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dimanche 28 août 2022

Proposition d'un joueur d'échecs provincial en 1786

Comment faire quand on habite en province et qu'on n'a pas d'adversaire pour jouer aux échecs en cette fin de XVIIIe siècle ? L'équation n'est pas simple. Un lecteur du Journal de Paris propose une solution inédite dans une lettre publiée par le Journal de Paris du 20 janvier 1786.
 
Journal de Paris du vendredi 20 janvier 1786 - Retronews

En France, il faut attendre 1836 pour le premier journal dédié au jeu d'échecs avec Le Palamède, les années 1850 pour les premières chroniques d'échecs régulières dans les journaux, et enfin la deuxième moitié du XIXe siècle pour voir se multiplier les parties par correspondance et les cercles de province. A sa fondation en 1921, la FFE créera une affiliation pour les joueurs isolés, possibilité aujourd'hui disparue.

Voici donc un extrait de la lettre avec le passage concernant le jeu d'échecs. A noté que je n'ai pas trouvé la localisation géographique de ce lecteur qui habite dans les Cévennes. Merci par avance si un lecteur de ce blog peut m'éclairer à ce sujet.
 
Ajout du 28/08/2022 : La réponse a été rapide ! Il s'agit de "Les Vans - Rivière de Chassezac - Pays des Cévennes". Merci à Oliver.
 

Variété
Aux auteurs du journal
Des Vens, Rivière de Chasenat, Pays des Cévennes (*)

Messieurs,
Le Journal de Paris est devenu aussi le Journal de la Province, et j'en fais ma lecture favorite.
(...)
 

Jean-Jacques (**) disait qu'il ne fallait pas avoir trop d'esprit pour bien jouer aux échecs ; C'est ce qui fait que j'y joue passablement et avec passion. Mais comme on prétend que je persiffle longuement quand je gagne, et que je suis d'une humeur horrible quand je perds, tout le monde sur ce prétexte évite de faire ma partie. Je suis donc réduit à jouer seul.

Vous sentez, Messieurs, combien cela est insipide. C'est pour me tirer de cette fâcheuse situation, que je prends la liberté de vous indiquer un moyen qui peut être agréable à tous ceux qui se trouvent dans le même cas que moi. Ce moyen serait de faire suivre au Public une partie d'échecs, en annonçant, dans votre Journal, un seul coup tous les jours. 

D'après cela, chaque amateur armerait son échiquier, riposterait vis-à-vis de lui même pour le lendemain, et la Feuille suivante lui apprendrait s'il a bien ou mal joué. Cela deviendrait une espèce d'énigme, dont on chercherait le fil chaque jour. Il ne faudrait pour cela que deux joueurs de la première force, assez complaisant pour vous envoyer alternativement les coups à jouer ; et il y a, dit-on, dans la capitale, une société d'échecs (***) où se rassemblent dix joueurs de la 2e classe qui donneraient la pièce aux premiers joueurs du reste de l'Europe.

J'ai l'honneur d'être, etc.

(*) La graphie d'époque est : Des Vens, Rivière de Chafenat, Pays des Cévènes.
(**) Il s'agit de Jean-Jacques Rousseau - Voir les articles que j'ai rédigés à son sujet ici et
(***) A quelle société d'échecs fait-il référence ? Il s'agit soit du Salon des échecs, soit du Café de la Régence.

mardi 15 juin 2021

Essai sur le jeu des Échecs, par le sieur Philippe Stamma natif d’Alep en Syrie

Où l'on découvre que chaque exemplaire de l'édition originale de son livre d'échecs, paru en 1737, porte une mention manuscrite très probablement de Philippe Stamma lui-même.

Cet article fait suite à ma visite du fonds Mennerat à Belfort le 12 juin 2021, et contient des informations communiquées par Jean-Baptiste Grange, responsable du patrimoine de la bibliothèque de Belfort. 

