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mercredi 5 octobre 2022

Le court passage de Daniel Harrwitz au Café de la Régence - grandeur et décadence

Lors de la conférence sur le centenaire de la FFE, Frank Hoffmeister avait consacré une partie de son intervention sur le joueur Allemand Daniel Harrwitz.
 
Daniel Harrwitz - Photo non datée ni sourcée.

Voici un complément au sujet de ce très fort joueur, que le site EDO Chess considère dans les plus forts joueurs du monde des années 1856/1857/1858, derrière un certain Paul Morphy...

Son installation à Paris est annoncée dans la revue La Régence en août 1856. Le texte est véritablement un éloge à son intention, et en particulier sur ses capacités à jouer à l'aveugle. En tout cas sa venue est très attendue, car depuis la mort de Lionel Kieseritzky il n'y a pas vraiment de leader à la Régence. 
 
La Régence - 1856
 
CHRONIQUE

Nous recevons une lettre de M. Harrwitz, dans laquelle ce célèbre joueur d'échecs nous annonce son intention de venir se fixer à Paris, pour y occuper, comme professeur, la place laissée vacante par la mort de M. Kiéséritzky. Depuis deux ans, M. Harrwitz semblait avoir abandonné les échecs, et s'était retiré à Breslau peu après son match avec le hongrois Lowenthal; mais peut-on renoncer ainsi à la gloire d'être au premier rang, quand on est dans toute la force de son talent ; guérit-on si facilement de la passion pour les échecs ?
 
Par quels travaux faut-il que la vie soit absorbée ? de quels chagrins pensez-vous qu'elle doive être remplie pour amener un homme à se priver d'une distraction si attrayante et d'un remède si efficace ? Non, les échecs ont ce rare privilège d'être à la fois une science, un art, une lutte et un divertissement, et rien au monde ne nous captive plus longtemps. 
 
Aussi sommes-nous moins surpris que charmés par la résolution prise par M. Harrwitz, qui trouvera parmi les amateurs du Cercle et du Café de la Régence, ce même accueil sympathique qu'il y a conquis dans le cours de ses trop rares visites. La rédaction de La Régence recevra, par l'effet de sa présence, un renfort de savante collaboration, car M. Harrwitz a déjà fait gracieusement ses offres de services au rédacteur en chef du journal ; et puis, à l'exemple de ses rivaux, les véritables ombres de l'échiquier, MM. Staunton, Lowenthal, Anderssen, et avant eux de La Bourdonnais, Deschapelles, Lewis, Mac-Donnell, il reste debout sur la brèche, prêt à accepter le combat. 
 
Nous ne voudrions cependant pas qu'on pût se méprendre sur les intentions de notre futur hôte, qui, tout jaloux qu'il peut être de maintenir sa réputation, n'est nullement animé d'une ardeur querelleuse. M. Harrwitz ne reculerait pas devant un défi sérieux et loyal ; n'ayant jamais échafaudé sa gloire sur des succès imaginaires, vainqueur dans le plus grand nombre des tournois qu'il a soutenus, il s'appuie sur un talent réel et sait très bien que la meilleure manière de trancher la discussion dans une question de prééminence, est de combattre sur l’échiquier au lieu d'argumenter à perte de bon sens et de toute créance; mais, encore une fois, l'humeur de M. Harrwitz est à la paix, il se présente avec un rameau d'olivier à la main; place au professeur. 
 
Très vite après son arrivée, Jules Arnous de Rivière défie Daniel Harrwitz, en caressant l'espoir de se faire un nom en battant cet adversaire prestigieux. C'est un échec, Arnous de Rivière se fait battre sèchement sur le score de +5 -2.
 
Harrwitz fréquente l'aristocratie parisienne. Par exemple La Gazette du Midi du 13 mars 1857 mentionne par exemple qu'il a joué chez le duc de B (Brunswick) et chez le prince A. B. (Antoine Bonaparte
 
 Retronews

L’Indépendance belge signale l'arrivée à Paris d'un des plus illustres joueurs d'échecs qui aient peut-être apparu dans ce monde à part, un Prussien, M. Harrwitz, qu’une organisation spéciale distingue entre tous. Philidor et La Bourdonnais n’avaient peut-être pas au même degré la faculté de jouer sans regarder l’échiquier. Harrwitz a conduit jusqu’à quatre parties à la fois de cette manière. Quelle que soit sa facilité, un pareil tour de force exige une tension du cerveau qui ne peut pas être sans danger. Mais dernièrement, chez le duc de B… et chez le prince A. B…., il a joué deux parties simultanément sans fatigue et sans efforts.
 
On parle même de ses exploits de l'autre côté de l'Atlantique, où un certain Paul Morphy a déjà acquis une certaine réputation. Ainsi cet article dans le journal Evening Star - Washington DC du 7 avril 1857, où on apprend aussi quelques détails sur la configuration du nouveau Café de la Régence.

Evening Star - Washington DC du 7 avril 1857

Une extraordinaire partie d'échecs.

Le Café de la Régence, à Paris, a été récemment la scène d'une extraordinaire démonstration de puissance échiquéenne. M. Harrwitz, le célèbre joueur, disputait, sans voir l'échiquier, deux parties en même temps contre deux joueurs du Club d'échecs de Paris.

Le Prince Antoine Bonaparte, le Duc de Brunswick, le Marquis de Carracciolo, le Comte Isoard, et un grand nombre d'amateurs et de membres du club, étaient présents, et ont suivi avec un intérêt inlassable jusqu'à la fin le merveilleux exploit d'abstraction mentale et de mémoire échiquéenne que M. Harrwitz a présenté à cette occasion sans, selon toute apparence, un effet harassant.

Pour mieux comprendre comment se sont déroulées les parties, nous pouvons dire que le Café de la Régence se compose de deux grandes salles au rez-de-chaussée ; l'une aménagée en café, proprement dit, et l'autre pourvue de tables de billard et aménagée en estaminet, où il est permis de fumer. Dans ces deux salles, qui sont ouvertes à tous, et où l'on joue aux échecs presque toute la journée, l'amateur est sûr de trouver à tout moment quelqu'un prêt à faire une partie. Mais au-dessus se trouve une série de salles réservées à l'usage du Club d'échecs de Paris, et c'est dans ces salles que s'est déroulée la merveilleuse démonstration dont nous parlons.  

Au centre de la plus grande de ces pièces étaient placées deux tables, auxquelles étaient assis, chacun avec un échiquier et des pièces d'échecs devant lui, M. Lecrivain et M. P. (NDA - Est-ce Potier ? ou Jean Préti ?), le gentleman avec lequel M. Harrwitz devait engager un conflit pacifique. La pièce d'à côté, la dernière de la suite, était réservée au joueur à l’aveugle, avec tout son aménagement, consistant simplement en trois ou quatre chaises et une table dans un coin sur laquelle étaient placés du vin, du sucre et de l'eau, et d'autres rafraîchissements, ainsi que du matériel d'écriture, pour permettre au monsieur, qui faisait office de secrétaire, de noter les coups lorsqu'ils étaient décidés.

La porte de communication entre les deux pièces était maintenue ouverte pendant tout le temps, de sorte que tout le monde pouvait voir que non seulement M. Harrwitz n'avait aucun moyen d'aider sa mémoire par un quelconque objet étranger ou tangible, mais que tout contact avec d'autres personnes était absolument impossible. Tout autour des autres pièces, des tables d'échecs étaient disposées, sur lesquelles les amateurs invités à être présents suivaient les coups au fur et à mesure qu'ils étaient joués. Tout étant déclaré prêt, vers 9 heures et demie, le jeu commença. La manière dont les coups ont été annoncés est la suivante :

M. Lequesne, qui avait aimablement consenti à servir de secrétaire, après avoir reçu ses instructions de M. Harrwitz, écrivait les coups pour les deux parties, puis, entrant dans l'autre pièce et disant "Première partie", il spécifiait le coup fixé pour celle-ci ; ensuite, disant "Deuxième partie", il agissait de la même manière pour celle-ci. Les coups, ainsi nommés, étaient alors joués sur l'échiquier, et les deux adversaires étudiaient la réponse à donner. Lorsque les deux messieurs étaient décidés, M. Lequesne notait les coups comme précédemment, puis à son tour annonçait à M. Harrwitz, exactement de la même manière, le coup ainsi donnée dans chaque cas.

La partie la plus longue, dans laquelle le jeu fut remarquable de qualité des deux côtés, dura trois heures et demie, et du début à la fin de ce long espace de temps, pendant lequel la tension sur la mémoire a dû être énorme, M. Harrwitz (rapporte Galignani) n'a jamais semblé embarrassé le moins du monde à un seul moment, et il n'a pas tardé plus longtemps dans ses coups qu'il ne l'aurait fait, probablement, dans une partie ordinaire, en regardant l'échiquier. Les réponses venaient certainement plus rapidement de son côté que de l'autre pièce, M. Lecrivain prenant un temps considérable pour examiner chaque position et jouant avec une grande prudence. M. P., au contraire, bougeait tout de suite, et étant naturellement un joueur rapide, il était bientôt fatigué par le temps pendant lequel il était obligé de rester inoccupé en attendant les décisions de M. Lecrivain. C'est très probablement à cette circonstance qu'il faut attribuer le fait qu'il n'a nullement égalé son jeu habituel. Il était plus d'une heure lorsque M. Harrwitz entra dans la salle générale, après avoir gagné les deux parties. Il se déclara alors peu fatigué et, en réponse aux observations qui lui ont été faites, il commença à expliquer différents aspects de ses deux parties.
 

