applaudir à son succès. Car enfin c’est un honnête homme.
Grévy se retourna :
-          Je n’en dirai pas autant de celui qui vous envoie !
Et d’un doigt impérieux il désignait le palais des Tuileries. Je n’ose assurer que l’anecdote soit bien authentique, non plus que cette autre qui se rattache à Musset, et qui montre le malheureux écrivain victime de son amour pour l’absinthe et suivant jusque dans la rue le garçon qui, pour l’attirer dehors, y déposait le verre et la bouteille. Ces évènements se déroulèrent à une époque lointaine, et l’imagination les a déformés. Le cafetier actuel n’en a pas été témoin, mais il en a vu d’extraordinaire et qu’il narre avec esprit.
-          Tenez, monsieur, là où vous êtes, M. Prud’hon, de la Comédie-Française, jura un soir de tuer le père Sarcey.
-          Sarcey ?... Contez-moi donc cela, je vous prie.
Le critique du « Temps » avait eu le malheur de ne pas goûter, dans un de ses rôles, M. Prud’hon, et le courage de le déclarer expressément. « Ce n’est pas, écrivait-il, que M. Prud’hon soit ignorant des choses de son métier, mais il a un certain air important et niais… » Cet air ne plut pas à l’irascible acteur. Il convoqua la conjuration de Guillaume Telle, ils tirèrent des plans pour délivrer la littérature du tyran qui l’opprimait. Ils hésitaient entre le poignard et le poison. Sarcey-Gessler, insoucieux des complots qui se tramaient contre lui, et bravant les pièges semés sous ses pas, n’en venait pas moins, après le spectacle, siroter son cassis à l’eau, pendant l’été, et pendant l’hiver, se réchauffer avec un grog brûlant. Jamais il ne se douta que la mort l’eût effleurée de si près. Il est vrai que M. Prud’hon avait renoncé à ses noirs desseins. Car M. Prud’hon n’est pas méchant. Y eût-il persévéré, que Sarcey ne lui eût pas voulu davantage. Telle est mon opinion. Et c’est aussi le sentiment de M. le cafetier.
Comme il achevait son récit, un consommateur arriva sur nous, le feutre rabattu, le regard sombre ; et je reconnus en lui un autre comédien de Molière, l’honorable M. Joliet, qui interprète, avec des intentions et un zèle si comiques, le docteur Pancrace du Mariage forcé et une infinité de rôles du répertoire.
-          Bonjour Joliet, dit le cafetier, comment vas-tu ?
-          Pas mal, mon vieux Kieffer. Et la tienne ?
Le bon cafetier reprit en souriant :
-          On se tutoie… Vous concevez… Il y a si longtemps qu’on est amis ! Quand M. Joliet a une minute, il vient faire sa partie, en voisin. On se retrouve toujours avec un nouveau plaisir.