Même si je n'aime pas rester sans sourcer les informations que je donne, voici quelques mots sur ce qui est communément admis au sujet de Stamma :

Phillipe (Philipp, Philippo ou Filipo) Stamma est né à Alep, en Syrie vers 1705 (alors l'empire Ottoman). Son nom arabe était Fathallah, fils de Safar, du clan Shtamma. 
Sa famille avait des origines syro-orthodoxes, mais aussi des liens avec l'église catholique. 
En plus d'être joueur d'échecs, il était interprète de langues orientales. 
Après avoir quitté l'Empire ottoman, il séjourne quelque temps en Italie avant d'arriver en France. 
Puis, il s'installe ensuite à Londres vers 1738. Il est nommé interprète de langues orientales en 1739. Il meurt à Londres vers 1755.

Fonds Mennerat - Belfort 
Le livre de Philippe Stamma

Lors de son séjour à Paris, dans les années 1730, il publie la première édition de son livre "Essai sur le jeu des Échecs, par le sieur Philippe Stamma natif d’Alep en Syrie, à Paris en 1737".
Sa situation financière est précaire, comme il l'indique dans son introduction où il remercie son protecteur en Angleterre qu’il va bientôt rejoindre (William Stanhope, 1er comte de Harrington, homme d'état et diplomate britannique).

"A très haut et très honoré seigneur Mylord Harrington, ministre et secrétaire d'état du Roi de Grand-Bretagne, etc. (...) Dans la situation, où la fortune m'a réduit, la compassion vous parlera pour moi (...)"

Il est juste de considérer Stamma comme ayant un niveau de jeu inférieur à Legall contre lequel il a dû forcément jouer au Café de la Régence durant son séjour à Paris.
En effet, Philidor disposera facilement de son adversaire syrien, alors considéré comme le deuxième joueur d’Angleterre derrière Janssen, lors de son match à Londres en 1747.

Stamma mentionne aussi une façon de jouer particulière des Orientaux, il s’agit peut-être du gambit d’Alep (en fait le Gambit Dame) qu’il emploiera contre Philidor, et l’intérêt particulier des joueurs arabes pour l’étude des finales.

"(...) la manière de jouer chez les Orientaux ne vous a pas déplu : je commence à la rendre publique en Occident, quoique j'y sois étranger.(...)".

Voici ce que m'a indiqué M. Jean-Baptiste Grange, au sujet du livre de Stamma :

"La collection Mennerat possède un exemplaire de l'édition originale du livre de Stamma, imprimé par le libraire parisien Pierre Emery au format in-16, et relié en veau. Sur l'ensemble des exemplaires de l'édition originale figure, page 146 précisément, à la suite de l'achever d'imprimer, l'inscription manuscrite en arabe suivante :

"Ce livre a été imprimé à Paris sous le nom de Philippe Stamma".

L'ouvrage, le premier à utiliser la notation algébrique, popularisa en Europe l'art des finales d'échecs, fort appréciées depuis des siècles au Moyen-Orient."

Fonds Mennerat - Belfort
Note manuscrite en arabe, probablement de Philippe Stamma

Jean-Baptiste Grange ne franchit pas le pas, mais il me semble très probable que cette inscription manuscrite soit de Philippe Stamma.

Ci-dessus la note manuscrite de Stamma dans l'exemplaire du fonds Mennerat à Belfort.
Vous retrouvez la même note manuscrite dans l'exemplaire consultable sur Google Book en provenance des Etats-Unis.

Google Book - Princeton University Library
Une note en arabe similaire à la précédente (il semble manquer un mot sur la 2ème ligne -  je ne parle pas arabe, et si quelqu'un veut m'aider il sera le bienvenu).

Pour la petite histoire, Jean-Jacques Rousseau cite Stamma dans le livre V des Confessions (1782). 
Voici le premier et le deuxième article que je lui ai consacré.

On y découvre qu'il achète le manuel de Stamma, Philidor et le traité d'échecs de Gioachino Greco (dit "Le Calabrais"). Une belle collection !

"Il y avait un Genevois nommé M. Bagueret, lequel avait été employé sous Pierre le Grand à la cour de Russie ; un des plus vilains hommes et des plus grands fous que j’aie jamais vus, toujours plein de projets aussi fous que lui, qui faisait tomber les millions comme la pluie, et à qui les zéros ne coûtaient rien. 