 


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Daniel Harrwitz - Photo non datée ni sourcée.
 
Ainsi Harrwitz impressionne en jouant deux parties à l'aveugle... On imagine le choc quand Morphy jouera simultanément à l'aveugle contre 8 adversaires le 27 septembre 1858, soit dans un peu plus d'un an après l'article.
 
Morphy scellera le sort d'Harrwitz. Ce dernier ne jouera pas le match jusqu'au bout, sachant qu'il se faisait véritablement écraser. Cela laissera une très mauvaise impression à la Régence. Il essaye bien d'organiser une simultanée similaire sur 8 échiquiers en décembre 1858 au Café de la Régence. Mais les adversaires sont faibles par rapport à ceux de Morphy, et les parties ne seront pas publiées.

Un court texte en vers circule alors à la Régence au sujet de la prestation d'Harrwitz :

Tu veux singer Morphy, joueur phénoménal;
Jeune imprudent, tu forces ta nature
En vain tu te poses en original,
Tu n'en es que la caricature.
 
Après le départ de Morphy, Harrwitz joue des parties informelles contre le jeune Ignaz Kolish, (+1 =1 -2) mais il refuse de jouer un match officiel. Et le 12 juin 1859, le journal Britannique The Era annonce : 

De France nous apprenons que M. Harrwitz a cessé de fréquenter le Café de la Régence, le propriétaire de cet établissement concevant qu'il avait des raisons de se plaindre sur le fait que M. Harrwitz a refusé le challenge de M. Kolish, ainsi que la non-continuation de son match avec M. Morphy.

Le propriétaire de la Régence estime donc qu'Harrwitz ne présente plus le même attrait qu'auparavant. L'impact est à la fois commercial et financier pour son établissement. Mauvaise réputation, moins d'attrait et de clients...Rideau, Harrwitz ne reviendra plus à la Régence. Son règne aura duré un an et demi. Grandeur et décadence...
 

mardi 27 septembre 2022

La correspondance de Tassilo von Heydebrand und der Lasa

Tassilo von Heydebrand und der Lasa est un personnage central des échecs en Allemagne au XIXe siècle.
Sa page Wikipedia est tout à fait correcte d'après Herbert Bastian et je vous invite à la consulter.
Tout au long de sa vie, le Baron von der Lasa a entretenu une correspondance assez abondante à travers l'Europe. Son but était d'enrichir sa collection de livres et de manuscrits sur le jeu d'échecs.
 
Tassilo von Heydebrand und der Lasa - Wikipedia, photo non datée

J'ignorais l'existence de cette correspondance jusqu'à ce qu'Herbert Bastian me la fasse découvrir. Je le remercie tout particulièrement de m'avoir partagé les informations et les documents au sujet de cette correspondance. Je remercie également la bibliothèque de Kornik en Pologne. Car la bibliothèque de Tassilo von Heydebrand und der Lasa est conservée au château de Kornik en Pologne.

Les copies des documents que j'ai obtenues représentent la correspondance de von Heydebrand approximativement sur la période de 1840 à 1890.
 
Kornik, Pologne - Autographe de Lionel Kieseritzky
 
Ces lettres sont en Allemands (essentiellement de la part de Lionel Kieseritzky à Paris - mais difficiles à déchiffrer - différentes de celles que j'ai déjà publiées), en Italien (majoritairement d'un dénommé Enrico Del Lungo que je ne connais pas) et en Français de différentes personnes.
 
Kornik, Pologne - Autographe de Serafino Dubois

Celles en Français proviennent pour beaucoup du collectionneur Camille Théodore Frédéric Alliey (qui partageait la même passion que Tassilo von Heydebrand et écrivit notamment pour Le Palamède), de Jules Arnous de Rivière (personnage central des échecs en France pour la deuxième moitié du XIXe siècle) et de Numa Préti (alors directeur de la revue consacrée au jeu d'échecs La Stratégie fondée par son père Jean Préti). Mais pas uniquement.
 
Kornik, Pologne - Enveloppe d'une lettre envoyée par Numa Préti 

La difficulté consiste à déchiffrer ces lettres (ce qui est un peu compliqué avec l'écriture d'Alliey par exemple et très complexe avec Kieseritzky en Allemand), à les resituer dans leur contexte et à en mesurer leur intérêt. Ainsi pour la trentaine de lettres écrites par Numa Préti très peu portent des informations intéressantes sur l'histoire des échecs durant cette période.

Mais ce n'est pas le cas avec la quinzaine de lettres d'Arnous de rivière qui sont très intéressantes notamment au sujet de ses relations avec Saint-Amant et l'échec de l'organisation d'un tournoi international d'échecs à Paris en 1855. Tout devient clair avec les révélations de Jules Arnous de Rivière...

Je publierai dans les jours à venir une première lettre d'Arnous de Rivière.
 
Kornik, Pologne - Autographe de Jules Arnous de Rivière

jeudi 1 avril 2021

Kieseritzky, Harrwitz et Rosenthal, les premiers joueurs professionnels étrangers en France

Voici le support de la conférence donnée le samedi 20 mars dernier par Frank Hoffmeister.
Le sujet concerne trois joueurs d'échecs incontournables pour le Café de la Régence durant la seconde moitié du XIXème siècle.  

Merci à Frank pour cette conférence et ce support.


dimanche 27 septembre 2020

Des Échecs au Whist, Jean Rheinart

30/03/2021 - Correction de la date de naissance de Jean Reinhart (1818 au lieu de 1819) par M. Philippe Bodard. Voir également l'addendum à la fin de l'article.

M.Philippe Bodard, spécialiste de l'histoire du Whist et du Bridge, m'a communiqué un article intéressant sur un joueur que je ne connaissais pas du Café de la Régence, Jean (John) Rheinart (qui fréquenta le lieu vers 1840/1850).

Portrait de John Rheinart 1891
Aimablement communiqué par M.Philippe Bodard que je remercie

Ce joueur semblait doué pour le jeu d'échecs, mais Deschapelles exerça sur lui comme une fascination, et il bascula dans le Whist, un jeu de cartes dont il se fit une certaine réputation aux Etats-Unis. 

Voici une courte biographie de ce joueur (par Philippe Bodard), puis la traduction de quelques uns de ses souvenirs de l'époque où il passa des Échecs au Whist.  

John (Jean) Rheinart (1818-1894) est un élève de Deschapelles. Il est surtout connu comme ayant été,  je cite, le "Nestor" du whist aux USA. 

Alsacien (francophone) né en Sarre (territoire français alors, en Allemagne aujourd'hui), il parlait parfaitement avec la même aisance, allemand, français et américain. 

Après des études secondaires en Allemagne, il poursuivit par des études supérieures de droit à Paris (vers 1838 de mémoire). Il fréquenta le café de la Régence où il rencontra donc Deschapelles. 
C'est aussi en le kibbitzant que Rheinart devint son élève au whist.

Républicain,  il fut outré par la répression de la révolution de 1848 et décida de s'exiler en 1850 aux USA où sa sœur l'avait précédée. Présent de nouveau en France en 1851, il choisit peu après de s'exiler définitivement aux USA accompagné de ses parents. 

Aux USA il fit d'abord fortune en dirigeant une scierie ! Puis il devint parallèlement un grand avocat et un financier avisé. Après 1870 il fut considéré comme un des plus grands joueurs de whist aux USA. 
Comme Deschapelles était absolument vénéré aux USA, et que Rheinart fut le dernier grand joueur à avoir connu Deschapelles vivant, John bénéficiait d'une aura très particulière. 

Il décède d'urémie le 21 avril 1894 à Los Angeles en Californie (juste après l'introduction du bridge aux USA !). Il avait passé la plus grande partie de sa vie dans l'Iowa.
 
Alphonse Delannoy le cite dans une de ses chronique pour la revue "La Régence" de novembre 1851 (page 349)



Sur la fin de sa vie, Jean Rheinart publie un article avec quelques souvenirs sur le Café de la Régence, article paru dans "Whist a montly journal devoted to the game", juillet 1891 (communiqué par M.Bodard).

Voici ma traduction de cet article, les souvenirs de Jean Rheinart datent selon moi d'un peu après 1840. 
On y voit transparaître le respect et l'amitié qui liaient Kieseritzky et Deschapelles, ainsi qu'un détail intéressant au sujet du Cercle des Échecs, qui depuis son exil de la rue Ménars et son retour au Café de la Régence, n'a pas immédiatement occupé le premier étage du Café de la Régence. 

Souvenirs d’un vieux joueur de Whist. 
Par John Rheinart. 

Parmi les habitués du Café de la Régence se trouvait le livonien, Kieseritzky. Il aurait pu être classé avec les Bohémiens. Imprégné de nombreuses idées du socialisme, il était connu pour n’avoir jamais favorisé aucun des Rothschild avec des prêts ou des avances de trésorerie, mais avait sa demie-tasse souvent marquée à la craie au comptoir, avec la demande enfantine de ne jamais laisser les marques dépasser dix sans éponger son compte. 

Il était très instruit, un mathématicien exceptionnel, abreuvé des traditions du jeu d’échecs, à laquelle il contribua avec son propre système de notation. Il donna quelques leçons aux échecs, joua quelques parties avec le comte Boissy D’Anglas et quelques autres joueurs à grands moyens qui étaient heureux de gonfler ses maigres revenus avec leurs oboles quotidiennes, et formèrent la base, la hauteur et la circonférence de sa richesse. 

