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samedi 17 décembre 2022

Traité complet théorique et pratique sur les fins de parties

M. Guy Gignac a fait l'acquisition du livre de Jean Préti "Traité complet théorique et pratique sur les fins de parties" datant de 1858.
 
Source Gallica - BNF.

Mais l'exemplaire qu'il a acquis est tout à fait exceptionnel par un détail formidable : il s'agit de l'exemplaire que possédait Saint-Amant comme le montre la dédicace de Jean Préti à son intention au début de l'ouvrage. M. Guy Gignac m'a envoyé une photo de cette dédicace et je l'en remercie.
 
Un détail qui rend l'exemplaire de Guy Gignac unique.
La dédicace de Jean Préti à Saint-Amant : "A Monsieur St Amant témoignage de haute estime et d'admiration de la part de l'auteur".

C'est l'occasion pour moi de dire quelques mots sur ce livre d'échecs, qui a été numérisé par la BNF et qui est disponible en ligne, par exemple ici.

Je me suis intéressé à la liste des souscripteurs, ainsi qu'à deux positions qui sont données à la fin de l'ouvrage.

On retrouve dans la liste des souscripteurs tous le gratin des joueurs d'échecs qui fréquentent pour la plupart le nouveau Café de la Régence ouvert en 1855 au 161 rue Saint-Honoré. Sur cette première page on remarque notamment Jules Arnous de Rivière, Albert Clerc, Ignace Calvi pour ne citer qu'eux.
 
Sur cette deuxième page de souscripteurs, je retiens Harrwitz, adversaire malheureux du futur match contre Morphy, le comte Isoard Vauvenargues un des protagonistes de la partie de l'opéra avec Morphy, ou bien encore Alfred de Musset en bas de page (décédé le 2 mai 1857 et qui n'aura donc pas eu l'occasion de voir le livre, mais qui confirme bien sa passion du jeu d'échecs jusqu'à la fin de sa vie).
 
Sur cette troisième et dernière page des souscripteurs, on observe la présence de Saint-Amant, de son vainqueur de 1843, Howard Staunton, et Claude Vielle, ancien propriétaire de la Régence.
 
A la fin du livre on trouve donc la position de la 25ème partie entre McDonnell et La Bourdonnais jouée à Londres en 1834, ainsi que la "toujours jeune" en français (evergreen game) c'est-à-dire la magnifique combinaison de mat d'Anderssen contre Dufresne jouée à Berlin en 1852. Je donne cette dernière partie avec les commentaires de Kasparov pour Chessbase magazine.
 
Diagramme de la 25e partie des matchs entre McDonnell et La Bourdonnais - Londres 1834
Un commentaire de Jean Préti précise qu'après le 24ème coup des noirs : 
 
Des témoins de cette partie, jouée à Londres, nous ont assuré qu'arrivé à ce dernier coup du Pion poussé par le joueur français, il y eut comme un mouvement d'enthousiasme électrique dans l'assemblée d'élite qui assistait à cette lutte de géants, quand elle put apprécier toutes les conséquences de cette sublime combinaison.
 
Extrait de la partie Anderssen - Dufresne, Berlin 1852.
 

 

 


[Event "Berlin 'La toujours jeune'"] [Site "Berlin"] [Date "1852.??.??"] [Round "?"] [White "Anderssen, Adolf"] [Black "Dufresne, Jean"] [Result "1-0"] [ECO "C52"] [Annotator "Kasparov,G"] [PlyCount "47"] [EventDate "1852.??.??"] [EventType "game"] [EventRounds "1"] [EventCountry "GER"] [SourceTitle "CBM 059"] [Source "ChessBase"] [SourceDate "1997.08.01"] [SourceVersion "1"] [SourceVersionDate "1997.08.01"] [SourceQuality "1"] {Aujourd'hui, nous allons nous pencher sur une partie qui a enchanté ses contemporains et qui est entrée dans l'histoire sous le nom de "la toujours jeune" en français ("Evergreen Game" en anglais). Dufresne était un étudiant en droit et journaliste allemand, dont le "Petit manuel du jeu d'échecs" ( "Kleines Lehrbuch des Schachspiels") a accompagné des générations entières de joueurs d'échecs.} 1. e4 e5 2. Nf3 Nc6 3. Bc4 Bc5 4. b4 Bxb4 5. c3 Ba5 6. d4 exd4 7. O-O d3 8. Qb3 Qf6 9. e5 Qg6 10. Re1 Nge7 11. Ba3 b5 12. Qxb5 Rb8 13. Qa4 Bb6 14. Nbd2 Bb7 15. Ne4 Qf5 16. Bxd3 Qh5 {[#] Les blancs ont un avantage gigantesque, le temps est venu de donner l'assaut. Fidèle à son propre style romantique et obéissant au goût du public, Anderssen a joué} 17. Nf6+ {?!! Deux points d'exclamation, car l'une des combinaisons les plus brillantes de toute l'histoire des échecs a été initiée par ce coup. Mais objectivement, la recherche de la beauté peut créer des complications inutiles. Le prosaïque} (17. Ng3 Qh6 18. Bc1 Qe6 19. Bc4 Nd5 (19... Qg6 20. Nh4 Qg4 21. Bxf7+) 20. Ng5 Qg4 21. Re4 {aurait terminé la partie sans plus de difficultés. Mais il manquerait ainsi aujourd'hui un joyau à la couronne du jeu d'échecs.}) 17... gxf6 18. exf6 Rg8 $1 {A première vue, la ligne g ouverte offre aux noirs d'excellentes chances de contre-attaque. Mais les calculs d'Anderssen étaient au-delà des craintes des gens normaux.} 19. Rad1 $1 {Je vous épargnerai les innombrables analyses de générations de joueurs d'échecs. Après des débats sans fin, ils ont décidé que le coup d'Anderssen était meilleur que l'alternative 19.Fe4. Après cela, 19...Tg4 ! serait le meilleur coup. Les Blancs auraient quelques problèmes difficiles à surmonter, mais à mon avis, ils gardent clairement le dessus dans les complications sauvages qui suivent.} Qxf3 $2 {Aujourd'hui, le roi blanc est à deux doigts d'être exécuté. Mais pouvons-nous reprocher à Dufresne de ne pas avoir reconnu les capacités magiques d'un génie ? [#]} 20. Rxe7+ $1 Nxe7 $5 {Une preuve de plus que les chefs-d'œuvre des échecs nécessitent la coopération courageuse de la victime ! De nos jours, un professionnel des échecs -- et bien sûr un ordinateur jouant aux échecs -- choisirait sans hésiter le coup 20...Rd8 pour éviter l'anéantissement imminent.} (20... Kd8 {Mais les noirs perdent aussi ainsi :} 21. Rxd7+ $1 Kc8 ( 21... Kxd7 22. Bf5+ Ke8 23. Bd7+ Kd8 24. Bxc6+ {with mate nebst Matt.}) 22. Rd8+ $1 Kxd8 (22... Rxd8 23. gxf3 {or}) (22... Nxd8 23. Qd7+ $3 {- the same motif mit dem gleichen Motiv}) 23. Be2+ {less clear is} ({weniger klar ist} 23. Bf5+ Qxd1+ 24. Qxd1+ Nd4 25. g3 Rg5 $1 26. Bh3 Bf3 $1) 23... Nd4 24. Bxf3 Bxf3 25. g3 Bxd1 26. Qxd1 {avec une finale ennuyeuse mais gagnée.}) 21. Qxd7+ $3 Kxd7 22. Bf5+ Ke8 23. Bd7+ Kf8 24. Bxe7# {Il n'est pas étonnant que les joueurs d'échecs de l'époque aient été peu enclins à apprendre des règles stratégiques obtuses face à des parties d'attaque aussi grandioses. Mais la vieille école combinatoire, menée par son chevalier le plus brillant, Anderssen, était finalement condamnée à disparaître. Ses représentants n'ont pas pu résister longtemps aux techniques plus avancées d'un Paul Morphy, dont les coups tactiques avaient une base positionnelle beaucoup plus solide.} 1-0 [Event "Match Londres 1834"] [Site "London"] [Date "1834.??.??"] [Round "18"] [White "McDonnell, Alexander"] [Black "De La Bourdonnais, Louis Charles Mahe"] [Result "0-1"] [ECO "C33"] [PlyCount "60"] [EventDate "1834.06.??"] [EventType "match"] [EventRounds "25"] [EventCountry "ENG"] 1. e4 e5 2. f4 exf4 3. Bc4 Qh4+ 4. Kf1 g5 5. Nc3 Bg7 6. d4 Nc6 7. e5 Nge7 8. Nf3 Qh5 9. Ne4 h6 10. Nf6+ Bxf6 11. exf6 d5 12. Bd3 Nf5 13. Qe1+ Kd8 14. Ne5 Nfxd4 15. c3 Nxe5 16. Qxe5 Nc6 17. Qxd5+ Ke8 18. Bb5 Be6 19. Bxc6+ Kf8 20. Qc5+ Kg8 21. Bf3 Qg6 22. Qd4 c5 23. Qe5 Re8 24. Be2 f3 {Des témoins de cette partie, jouée à Londres, nous ont assuré qu'arrivé à ce dernier coup du Pion poussé par le joueur français, il y eut comme un mouvement d'enthousiasme électrique dans l'assemblée d'élite qui assistait à cette lutte de géants, quand elle put apprécier toutes les conséquences de cette sublime combinaison.} 25. Kf2 fxe2 26. Be3 b6 27. h4 Bd7 28. Qd5 Qxf6+ 29. Kxe2 Bg4+ 30. Kd2 Rd8 {The Chess Player's Chronicle 1841, p. 311} 0-1

dimanche 20 février 2022

Paul Morphy à Paris

 
Il y a environ deux semaines j'ai été contacté par Adam Whitaker (Missouri, USA) qui réalise un reportage au sujet de Paul Morphy. Il cherchait quelqu'un en France pour répondre à une dizaine de questions au sujet du séjour de Paul Morphy à Paris de septembre 1858 à avril 1859.