C’est un étrange spectacle de voir M. Joliet jouer aux échecs. Il ne ressemble à personne et s’applique à renverser les lois et les coutumes reçues. Il ne se recueille pas, il va de l’avant, il improvise, il pousse ses pions d’un doigt fébrile ; il rage, il peste, il sacre, il s’emporte contre l’ennemi, le rudoie, le provoque et quelquefois l’injurie à la façon des héros d’Homère, en lui jetant des épithètes retentissantes ; dans les instants difficiles, il lève les bras au ciel comme pour implorer les dieux et les appeler à son secours, puis il bouscule les pions, les massacre, frappe à grands coups de poing sur les guéridons de marbre. S’il a perdu, sa physionomie reflète une douleur immense. Il est accablé, anéanti. Une plainte douloureuse s’échappe de ses lèvres. Il soupire comme Oreste :
-          Mon malheur passe mon espérance.
Au contraire, a-t-il gagné ; il s’épanouit, se répand en propos ironiques et joyeux. Il triomphe bruyamment.
Tandis que je l’observais, M. Arnous de Rivière m’a rejoint ; et comme je lui manifestais mon étonnement de la passion qu’inspire ce jeu d’échecs et qui paraît incompréhensible à ceux qui n’y sont point initiés, il voulut bien me prêter le secours de ses lumières et de son expérience.
Nous allâmes nous réfugier dans un angle du café, dans le coin tranquille, où Musset se tenait jadis ; nous y trouvâmes un charmant octogénaire, M. Boiron, dont l’existence entière s’est écoulée en ces lieux, et un savant professeur, M. Goldberg, qui a formé plusieurs centaines d’excellents joueurs. M. de Rivière, lui, n’est pas un professionnel. C’est un amateur, mais qui s’est mesuré aux plus grands maîtres. Il fut riche autrefois ; il ne l’est plus ; l’amour des échecs l’a consolé de tout, des déceptions, des deuils, des misères, et l’a rendu philosophe. Il m’en a parlé avec une chaleur qui atteignait à l’éloquence et qui m’a vivement ému.
-          Ah ! monsieur, quel délice ! … Il n’en est pas, je pense, qui lui soit comparable. Ce jeu met en branle et développe les plus précieuses facultés de l’homme : l’imagination, la réflexion : il l’oblige à méditer, à calculer les conséquences de ses actes, mais aussi à agir rapidement et à déployer ses plus subtiles ressources. Il n’est jamais monotone, il varie selon les individus ; c’est un fidèle miroir où chacun se reflète avec ses qualités, ses défauts, ses supériorités morales et ses bassesses. Il y a des jeux loyaux et téméraires, des jeux tortueux et sournois, des jeux chevaleresques, des jeux barbares. L’immortel Morphy à qui je tins tête – et ce sera l’honneur de ma vie – possédait un génie égal à celui de Napoléon. Il était proprement irrésistible, il avait des coups foudroyants et portait la ruine et le désastre dans le camp adverse, avant qu’on l’eût vu venir. Comparez-le cependant à M. Lasker qui passe aujourd’hui pour invincible et qui a conquis le tire envié de « champion du monde ». M. Lasker a un jeu puissant, incroyablement profond, mais plus lourd que le jeu étincelant de Morphy… Lasker, si vous voulez, c’est un stratège moderne, bourré de chiffres, qui sait tout, et n’abandonne rien au hasard. Il occupe à Manchester la chaire de mathématiques ; il est rompu aux sciences abstraites. Morphy partait en guerre d’un pied léger et, sans effort, il obtenait la victoire. Nous savons par cœur les parties qu’il a jouées ; ce sont des modèles, où d’ailleurs nous désespérons d’atteindre, puisqu’ils sont inimitables. Cela vaut pour la limpidité spirituelle de la prose de voltaire, et, pour la grâce, la musique de Mozart…M. Lasker je vous l’ai dit, est moins séduisant, mais nul jusqu’ici n’a pu lui ravir la palme. Il apparaît comme une forteresse hérissée de défenses formidables et de canons…
M. Arnous de Rivière eût longtemps continué de la sorte, et je ne me lassais pas de l’entendre. Il fut interrompu par M. Janowsky qui, ayant achevé sa séance quotidienne, venait se mêler à notre entretien.
- Certes, dit-il, M. Lasker est doué d’un talent merveilleux. Mais il ne répond pas aux défis qu’on lui adresse.
Et M. Janowsky nous exposa qu’il avait défié M. Lasker. Celui-ci lui opposa mille difficultés, il exigea des conditions impossibles – d’abord un enjeu trop élevé, puis un nombre de parties trop restreint.
-          Il veut demeurer le champion du monde. Il craint de perdre sa couronne ! …
Comment n’y serait-il pas attaché ? Outre la satisfaction qu’il lui procure, ce titre lui vaut beaucoup d’argent. Lorsque M. Lasker se rend en Amérique, il en rapporte une moisson de dollars ; on le fête, on le couvre d’or dans tous les pays de l’univers, en Russie et en Allemagne, où le jeu d’échecs compte des milliers d’adeptes passionnés. Pourtant M. Lasker voit poindre à l’horizon un rival qui pourrait le détrôner : c’est le jeune Pillsbury, Harry Nelson Pillsbury, âgé de trente ans à peine et qui, déjà, ne compte plus ses succès. Pillsbury a battu Steinitz qui détenait, avant Lasker, le championnat. C’est là un avertissement redoutable… Pillsbury voyage, promenant sur les continents et les mers sa naissante renommée. Et Lasker serre les poings et s’apprête à lui livrer le combat suprême. Pillsbury s’y prépare par de périlleux exercices. Il a joué récemment vingt et une parties sans voir, c’est-à-dire qu’il a soutenu la lutte simultanément contre vingt et un adversaires dont on lui annonçait les coups et auxquels il ripostait sans même jeter un regard sur leurs échiquiers. Ce tour de force n’avait jamais été accompli. Et Pillsbury s’en est tiré gaillardement, conservant, pendant quinze heures consécutives, son teint rose et frais, sa liberté d’esprit, sa belle humeur. Un tel miracle confond la raison humaine. M. Arnous de Rivière, lorsqu’il en parle, devient pensif. Il ne peut se l’expliquer.
(La Place du Théâtre-Français face au café de la Régence - Delcampe.net)


-          Songez donc ! avoir présents à la mémoire vingt et un échiquier avec leurs combinaisons infinies et ne pas posséder seulement les combinaisons réelles, mais prévoir, pour chaque jeu, les combinaisons possibles, les préparer, les deviner, prévenir les ruses, en opposer soi-même à ses adversaires, et ne pas s’embrouiller dans tout cela… Pillsbury est une des forces de la nature !