Il m’introduisit à la prose et à la poésie des échecs et me rendit presque fanatique. Je devins endoctriné à un tel degré que je pensais « Palamède » supérieur à Allah, et Philidor supérieur à tout autre prophète. Heureusement, le sort fut rompu... Je n’ose murmurer comment. En fait, je ne suis pas retourné dans ce repaire fascinant pendant des mois. 


Lors de ma première apparition là-bas, il me présenta Deschapelles, qui tomba, comme on pourrait dire, de Charybde en Scylla. Depuis la mort de Philidor, Deschapelles était le pape de l’échiquier et avait clairement maintenu sa suprématie, mais parmi d’autres, La Bourdonnais, Saint-Amant, Kieseritzky et quelques-uns encore, avait frotté sa gloire de si près, que la crainte de voir son étoile quelque peu atténuée par leurs pas gigantesques jusqu’à son niveau, l’avait fait abandonner l’échiquier un peu brusquement, et à partir de ce moment-là,  jouer au Whist presque exclusivement.

Dans ce jeu, il eut une influence incontestée, non seulement sur tous les joueurs français, mais aussi sur les joueurs anglais qui lui avaient tendu la main, et il appréciait l'odeur des lauriers comme tout le monde. 
Kieseritzky lui raconta comment il m'avait expliqué les ouvertures classiques, comment il m'avait montré les différentes défenses dans les multiples gambits, combien j'avais compris facilement, quels progrès rapides j'avais faits, et comment mystérieusement j'avais abandonné le brillant avenir qui s'offrait à moi, etc. 

Si Kieseritzky attendait de Deschapelles qu’il me réprimande pour l’abandon et m’encourage dans la reprise des échecs, ce fut une erreur. Deschapelles était un peu aigri par les échecs et m’encouragea à me lancer dans le jeu de Whist le décrivant comme moins captivant et interférant moins avec d’autres études — « À moins que, dit-il, Monsieur souhaite devenir une célébrité comme mon ami M. Kieseritzky, et souhaite que le monde devienne tributaire de son échiquier, par les éclats brillants de son génie. » 

Kieseritzky connaissant la bonté constante de Deschapelles pour lui, ne s’offusqua pas de cette tirade satirique, car elle eût semblée prononcée par une autre langue, mais remarqua en souriant : « Alors M. Rheinart se tourne ainsi de l’humble satellite vers le soleil flamboyant. Vous pouvez être brûlés parfois, mais il vous transmettra aussi une chaleur géniale que sa noble amitié fera fructifier à votre avantage, comme elle l’a fait pour moi. » 

- Votre partialité pour M. Kieseritzky, dit Deschapelles, vous fait balancer l’encensoir trop haut, frappant presque mon nez. Cultivons la modestie, si ce n’est pas un don naturel. »
 
J’ai serré la main à un homme supérieur et j’ai senti un magnétisme tranquille et génial. J’ai ensuite rejoint le « club d’échecs » où le Whist se jouait aussi régulièrement que les échecs, avec Deschapelles comme divinité présidant sur les deux. La salle du club jouxtait le Café de la Régence. 

Dans cette salle, avait eu lieu le grand tournoi entre Staunton et Saint-Amant. Plus tard, le club occupa le « Bel étage », mais il n’y a plus aucun vestige de l’un ou l’autre. 

Avec sa permission, j’ai regardé Deschapelles jouer au quotidien, lu ce qu’il avait écrit sur le Whist et demandé fréquemment des informations quand le coup était trop mystérieux pour ma compréhension. Dans son explication, qu’il donnait très joyeusement, il montrait tellement de clarté, de perspicacité et d’originalité que mon enthousiasme pour le jeu s’éveilla et je devins un joueur de Whist.

Addendum du 30 mars 2021
Par Philippe Bodard.

Je croyais que Jean Reinhart était né en 1819, car c'est ce qui est indiqué sur sa tombe à Los Angeles. 
Et trouver l'acte naissance en Sarre était coton !
En fait c'est 1818. L'erreur n'est pas trop étonnante car Rheinart n'avait aucune famille proche à LA, son épouse américaine étant déjà décédée. Et les héritiers n'ont sans doute jamais possédé une copie de son acte de naissance en Sarre,  rattachée à la Prusse en 1815.
Or je sais maintenant par deux preuves qu'il est né à Tünsdorf (Sarre) le 3 juillet 1818. Les 2 preuves sont son acte de naissance (en allemand sous le nom de Johann Rheinart) et son dossier de naturalisation française du 4 octobre 1845 (ses parents eux devaient être français de naissance). Curiosité de la vie : j'ai longtemps cherché une preuve et du coup j'en ai trouvé 2 à quelques semaines d'intervalle ! Tünsdorf pour info est à 2 ou 3 kilomètres de la frontière française. 

samedi 20 juin 2020

Lettres de Lionel Kieseritzky (3 sur 3)


Troisième et dernière partie des lettres de Lionel Kieseritzky, traduites de l'allemand par Frank Hoffmeister.

Cet article correspond aux extraits des lettres 10 à 16 publiées par Friedrich Amelung en 1889 dans la revue Baltische Schachblätter (le document pdf se trouve en bas de la page indiquée par ce lien).

Friedrich Amelung

Un relatif confort à Paris

Kieseritzky n'a pas trouvé de "travail" comme il le souhaitait (professeur de mathématiques ou d'allemand) et vit exclusivement du jeu d'échecs. Sa situation s'améliore.

Lettre n°10 - à Guido Kieseritzky à Dorpat

Il s'agit de la lettre où Kieseritzky parle le plus de son activité échiquéenne qui semble débordante en 1846. Il commence par évoquer son livre "50 parties jouées au Cercle des Échecs et au Café de la Régence".
Rappelons que le Cercle et le Café ne forment qu'une seule et unique adresse.
Les joueurs d'échecs jouent au quotidien dans le café au rez-de-chaussée, tandis que le Cercle, réservé à ses membres et nettement plus confortable, se trouve au 1er étage.

Entête du factum - 1853 Source BNF - pour l'expulsion du Café de la Régence de la Place du Palais-Royal

Il parle ensuite d'un futur voyage qu'il fera à l'été 1846 à Londres et un match qui n'aura jamais lieu est évoqué avec Staunton.

Puis il indique avoir reçu un cadeau exceptionnel à titre de remerciement de la part du Cercle des Échecs. Kieseritzky évoque une possible arrivée de son frère et de sa sœur à Paris.
Ce n'est pas indiqué dans ce passage, mais ils essayent de vendre leur maison à Dorpat.
Kieseritzky reste toujours solitaire et loin de son pays natal.

Paris, le 26 mars 1846

Mon cher frère !

Juste après Pâques, un petit livre que j’ai écrit va paraître, qui contient 50 parties avec annotations. Le prix pour ceux qui y ont souscrit (j’en ai déjà 170) est 2,5 Francs, mais les autres lecteurs devront payer 3 Francs. Je compte faire imprimer 1000 exemplaires, ce qui va me coûter 400 Francs. Je ne peux pas les vendre tout de suite, mais je compte trouver plus d’acheteurs à Londres, où je vais aller en été. 

J’ai reçu tellement d’invitations généreuses, que je ne peux plus les ignorer. La période actuelle m’est favorable pour m’y rendre : pour le moment tous les membres du Parlement et la haute société se trouve dans la capitale. M. Georges Walker, même s’il n’est pas le plus fort joueur d’Angleterre, mentionne mon nom dans chaque édition du Bell’s Life – et il a une grande influence et une bonne réputation. Nous avons une conversation agréable par lettres. 

J’ai aussi les meilleures relations avec M. Staunton, le plus fort joueur et rédacteur du « Chess Player’s Chronicle » et de la colonne échiquéenne de l’Illustrated News. Quand il était à Paris la dernière fois, je lui ai lancé un défi, mais il n’avait pas le temps, bien que j’eusse déjà un soutien de 1.200 Francs. 

A Londres il me faudra jouer contre lui, même si la raison principale de mon voyage sera de diffuser mon œuvre et de donner des leçons qui sont très bien payées là-bas. J’ai aussi l’intention de jouer plusieurs parties à l’aveugle avec Mr. Harrwitz de Breslau, qui est assez fort déjà dans cette discipline. Nous avons déjà joué 15 parties : j’ai gagné 11, perdu 2, fait une remise et une partie n’était pas terminée. Sa façon de jouer est très réfléchie. 

Pendant l’hiver nous avons organisé chaque mercredi soir une séance où je devais donner une leçon sur les échecs ; en plus nous avons joué des parties écrites entre le Cercle et la Café de la Régence qui sont très près. De temps en temps nous avons aussi joué par équipe de 4 membres, chacun faisant un coup alternativement. Mais les parties à l’aveugle ont été les plus applaudies. 

La Commission du Cercle a pris une décision tout à fait nouvelle. Imagine-toi, cher frère, que sans préparation ni calcul, elle a décidé de me confier une médaille d’honneur, pour exprimer leur gratitude. Deux jours après l’arrivée de ta lettre, un mercredi soir, avant le commencement du cours j’ai été convoqué par la Commission et ils m’ont offert ce prix. Je ne sais pas pourquoi – peut-être étais-je pris par cette empathie ou par un chagrin qui pèse sur moi – mais j’ai quitté la salle et j’ai pleuré. 

Si quelque chose est capable de soigner une souffrance, alors de telles manifestations en sont une bonne méthode. Ni Philidor, ni Deschapelles, ni La Bourdonnais, tous les trois Français de naissance, n’ont reçu une telle médaille – et moi, un étranger, je la reçois comme une preuve de sympathie et de reconnaissance, que je n’ai pas demandée. 