Cet homme, étant venu à Chambéry pour quelque procès au sénat, s’empara de maman comme de raison, et, pour ses trésors de zéros qu’il lui prodiguait généreusement, tirait ses pauvres écus pièce à pièce. Je ne l’aimais point : il le voyait ; avec moi cela n’est pas difficile : il n’y avait sorte de bassesse qu’il n’employât pour me cajoler. 

Il s’avisa de me proposer d’apprendre les échecs, qu’il jouait un peu. J’essayai presque malgré moi ; et, après avoir tant bien que mal appris la marche, mon progrès fut si rapide, qu’avant la fin de la première séance, je lui donnai la tour qu’il m’avait donnée en commençant. Il ne m’en fallut pas davantage : me voilà forcené des échecs. 

J’achète un échiquier, j’achète le Calabrois : je m’enferme dans ma chambre, j’y passe les jours et les nuits à vouloir apprendre par cœur toutes les parties, à les fourrer dans ma tête bon gré mal gré, à jouer seul sans relâche et sans fin. Après deux ou trois mois de ce beau travail et d’efforts inimaginables, je vais au café, maigre, jaune, et presque hébété. Je m’essaye, je rejoue avec M. Bagueret : il me bat une fois, deux fois, vingt fois ; tant de combinaisons s’étaient brouillées dans ma tête, et mon imagination s’était si bien amortie, que je ne voyais plus qu’un nuage devant moi.

Toutes les fois qu’avec le livre de Philidor ou celui de Stamma j’ai voulu m’exercer à étudier des parties, la même chose m’est arrivée ; et après m’être épuisé de fatigue, je me suis trouvé plus faible qu’auparavant. Du reste, que j’aie abandonné les échecs, ou qu’en jouant je me sois remis en haleine, je n’ai jamais avancé d’un cran depuis cette première séance, et je me suis toujours retrouvé au même point où j’étais en la finissant. Je m’exercerais des milliers de siècles que je finirais par pouvoir donner la tour à Bagueret, et rien de plus."

jeudi 21 mai 2020

La chaise de Jean-Jacques Rousseau

En 1789 et 1790, l'écrivain et historien Russe Nikolai Karamzine voyage en Europe.
Il passe successivement en Allemagne, en Suisse, en France (où il arrive à Paris le 27 mars 1790), puis en Angleterre.
Dans son livre "Lettres d'un voyageur russe", il laisse un témoignage très intéressant sur cette époque.


Plusieurs traductions de son livre ont été produites, et en 1885, "Voyage en France", qui regroupe uniquement son séjour en France est publié.

Source Gallica


Si je parle de ce voyageur Russe, c'est qu'il existe un lien avec le Café de la Régence.
Effectivement en mai 1790 il est question des cafés du Palais-Royal, et j'en retiens deux détails :

Karamzine mentionne la présence au Café du Caveau, situé dans le Palais-Royal, du buste de Philidor dans l’un des salons du café, avec celui d’autres musiciens comme Gluck, Piccini, Guétry et Sacchini.
Rappelons que Philidor est toujours vivant à cette époque (il décède en 1795).

Mais le plus intéressant est à suivre :

« Jean-Jacques Rousseau a rendu célèbre un « café », le Café de la Régence, parce que chaque jour il y jouait aux échecs. 
La curiosité de voir le grand auteur y attirait tant de spectateurs que le chef de la police fut obligé d’y placer aux portes une sentinelle.
Et, à présent encore, les admirateurs de Jean-Jacques s’y rassemblent pour boire du café en l’honneur de la mémoire de Rousseau. 
La chaise sur laquelle il s’asseyait est conservée comme une relique. 
On m’a raconté qu’un des fidèles du philosophe en avait offert cinq cents livres, mais le propriétaire ne consentit pas à la vendre.  »

Le nouveau Café de la Régence avait sa table de Bonaparte dès 1855, et l'ancien Café de la Régence a donc eu sa relique avec la chaise de Jean-Jacques Rousseau.
A ce jour je n'ai pas trouvé d'autres témoignages au sujet de cette chaise.