J'ai déjà publié sur ce blog plusieurs articles au sujet de Paul Morphy, et les questions abordées étaient une bonne synthèse de son séjour à Paris.
Afin de préparer l'entrevue, qui a eu lieu il y a quelques jours, j'ai rédigé mes réponses par écrit.
C'est l'objet de cet article.

Paul Morphy

Si tout se passe bien, le reportage sur Paul Morphy devrait être prêt au mois de mai 2022, d'après ce que m'a dit Adam Whitaker. Je partagerai ce reportage sur ce blog dès qu'il sera disponible.
 
Préambule

Plusieurs sources sont utilisées pour répondre aux différentes questions de ce questionnaire.
Tout d'abord, deux livres incontournables au sujet de Morphy :

•    Paul Morphy, The Chess champion - 1859 par Fréderick Edge, secrétaire de Paul Morphy.
à noter que les chapitres 7 à 16 sont consacrés à sa première visite à Paris en fin d'année 1858 et début 1859.
•    The Pride and Sorrow of Chess – David Lawson 1976. A ma connaissance non disponible sur internet.
Ces deux livres ont été traduits de l’anglais en français par Gilles David, qui les a enrichi avec des annexes passionnantes.

•    A ces deux livres j'ajoute la presse française de l’époque, très riche de contenu au sujet de la visite de Paul Morphy à Paris, que j’ai consultée personnellement.

1. Quelle opinion les joueurs d'échecs français avaient-ils de Morphy avant son arrivée en France ? Morphy avait-il des liens familiaux avec la France ?

Rappelons d’abord que les échecs ont été dominés par les Français pendant presqu’un siècle avec Philidor puis Deschapelles et enfin La Bourdonnais. Saint-Amant perd un match contre l’anglais Staunton en fin d'année 1843, ce qui marque la fin de la suprématie Française.

A ma connaissance, la première mention du nom de Morphy en France, en lien avec le jeu d’échecs, date de décembre 1841 dans la revue Le Palamède de Saint-Amant. Cela fait un an que son fondateur, La Bourdonnais, est décédé. Et Saint-Amant a décidé de relancer la publication de la revue d’échecs Le Palamède. Parmi les correspondants à l’étranger du Palamède apparait le nom d’Ernest Morphy, l’oncle de Paul Morphy. Ce dernier n’a alors même pas 4 ans.

Au début de l’année 1851, la revue La Régence publie un courrier en provenance de la Nouvelle-Orléans datant de la fin de l’année 1849, de la part d’Ernest Morphy. Paul Morphy a 12 ans en 1849 et son niveau de jeu est déjà stupéfiant. Ce courrier d’Ernest Morphy est accompagné de la brillante partie Paul Morphy / Eugène Rousseau, un français émigré à la Nouvelle-Orléans et réputé pour y être le plus fort joueur d’échecs de cette époque.

Ensuite, Morphy fait à nouveau parler de lui suite à sa nette victoire au 1er « American Chess Congress » en 1857 à New-York. Au début de l’année 1858, Saint-Amant, chroniqueur d’échecs pour le journal Le Sport, parle de lui avec le surnom « le jeune Philidor »

Le Sport – 3 février 1858 – Saint-Amant cite Paul Morplig (sic) « Le jeune Philidor »
 

Le Sport – 17 février 1858 – Saint-Amant annonce la visite probable de Morphy en Europe.

Dans tous les articles où Saint-Amant parle de Morphy, c’est toujours avec émerveillement, et en faisant un parallèle avec Philidor.

Après ses exploits à Londres durant l'été 1858, Paul Morphy est attendu avec enthousiasme à Paris. D’autant plus que la vedette d’alors au Café de la Régence n'est pas français et se nommé Daniel Harrwitz, né en Prusse. La France a perdu le « sceptre des échecs » en 1843 avec la défaite de Saint-Amant face à Staunton, et le fait que la mère de Morphy soit d’origine française lui attire toutes les sympathies, sans oublier qu’il parle un français impeccable. Certains voient même en lui le nouveau champion Français.

Les liens familiaux avec la France.

Le contrat de mariage du 20 février 1829 des parents de Paul Morphy (cité dans le livre de David Lawson – 1976) indique le nom de sa mère Louise Thérèse Félicité Thelcide Le Carpentier (née à la Nouvelle-Orléans) et ses parents Joseph Essaü Le Carpentier et Madame Modeste Blache.

Je dois avouer mon ignorance au sujet des grands parents d’origines françaises de Paul Morphy, et j’ignore si à l’époque, quand il arrive en septembre 1858, s’il a de la famille en France, et si oui dans quelle région ?!
C’est très probable qu’il ait toujours de la famille éloignée à l’époque, mais je l’ignore à ce jour et je ne sais pas si des recherches généalogiques ont été faites à ce sujet.

2. Qui étaient alors les joueurs français les plus forts ? Morphy les a-t-il joués et a-t-il gagné ?


En 1858, depuis plus d’un siècle, le centre des échecs en France est le Café de la Régence. L’ancien café de la Régence (celui de Philidor, Deschapelles, La Bourdonnais) est démoli en 1853 (suite aux grands travaux d’Haussmann dans Paris sous Napoléon III), et le nouveau café de la Régence est construit deux cents mètres plus loin. C’est donc là que se trouvent les plus forts joueurs d’échecs en France.

Rappelons qu'en 1762, dans son livre « Le neveu de Rameau », le philosophe Denis Diderot écrit :
Paris est l’endroit du monde, et le café de la Régence est l’endroit de Paris où l’on joue le mieux à ce jeu.

En 1858, les plus forts joueurs français sont probablement Jules Arnous de Rivière, Paul Journoud et Jean-Adolphe Laroche, mais ils manquent de notoriété internationale. Pour la petite histoire Jules Arnous de Rivière est un ancêtre du premier ministre britannique actuel Boris Johnson.

Mais en fait ce n’est pas pour les joueurs français que Paul Morphy vient à Paris à mon avis. Il vient à Paris bien évidemment car le Café de la Régence est le sanctuaire du jeu d’échecs connu dans le monde entier, mais surtout pour se mesurer avec un des rares joueurs professionnels de l’époque, le prussien Daniel Harrwitz, élève d’Anderssen. 

Daniel Harrwitz

Initialement Harrwitz s’était installé à Londres, mais la concurrence et l’inimitié de Staunton à son égard était devenu trop forte. Il quitte l’Angleterre en 1855, retourne en Prusse pour finalement venir s’installer à Paris comme professeur d’échecs à l’été 1856 dans le nouveau Café de la Régence. En fin d’année 1856, il bat nettement (+5 -2) Jules Arnous de Rivière. Harrwitz est alors clairement le plus fort joueur de la Régence.

Le score de Paul Morphy

Le journal La Presse récapitule le palmarès de Paul Morphy en Europe (Londres et Paris) dans son numéro du 18 juin 1859. Je n’ai pas le détail du score de Morphy, mais celui-ci est très probablement positif contre tous ses adversaires. Pour les parties jouées « à but » c’est-à-dire sans handicap, son score est +117=13-19 soit un pourcentage de victoire de 78% !

La Presse - 18 juin 1859

3. Harrwitz a-t-il été le premier adversaire de Morphy en France ? Pouvez vous me parler du match ?

Frederick Edge décrit très bien les premières rencontres de Morphy à la Régence. Harrwitz n’est pas encore là (il est alors à Valencienne dans le nord de la France) mais devrait arriver dans les prochains jours. Morphy joue alors quelques parties informelles.