Je suis moi-même en partie concernée, mais je pense que nos compatriotes devraient reconnaître cet honorable trait des Français avec joie. La médaille porte la phrase : Le Cercle des Echecs à M. Kieseritzky, Paris 1846. Et le revers avec un symbole : « aux sciences physiques et mathématiques ». 
La médaille est faite en argent, porte de l’or, est très belle, et elle m’a été confiée par le Président Devinck avec un billet de 500 Francs. 

Le voyage à Londres doit être un grand succès, et je vais devenir rédacteur d’un nouveau journal sur les échecs, dans quelques temps. Cela va me rapporter 1000 Francs. S’y ajoute mes travaux imprimés, mes leçons, les gains des parties, et la somme totale devrait suffire pour nous deux.

Les usages et coutumes ici sont tellement différents de les nôtres, et c’est pourquoi vous allez au début les détester. Mais on s’adapte et je dois avouer que je trouve des choses plus agréables que chez nous, même si je n’ai pas perdu l’amour pour ma ville natale. D’abord le climat. Le plus grand froid fut le 15 décembre 1840 quand le corps de Napoléon a été rapatrié à Paris. Il y avait 15 Réaumur . Normalement cela ne fait pas moins que 8-10 degrés. 

Le café et le sucre est moins cher que chez nous, mais en revanche la viande, le poisson, la beurre, le lait et les œufs sont plus chers.  Du pain et les légumes sont comparables et aussi l’éclairage. On a assez de fruits, mais pas toujours bon marché. On peut trouver des vêtements très chics et bien faits, ce qui est meilleur. Les appartements sont chers. Je paye 28 Francs par mois, mais je reçois du linge et de petits services. 

Pour m’épargner des frais je serais enclin de vous loger à Belleville et non à Paris même. Il y a un seul mur entre les deux, et c’est pourquoi Belleville est bien comme Paris. La seule différence est que les loyers sont beaucoup plus attractifs et l’air y est plus sain.

La raison principale pour laquelle je souhaite vous voir là-bas, et notamment Lydie, est que le mécanicien Schweig, habite là-bas, un de mes très vieux amis. Pour toi j’ai aussi quelques perspectives : d’abord tu peux m’assister dans mes travaux, et puis je t’ouvrirai des possibilités afin qu’on reconnaisse tes mérites après une si longue attente. 

Je ne pourrai rien faire chez l’académicien Cauchy, bien que je suis allé 8 fois chez lui et que je lui ai parlé 3 fois de toi. Cet homme est tellement débordé par ses travaux qu’il ne reçoit personne, sauf si on le sollicite chaque jour. 

Le mathématicien Binet, un ami d’environ 40 ans, ne pourra rien faire non plus, bien que j’ai été chez lui en personne, lui ai écrit et ai même apporté une lettre de son frère, l’académicien. Si tu étais sur place, tu pourrais facilement rencontrer des hommes utiles. 

J’espère quitter Paris pour Londres dans trois semaines, mais je donne ordre que toutes les lettres doivent m’être envoyées là-bas. Ton problème sur les échecs n’est pas totalement correct, parce qu’on peut mater déjà dès le premier coup (e3-e5). L’idée est de mater aussi vite que possible, pas avec une méthode particulière. 

Je t’envoie quelques exemplaires de mon projet, avec lequel on peut voir des symboles pour les pièces d’échecs et qui reprennent leur façon de bouger (…). 

Dans la  traduction de l’excellente œuvre de Lewis, mon ami Witcomb a utilisé cette description pour la première fois. Tu vas en recevoir une copie, l’autre est pour Carlos et la troisième pour Schwartz ; je n’ai pas des nouvelles d’eux depuis longtemps. 

Maintenant, quand j’écris cela, le garçon du Cercle m’appelle, me disant que quelqu’un souhaite me parler au Café. Je descends et je trouve Eduard Erdmann. Tu peux fermer toi-même la lettre pour le Comte Kuschelew et l’envoyer. Mais n’oublie pas la partie et les projets dedans. 

Vis bien, mon cher frère et me réponds assez tôt, s.t.p.  Ton vieux frère Lionel.

Le livre de Kieseritzky, avec un système de notation de parties d'échecs de son invention qu'il reprendra pour la revue "La Régence"


Lettre n°11 - à Guido Kieseritzky à Dorpat

Kieseritzky est revenu à Paris après un séjour à Londres qu'il n'a manifestement pas trop apprécié.

Paris, le 11/23 octobre 1846

Mon cher et bon frère ! … 

Tu aurais pu déjà envoyer la lettre au Comte Kuschelew, je ne pense pas qu’il soit indispensable de la lui remettre en personne. Tu peux bien demander à Leonhard Stunde de le faire, il vit maintenant à St. Petersbourg. Je ne suis pas d’accord avec ton intention de quitter Dorpat et de venir à Paris. ….

Je ne peux rapporter que peu sur moi-même, même si j’ai fait le voyage à Londres. Mais celui-ci n’était ni agréable ni utile. J’étais presque tout le temps malade et mélancolique. Mon petit livre a été édité, et j’ai déjà envoyé une copie de celui-ci et la traduction de Lewis par mon ami Henry Witcomb à St. Petersbourg.

Tu auras les recevoir par Leonhard Stunde. J’ai encore 700 exemplaires sur moi. Si je pouvais tous les vendre cela serait bien. Mais je pense déjà à de nouveaux travaux … 

Entre-temps j’ai été invité à collaborer pour un journal d’échecs de Berlin et j’ai accepté. 
Le premier article est déjà envoyé. Dans 14 jours nos soirées commencent et vont durer jusqu’à mars. Je me réjouis de cela parce que j’ai besoin d’une opportunité d’exprimer ma gratitude à tous ces gens honorables qui m’ont soutenu ici par leur sympathie et leur reconnaissance... 
Tu peux aussi donner deux exemplaires avec les lettres à Kuschelew. - ….


Lettre n°12 - à Guido Kieseritzky à Dorpat

Nous sommes à la veille de la Révolution de février 1848 qui va faire tomber de Louis-Philippe, roi des français. C'est la fin du Palamède de Saint-Amant qui cesse de paraître en décembre 1847.
Peut-être le laisser-aller de Saint-Amant vis-à-vis du Palamède est dû au fait qu'il se préoccupe plus de son commerce de vin de Bordeaux ?
Kieseritzky parle du projet d'une future revue d'échecs à la place du Palamède.
Il s'agit de "La Régence" qui commencera en 1849.

Paris, le 12/24 janvier 1848

Mon très cher frère ! … 

Maintenant j’ai finalement réussi de payer les frais d’imprimerie de mon œuvre et je suis un homme libre. Mais il y a peu de nouvelles. Ma vie est très monotone. Mon propre appartement, Rue Dauphine No. 24, et le Café de la Régence sont les seules places ou je me rends. 

En revanche, j’ai le plaisir de voir plusieurs de nos compatriotes, et je suis en bons termes avec eux. 
Karl Schmidt, Gendt, et Dittmar habitent dans la même maison - Moritz pas très loin. Celui-ci m’a fait un grand plaisir avec le calendrier 1847 de Dorpat.

Il y aura peut-être bientôt des changements dans ma situation. Le propriétaire du Café et du Cercle, Mr. Vielle, qui m’a toujours démontré sa plus grande amitié, était avec le libraire Barthé, le copropriétaire du journal « Le Palamède », rédigé par St. Amant. 

La négligence avec laquelle le journal a été rédigé a causé le retrait de ces deux personnes. Ils ont laissé au rédacteur le soin de prendre lui-même la décision s’il souhaitait continuer le journal avec tous les risques à son propre compte. Par cela un problème est résolu : à cause des services multiples que Vielle m’a rendu, je ne voulais pas rédiger un autre journal. 

Mais maintenant, mon projet, déjà prévu depuis longtemps, pourrait être mis en œuvre. Le journal lui-même ne va pas gagner beaucoup de sous, mais c’est un moyen formidable de maintenir les relations avec les amis des échecs et d’en trouver des nouveaux. 

Aussitôt que le projet se réalisera je t’enverrai quelques exemplaires à Dorpat ; en revanche on va maintenir ici « das Inland ».  Si le journal peut être transféré par des libraires, mon ami et joueur d’échecs, le libraire Frank, souhaite qu’on l’envoi via Leipzig.


Lettre n°13 - à Guido Kieseritzky à Dorpat

Toujours de la mélancolie chez Kieseritzky. Il dit que tout s'est bouleversé et que la prospérité a disparu. Effectivement l'année 1848 est une année révolutionnaire qui aboutira à l'éphémère deuxième République.

Paris, le 14/26. Octobre 1848

Mon cher bien frère ! 

C’est avec le cœur mélancolique que je t’écris, sans savoir quelle réponse je vais recevoir et si la peste n’aura pas exigé des sacrifices parmi ceux qui me sont les plus proches. 

Je ne trouve pas de mauvaises nouvelles me concernant parmi les informations que Ed. Schulz a reçues, mais l’épidémie n’a pas encore cessée (NDA - Il s'agit d'une épidémie de choléra). Et si elle avait cessée, j’aurai attendu de bonnes nouvelles ! 

Moi-même je vis mélancoliquement et uniformément d’une journée à l’autre. Il y de la paix en moi depuis 4 mois, mais la prospérité et le bonheur ont disparu. Tout s’est bouleversé. J’ai une seule joie, qu’il y ait de nouveau des compatriotes dans mon entourage... 