Il y a aussi un point curieux dans la traduction.
Karamzine écrit :

что всякой день играл там в шашки

Ce qui littéralement correspond à

Chaque jour (il) y jouait aux dames 

Et non aux échecs. Le traducteur français a indiqué "échecs".
Pour ma part, je pense également qu'il s'agit d'une erreur de Karamzine, car Rousseau était fanatique du jeu d'échecs.
Sur Jean-Jacques Rousseau, je vous renvoie aux articles précédents de ce blog à son sujet (première et deuxième partie).


Nouveaux Essais historiques sur Paris, Du Coudray 1781 (t.II, p103) - Google Book

"Café de la Régence
Il est situé sur la Place du Palais Royal : c'est un lieu fécond en aventures.
Le célèbre Jean-Jacques Rousseau y allait souvent jouer aux échecs;
et dans le commencement de son fécond voyage à Paris, nos badauds y venaient en foule le voir.
M. Le Lieutenant de Police fut obligé d'y faire mettre une sentinelle."

samedi 14 janvier 2017

Croquis de Jean-Jacques Rousseau au Café de la Régence

Dans des articles précédents j'avais évoqué la présence de Jean-Jacques Rousseau au Café de la Régence. Rousseau était un fervent joueur d'échecs...

« Rousseau était très peu expérimenté aux échecs, mais un admirateur enthousiaste de ce jeu : il avait l’habitude, quand il était à Paris, de passer chaque jour de nombreuses heures au Café de la Régence, où une douzaine d’échiquiers étaient constamment occupés.  »

Richard Twiss, Chess, Londres 1787

Dans mon livre (tome 1 page 75) j'indique qu'il existe un croquis de Jean-Jacques Rousseau au Café de la Régence. J'ai enfin réussi à mettre la main dessus et la voici.

Ce dessin se trouve ici :
http://parismuseescollections.paris.fr/fr/petit-palais/oeuvres/catalogue-de-la-vente-crozat#infos-principales

« Il revint pourtant à la Régence, mais ce fut alors moins par désir de montre que par pure distraction. Il y vint pour jouer aux échecs qu’il aimait beaucoup et pour voir jouer. Certain jour qu’il y était, un des Saint-Aubin  s’y trouva.

L’occasion était bonne pour croquer au vol cet original si difficile à prendre ; il la saisit. Ayant attendu l’instant où Jean-Jacques, complètement absorbé dans sa partie d’échecs, ne pourrait le voir et lui échapper, car l’action seule de faire son portrait lui eût semblé un espionnage, Saint-Aubin prit son crayon et sur la garde d’un volume, le Catalogue des tableaux du cabinet de M. Crozat, qu’il avait dans sa poche, il esquissa en quelques traits la physionomie, la pose, la tournure de notre homme .

Jean-Jacques était placé près de l’un de ces piliers, plus tard transformés en colonnes, que vous vous rappelez avoir vus dans la longue et tortueuse salle du café. Saint-Aubin plaça le pilier dans son dessin, mit dessus : M.Rousseau, de Genève, dessiné au café de la Régence, 1771, et partit sans que le philosophe se doutât qu’on venait de le crayonner au vif. Qu’eut-il dit, s’il s’en fut aperçu ? Il eut été flatté, mais il se fût donné le plaisir de paraître furieux.  »


Chroniques et légendes des rues de Paris – Édouard Fournier – Paris 1864

M.Rousseau, de Genève, dessiné au caffé de la Régence en 1771

mercredi 24 juillet 2013

Jean-Jacques Rousseau au café de la Régence (2 sur 2)

Voici d'autres précisions sur Jean-Jacques Rousseau et le Café de la Régence...

Dans
Chroniques et Légendes des rues de Paris
Par Edouard Fournier – Paris 1864 – E.DENTU Editeur (source Google Book)



L’auteur vient de discuter de Diderot et enchaîne sur un autre philosophe des Lumières.