Le premier nommé des gentlemans (Monsieur Lécrivain), à la demande générale, s’offrit lui-même comme le sacrifice initial, acceptant l’avantage d’un pion et de deux coups, et réussi à remporter deux parties sur les six ou sept qu’il joua avec Morphy. Alors M.Rivière arriva et fit le coup, joua une Ruy Lopez, qui se termina en partie nulle ; par la suite il fut suivi par M.Journoud, qui, bien qu’il soit un des meilleurs joueurs Français, échoua à remporter une victoire. Morphy avait posé ses marques, et tout le monde attendait l’arrivée de Herr Harrwitz qu’ils espéraient voir s’amuser.

Edge donne ensuite des détails intéressants sur les habitudes d’Harrwitz. Il explique que celui-ci arrive au Café de la Régence immédiatement après s’être levé tard dans la matinée. Puis, suivant un rituel bien établi, il ne s’arrête de jouer aux échecs que pour le dîner, et retourne se coucher. Ses adversaires sont en général les visiteurs du café et non les habitués. En effet Harrwitz rechigne à donner un trop grand avantage matériel à ses adversaires. Il ne concède par exemple à ne donner que l’avantage du pion et du trait contre des adversaires à qui il peut facilement donner l’avantage d’un pion et deux traits voire l’avantage d’un Cavalier. Ceci lui permet de gagner de l’argent facilement et n’est en fin de compte pas très apprécié des habitués du café.

Il faut noter que lors de leur première rencontre, avant le match, Harrwitz remporte une partie légère contre Morphy, ce qui le met en confiance.

Les deux joueurs conviennent que la victoire reviendra au premier gagnant sept parties. Le rythme de jeu doit être de 4 parties par semaine, et à la demande expresse d’Harrwitz les parties se joueront dans un espace public du café de la Régence.

Les journaux indiquent jusqu’à une centaine de spectateurs par partie et des paris importants !
Morphy perd les deux premières parties. Harrwitz fanfaronne. Edge explique que Morphy profite de la vie parisienne et ne se couche pas avant 4 heures du matin ! Edge lui conseille alors de changer de rythme et de se coucher à minuit au plus tard. Morphy ne perdra plus aucun partie après avoir appliqué ce conseil.

Après la 6ème partie (où le score est de 4 à 2 pour Morphy, Harrwitz ne se présente pas. Il indique être indisposé. C’est alors que Morphy propose d’organiser la simultanée à l’aveugle contre 8 adversaires (ce point sera abordé plus loin) pour le lundi 27 septembre 1858.

Le match contre Harrwitz reprend deux jours après la simultanée. Mais cette fois-ci au 1er étage du Café de la Régence à la demande d’Harrwitz qui ne veut plus de spectateurs. Morphy, fiévreux (il a pris froid) n’arrive pas à remporter une partie gagnante, mais il remporte la partie suivante. Le score est alors de 5,5 à 2,5.
Morphy reçoit alors un message d’Harrwitz lui annonçant son abandon du match pour des raisons de santé.

A noter que Morphy refuse de récupérer la mise de 295 francs, enjeu du match, et utilisera finalement cet argent pour payer les frais de déplacement du champion allemand Anderssen à Paris. Une attitude chevaleresque de Morphy très appréciée notamment par Saint-Amant.

4. Pouvez vous me parler de la culture des Cafés en France et le rôle que les cafés ont joué pour les échecs ?

Le lieu appelé « Café » apparait à la fin du XVIIème siècle à Paris du fait de la nouvelle boisson qui lui donne son nom et qui nécessite un endroit spécifique pour le déguster et valoriser ainsi cette boisson exotique.
C’est dans ce nouveau lieu d’échange qu’émerge le jeu d’échecs dans les cafés au début du XVIIIe siècle en France. La plus ancienne mention, trouvée à ce jour, du jeu d’échecs dans les cafés date de 1718 avec le livre « Séjour de Paris » de l’allemand Joachim-Christoph Nemeitz.
Chaque café se spécialise tout au long du XVIIIe siècle. Le Café de la Régence pour les échecs, le Café Manoury pour le jeu de Dames, puis tel Café pour tel courant politique etc.

J’ai déjà cité Diderot et le neveu de Rameau en 1762 au sujet du Café de la Régence.

En fait il n’existe pas de lieu de rencontre ouvert au public autre que les cafés pendant de nombreuses années en France. Et il est possible de rester oisif dans un café pendant plusieurs heures. Bref le jeu d’échecs en France est intimement lié aux cafés. C’est la même situation dans beaucoup de pays d’Europe.

Ce lien dure encore longtemps, et la consultation de la revue « L’échiquier de Paris » montre que la plupart des cercles d’échecs parisiens sont toujours dans des cafés après la Deuxième Guerre mondiale. La situation est la même en province. Il suffit de consulter le « Journal Officiel de la République Française » pour voir que le siège social des cercles d’échecs provinciaux et parisiens se trouve la plupart du temps toujours dans des cafés au cours des années 1950 et 1960.
 
Journal officiel de la République Française - 8 janvier 1949
Création d'un cercle d'échecs à Rochefort-sur-Mer dans un Café.
 
Journal officiel de la République Française - 6 mars 1949
Création d'un cercle d'échecs à Montluçon dans un Café.

Bien sûr il existe plusieurs tentatives pour créer des lieux privés, à l’image des clubs anglais, pour jouer aux échecs en dehors de ces lieux bruyants que sont les cafés.
La première expérience date de 1777 avec le « Salon des échecs » au-dessus … du Café de Foy ! Plusieurs cercles d’échecs auront une courte durée de vie à plusieurs reprises au-dessus du Café de la Régence (au 1er étage). C’est là qu’en 1843 aura lieu le fameux match entre Saint-Amant et Staunton.
Mais l’expérience la plus durable sera avec Samuel Rosenthal à la fin du XIXe siècle entre 1884 et 1902, au Grand Cercle de Paris.

5. Pouvez-vous me parler des évènements organisés par Morphy (jeu à l’aveugle, simultanée). Pouvez-vous me dire comment il a été acclamé ?

Paul Morphy donne une seule exhibition à l’aveugle et une donc une seule simultanée, le lundi 27 septembre 1858 à la Régence. Voir ici le détail de l'évènement - 1ère Partie - 2ème Partie - Après la simultanée

Le propriétaire des lieux est très enthousiaste à l’idée de cet évènement et il sacrifie la salle de billard, comme c’est visible sur la gravure du Monde Illustré. La presse parisienne annonce le début de l’événement pour midi, mais dès 11 heures une foule considérable se presse dans et autour du Café de la Régence. Les 8 adversaires de Morphy sont de très bon niveau. C’est Jules Arnous de Rivière qui est désigné pour indiquer les coups effectués. Morphy remporte 6 parties et 2 parties se terminent par la nulle. 
 
Le Monde Illustré - 16 octobre 1858

La simultanée se termine après 10 heures de jeu, et c’est alors que commence une scène unique. Morphy se lève et semble aussi frais qu’avant le début de la simultanée. Il n’a rien mangé ni rien bu et en fait n’a jamais quitté sa place. Les spectateurs anglais et américains présents lancent les premiers des acclamations, suivis par l’assistance toute entière. Plusieurs personnes souhaitent porter Morphy en triomphe sur leurs épaules.

Mais la foule est à ce moment si dense dans le café de la Régence qu’ils doivent renoncer à leur projet. Tout le monde souhaite serrer la main du héros si bien qu’il lui faut une demi-heure pour quitter le café. Un américain bien connu à Paris, Thomas Bryan se trouve d’un côté de Morphy, Monsieur Arnous de Rivière de l’autre côté, tandis que « le père Morel » ouvre le chemin dans la foule, le secrétaire de Morphy, F. Edge, restant à leur côté. Ce petit groupe prend ensuite la direction de la place du Palais-Royal parmi une foule qui ne cesse de grandir, attirée par cet évènement si exceptionnel.

Des sergents de ville et des soldats arrivent de la caserne de la garde impériale des Tuileries pour déterminer l’origine de cette foule et surtout savoir si une nouvelle Révolution n’est pas en marche. Rappelons que la place du Palais-Royal fut le lieu de très violents combats que ce soit en 1830 et en 1848, et nous ne sommes que 10 ans après la Révolution de 1848…

Le petit groupe parvient à se réfugier dans le Restaurant de Foy, puis s’engouffre dans un salon privé du premier étage. Le gérant est néanmoins particulièrement inquiet de la présence d’une telle foule devant son établissement. Après avoir soupé, Morphy sort du restaurant par une rue à l’arrière du restaurant afin d’éviter la foule encore très nombreuse qui occupe la place du Palais-Royal.