Si Sigismund Stern va venir de St. Petersbourg à Dorpat, fait avec lui s.t.p une partie des « échecs de guerre », avec notamment les canons, les bateaux, les ponts et les pièces colorées des échecs. Je voudrais aussi bien recevoir : Jaenisch, « Découvertes sur le Cavalier », et le « échecs de guerre » de Hellwich.


La Place du Palais-Royal en 1849 - Source Gallica.

Lettre n°14 - Supplément à Mme Lydia Kieseritzky à Dorpat 

Un témoignage direct sur les émeutes de juin 1848 et le Café de la Régence.

Paris, le 14/26 octobre 1848

Ma chère sœur ! 

Ma vie est simple. 

Dans les jours de juin (NDA – émeutes ouvrières à Paris du 23 au 26 juin 1848), je n’ai souffert de rien, à l’exception du fait que j’ai dormi voire veillé cinq nuits dans la Régence. La circulation était très difficile ; même pendant la journée, de sorte que j’avais besoin d’une demi-heure pour aller de la Régence à la Rue Dauphine, un chemin pour lequel je prends habituellement 8-10 minutes. 

C’est seulement le lundi soir que je fus angoissé. Des prisonniers se sont libérés place du Carrousel, et à cette occasion on a tiré au feu d’un côté à l’autre, même devant le Café, de sorte que 40 à 50 personnes ont perdu leur vie. J’ai veillé toute la nuit chez un blessé et donné des charpies. Maintenant tout est calme. 

Dieu donne ce qui sera le mieux….

La Régence - Par Lionel Kieseritzky.


Lettre n°15 - à Guido Kieseritzky à Dorpat

La situation politique est toujours tendue à Paris.
Kieseritzky commence à publier la revue "La Régence"

Paris, le 11/23 janvier 1849

Mon cher et bon frère ! 

Je me réjouis de tout mon cœur que tu as commencé à gagner un peu d’argent et j’espère auprès de Dieu que ta situation s’améliore peu à peu. Malheureusement, les événements malheureux de l’année passée m’ont empêché de garder des sous. 

Il y a un état de détresse incroyable chez les commerçants à Paris. Nous sommes bien libérés de la classe corrompue qui a mené tout le pays dans la misère, mais cette pauvre Assemblée existe encore, et ne cède pas de terrain, même si tout le monde dit déjà qu’elle doit s’en aller. C’est pourquoi on devient impatient et on va mettre fin à ce méfait. Déjà la République est l’objet d’un mépris général et sujet de moquerie dans tous les théâtres. 

En ce qui me concerne personnellement, je suis occupé. Je suis maintenant rédacteur en chef du journal échiquéen « La Régence » dont le numéro 2 est dans la presse.  Je voudrais bien t’envoyer un exemplaire quand on aura une bonne occasion. 

Est-ce que Stern ne s’est pas encore montré à Dorpat ? Nous attendons de recevoir « Das Inland » avec impatience. 

Lettre n°16 - à Guido Kieseritzky à Dorpat

Cela fait 10 ans que Kieseritzky est arrivé à Paris. Son frère et sa sœur ont vendu leur maison à un prix bradé pour différentes raisons. Mais maintenant ils essayent de faire annuler le contrat de vente par l'intervention d'un ministre.

Paris, 1849 (NDT - le date n’est pas claire)

… Qu’est-ce que le ministre peut faire dans l’affaire de la maison ? Crois-moi, dans cette affaire le maire de Dorpat est beaucoup plus important que le Ministre. Essaie donc de bien te comporter vis-à-vis de ceux dont tu penses qu’ils sont tes ennemis. Tu vas ainsi rendre le meilleur service pour toi et Lydia. 

Réfléchis au fait qu’il n’est pas bon d’avoir un cœur plein de haine, et qui va encore aigrir le peu d’heures heureuses. C’est quand même une souffrance dont tu peux te libérer toi-même par une seule décision. 

-------

C'est la dernière lettre.

En 1851 Lionel Kieseritzky se rendra à nouveau à Londres pour le tournoi international à l'occasion de l'exposition universelle. En marge du tournoi et durant un match informel contre Anderssen (vainqueur du tournoi de Londres 1851), Kieseritzky laissera son nom à la postérité du jeu d'échecs comme le perdant de la fameuse partie "immortelle". 1851 c'est aussi l'année où la revue "La Régence" cesse de paraître.

Kieseritzky décède à l'âge de 47 ans en mai 1853 (le 18 ou le 19 mai) pour une raison non déterminée.


Mort de Kieseritskij, Le Grand joueur d'échecs.

Avec un profond regret, nous devons rapporter la mort du célèbre Herr Kieseritzkij, si longtemps la fierté et le protégé du Cercle des Échecs de Paris, et l’un des joueurs les plus brillants de nos jours. Suite à diverses causes douloureuses, pendant de nombreux mois auparavant, il fut obligé d’abandonner toute implication dans le Cercle, son discernement étant affecté, jusqu’à ce que ses amis jugèrent bon de le placer dans ce refuge de l’affligé, l’Hôtel-Dieu, dans lequel il expira le 18 du mois dernier.


dimanche 14 juin 2020

Lettres de Lionel Kieseritzky (2 sur 3)


Voici la deuxième parties des extraits de lettres de Lionel Kieseritzky, traduites de l'allemand par Frank Hoffmeister.

Cet article comporte les lettres 5 à 9 publiées par Amelung dans le Baltische Schachblätter en 1889.

Lionel Kieseritzky est sur la gauche. Je ne connais pas la référence de ce dessin.

Une difficile installation à Paris

Tout au long de ces différentes lettres ont ressent la nostalgie et la solitude de Kieseritzky.
N'ayant guère le choix que de vivre du jeu d'échecs, il détaille petit à petit son activité au Café de la Régence dans sa correspondance avec son frère Guido également mathématicien. 

Lettre n°5 - A Guido Kieseritzky à Dorpat

On y apprend que le Café de la Régence est très fréquenté (plus de 100 personnes y jouent aux échecs chaque jour !). Cette affluence est sans doute liée au retour des joueurs du Cercles des Échecs de la rue Ménars suite à sa fermeture et à leur tête de file, La Bourdonnais, qui attire le public.
Kieseritzky indique que La Bourdonnais lui-même le considère comme le joueur le plus fort après lui (ce qui doit sans doute rendre jaloux Saint-Amant) et il commence à acquérir une certaine réputation.

Paris, le 31 octobre (11 novembre) 1839

Cher frère ! 

Le 26 août j’ai écrit une lettre, dans laquelle je t’ai informé que j’habitais Rue de Lille 5, Faubourg, St. Germain… D’abord tu dois savoir que je suis à Paris depuis trois mois et que j’ai fait quelques rencontres valables. 

La première fut le peintre Hora de Hongrie, qui habite dans le même hôtel que moi et qui m’a soigné durant mes quatre semaines de mauvaise santé, avec une amitié loyale. 

Plus important pour mon progrès est l’ancien professeur de médecine, le Dr. Brandeis, que j’ai rencontré dans la Café de la Régence, où l’on joue aux échecs. 
Il s’intéresse vivement à moi et m’a déjà présenté à quelques autres personnes. 
Via La Bourdonnais je vais rencontrer un jeune homme d’une haute maison qui souhaite me voir. 

Je t’en dirai plus sur mon existence aux échecs ultérieurement. 
Pour l’instant je peux te dire qu’on me traite déjà avec distinction dans ce Café. 
Oui, chaque jour plus que 100 personnes se rencontrent pour y jouer aux échecs. 

Cette distinction m’aurait rendu fou encore une année auparavant, surtout quand tu entends que je suis déjà considéré comme le plus fort après La Bourdonnais, selon lui-même. 
Je te donne un exemple qui te permet de déduire l’étendue de l’attention vis-à-vis de moi. 

Je fais de la conversation avec le Dr. Brandeis, quand un garçon s’approche et demande à Brandeis que nous deux choisissions une autre place, dans la Café, que celle de hier ou d’avant-hier ; 
il y aurait toujours trop de monde autour de moi, ce qui rend le passage difficile pour lui ! 
Comme déjà dit, cet hommage m’aurait rendu fou de joie une année auparavant, mais dans mon état actuel cela me rend presque plus mélancolique que cela ne m’apporte de joie. 

Il y a encore deux motivations pour lesquelles je continue à fréquenter ce Café. 
Premièrement, je gagne quelques sous par ma supériorité aux échecs, et les dépenses ici sont relativement importante. 
Deuxièmement, et plus important, sont les relations avec d’autres personnes et qui me donnent la perspective de trouver un emploi. 

Par le biais du Dr. Brandeis, on sait déjà que j’enseigne la mathématique et l’allemand. 

Le lendemain, j’ai été invité chez un dénommé M. Chamouillet, chez qui les personnages les plus importants de la vie échiquéenne se retrouvent une fois par semaine. 

Mais assez de cela. Je ne peux pas rapporter beaucoup sur le reste de ma vie – elle est très monotone. 
Je ne manque pas de travail, parce que je dispose d’assez de livres scientifiques. 

N’oublie pas de m’écrire pas mal de choses ; tout m’est important. 
Je suis si seul avec mon chagrin et je n’ai pas d’autre personne à qui me confier. Des bonnes nouvelles de chez nous vont me soutenir ! 