Jean-Jacques Rousseau venait aussi à la Régence, mais moins pour y regarder que pour s’y faire voir.
Quand il voulait produire un de ces grands effets de montre dont était si friande sa vanité bourrue, c’est là qu’on le voyait paraître. La foule le suivait, et alors, par une autre évolution d’amour-propre, il faisait l’effarouché et feignait de se dérober à la foule. L’ours genevois, bien qu’il n’eut rien d’une nymphe, imitait celles des églogues : il fuyait en ayant soin de regarder si on le voyait fuir, et se cupit ante videri (et espère être vu).
A l’époque où il eut l’étrange manie de s’habiller en Arménien, c’est-à-dire où, sous le prétexte de se mieux cacher, il se donna un déguisement qui le faisait mieux voir, sa présence au Café de la Régence fit véritablement émeute.
Il y vint tant de monde pour l’examiner sous son bonnet de fourrure et sa robe orientale, que M. de Sartine fut un jour obligé de faire mettre une sentinelle à la porte.

Ce point est indiqué dans Nouveaux Essais historiques sur Paris, Du Coudray 1781 (t.II, p103)
Voir l’image ci-dessous (source Google Book)



Le lendemain, Jean-Jacques ne revint plus, son amour-propre était content. Les rédacteurs des Mémoires secrets ne furent pas dupes des manœuvres de cette vanité doublée de fausse modestie ; ils mirent dans leurs Nouvelles une petite note poliment perfide, où toute leur pensée se faisait sentir :

Tome V, p.164 (7 juillet 1770)

« Le sieur J.-J. Rousseau, disaient-ils, après s’être montré quelquefois au café de la Régence où son amour-propre a été flatté d’éprouver qu’il faisait la même sensation qu’autrefois, et que sa renommée attirait encore la foule sur ses pas, s’est enveloppé dans sa modestie. Il est rentré dans son obscurité, satisfait de cet éclat momentané, jusqu’à ce qu’une autre circonstance lui donne une célébrité plus longue ».

On apprend ensuite dans les « Chroniques et Légendes des rues de Paris » qu’une esquisse de Jean-Jacques Rousseau a été réalisée au Café de la Régence.
J’ai cherché en vain sur internet une reproduction de celui-ci.

Il revint pourtant à la Régence, mais ce fut alors moins par désir de montre que par pure distraction. Il y vint pour jouer aux échecs qu’il aimait beaucoup et pour voir jouer. Certain jour qu’il y était, un des Saint-Aubin s’y trouva. L’occasion était bonne pour croquer au vol cet original si difficile à prendre ; il la saisit. Ayant attendu l’instant où Jean-Jacques, complètement absorbé dans sa partie d’échecs, ne pourrait le voir et lui échapper, car l’action seule de faire son portrait lui eût semblé un espionnage, Saint-Aubin prit son crayon et sur la garde d’un volume, le Catalogue des tableaux du cabinet de M. Crozat, qu’il avait dans sa poche, il esquissa en quelques traits la physionomie, la pose, la tournure de notre homme.

Edouard Fournier indique : « Cet exemplaire a été vendu avec les livres d’Emeric David. V.son catalogue, 1862, in-8°, p156, n°1240. »
Si un lecteur connaît cette esquisse et en possède une reproduction, je suis preneur !

Jean-Jacques était placé près de l’un de ces piliers, plus tard transformés en colonnes, que vous vous rappelez avoir vus dans la longue et tortueuse salle du café. Saint-Aubin plaça le pilier dans son dessin, mit dessus : M.Rousseau, de Genève, dessiné au café de la Régence, 1771, et partit sans que le philosophe se doutât qu’on venait de le crayonner au vif. Qu’eut-il dit, s’il s’en fut aperçu ? Il eut été flatté, mais il se fût donné le plaisir de paraître furieux.