Un brouhaha nous vient troubler à nouveau.
C’était M. Joliet, de la Comédie Française, qui se livrait à ses expansions accoutumées. La partie qu’il avait engagée prenait une tournure favorable. Et il ne pouvait contenir sa joie. En vain le bon cafetier, M. Kieffer, lui prodiguait-il des avertissements.
-          Joliet, il est minuit passé.
-          Oui, oui !
-          Tu vas manquer ton train…
-          Fiche-moi la paix !
Encore trois coups…Et l’ennemi de M. Joliet a mordu la poussière. L’acteur de lève radieux, sublime. Il s’approche de nous la main tendue. Nous le félicitons. Mis en gaieté par l’heureuse issue du combat, il nous demande :
-          Connaissez-vous les vers que Méry composa sur les échecs ? Ils sont d’une élégance et d’une précision rares.
Nous nous apprêtâmes à savourer ce poème. Et M. Joliet commença :

Le champ clos a croisé soixante-quatre cases :
Aux deux extrémités les tours posent leurs bases,
Ces formidables tours, ces tours qu’un doigt devant,
Comme aux sièges romains, fait marcher en avant.
Sur des chevaux sans mors des cavaliers fidèles,
Lisses et menaçants, se placent autour d’elles.
Quand ils ont fait deux bonds, ils brisent leurs élans
Et tombent de côté sur les noirs et les blancs.
Les pièces vont ainsi : l’amitié les a jointes
Aux fous, sages guerriers, qui, partout, font des pointes,
Puis la dame se place, et garde sa couleur.
Nul combattant du jeu ne l’égale en valeur
Elle vole, d’un bond, de l’une à l’autre zone ;
C’est Camille, au pied leste, invincible amazone !
Elle veille et défend les pièces alentour
Par la force du fou réunie à la tour.
Près d’elle le roi siège ; hélas ! il garde le trône
Que mine le complot, que l’astuce environne.

Après cet alexandrin, M. Joliet reprit haleine, le bon cafetier en profita puor lui glisser doucement :
-          Il est minuit et demie. Tu sais, Joliet, que le train n’attend pas.
-          Il m’attendra !!
Et Joliet, de sa voix la plus sonore, de la voix de Vadin et de Pancrace, poursuivit :

Ce monarque, toujours menacé du trépas,
Pour tromper l’ennemi ne peut faire qu’un pas.
Toutefois, quand sa force est enfin abattue,
Par respect pour son nom, personne ne le tue ;
Il est échec et mat ; son dernier jour à lui
Et tous ses serviteurs sont morts autour de lui !
Huit modestes pions, soldats de même taille
Gardent l’état-major sur un front de bataille ;
Un pas leur est permis, un ou deux, jamais trois.
Troupe vile immolée au caprice des rois,
Ils ne prennent qu’un point, et pourtant il arrive
Qu’un d’eux, soldat heureux, aborde l’autre rive.
Alors il se grandit. Ce soldat parvenu,
Des dépouilles d’un chef habille son corps nu ;
Il se métamorphose en tour, il devient reine
Et choisit dans les morts étendus sur l’arène
Un chef de sa couleur, par sa force cité 
L’heureux pion le touche et l’a ressuscité !

Sur ce, M. Joliet, de la Comédie-Française, nous salua, enfonça son feutre sur ses oreilles, se drapa dans son manteau et courut vers la gare Saint-Lazare… Le cafetier nous dit en souriant :
-          Quel original !... Il dormira cette nuit… Il a gagné !...

mercredi 4 avril 2012

Lucien Lévy

Il y a quelques temps j’avais parlé d’un propriétaire du Café de la Régence vers 1850, Claude Vielle.
Voici un article sur un autre propriétaire, Lucien Lévy.

Lucien Lévy est un parisien, né le 13 mai 1864 dans le 11ème arrondissement de Paris.
Il est issu d’une famille modeste comme nous l’apprend son acte de naissance (source archive de Paris). Au moment de sa naissance, son père Louis Lévy est commis, et sa mère, Marguerite Félicité Jacob est institutrice. 