Pour Neumann, j’ai acheté une boite pour le tabac. Dis à Faehlmann mes meilleurs vœux. Dis à Muyschel que je vais lui écrire à nouveau, si ma première lettre a disparue. 
Demande à Raupach de faire une fête de Noel pour les orphelins, comme je l’ai fait chaque 30 décembre. 

(Note d’Amelung : Faehlmann, mort 1850, était un docteur et Président de l’Association Estonienne ; Raupach (1792-1883) était enseignant en Italien et joueur d’échecs).

Je te demande aussi de me répondre aux questions mathématiques ci-incluse (NDT - reproduites par Amelung, mais non traduites ici).

Carte du centre de Paris en 1850 - Carte Michel Huard 2012
La carte complète de Paris en 1850 se trouve ici
Les grands chamboulements haussmanniens n'ont pas encore eu lieu, et Paris a peu évolué au cours de la première partie du 19ème siècle.

Sur cette carte j'ai indiqué les deux adresses connues de Lionel Kieseritzky, la localisation de l'ancien Café de la Régence, ainsi que l'emplacement de l'ancien Hôtel-Dieu, hôpital où Lionel Kiseritzky décédera le 18 ou le 19 mai 1853.
Ses deux adresses (rue de Lille et rue Dauphine) sont à moins d'un kilomètre du Café de la Régence.

Lettre n°6 - à Guido  Kieseritzky à Dorpat

La Bourdonnais est malade, et décédera en décembre 1840 à Londres dans le dénuement.
Kieseritzky reçoit un cadeau de sa part quelques mois avant.

Paris le 19/31 juillet 1840

Cher frère ! 

Par notre compatriote Victor Hehn, dont sa présence malheureusement très courte ici m’a fait beaucoup de plaisir, tu reçois cette fois quelques lignes … 

Probablement tu as déjà reçu ma longue lettre, car Hehn a déjà traversé la Belgique et l’Allemagne. 
Je lui ai donné aussi les lettres pour Rentmeister, Brock et Neumann, ainsi que le petit manuel des échecs que La Bourdonnais lui-même m’a offert et un échiquier pour Félix. 

Je demande à mes amis de me pardonner que je leur envoie de si petites choses de Paris. 
Je n’ai ni or ni argent, mais le peu que j’ai, je le donne. Vous avez aussi mon cœur et je ne peux pas donner plus … 


Nouveau traité du jeu des Échecs - 1833 - Par La Bourdonnais
Un traité qui a été critiqué comme n'étant pas digne du champion qu'était La Bourdonnais.
Ses contemporains jugeaient celui-ci très inférieur au livre de Philidor, l'Analyse des Échecs.

Lettre N°7 - à Guido Kieseritzky a Dorpat

Nous sommes deux ans après la précédente lettre. Lionel Kieseritzky a changé d'adresse.
La Bourdonnais n'est plus de ce monde, Le Palamède vient d'être repris par Saint-Amant depuis la fin d'année 1841, et Kieseritzky s'affirme comme champion du Café de la Régence.
Il reçoit une invitation pour aller à Londres, mais ne s'y rendra qu'en 1846.
D'un point de vue matériel sa situation s'améliore, et il se consacre entièrement aux échecs, ayant peut-être renoncé à trouver un travail.

Paris, le 28 juillet (9 août) 1842

Rue Dauphine.

Mon cher et bon frère ! 

Le voyage de Corval me donne l’opportunité de t’écrire après une longue période pour t’informer de mon quotidien. 

Ma vie ici est hautement monotone, complètement dédiée aux échecs que j’enseigne et où j’ai de plus en plus d’élèves (pour le moment 7, dont le fameux peintre Steuben, et à l’époque déjà l’excellent compositeur et pianiste Ed. Frank, un élève de Mendelssohn). 

Ma réputation ici augmente, tu peux en lire plus dans Le Palamède, et je suis en contact postal avec Berlin et Londres. J’ai déjà reçu des invitations orales, écrites et imprimés de me rendre à Londres, mais je ne peux pas les accepter. Ma situation globale commence à s’améliorer, même si les temps difficiles n’ont pas encore complètement disparu.

Wilhelm Schwartz m'a accueilli dans sa maison pendant 10 mois. L’amitié sincère qu’il a exprimée à chaque moment pour moi, me restera longtemps en mémoire. Je n’ai pas encore surmonté sa perte, et je ne vais pas la surmonter facilement. 

Tu donneras des salutations pour tous nos amis, surtout pour Felix, Artem, Romeo, Harthmuth, Karl, Neumann, Rentmeister et sa famille, les Malmström, les Carlsen, etc etc. 

Les choses diverses que j’ai incluses avec leur nom sont un petit signe que je pense toujours à eux avec amour. Dans ma prochaine lettre je vais t’en dire plus sur mon existence échiquéenne, ce qui ne sera pas sans intérêt.
Ici on peut dire qu’après la mort de La Bourdonnais, personne en France pourrait se vanter de me battre. Je n’ai jamais joué avec le vieux Deschapelles. Je serais intéressé d’en savoir plus sur lui par Franz Ungarn, qui le connaissait il y 20 ans. …

Lettre n°8 - à Guido Kieseritzky à Dorpat 

Paris, le soir de Noël, 1842, 
NDT - Cette lettre ne contient que des remarques personnelles (dit Amelung). 

Lettre N°9 - à Guido Kieseritzky à Dorpat

Kieseritzky est en contact avec les grands mathématiciens français Cauchy et Binet pour partager les travaux de son frère !
La fin de la lettre indique que la situation ne semble pas aplanie à Dorpat sa ville d'origine qu'il a quitté 3 ans auparavant.



Paris, le 22 juillet 1845

Mon cher et bon frère, j’ai bien reçu ta lettre du 5/17 mai par le libraire Renouard (NDA - Il s'agit probablement de l'éditeur Jules Renouard), et j’ai immédiatement fait traduire l’essai mathématique qu’elle contenait, pour le donner aux académiciens Cauchy et Binet, pour lesquels j’ai reçu des recommandations par le frère de ce dernier, qui est aussi un excellent mathématicien. 

Je vais aussi envoyer une lettre au Comte Kuschelew-Besborodko à St. Petersbourg, auquel j’ai donné des cours d’échecs chaque mercredi soir quand il était à Paris. Cet homme est très riche, avec une grande influence et bienveillant. 

Par Oettingen, un des plus charmants hommes que j’ai jamais connus, je t’ai envoyé 50 Francs il y 3 semaines. Oettingen m’a promis de t’aider pour trouver un emploi avec des leçons privées. 
Il va tenir ses promesses. Il était très malade, mais est maintenant rétabli. 
Demain il veut voyager vers Heidelberg, et après en Italie avec Heinrich Schoeler. 
Mais il souhaite arriver à Dorpat en janvier. J’espère recevoir une réponse des MM Cauchy et Binet d’ici 14 jours, et vais t’en informer tout de suite. 
Jusqu’à cela, reçois tous mes meilleurs vœux, mon cher frère, veuille bien saluer tous ceux qui sont bien disposés vis-à-vis de moi et pardonner ceux qui te font du mal – cela va se payer un jour. 
Ton vieux frère Lionel.

samedi 13 juin 2020

Lettres de Lionel Kieseritzky (1 sur 3)


Grâce à l'aide de M. Frank Hoffmeister, j'ai publié le 12 avril dernier, deux lettres de Lionel Kieseritzky traduites de l'allemand.

Frank Hoffmeister m'a a nouveau fait parvenir la traduction de 16 extraits de lettres (!) de Kieseritzky, lettres qui donnent des éléments très intéressants sur sa vie, bien évidemment en relation avec le Café de la Régence.
A ma connaissance c'est la première fois que ces lettres sont traduites en français.

Je propose de vous faire partager la traduction de ces lettres par Frank Hoffmeister, ainsi que quelques commentaires de ma part.
Le nombre de lettres fait que je les publierai en 3 articles sur ce blog.

Lettres 1 à 4 - Première partie (voyage vers Paris)
Lettres 5 à 9 - Deuxième partie (Difficile installation)
Lettres 10 à 16 - Troisième partie (un relatif confort)

Avant de lire ces lettres, je vous conseille la lecture de la courte biographie de Lionel Kieseritzky que j'ai mise en ligne il y a déjà quelques temps.
A vrai dire il reste un mystère : pourquoi est-il parti de chez lui pour aller si loin à Paris ?

Avec Saint-Amant, Kieseritzky fut sans doute le plus fort joueur du Café de la Régence pour la période allant de 1841 à 1852, et par là-même un des plus forts joueurs d'échecs de cette époque.
Kieseritzky et Saint-Amant ne s'appréciaient pas particulièrement...

Louis Mandy indique dans cette biographie :

(...) Kiéséritzky et Saint-Amant ont eu tous deux une grande influence sur la vie échiquéenne en France, ce dernier plus certainement par la publication du Palamède que par la pratique du jeu, alors que Kiéséritzky était vraiment un joueur, toujours prêt à se mesurer avec qui le défiait, et un excellent professeur, dont les manières modestes contrastaient singulièrement avec la morgue hautaine de Saint-Amant. (...)


Baltische Schachblätter

D'où proviennent ces lettres ?

Friedrich Ludwig Balthasar Amelung (1842-1909) a publié pendant plusieurs années (1889 - 1902) les « Baltische Schachblätter ». Dans le Volume 1, 2ième issue (1889, pp. 55-87) il donne un résumé de la vie de Lionel Kieseritzky. 