6. Pouvez-vous raconter l'histoire de la partie de l'Opera ? (Où c'était, qui était présent, ses adversaires, etc.) Pourquoi est-ce une partie si importante dans l'histoire des échecs ?

La partie de Morphy arrive dans un contexte particulier. Le match contre Harrwitz est terminé, et Anderssen ne peut arriver que pour la fin de l’année 1858. En effet il est professeur de mathématiques à Breslau (actuellement Wroclaw en Pologne) et ne peut jouer aux échecs que durant ses congés.

Dans le journal Le Sport, Saint-Amant écrit que Morphy représente ce que souhaite Paris depuis longtemps, à savoir un héros ! En attendant l'arrivée d’Anderssen, Paul Morphy se distrait. Il est invité par beaucoup de personnes de la haute société parisienne qui souhaitent jouer aux échecs avec lui. Et la plus célèbre de ses invitations officielles est sans aucun doute celle du Duc de Brunswick, fanatique du jeu d’échecs.

Morphy et Edge sont ses invités dans sa loge de l’Opéra Italien où le duc a fait installer un échiquier permanent pour jouer durant les spectacles. C’est probablement lors de leur première invitation qu’est jouée la fameuse partie et qui a été reproduite des milliers de fois. Edge précise que seule la musique pouvait faire oublier les échecs à Morphy et que ce jour-là se jouait l’opéra La Norma de Vincenzo Bellini.

Quelques mots sur le Duc de Brunswick : il arrive à Paris en 1851 et fuit à Genève en 1870 au moment de la guerre entre la France et l’Allemagne. A Paris il est un des hommes les plus riches et les plus excentriques. Il dispose d’une loge à l’opéra italien de Paris et y fait installer un échiquier précieux, véritable œuvre d’art. Un an avant la partie de Morphy, il provoque un scandale en poussant des cris au sujet d’une partie qu’il joue lors d’un opéra. Ceci provoquera un procès en diffamation contre un journaliste qui se moquera de lui. Mais c’est probablement sur cet échiquier que Morphy jouera. Où se trouve cet échiquier ?

 
L'opéra italien de Paris, la salle Ventadour, vers 1840.

La date de la fameuse partie de l’Opéra n’est pas connue exactement. On sait juste que c’était fin octobre. A ce moment là l’Opéra Italien de Paris jouait La Norma de Vincenzo Bellini (comme l’indique Frederick Edge dans son livre écrit en 1859). Les dates possibles sont le 21, 23, 26 ou 30 octobre.

A ce sujet je ne comprends pas pourquoi David Lawson, dans son livre, parle du Barbier de Séville en date du 2 novembre 1858. La source n’est pas indiquée dans son livre. J'ai cherché sans succès. Par exemple dans le recueil de parties de Morphy en Europe publié en 1859 par Jean Préti, la partie est présente, mais sans le lieu ni les adversaires de Morphy, mais en indiquant simplement « deux amateurs ».

Pour le lieu, il n'y a de toute façon aucun doute, c’est l’Opéra Italien de Paris, connu sous le nom de Salle Ventadour. Ce n’est certainement pas à l’Opéra Garnier qui a été inauguré en 1875, soit 18 ans plus tard, ni la salle Le Peletier. La salle Ventadour existe toujours, elle contient divers services sociaux de la Banque de France, dont sa cantine.

Cette partie est très spectaculaire et montre l’importance de l’avantage de développement. Et elle a été reproduite à l’infini dans presque tous les manuels d’échecs.

7. Pouvez-vous présenter Adolf Anderssen aux spectateurs ? Était-il le plus fort joueur d’Europe depuis la semi-retraite de Staunton ?

Adolf Anderssen, allemand d’origine, est le grand vainqueur du premier tournoi international d’échecs à Londres en 1851 à l’occasion de l’exposition universelle. Il marque la fin de la relative suprématie d’Howard Staunton. 
 
Adolf Anderssen
 
Il bat Harrwitz lors du premier tour du tournoi de Manchester en 1857 et même s’il ne remporte pas le tournoi il reste probablement le plus fort joueur européen de l’époque, même s’il ne s’est jamais considéré comme un joueur d’échecs professionnel.

En 1858 il a 40 ans quand il fait face à Morphy, et il rencontrera de nombreux succès aux échecs jusqu’à la fin de sa vie en 1879 à l’âge de 60 ans. 
Lettre manuscrite en français de Paul Morphy datée du 8 octobre 1858, publiée dans la revue La Stratégie en août 1884. Il invite Adolf Anderssen à Paris.
 
Il reste dans les mémoires comme un redoutable joueur d’attaque, avec la partie « immortelle » contre Lionel Kieseritzky à Londres en 1851 et la « toujours jeune » (evergreen game) remportée contre Jean Dufresne en 1852. Deux chefs-d’œuvre de l’attaque.

8. Pouvez-vous me parler du match de Morphy avec Anderssen ?


Morphy souhaite initialement être de retour en Amérique avant Noël, mais Edge insiste en disant qu’un voyage en Europe serait insignifiant s’il n’avait pas rencontré le vainqueur du tournoi international de Londres 1851. De plus, un médecin lui conseille de se rétablir complétement avant d’envisager le voyage de retour en Amérique. Et c’est ainsi que Morphy finit par céder et déclare qu’il passera l’hiver à Paris.


Ainsi, c’est à l’hôtel de Breteuil, 1 rue du Dauphin (actuelle rue Saint-Roch), pratiquement en face du Palais des Tuileries, que loge Morphy et Edge. C’est de cette adresse qu’il rédige son invitation à Anderssen le 8 octobre 1858. Morphy a refusé de venir en Allemagne, mais il se propose d’offrir le voyage à Anderssen (voir ci-dessus).

Dès son arrivée à Paris, Adolph Anderssen se rend à l’hôtel de Breteuil pour saluer Morphy et s’enquérir de sa santé. Morphy est alité avec une forte fièvre, et Anderssen est inquiet de le voir si malade. 
Néanmoins Morphy lui assure être en mesure de jouer, tandis qu’Anderssen lui indique ne vouloir jouer avec lui que lorsque toutes ses forces seraient recouvrées. Les discussions autour de la tenue du match s’engagent et les deux joueurs conviennent que la victoire reviendra au premier gagnant 7 parties, avec uniquement un enjeu d’honneur. Car une nouvelle fois il n’est pas question de mêler l’argent avec le jeu d’échecs pour Morphy.

En attendant ce match historique, Anderssen se rend au Café de la Régence et rencontre Harrwitz. Ils jouent 6 parties à 5 différentes occasions, avec un score final de trois victoires, deux parties nulles et une défaite, en faveur d’Anderssen. Un score assez net en faveur du joueur de Breslau qui laisse planer le suspense sur le résultat final contre Morphy ! Quelques jours plus tard, Morphy va mieux, mais sur les conseils de son médecin, il propose à Anderssen de jouer dans sa chambre d’hôtel, les coups de leur partie étant transmis à la Régence toutes les demi-heures. La Régence se trouve à quelques centaines de mètres.

Il est intéressant de noter que Morphy débute le match en étant malade. En 1844 Staunton avait refusé un match revanche à Saint-Amant, prétextant une maladie alors qu’il était à Paris. Quant à lui, Morphy tient sa parole coûte que coûte, c'est un "homme de parole" comme il se décrit lui-même.

Après un début difficile (une défaite et une partie nulle), Morphy retrouve pleinement sa santé en enchaine les victoires. La 9ème partie et sa victoire en 17 coups est un tournant psychologique. Morphy remporte le match sur le score net de +7 =2 -2

Anderssen dira de Morphy
« Il est impossible de jouer mieux aux échecs que M. Morphy ; s’il y a quelques différences entre sa force et celle de La Bourdonnais, c’est très certainement en sa faveur ».

Après le départ d’Anderssen, le 2 janvier 1859, le Président du London Chess Club, Augustus Mongredien fait le voyage à Paris au début de l’année 1859, Morphy lui ayant promis de faire un match contre lui. Les rencontres se déroulent dans la chambre de Mongredien à l’Hôtel du Louvre. Saint-Amant et Arnous de Rivière sont les seuls spectateurs autorisés à assister aux parties. Et comme à son habitude, après une première partie d’observation qui est déclarée nulle, Morphy lamine son adversaire et remporte les sept suivantes ce qui lui assure la victoire du match. Morphy cesse alors de jouer aux échecs à Paris et ne fréquente plus le Café de la Régence.

9. Que pouvez-vous dire de plus au sujet de Morphy à Paris quand il ne jouait pas aux échecs ?

J'ai déjà abordé un peu le sujet, par exemple avec le duc de Brunswick.Morphy fréquente la haute société et les portes s’ouvrent petit à petit, jusqu’à la plus importante à cette époque.