A noter qu'au sujet de l'article du Palamède, que j'ai cité dans la première partie dédié à Jean-Jacques Rousseau, Fournier indique :


(Le Palamède 1836 - page 390 - Collection personnelle)

Nous avons des preuves de la fréquentation de Rousseau à la Régence.
Pour celle de Voltaire, j’en doute fort et pour cause. Lui-même, en effet, a dit formellement : « Je n’ai jamais fréquenté aucun café » dans une lettre à Dorat du 6 août 1770.
Si on le vit à la Régence, ce ne dut être qu’à son dernier voyage à Paris, et je ne crois pas que sa longue apothéose lui laissât alors le temps de descendre jusqu’au café. (Edouard Fournier)


Jean-Jacques Rousseau au café de la Régence (1 sur 2)

2012 était l’année du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau.

 (JJ Rousseau en 1753, il a alors 41 ans - Pastel de Quentin de la Tour)

Bon, j'ai un an de retard...

Mais, un aspect méconnu de ce philosophe était sa passion épisodique pour le jeu d’échecs.
Un long article paru en 1907 décrit très bien cet état de fait.

Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau, 1907
L’article est signé I.Grünberg
Source GALLICA BNF


En voici des extraits et quelques commentaires largement inspirés de cet excellent article.
En italique, j'indique le texte de Jean-Jacques Rousseau lui-même.
 
ROUSSEAU JOUEUR D’ECHECS

Rousseau musicien, Rousseau botaniste ont fait l’objet de multiples et copieuses études. On connaît moins Rousseau joueur, joueur d’échecs en particulier. (…) Dans sa grande lettre à M. de Saint-Germain, datée de Monquin, 26 février 1770, Rousseau se défend d’aimer le jeu :

Le jeu : je ne puis le souffrir. Je n’ai vraiment joué qu’une fois en ma vie, au Redoute à Venise ; je gagnai beaucoup, m’ennuyai, et ne jouai plus. Les échecs, où l’on ne joue rien, sont le seul jeu qui m’amuse.

Dans ses Confessions, Jean-Jacques Rousseau parle de sa passion très ancienne, communiqué par le Genevois Bagueret lorsqu’il était à Chambéry.

Il s’avisa de me proposer d’apprendre les échecs, qu’il jouait un peu.
J’essayai presque malgré moi ; et, après avoir tant bien que mal appris la marche, mon progrès fut si rapide, qu’avant la fin de la première séance je lui donnai la tour qu’il m’avait donnée en commençant.
Il ne m’en fallut pas davantage : me voilà forcené des échecs. J’achète un échiquier, j’achète le Calabrais ; je m’enferme dans ma chambre, j’y passe les jours et les nuits à vouloir apprendre par cœur toutes les parties, à les fourrer dans ma tête bon gré, mal gré, à jouer seul sans relâche et sans fin.
Après deux ou trois mois de ce beau travail et d’efforts inimaginables, je vais au café, maigre, jaune, et presque hébété. Je m’essaye, je rejoue avec M. Bagueret : il me bat une fois, deux fois, vingt fois : tant de combinaisons s’étaient brouillées dans ma tête, et mon imagination s’était si bien amortie, que je ne voyais plus qu’un nuage devant moi.

A noter que « Le Calabrais » était le surnom donné au livre écrit par Gioachino Greco, joueur du 17ème siècle originaire de Calabre en Italie. Ce livre fut longtemps une référence du jeu d’échecs (première traduction française vers 1669), que seul l’ouvrage de Philidor « L’analyse des Echecs » édité un siècle après parviendra à éclipser. Toujours dans les Confessions :

Toutes les fois qu’avec le livre de Philidor ou celui de Stamma j’ai voulu m’exercer à étudier des parties, la même chose m’est arrivée ; et après m’être épuisé de fatigue, je me suis trouvé plus faible qu’auparavant. Du reste, que j’ai abandonné les échecs, ou qu’en jouant je me sois remis en haleine, je n’ai jamais avancé d’un cran depuis cette première séance, et je me suis toujours retrouvé au même point où j’étais en la finissant. Je m’exercerais des milliers de siècles, que je finirais par pouvoir donner la tour à Bagueret, et rien de plus. Voilà du temps bien employé ! Direz-vous. Et je n’y ai pas employé peu.