Amelung consulta les lettres de Lionel chez le Dr. Walter Kieseritzky, qui habitait à Dorpat, alors en Russie (aujourd’hui la ville de Tartu en Estonie). Dans l’annexe, Amelung publia des passages de 16 lettres.

Voici la traduction de ces passages (Baltische Schachblätter 1889, pp. 70-84). Les lettres sont presque toutes écrites à Guido Kieseritzky, son frère aîné.  Ce dernier décédera en 1862. Il avait toutes les lettres en sa possession, mais les lettres à partir de 1850 ne sont plus trouvables (Baltische Schachblätter 1889, p. 65, note 1).

Première partie – Voyage vers Paris


Finley 1827 Carte de l'Europe

Amelung indique que Lionel Kieseritzky quitte sa ville natale à cause d’une querelle. Il habite avec un de ses frères et une de ses sœurs dans une grande maison, héritage de leur père, un avocat. Mais les coutumes dans cette maison sont étranges. Son frère, un mathématicien, a pris tout un étage pour des expériences avec des machines. Sa sœur, très attachée à la nature, a recueilli des animaux dans la maison.

Lionel gagne son argent en donnant des leçons de mathématiques. Mais des rumeurs néfastes couraient depuis un certain temps sur la maison Kieseritzky, et Lionel a même dû mener un processus juridique pour diffamation. Il remporte le procès, mais pour une raison non expliquée par Amelung, il décide néanmoins de quitter la ville. Il ne poursuit même pas les deux parties contre Jaenisch par correspondance (Dorpat contre Saint-Pétersbourg).
Les lettres mentionnent son regret et son expérience négative à Dorpat, quand il loue la vie à Rostock (en Poméranie en Allemagne) (lettre No. 3).

Voici les deux parties par correspondances jouées entre Jaenisch et Kieseritzky.
Elles ont été publiées dans Chess Player's Chronicle (volume 2) avec le commentaire suivant :

Grâce à la gentillesse de M. C. F. De Jaenisch, un des plus éminent joueur d'échecs en Russie,
nous sommes autorisés à présenter à nos lecteurs les deux parties suivantes,
qui ont été jouées par correspondance, dans les années 1838-39, entre MM.Jaenisch et Kieseritzky
La fin abrupte de ces parties est probablement à mettre sur le fait que M. Kieseritzky quitta la Livonie,
où il résidait durant le déroulement des parties, vers 1839.


[Event "Par correspondance 1838-1839"] [Site "?"] [Date "1838.??.??"] [Round "?"] [White "Von Jaenisch, Karl Ferdinand"] [Black "Kieseritzky, Lionel"] [Result "*"] [ECO "C33"] [PlyCount "43"] {The Chess Player's Chronicle - Volume 2 - 1842 (page 289/290)} 1. e4 e5 2. f4 exf4 3. Bc4 Qh4+ 4. Kf1 c5 5. Nc3 Ne7 6. Nf3 Qh5 7. Nb5 d5 8. Nc7+ Kd8 9. Nxd5 Nxd5 10. Bxd5 Kc7 11. d4 g5 12. h4 Bg4 13. c3 Kc8 14. Kf2 Bxf3 15. gxf3 Nc6 16. Qa4 Nd8 17. Bd2 Bd6 18. Rag1 gxh4 19. Rg4 h3 20. e5 Bc7 21. Bxf4 a6 22. Kg3 { Ce coup resta sans réponse} * [Event "Par correspondance 1838-1839"] [Site "?"] [Date "1838.??.??"] [Round "?"] [White "Kieseritzky, Lionel"] [Black "Von Jaenisch, Karl Ferdinand"] [Result "*"] [ECO "D20"] [PlyCount "40"] {The Chess Player's Chronicle - Volume 2 - 1842 (page 289/290)} 1. d4 d5 2. c4 dxc4 3. e4 e5 4. d5 f5 5. Bxc4 Nf6 6. Nc3 Bc5 7. Qc2 Ng4 8. Nh3 f4 9. g3 g5 10. f3 Ne3 11. Bxe3 Bxe3 12. Nf2 a6 13. a4 Qf6 14. g4 Nd7 15. b4 Nf8 16. Rd1 h5 17. gxh5 Rxh5 18. Ng4 Bxg4 19. fxg4 Rh3 20. Bf1 Rh7 {Ce coup resta sans réponse.} *


Lettre No. 1 – à Guido Kieseritzky à Dorpat

Riga, le 8 juin 1839

Cher frère ! 

Dans la nuit du mardi au mercredi, vers 1.00 heure, nous sommes arrivés à Riga sans rencontrer de problèmes. Il n’y a pas de bateau vers Lübeck, mais « la Lisette » navigue vers Rostock sous le commandement du capitaine Schönemann. 

Hier, je n’ai pas pu lui parler, mais aujourd’hui on m’a demandé de me rendre à un endroit où je pourrai le joindre vers 3.00 heures. Le vent souffle dans la bonne direction et j’ai pu monter à bord. 
J’ai dû signer un document de retour dans le cabinet du gouverneur-civil, dans lequel était indiqué que je rentrerai dans 3 ans. 

Lettre No. 2 – à Guido Kieseritzky à Dorpat

Riga, le 12 juin 1839

Cher frère ! 

Demain, je vais embarquer à bord de « la Lisette » avec le capitaine Schönemann, qui va prendre les voiles directement vers Rostock. Si le vent est favorable nous devrions arriver en 5-6 jours. J’ai dû payer 6 ducats pour le transport. Après Rostock je compte aller à Hambourg. Vous pourrez m’écrire là-bas, mais vous devriez faire cela avant samedi prochain, car je pourrai déjà avoir quitté Hambourg… 

Cleasby est arrivé avant-hier de Mitau – il vous remettra cette lettre. Son amitié me fait du bien. Puisse le Ciel me donner une personne comparable à l’étranger – La solitude pèse lourd sur moi. Je me suis occupé un peu avec les mathématiques et je me suis senti presque toujours à la maison.

La vie à Riga est horriblement chère. Un livre de viande coûte 34 kopeks, un livre de beurre 4 roubles, de sorte qu’on doit payer 20 kopeks pour une portion beefsteak dans les restaurants – mais les portions ne représentent que la moitié de celles à Dorpat … 

Hier matin je suis monté en haut de la tour « Peter » avec Cleasby, et j’ai inscrit 3 croix sur une colonne pour témoigner que j’y étais … PS : La bouteille de vin, que tu m’as donnée pour le voyage, n’est pas encore ouverte. Je vais la prendre dans le bateau et boire le premier verre à vos santés ! 

Lettre No. 3 – à Wilhelm Schwartz à Dorpat

Riga le 30 juin (11 juillet) 1839 

(NDA - La première date correspond au calendrier Julien alors en vigueur dans l'Empire Russe, la deuxième date au calendrier Géorgien en vigueur presque par tout ailleurs en Europe)

Mon très cher ami ! … Le 5 mai, j’ai quitté Dorpat, comme tu le sais, en compagnie de l’Anglais Cleasby et je suis arrivé à Riga dans la nuit du 6 au 7 juin. Ma première action fut de régler les points relatifs au passeport. 

Puisque Rostock est seulement éloigné de 24 miles de Hambourg, je me suis décidé à contacter le capitaine Schönemann de « La Lisette », ce qui fut seulement possible après quelques jours puisqu’il y a beaucoup de trafic sur la Düna (NDA – Fleuve dont l’embouchure est à Riga, actuellement appelé Daugava ou Dvina). Nous avons conclu un accord… 

Entre-temps, j’ai contracté quelques dettes pour Rostock. En plus, j’ai eu le bonheur de retrouver mon ancien ami de l’Université, Zachrissen, et son frère. (...) Au matin du 16 (juin) j’ai pris le bateau. 

Rostock donne une impression très spéciale à cause de ses bâtiments gothiques assez hauts, qui sont peints de toutes les couleurs, sauf les plus belles … Parmi les places publiques, celle du « Marché Neuf » mérite une mention particulière : un espace carré, avec une honnête mairie avec ses tours, entourée par 30 autres grands bâtiments… 

Je suis forcé de rester ici jusqu’à mercredi, ce qui me convient, car cette ville offre tellement de choses sympathiques que je la choisirais bien pour y habiter. Partout c’est la prospérité, et les visages gais des habitants expriment leur satisfaction ; je vois une confiance mutuelle entre le Prince et le peuple, et l’obéissance aux lois morales et civiles. 

Il s’y ajoute une liberté de parole et d’action, une éducation de l’esprit et une informalité correcte dans le comportement. On voit des bancs en bois devant toutes les maisons, souvent artificiellement décorés, où les dames sont assises tout au long de la journée. Elles y font du travail domestique ou la cuisine. 
Un passant, avec sa pipe, les rejoint – tous se parlent ; les enfants apportent leurs jouets. Tout est tellement innocent – nulle part on ne trouve trace de médisance ou de rumeur sur son prochain…

Je peux aussi louer sans limite la gentillesse de mes hôtes, les Markin. Cette amitié honnête me touche ; elle ne me fait pas oublier ma malchance, mais elle m’aide à la supporter. D’ici à mardi tout devrait être prêt, de sorte que je puisse aller à Hambourg. Le destin doit néanmoins se poursuivre. Celui qui guide les nuages, les fleuves et les vents va aussi trouver le chemin pour guider mes pas. … De Hambourg, je vais encore écrire à mes frères et à mes sœurs, puisses-tu bien veiller amicalement sur eux. 

Ainsi ta propre famille s’est agrandie, parait-il. Que Dieu protège le nouveau-né et vous tous. 
Veuillez aussi penser à un être perdu, qui marche en solitaire dans le chemin, plein de douleurs, mais pas sans foi. 