 (Source - Archives de Paris)

Il se marie le 29 juin 1897 avec Laure Jenny Rachel Reiss sans profession.
L’acte de mariage indique que Lucien Lévy est alors négociant sans plus de précision.

Son ascension sociale est certaine puisqu’il arrive en 1903 à faire l’acquisition du très à la mode Café de la Régence. Très à la mode car je rappelle que celui-ci fait face au Théâtre-Français…
Le propriétaire jusqu’au début de l’année 1903, depuis plus de 25 ans est Joseph Kieffer, Alsacien et vétéran de la guerre franco-prussienne de 1870.

L'été 1903 correspond à de gros travaux suite au changement de propriétaire.
D’ailleurs à l’occasion de ces travaux de nombreux journaux parisiens de l’époque annonçaient la fin des échecs au café de la Régence (article à suivre). La toute jeune association de la loi de 1901 l’UAAR (Union Amicale des Amateurs de la Régence – créée le 5 décembre 1902 – source La Stratégie) allait-elle disparaître ?

Il n’en est rien, et à l’issue de ces grands travaux de l’été 1903, les joueurs d’échecs reprennent leurs habitudes sans doute grâce à l’habileté du président de l’UAAR Eugène Deroste (avocat parisien réputé).

L’assemblée générale de l’UAAR qui suit nomme Lucien Lévy comme trésorier de l’association (Joseph Kieffer l’ancien propriétaire ayant été le 1er trésorier).
Contrairement à Claude Vielle (ancien propriétaire) je n’ai pas (encore ?) trouvé de trace de Lucien Lévy joueur d’échecs. C’est peut être justement là un des problèmes.

Ensuite en 1910 de nouveaux grands travaux ont lieu qui augmentent considérablement la surface de ce qui n’est plus maintenant un simple café mais plutôt un vaste restaurant où se jouent des concerts. 


Voici une carte postale qui date de cette époque (dessus est écrit 1915) trouvée sur le site de vente de cartes postales Delcampe.
Le restaurant qui fait face à la Comédie-Française est imposant, c’est le moins que l’on puisse dire.
Il est à noter que la vieille pancarte indiquant sur la façade la création du café en 1718 - à une autre adresse d’ailleurs, voir un de mes premiers articles surle Café de la Régence – cette pancarte a disparu.

Vaille que vaille l’UAAR survit dans un local de plus en plus exigu semble-t-il au sein du Café de la Régence. Mais tout n’est pas si rose. Lucien Lévy doit sans doute vivre un peu mal la présence de ses joueurs d’échecs qui font un peu tâche dans ce restaurant rutilant. Des tensions apparaissent.

Manifestement Lucien Lévy mène également la vie dure à ses employés.
Pour rentabiliser son affaire, il use ses employés, et 15 d’entre eux finissent par déposer plainte contre lui en 1910 (source archive de la préfecture de police).
Il est convoqué au commissariat du Palais-Royal pour donner sa version des faits que voici.


(Source - Archive de la préfecture de police de Paris - Main courante du commissariat du Palais-Royal 1910)

Main courante du commissariat de police du quartier du Palais-Royal
4 et 6 juin (1910) - N°463 – Parquet
Etat Civil
Lévy (Lucien) né le 13 mai 1864 à Paris 11ème de Louis et de Jacob Félicité, marié avec Mlle Reiss (Laure) le 1er juillet 1897 à Paris 1er arrondissement. Propriétaire du Café de la Régence 161 rue Saint-Honoré.
Résumé de l’affaire
Instruction du parquet pour interrogatoire
Infraction à la loi du 13 juillet 1906 – quinze employés n’ayant pas le repos hebdomadaire – Dit que les employés prennent ce qu’ils veulent et beaucoup préfèrent grouper leur repos pour avoir plusieurs jours de suite – Mais tous ont la faculté de prendre un jour par semaine.

Mais la disparition du président de l’UAAR, Eugène Deroste décède le 5 novembre 1917 à l’âge de 68 ans (source La Stratégie), ainsi que la 1ère guerre mondiale (et fatalement une moins grande fréquentation du lieu par les joueurs d’échecs) entraîne le divorce entre le Café de la Régence et l’UAAR  – Ceci fera l’objet d’un prochain article.

Divorce provisoire puisque dans les années 30 un nouveau propriétaire donnera ses dernières heures de gloire au jeu d'échecs dans ce lieu mythique.