Philippe Stamma, originaire d’Alep en Syrie est l’auteur de livre « Essai sur le jeu des eschets » publié à Paris en 1737.

L’article poursuit sur l’ambition de Rousseau de devenir un très fort joueur lors de son arrivée à Paris en 1742. « dans son heureuse insouciance, ile ne voyait alors que deux moyens d’échapper à la misère : l’un, renouvelé des Athéniens prisonniers à Syracuse après la défaite de Nicias, consistait à réciter des fragments de poèmes appris par cœur ; l’autre était de la même force : » 

J’avais un autre expédient non moins solide dans les échecs, auxquels je consacrais régulièrement, chez Maugis, les après-midi des jours que je n’allais pas au spectacle. Je fis connaissance avec M.de Légal, avec un M. Husson, avec Philidor, avec tous les grands joueurs d’échecs de ce temps-là, et n’en devins pas plus habile. Je ne doutai pas cependant que je ne devinsse à la fin plus fort qu’eux tous, et c’en était assez, selon moi, pour me servir de ressource. De quelque folie que je m’engouasse, j’y portais toujours la même manière de raisonner. Je me disais « Quiconque prime en quelque chose est toujours sûr d’être recherché. Primons donc, n’importe en quoi ; je serai recherché, les occasions se présenteront, et mon mérite fera le reste. » Cet enfantillage n’était pas le sophisme de ma raison, c’était celui de mon indolence. Effrayé des grands et rapides efforts qu’il aurait fallu faire pour m’évertuer, je tâchais de flatter ma paresse, et je m’en voilais la honte par des arguments dignes d’elle.

Jean-Jacques Rousseau continue toute sa vie de jouer aux échecs.
Dans une lettre à Du Peyrou du 27 septembre 1767 il indique

« Je me souviens qu’ayant l’honneur de jouer, il y a six ou sept ans, avec M. le prince de Conti, je lui gagnai trois parties de suite, tandis que tout son cortège me faisait des grimaces de possédé : en quittant le jeu, je lui dis gravement : « Monseigneur, je respecte trop Votre altesse pour ne pas toujours gagner. » Mon ami, vous serez battu, et bien battu…  

Encore en 1770, lorsqu’il revient se fixer à Paris, la Correspondance littéraire de Grimm note qu’il s’est montré « plusieurs fois » au café de la Régence, le rendez-vous favori des joueurs d’échecs de ce temps-là, mais que des attroupements s’étant formés sur la place pour le voir passer, la police l’a prié de ne plus paraître « ni à ce café, ni dans aucun autre lieu public ».
La Correspondance ajoute que « depuis ce temps-là, il s’est tenu plus retiré ».
Sa place au moins est restée très longtemps marquée, s’il faut en croire un chroniqueur du Palamède de 1836 (p 390), lequel raconte qu’ « il y a peu d’années encore les maîtres de ce café [la Régence] disaient avec orgueil à leurs garçons : Servez à Jean-Jacques, servez à Voltaire, désignant ainsi les tables où ces illustres habitués se plaçaient ordinairement ».

Dans une fantaisie intitulée J.J.Rousseau au café Procope et publié dans le Palamède de 1842, t. I. p. 127-130, Méry a décrit de chic une partie où Jean-Jacques aurait joué et perdu ses entrées à la première représentation du Devin du Village.

En fait de contemporains qui aient parlé de Rousseau joueur d’échecs, peut-être faut-il encore mentionner Richard Twiss, Chess, Londres, 1787, p.6 « Rousseau was very inexpert at Chess, though an enthusiastic admirer of it : he was accustomed, when at Paris, to spend many hours daily at the Caffé de la Régence, where a dozen chess-boards are constantly in use ».

Traduction libre de ma part « Rousseau était très inexpérimenté aux échecs, mais un admirateur enthousiaste de celui-ci : il avait l’habitude, quand il était à Paris, de passer de nombreuses heures par jour au Caffé de la Régence, où une douzaine d’échiquiers étaient constamment en cours d’utilisation ».