Mais le plus prestigieux est à suivre : l’hebdomadaire américain Spirit of the Time du 6 novembre 1858 nous dévoile ainsi que Paul Morphy atteint les plus hautes sphères du pouvoir grâce à sa renommée. Il semble que Morphy ne fit aucune publicité sur cette rencontre et la considéra comme une affaire purement privée.

« La renommée du jeune champion du Nouveau Monde, a pénétré l’alcôve impériale des Tuileries, et sa majesté, Napoléon III, a invité M. Morphy à donner une démonstration de jeu à l’aveugle auprès de l'impératrice et les dames de la cour. Sa majesté impériale souhaitait engager une partie avec M. Morphy, et en reconnaissance de la prééminence de ce jeune souverain américain avec qui il va concourir, il a consenti à essayer d'égaliser ses chances par l'acceptation d'une Tour au début de la partie.»  

Les joueurs se bousculent à la porte de Morphy. Ainsi il reçoit à l’hôtel de Breteuil la visite du petit-fils de Philidor, mais est surpris de voir que ce nom si prestigieux pour les échecs puisse être associé à une mazette (un joueur très faible)…

10. Comment résumeriez-vous l’héritage de Paul Morphy pour le jeu d’échecs ?

Je ne suis pas forcément la personne la mieux placer pour juger de l’héritage échiquéen de Morphy. Disons qu’il marque la fin d’une période romantique pour le jeu d’échecs. L’attaque à outrance d’Anderssen fait place à un joueur complet, capable de défendre avec acharnement une partie dans toutes ses phases. Morphy est peut être le premier joueur universel.

Même si son retour en Amérique correspond quasiment à la fin de son activité échiquéenne, ce séjour de 6 mois à Paris de Paul Morphy marque durablement les esprits parisiens. Par exemple, presque 20 ans après ces évènements, ce n’est probablement pas par hasard que Jules Verne utilise le nom de Murphy (sic) comme un des personnages de son roman d’aventures Hector Servadac (publié en 1877).  Bien entendu ce personnage joue aux échecs.

« (…) - Je prendrai votre fou, si vous voulez bien me le permettre, dit le brigadier Murphy qui, après deux jours d’hésitation, se décidait enfin à jouer ce coup, longuement médité.
- Je le permets, puisque je ne puis l’empêcher, répondit le major Oliphant, absorbé dans la contemplation de l’échiquier.
« Et la journée entière s’écoula avant que le major Oliphant eût répondu au coup du brigadier Murphy. Du reste, il convient d’ajouter que cette partie d’échecs était commencée depuis quatre mois et que les deux adversaires n’avaient encore joué que vingt coups. (…) »


Et comme l’indique le journal La Presse le 9 avril 1894, la coïncidence est troublante…

« (…) Ainsi s’exprime l’auteur d’Hector Servadac au treizième chapitre de cet amusant roman. Jules Verne donne-t-il à dessein ce nom de Murphy à l’un de ses personnages ? (…) »

Pour la petite histoire, il est écrit que le Café de la Régence ne reste jamais très longtemps sans un champion. Et c’est ainsi que dès le mois de juin 1859 un autre phénomène apparait. Le Figaro 4 juin 1859.

« Paul Morphy, l’incomparable joueur d’échecs est à peine parti pour l’Amérique, et voici un autre terrible jouteur qui arrive à Paris, un Hongrois, M. Kolisch, jeune homme né, comme Morphy, en 1837, et qui a déjà triomphé de nos plus forts joueurs. »

11. Pouvez-vous estimer de combien de points Morphy était plus fort que le numéro 2 mondial ? Cette différence suggère-t-elle qu'il aurait pu être champion du monde dans n'importe quelle décennie s'il avait eu le temps d'apprendre la théorie des échecs de cette époque, ou était-il juste la bonne personne au bon moment ?


Le site EDO Historical Chess Rating essaye de répondre à cette question (par Rod Edwards).
Pour l’année 1858 il donne le classement suivant :
http://www.edochess.ca/years/y1858.html


Morphy a 160 points ELO de plus que le numéro 2 mondial de l’époque, Adolf Anderssen. Cela signifie qu’il marquerait environ 70% de points face au numéro 2. Une supériorité écrasante.
D’après le site EDO, seuls Steinitz et Capablanca écraseront autant la concurrence en leur temps.
C’est incontestable que Morphy était un génie du jeu d’échecs qui aurait trouvé sa place quelle que soit l’époque.

12. Est-ce que le buste de Morphy a été façonné en France ?

Le buste de Morphy, ainsi qu’un moulage de sa main droite ont été fait à Paris. C’est le sculpteur Eugène-Louis Lequesne qui décide de faire poser Morphy dès le 15 septembre afin de réaliser ce buste en marbre. Lequesne a également participé comme joueur à la simultanée de Morphy du 27 septembre 1858 (partie nulle). 
 
 

 
 
Lors du banquet d’adieu, le 5 avril 1859, Saint-Amant dépose une couronne de Lauriers sur ce buste et
Lequesne en offre une plus petite version à Morphy. Ce buste sera placé à la Régence entre celui de Philidor et de La Bourdonnais, et des petites répliques en bronze seront commercialisées.
J’ignore où se trouvent le buste et le moulage original.

13. Y-a-t-il des aspects manquants dans mes questions ?

Oui, il s’agit des 2 autres séjours de Morphy à Paris. Pendant plusieurs années des rumeurs font état du retour à Paris de Morphy, voire son installation définitive.

Le Messager de paris – 26 avril 1860 - Un exemple de ces rumeurs sur Morphy

L’évènement aura finalement lieu en 1863, mais dans un contexte de visite privée. Morphy fuit alors la guerre civile aux États-Unis, la guerre de Sécession comme cette guerre est appelée en France, en se réfugiant à Paris. Il joue peu aux échecs et ne met pas les pieds au Café de la Régence, au grand regret des joueurs parisiens.
Il semble alors que son seul adversaire durant ce séjour à Paris en 1863 avec sa mère et sa sœur Hélèna (de décembre 1862 à janvier 1864 date de son départ) sera son ami Jules Arnous de rivière avec lequel il jouera quelques parties répertoriées.

« Malheureusement, cette fois, il n’a brillé que par son absence. D’un autre côté, on a dit que la situation politique de son pays et des préoccupations sérieuses avaient motivé cet éloignement. » 
La Nouvelle Régence – février 1863 – Alphonse Delannoy

Malgré l’insistance d’Ignaz Kolisch, le joueur d’origine hongroise en vogue à l’époque à Paris et futur vainqueur du tournoi de l’Empereur à Paris en 1867, Morphy décline sa proposition d’un match par une lettre qui est publiée dans le journal Le Nord. Morphy est perdu pour la cause des échecs.

Le journal d’échecs La Stratégie nous apprend qu’en octobre 1867 Morphy est de nouveau à Paris (pour la troisième et dernière fois). Il y est même depuis pas mal de temps car la rumeur le voyait comme représentant des États-Unis au tournoi de l’empereur en juillet 1867.
Mais comme en 1863 cette visite ne déclenche plus la passion du premier séjour du champion américain en 1858. La visite est purement privée et j’ignore si Morphy joue aux échecs à ce moment-là. Ce séjour de 1867 est son plus long à Paris selon David Lawson, probablement jusqu’à l’été 1868 (car Morphy est à New-York en septembre 1868).

Parlant de 1867, The Weelky Herald de Glasgow du 19 juillet 1884 indique : 
« Nous nous souvenons une fois, (…), de sa présence devant l’entrée du Café de la Régence, pour y retrouver quelques connaissances, mais il ne voulut point y entrer , en dépit des supplications de Monsieur Lequesne. »

samedi 17 avril 2021

Charles II, duc de Brunswick


Le duc de Brunswick : ce nom vous est peut être connu ?
Il s'agit d'un des adversaires de Paul Morphy dans la fameuse partie dite "de l'opéra", jouée fin octobre 1858 à l'Opéra Italien de Paris (salle Ventadour). J'ai déjà consacré un article à cette célèbre partie.
Mais aujourd'hui je vais vous parler d'une affaire judiciaire, liée aux échecs, qui l'implique et qui remonte à quelques mois avant la partie d'échecs contre Morphy.

Le duc de Brunswick en octobre 1833
Source - Livre : Le duc de Brunswick, vie et mœurs, 1875

Chassé du pouvoir, le duc de Brunswick s'établit à Paris en 1851, pour partir à Genève en 1870 au moment de la guerre franco-allemande de 1870.
Durant toutes ces années, il est une des personnes les plus riches à Paris, mais également un excentrique, que tout le monde reconnait lors de ses déplacements.