Arrivée à Paris
Lionel Kieseritzky arrive à Paris au moment où le Cercle des Échecs de la rue Ménars vient de fermer. Les plus forts joueurs d'échecs reviennent alors au Café de la Régence. Il y rencontre notamment La Bourdonnais et Saint-Amant.

Lettre No. 4 –  à Guido Kieseritzky à Dorpat 

Paris le 17/29 août 1839 

Cher frère ! 

Aujourd’hui, cela fait quatre semaines que j’ai mis mes bottes sur la terre de France au Havre de Grâce. J’ai quitté Hambourg le 14/26 juillet avec le bateau à vapeur « Paris », avec le capitaine Delarue, et je suis resté cinq jours en mer du Nord avec une tempête énorme, qui nous a même forcée à retourner à Cuxhaven. 

Depuis la mise en place des bateaux à vapeur, on m’a dit qu’il n’y avait jamais eu de tel voyage de 130 heures au lieu des 60 heures habituelles.
Le jeudi 20 juillet (1 aout) nous sommes enfin arrivés au Havre. Là-bas nous avons été reçus par des employés de l’auberge « Cinq Heures ». Mal servi est celui qui prend un petit déjeuner sans demander le prix avant. Sans précaution nous avons accepté ce petit déjeuner, mais le prix en était tellement scandaleux que j’ai honte de le préciser.  

Après un autre voyage ininterrompu, nous sommes arrivés à Paris le lendemain à 9 heures (entre-temps nous sommes passés par les villes Harfleur, Rouen et Andelys), où nous avons trouvé nos quartiers à l’auberge Lafitte – près de la Messagerie. J’ai pris une chambre avec le vieux Lichtenstein au quatrième étage, et les deux Suédois ont pris la chambre au-dessus au 5éme étage.

Le premier jour j’ai déjà rencontré le peintre Löffler…. Le dimanche nous avons pris avec le vieux Lichtenstein, un officier hollandais, un jeune Suisse et un peintre hongrois, le train avec plus de 1000 autres personnes pour aller à Versailles. C’était le jour de l’inauguration de ce train (NDA – Inauguration le 2 août 1839). Nous avons vu tellement de chambres à Versailles, qu’elles formaient comme un labyrinthe, chacune avec de grandes peintures. Ne pensez pas qu’avec une telle marche nous ne prenions pas de plaisir avec l’art…


Quelques jours plus tard, j’ai trouvé un logement pour moi-même, dans un l’hôtel garni, rue de Lille No. 5, dans le Faubourg, près de St. Germain. De là, on est très près du Quai Voltaire, le long de la Seine et face aux Tuileries. 

Je paye chaque mois 18 Francs et j’ai une petite chambre commode. Je pourrais sauver quelques sous dans un autre quartier, mais il y a plusieurs bonnes raisons pour cette chambre. Elle est dans un endroit très sûr et calme. En plus, les diplomates des états de Würtemberg, de la Prusse et de l’Espagne habitent dans ma rue, ainsi que 15 Pairs et 4 Députés. A l’extrémité de la rue se trouve le Palais Bourbon avec la Chambre des Députés.

La raison principale pour mon choix est le fait que le peintre Hongrois, Hora, loge aussi ici. Il est ma seule compagnie et ma consolation. Malheureusement, je n’ai pas encore l’espoir de trouver un travail. Toutes mes tentatives ont échoué, parce que on n’y peut rien sans une recommandation.  Si tu pouvais m’en faire parvenir une par M. Bunge, cela m’irait bien. J’aurais dû écrire plus tôt à ce sujet, mais j’avais toujours l’espoir de trouver quelque chose de concret pour moi. Bon, je dois être patient. 

Au Café de la Régence j’ai joué quelque fois aux échecs, aussi avec La Bourdonnais, mais j’ai été profondément humilié. Plus de détails une autre fois.



Dans le Palamède de 1839/1840 (la revue commence à avoir des difficultés liées à la maladie de La Bourdonnais) il est question pour la première fois de ce jeune joueur provenant de Livonie.
L'orthographe de son nom est approximative, passant de Kieserisky à Zekeriski.

 

Notez que les pièces noires débutent la partie.
Voici les 4 uniques parties de Kieseritzky publiées par La Bourdonnais dans son Palamède.
Vous pouvez trouver ici une courte biographie du joueur Hyacinthe Henri Boncourt.


[Event "Café de la Régence"] [Site "Paris"] [Date "1839.??.??"] [Round "?"] [White "De Saint Amant, Pierre Charles Four"] [Black "Kieseritzky, Lionel"] [Result "0-1"] [ECO "C54"] [PlyCount "70"] [EventDate "1839.??.??"] [EventType "game"] [EventRounds "1"] [EventCountry "FRA"] 1. e4 e5 2. Nf3 Nc6 3. Bc4 Bc5 4. c3 Nf6 5. d4 exd4 6. e5 Ne4 7. cxd4 Bb4+ 8. Nbd2 Nxd2 9. Bxd2 d5 10. exd6 Qxd6 11. O-O Bxd2 12. Qxd2 O-O 13. Rfe1 Bg4 14. Ne5 Nxe5 15. Rxe5 Rad8 16. Re4 Bf5 17. Rf4 Be6 18. b3 f5 19. Rd1 Bd5 20. Rh4 Rf6 21. f4 Rg6 22. Rh3 Rg4 23. Rf3 b5 24. h3 Rg6 25. Bxd5+ Qxd5 26. Re3 Re6 27. Re5 Rxe5 28. fxe5 c5 29. Qf4 g6 30. Qh4 cxd4 31. e6 d3 32. Qe7 Rf8 33. Qd7 Qxd7 34. exd7 Rd8 35. Rxd3 Kf7 0-1 [Event "Café de la Régence"] [Site "Paris"] [Date "1839.??.??"] [Round "?"] [White "Kieseritzky, Lionel"] [Black "De Saint Amant, Pierre Charles Four"] [Result "0-1"] [ECO "C00"] [PlyCount "78"] [EventDate "1839.??.??"] [EventType "game"] [EventRounds "1"] [EventCountry "FRA"] 1. e4 e6 2. f4 d5 3. exd5 exd5 4. d4 c5 5. dxc5 Bxc5 6. Bb5+ Nc6 7. Qe2+ Nge7 8. Nf3 Be6 9. Be3 Qb6 10. Bxc5 Qxc5 11. Nc3 O-O 12. O-O-O Rad8 13. Bd3 Kh8 14. h3 Bf5 15. g4 Bxd3 16. Qxd3 Nb4 17. Qd4 Qa5 18. a3 Nbc6 19. Qd3 a6 20. Rhe1 b5 21. Nd4 b4 22. Nb3 Qc7 23. Ne2 bxa3 24. bxa3 Na5 25. Qc3 Nc4 26. Qb4 Rb8 27. Qa4 Rfc8 28. f5 Qe5 29. Ned4 Qd6 30. Rd3 Nxa3 31. Rde3 Ng8 32. R1e2 Nf6 33. Nf3 Nc4 34. Ng5 Kg8 35. Nf3 Nxe3 36. Rxe3 Ne4 37. Kb2 Qf6+ 38. Ka3 Rxc2 39. Nfd4 Qd6+ 0-1 [Event "Café de la Régence"] [Site "Paris"] [Date "1839.??.??"] [Round "?"] [White "Boncourt, Hyacinthe Henri"] [Black "Kieseritzky, Lionel"] [Result "0-1"] [ECO "C54"] [PlyCount "46"] [EventDate "1839.??.??"] [EventType "game"] [EventRounds "1"] 1. e4 e5 2. Bc4 Bc5 3. Nf3 Nc6 4. c3 Nf6 5. d4 exd4 6. e5 d5 7. exf6 dxc4 8. fxg7 Rg8 9. Bg5 f6 10. Qe2+ Qe7 11. Bxf6 Qxe2+ 12. Kxe2 d3+ 13. Kd1 Bg4 14. h3 Bxf3+ 15. gxf3 Kf7 16. Nd2 Kxf6 17. Ne4+ Kxg7 18. Nxc5 Ne5 19. f4 Nf3 20. Ne6+ Kf7 21. Ng5+ Nxg5 22. fxg5 Rxg5 23. Kd2 Re8 0-1 [Event "Café de la Régence"] [Site "Paris"] [Date "1839.??.??"] [Round "?"] [White "Kieseritzky, Lionel"] [Black "Boncourt, Hyacinthe Henri"] [Result "0-1"] [ECO "C20"] [PlyCount "60"] [EventDate "1839.??.??"] [EventType "game"] [EventRounds "1"] 1. a3 e5 2. e4 Bc5 3. Bc4 Nf6 4. Nc3 c6 5. Nf3 d6 6. d3 O-O 7. Ne2 d5 8. exd5 cxd5 9. Ba2 Nc6 10. b4 Bd6 11. Bb2 Bg4 12. Qd2 e4 13. Nfd4 Re8 14. O-O Be5 15. Nxc6 bxc6 16. Bxe5 Rxe5 17. d4 Rh5 18. Nf4 Rh6 19. c4 Qd6 20. h3 g5 21. hxg4 Nxg4 22. f3 e3 23. Qe1 gxf4 24. fxg4 f3 25. g3 f2+ 26. Rxf2 exf2+ 27. Qxf2 Rh3 28. Kg2 Qh6 29. Qf5 Rh2+ 30. Kf3 Qd2 0-1