Ses extravagances étaient encore à l'esprit de beaucoup de gens, bien longtemps après sa disparition.
Par exemple dans le journal Le Français du 15 septembre 1902, au sujet du décès de Samuel Rosenthal

"(...) Le duc de Brunswick, le grand seigneur excentrique, aux perruques roses, aux diamants innombrables, s'adonna aux échecs, et, dépossédé de ses Etats, il y chercha l'illusion de la politique et de la stratégie.
Il eut la bonne pensée de distraire, au profit de Rosenthal, une partie de son héritage, bien minime, à vrai dire, énorme pour le pauvre réfugié polonais (...)"

Revenons en 1857. 
Le duc de Brunswick assiste à une représentation de La Traviata dans sa loge à l'opéra italien de Paris.
Ou plutôt il joue aux échecs dans sa loge, pendant la représentation, sur un magnifique échiquier, véritable oeuvre d'art.
Au passage, j'imagine qu'un an plus tard, c'est sur ce même échiquier que Paul Morphy jouera cette fameuse partie contre lui et le comte Isoar.
Qu'est devenu cet échiquier ? Est-il toujours en Suisse ?

Bref, pendant ce spectacle, le duc de Brunswick joue aux échecs, et comme à son habitude, il attire l'attention sur lui. C'est le début d'un scandale et d'une affaire judiciaire dont voici le jugement.

Le Droit, Journal des tribunaux, de la jurisprudence, des débats judiciaires et de la legislation – 6 juin 1860 - Source : Gallica

COUR IMPERIALE DE PARIS (1ère Chambre)
Présidence de M. Casenave
Audience du 5 juin

Une partie d’échecs dans une loge aux Italiens. Articles de la Gazette de Paris. Action en dommages intérêts. Le duc de Brunswick contre MM. Signouret et Dolligen.

Me Trouillebert, avocat de M. le duc de Brunswick, expose ainsi les faits de la cause :

Sous les apparences d’une affaire peu sérieuse, futile même, se cache dans ce procès un intérêt grave, celui du respect que le journalisme doit avoir pour la vie privée. Il s’agit d’un personnage fort connu dans Paris, qui tient beaucoup plus, quoi qu’on en dise, à la considération à laquelle il a droit qu’à la célébrité que peut lui donner très malignement une presse qui ne vit que de scandales.

En 1857, M. le duc de Brunswick, amateur de toutes les belles choses, assistait à une représentation de la Traviata, au Théâtre-Italien. Il a l’habitude, à ces sortes de représentations, de faire une partie d’échecs, pendant que s’exécutent les morceaux de second ordre. Il ne recherche alors ni la curiosité ni le bruit, et c’est cependant un incident de cette nature qui a donné lieu au procès actuel.
En effet, dans son numéro du 22 septembre 1857, la Gazette de Paris inséra l’article suivant :

« Tout le monde connait, au moins, de réputation, un étranger, le duc de …., l’un des originaux les plus célèbres et les plus riches de Paris. On sait les singularités de sa toilette ; on sait les miracles de patience qu’il réalise chaque jour pour donner à sa physionomie, déjà vieille, l’apparence de la jeunesse. Les perruques du personnage sont déjà aussi célèbres que ses chevaux.

C’est que le noble duc est un de ces êtres singuliers dont l’amour-propre est constamment surexcité ; pour sûr qu’il mourra de chagrin, le jour où il sera définitivement oublié ou dédaigné. Aussi, a-t-il toujours soin de réveiller l’attention publique au moment où elle semble ne plus vouloir s’occuper de lui. L’année dernière, il inventait sa fameuse chambre de fer, immense coffre-fort, doublé d’acier, mais très confortablement meublé, dans lequel il a accumulé ses richesses, et où il passe souvent de longues heures à compter et à classer son or, ses billets et ses diamants.

Cette année, il a acheté un jeu d’échecs, chef-d’œuvre de ciselure et d’incrustation, fabriqué par un de nos plus habiles joailliers ; et au lieu de le faire apporter chez lui et le confier aux joueurs émérites, qu’il convie parfois à partager ses luxueux loisirs, il l’a envoyé dans sa loge au Théâtre-Italien. A chaque représentation, on peut voir le duc et ses intimes groupés dans une avant-scène, au rez-de-chaussée, autour d’une table de jeu, ouvrage du célèbre Goujon.

Jusqu’à présent, cependant, cette nouvelle fantaisie avait été peu remarquée ; mais voici qu’à la dernière représentation de la Traviata une discussion est survenue entre ses partenaires, à propos d’un coup douteux. Déjà le public, troublé dans ses jouissances musicales, manifestait très sévèrement son mécontentement, lorsque l’intervention de M. Calzado, directeur du théâtre, a fait cesser la discorde et a permis à Mme Saint-Urbain de recommencer et de terminer sans encombres ce mélodieux andante du troisième acte si malencontreusement interrompu.

Le duc est enchanté de cet incident. Il ne pourra peut-être plus jouer aux échecs dans sa loge ; mais on va parler de ce petit scandale au moins pendant huit jours, et pour lui c’est une compensation plus que suffisante. 

Signé Raymond Signouret ».

Le duc de Brunswick en août 1873, sans doute peu de temps avant sa mort.
Source - Livre : Le duc de Brunswick, vie et mœurs, 1875

M. le duc de Brunswick, se trouvant justement blessé d’une pareille narration, assigna devant le Tribunal le signataire dudit article et M. Dollingen, gérant du journal, en 10.000 fr. de dommages-intérêts.

Sur cette instance, le Tribunal rendit le 6 juillet 1859 le jugement suivant :

« Attendu que, dans son numéro du 22 septembre 1857, la Gazette de Paris a publié sous ce titre : une partie d’échecs, un article qui, sans nommer le duc de Brunswick, le désigne suffisamment ;
Que son récit, par les détails malignement controuvés, a porté au duc de Brunswick un préjudice dont la réparation lui est due par les deux défendeurs ;
Que le tribunal a les éléments nécessaires pour en apprécier le degré d’importance ;
Dit que cette réparation ne doit consister que dans une condamnation des défendeurs aux dépens ;
En conséquence, les condamne envers le duc de Brunswick aux dépens. »

M. le duc de Brunswick a cru devoir interjeter appel de ce jugement, et je dois, en peu de mots, expliquer à la Cour l’intérêt sérieux qui se rattache à cet appel. Certes, M. le duc de Brunswick ne peut avoir à se défendre du reproche de faire une spéculation. Ce qu’il veut, par son insistance, c’est obtenir une condamnation efficace contre le retour de pareilles attaques. Or, il est bien certain qu’une simple condamnation aux dépens n’est pas de nature à effrayer certains journalistes qui ne vivent que de la curiosité qu’ils provoquent sur la vie privée des personnages dont le public peut avoir à divers titres entendu parler.

Le monument Brunswick à Genève.

La condamnation que le duc de Brunswick réclame, dit en terminant l’avocat, doit être prononcée à son profit d’autant plus facilement, que dans l’espèce il s’agit de faits mensongers. La preuve en résultat de la lettre suivante écrite par le directeur du théâtre Italien à l’aide-de-camp du duc :

« Monsieur le comte,
Selon votre désir, je vous fais parvenir la Gazette de Paris, contenant le paragraphe injurieux et mensonger sur S.A.R.M. le duc de Brunswick, auquel son nom est mêlé.
Il est inutile de vous dire que les échecs de Son Altesse ne gênent en rien les représentations ni le public, qui ne les voit pas même ; qu’aucun mécontentement ne s’est manifesté dans la salle pour une cause quelconque, et que je ne suis jamais venu dans la loge de Son Altesse pour un cas pareil.
Agréez, monsieur, l’assurance de mes cordiales salutations,
CALZADO ».

Me Crémieux, avocat des intimés, répond :

Avant d’aborder la discussion, que la Cour me permette de lui soumettre une première réflexion. L’article dont se plaint le duc de Brunswick est du 22 novembre 1857. Le jugement est du 6 juillet 1859 ; nous sommes au mois de juin 1860, et cependant le duc craint encore que sa considération soit atteinte. J’avais mission de répondre à l’appel principal par un appel-incident et de demander à la Cour d’effacer même la condamnation aux dépens. Mais j’ai adopté le jugement tel qu’il est, parce qu’aux yeux de la justice, il me semble nécessaire que cette condamnation soit maintenue.

Au surplus, le duc de Brunswick ne se fâche que d’une chose ; il ne relève pas ce qu’on dit de ses originalités, il ne se plaint que de ce qui est relatif au prétendu tumulte qui aurait eu lieu dans la loge du Théâtre-Italien, car la partie d’échecs est vraie, et on n’a rien inventé à cet égard. 

En première instance, on avait lu une lettre qui rendait compte de l’effet produit en Allemagne par l’article de la Gazette de Paris. Mon nouvel adversaire a eu le bon esprit de ne point la reproduire.
Me Trouillebert – Elle est dans le dossier, la voici.
Me Crémieux – Eh bien ! Tant mieux. Je vais la lire. Cette lettre est ainsi conçue :

« Monseigneur,
La Gazette de Cologne et le Correspondant de Hambourg ont reproduit un article de la Gazette de Paris, par lequel Votre Altesse est injuriée.
Cet article a soulevé d’indignation le cœur des Allemands, qui ont gardé de Votre Altesse le souvenir de ses bontés.
Le soussigné est de ce nombre, et il vient la supplier de faire prendre des mesures pour qu’une pareille infamie ne se reproduise plus à l’avenir.
Je suis avec le plus profond respect, De Votre Altesse, le très humble et très dévoué serviteur,
Léonard Baus
Wiesbaden, le 25 décembre 1857 ».

Maintenant, voyons un peu ce que dit l’article en question : on parle de l’originalité du duc en fait de toilette, mais ne sait-on pas qu’il a donné bien des exemples. Ainsi, notamment, un jour il arriva à la cour avec un costume dont chaque boutonnière était garnie d’un diamant magnifique. Tout le monde en parla alors. On a dit quelques mots de ses perruques. Mais le duc de Brunswick est un des hommes qui savent le mieux
« …. Réparer des ans l’irréparable outrage. »

Or, il avait de belles perruques. Comme il avait de beaux chevaux, on s’en entretenait beaucoup il y a quelques années. Mais aujourd’hui on a à penser à bien d’autres choses plus sérieuses. On a cité aussi sa caisse en fer. Eh bien ! L’existence de cette caisse n’est pas un mensonge…
En 1858, le duc de Brunswick l’a fait construire. C‘est une espèce de chambre en fer, dans laquelle il renferme ses immenses richesses, et, quand on l’allait voir, il éprouvait du plaisir à la montrer et à exhiber les trésors qu’elle contenait.

Puis, qu’arrive-t-il ? Un jour, il achète un jeu d’échecs et il le fait transporter au Théâtre-Italien. C’est un usage adopté en Italie, où chaque loge a un salon. Aussi, on va au Théâtre de la Scala, pour entendre un morceau isolé, puis on cause dans le salon, on prend des glaces, on y fait ce qu’on veut. En France, nous n’en sommes pas encore là. Il y a bien des loges à salon, mais on ne s’y retire que pendant les entractes. M. le duc de Brunswick a tenté une révolution, et, pendant la pièce, il joue aux échecs.

On dit, il est vrai, qu’il n’y a pas eu de bruit ; je le veux bien ; mais il aurait pu y en avoir. D’ailleurs, le journaliste a bien pu en entendre de la place qu’il occupait lui-même au théâtre, et cela seul suffirait pour légitimer son observation. Ce n’est donc pas un procès sérieux ; c’est une véritable cause grasse, indigne d’occuper plus longtemps la justice.

La Cour a rendu un arrêt par lequel, considérant que le Tribunal avait fait une juste appréciation du préjudice causé au duc de Brunswick, elle a confirmé la décision frappée d’appel.

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Le duc a également marqué la ville de Genève par son séjour de 1870 jusqu'à son décès le 19 août 1873.

Obsèques du duc de Brunswick à Genève.
Le Monde Illustré - 13 septembre 1873 - Source Gallica

Numa Preti indique dans la Stratégie en 1873

"Le duc de Brunswick qui vient de mourir à Genève était le descendant direct du duc de Brunswick qui, en 1616, écrivit et publia, sous le pseudonyme de "Gustave Seleni", un traité des Échecs en allemand, qui est aujourd'hui très rare.
Représentant dignement son ancêtre, le duc de Brunswick était un fort amateur du jeu d’Échecs qu'il aimait beaucoup.
Depuis 1853, nous fîmes la partie et lorsqu'un fort joueur venait à Paris, S.A.R. voulait jouer avec lui.
Nous eûmes ainsi l'occasion de lui présenter, parmi les premiers joueurs, MM. Harrwitz, Anderssen et Séraphin Dubois.
MM. Silberschmid, Saint-Amant, Kolish, Paul Morphy, Rosenthal, firent souvent la partie.
Ce dernier avait été prié de passer quelque temps à Genève, à son retour de Vienne.(...)"

Pour terminer, voici 5 parties jouées par le duc de Brunswick.
Pour ma part je doute qu'il soit venu au Café de la Régence comme simple joueur d'échecs.
Ce sont donc plutôt les joueurs d'échecs qui sont venus à lui !
 
[Event "?"] [Site "?"] [Date "1859.??.??"] [Round "?"] [White "Kolish, Ignaz"] [Black "Duc de Brunswick et Comte***"] [Result "1-0"] [ECO "C01"] [Annotator "I.Kolish - Le Monde Illustré 5 novembre 1859"] [PlyCount "79"] {Partie publiée dans "Le Monde Illustré du 5 novembre 1859" - Page 303. Un des joueurs avec les noirs n'est pas cité par Kolish, mais il est possible de penser qu'il s'agit du Comte Isoar, le même que celui qui joua avec le Duc de Brunswick quelques mois auparavant la célèbre partie de l'Opéra Italien contre Morphy (JO Leconte). La partie, disputée par nous à deux amateurs fort distingués, S.A. le duc de Brunswick et M. le comte de ***, offre une variante très peu connue de la partie ainsi nommée "française" et nous signalons en outre à nos lecteurs sa très piquante finale. (I.Kolish)} 1. e4 e6 2. d4 d5 3. Bd3 dxe4 4. Bxe4 f5 5. Bd3 Nf6 6. Nf3 Bd6 7. O-O O-O 8. Re1 c5 9. Ng5 Re8 10. Bc4 cxd4 ({Sur} 10... Nd5 {suivait} 11. Qh5 h6 12. Nf7 Qc7 13. Nxd6 {et gagnent}) 11. Nxe6 Bxe6 12. Rxe6 Kh8 13. Bg5 Rxe6 14. Bxe6 Bxh2+ 15. Kh1 Bc7 16. Bxf5 Qd6 17. f4 Nc6 18. Nd2 Rf8 19. Qf3 Ne7 20. Bd3 Ned5 21. Ne4 Nxe4 22. Qxe4 g6 23. Qxd4+ Nf6 24. Qf2 Nh5 25. Re1 Bd8 26. Bh6 Ng7 27. Qxa7 Qd5 28. Re5 Qc6 29. Be4 Qd6 30. Qxb7 Bf6 31. Rd5 Qe6 32. Rd7 Qg4 33. Kg1 Qh4 34. Qb4 Re8 35. Rf7 Ne6 36. Bd5 Bd4+ {Les Blancs font mat en quatre coups} 37. Qxd4+ Nxd4 38. Bg7+ Kg8 39. Re7+ Ne6 40. Bxe6# 1-0 [Event "Paris consultation"] [Site "Paris"] [Date "1855.??.??"] [Round "?"] [White "Dubois, Serafino"] [Black "Brunswick/Casabianca/Preti"] [Result "1-0"] [ECO "C33"] [PlyCount "51"] [EventDate "1855.??.??"] [EventType "game"] [EventRounds "1"] [EventCountry "FRA"] [Source "ChessBase"] [SourceDate "2001.11.25"] 1. e4 e5 2. f4 exf4 3. Bc4 Qh4+ 4. Kf1 g5 5. Nc3 Bg7 6. d4 c6 7. Nf3 Qh5 8. e5 b5 9. Bb3 h6 10. Ne4 Bf8 11. d5 c5 12. Qe1 a5 13. Bd2 b4 14. d6 Ba6+ 15. Kg1 Nc6 16. Nf6+ Nxf6 17. exf6+ Kd8 18. Ne5 c4 19. Nxc6+ dxc6 20. Qe5 cxb3 21. Qxa5+ Ke8 22. Re1+ Be2 23. Qc7 Rd8 24. Qxc6+ Rd7 25. Qc8+ Rd8 26. d7# 1-0 [Event "Opéra Italien de Paris"] [Site "Paris"] [Date "1858.10.??"] [Round "?"] [White "Morphy, Paul"] [Black "Duc de Brunswick/Comte Isoar"] [Result "1-0"] [ECO "C41"] [PlyCount "33"] [EventDate "1858.??.??"] [EventType "tourn"] [EventRounds "30"] [EventCountry "FRA"] 1. e4 e5 2. Nf3 d6 3. d4 Bg4 4. dxe5 Bxf3 5. Qxf3 dxe5 6. Bc4 Nf6 7. Qb3 Qe7 8. Nc3 c6 9. Bg5 {[%csl Rb7,Rb8,Rf8]} b5 10. Nxb5 cxb5 11. Bxb5+ Nbd7 12. O-O-O { [%csl Rd7]} Rd8 13. Rxd7 Rxd7 14. Rd1 {[%csl Rd7,Rf6]} Qe6 15. Bxd7+ Nxd7 16. Qb8+ Nxb8 17. Rd8# 1-0 [Event "?"] [Site "?"] [Date "1870.??.??"] [Round "?"] [White "Duc de Brunswick"] [Black "Prince de Villafranca"] [Result "1-0"] [ECO "C44"] [Annotator "La Stratégie - Avril 1870"] [PlyCount "67"] 1. e4 e5 2. Nf3 Nc6 3. d4 exd4 4. Bc4 Bb4+ 5. c3 dxc3 6. O-O cxb2 7. Bxb2 Kf8 8. Nc3 d6 9. Nd5 Bc5 10. e5 Be6 11. exd6 Bxd6 12. Nd4 Qh4 13. Nxe6+ fxe6 14. Qf3+ Nf6 15. g3 Qxc4 16. Nxf6 Nd4 17. Bxd4 Qxd4 18. Ne4+ Ke7 19. Rad1 Qe5 20. Nxd6 cxd6 21. Qxb7+ Kf6 22. Rfe1 Qc5 23. Rxe6+ {Très bien joué. A partir de ce coup les Blancs conduisent leur partie d'une manière remarquable (S.Rosenthal)} Kxe6 24. Re1+ Kf5 25. Qf3+ Kg5 26. Re6 Qc1+ 27. Kg2 g6 28. Qf6+ Kh6 29. Qh4+ Kg7 30. Re7+ Kg8 31. Qf6 Qc6+ 32. Kh3 Qc8+ 33. g4 Qf8 34. Qe6+ 1-0 [Event "?"] [Site "?"] [Date "1857.06.??"] [Round "?"] [White "Comte Isoar/Vicomte Casabianc"] [Black "Duc de Brunswick/Harrwitz D."] [Result "0-1"] [ECO "B20"] [Annotator "Chess Monthly, janvier 1858"] [PlyCount "76"] {Partie jouée à Paris en juin 1857} 1. e4 c5 2. Nf3 Nc6 3. Bc4 e6 4. Nc3 a6 5. a4 g6 6. d4 cxd4 7. Nxd4 Bg7 8. Nde2 Nge7 9. O-O f5 10. exf5 Nxf5 11. Bd3 O-O 12. Bxf5 Rxf5 13. Ng3 Rf7 14. Nce4 d5 15. Nc5 Qe7 16. Nd3 e5 17. Re1 Be6 18. f3 Raf8 19. c3 h5 20. Be3 d4 21. cxd4 exd4 22. Bf2 h4 23. Ne2 h3 24. Bg3 Bh6 25. f4 hxg2 26. Nf2 Bg7 27. Ne4 Bd5 28. Ng5 Rf5 29. Rc1 Qd8 30. Rc5 d3 31. Qxd3 Qxg5 32. Rd1 (32. fxg5 Rf1+ 33. Rxf1 gxf1=Q#) 32... Nb4 33. Qd2 Qg4 34. Re1 Re8 35. Qxb4 Rxe2 36. Rxd5 Rxd5 37. Qc4 Bd4+ 38. Bf2 Bxf2# 0-1

dimanche 11 mars 2018

Gravure de Morphy à la Régence

Dans plusieurs articles, j'ai parlé de la célèbre simultanée de Paul Morphy qu'il a donné au Café de la Régence le 27 septembre 1858.

Dans son édition du 16 octobre 1858, Le journal "Le Monde Illustré" publia une gravure représentant l’événement. La voici :


M. Claude Geiger, que je remercie, m'a envoyé une variante de cette gravure que je ne connaissais pas.
C'est la même, mais elle est mise en couleur comme vous pouvez le voir.


Le texte indique : "Monsieur Morphy jouant à l'aveugle huit parties d'échecs, dans le Café de la Régence".
Il s'agit en fait d'une illustration datant des années 50/60 (sans plus de précisions) pour une réclame pharmaceutique du produit "Isonutrine".

Voici l'autre face du document.



Le texte en bas de la réclame est le suivant :

Collection des Cafés et Estaminets de Paris : "LA RÉGENCE"
Situé place du théâtre français (1), il doit son nom à la régence du Duc d’ORLÉANS à la mort de LOUIS XIV en 1715. Il sera ouvert en 1718. On y retrouve les philosophes DIDEROT, VOLTAIRE (2) et CHAMFORT. BONAPARTE s'y rendre également puis, plus tard, Alfred de MUSSET. Le peintre REGNAUT y pousse du bois au cours de tournois d'échecs mémorables, MORPHY joue à l'aveugle 8 parties d'échecs à la fois (voir gravure). En 1852 (3), il change d'emplacement tout en demeurant place du Théâtre Français.

Remarques :
(1) A l'origine le Café de la Régence se trouve sur la place du Palais-Royal dès la fin du XVIIème siècle. La plus ancienne trace que j'ai trouvée à ce jour date de 1691. Il s'appelait alors "Café de la Place du Palais Royal".

(2) Même si le nom de Voltaire est cité, plusieurs sources doutent fortement de la présence de Voltaire au Café de la Régence.
Par exemple :

« Nous avons des preuves de la fréquentation de Rousseau à la Régence. 
Pour celle de Voltaire, j’en doute fort et pour cause. 
Lui-même, en effet, a dit formellement : 
« Je n’ai jamais fréquenté aucun café » dans une lettre à Dorat du 6 août 1770. 
Si on le vit à la Régence, ce ne dut être qu’à son dernier voyage à Paris, et je ne crois pas que sa longue apothéose lui laissât alors le temps de descendre jusqu’au café.  »

Chroniques et légendes des rues de Paris – Édouard Fournier – Paris 1864 

(3) C'est probablement à la fin de l'année 1853 que le Café de la Régence est démoli Place du Palais Royal. Il réapparaît ensuite au cours de l'été 1855 au 161 rue Saint-Honoré, là où se jouera la simultanée de Morphy 3 années plus tard.   

vendredi 19 août 2016

La célèbre partie de Morphy à l'Opéra Italien de Paris


Suite à son arrivée à Paris à la fin de l'été 1858, après avoir battu Harrwitz, puis joué la fameuse simultanée à l'aveugle au Café de la Régence, Paul Morphy invite le champion d'échecs allemand Adolf Anderssen à lui rendre visite.

Celui-ci est professeur de mathématiques à Breslau et ne peut jouer aux échecs que durant ses congés.
Sa visite à Paris serait donc prévue uniquement pour la fin de l'année 1858 et les congés de fin d'année.
Adolf Anderssen

Ce qui laisse plus d'un mois à Paul Morphy, et à son secrétaire et ami Frederick Edge, pour s'imprégner de la vie nocturne et des plaisirs de la vie parisienne...

Voici un extrait du deuxième tome de mon livre (chapitre 17) :

"(...) Dans Le Sport, Saint-Amant écrit que Morphy représente ce que souhaite Paris depuis longtemps, à savoir un héros ! En attendant la réponse d’Anderssen, Paul Morphy se distrait. Il est invité par nombre de mondains et de mondaines qui souhaitent jouer aux échecs avec lui. Et la plus célèbre de ses invitations est sans aucun doute celle du Duc de Brunswick, fanatique du jeu d’échecs.

Morphy et Edge sont ses invités dans sa loge de l’Opéra Italien  où le duc a fait installer un échiquier à demeure pour jouer durant les spectacles. C’est probablement lors de leur première invitation qu’est jouée la fameuse partie que je donne ci-dessous et qui a été reproduite des milliers de fois. Edge précise que seule la musique pouvait faire oublier les échecs à Morphy et que ce jour-là se jouait l’opéra La Norma de Vincenzo Bellini.(...)"


Dans son livre paru en 1859, Frederick Edge indique :

Paul Morphy, The Chess Champion

"(...) H.R.H le Duc de Brunswick est entièrement dévoué à Caïssa ; (…) il joue  aux échecs contre un peu n’importe qui.
Nous étions fréquemment invités dans (la loge du Duc de Brunswick) à l’Opéra Italien. 
Même ici il disposait d’un échiquier, et jouait durant tout le spectacle.
« La Norma » fut représentée durant notre première visite. La loge du Duc se trouvait à droite de la scène, si proche de celle-ci, qu'il était possible d'embrasser la prima donna sans difficulté.
 

La salle Ventadour - Théâtre Italien de Paris 
Il est facile de voir où se trouvait la loge...:-)

Le fauteuil de Morphy était dos à la scène, le Duc et le Comte Isoard lui faisant face. 
Cependant, il ne faut pas croire qu’il était installé confortablement. (…) comme je l’ai déjà dit (Morphy) était absolument passionné de musique (…). La partie commença et se poursuivit : ses adversaires avaient entendu la Norma si souvent qu’ils auraient sans doute pu chanter sans qu’on leur souffle les paroles. Ils ne l’écoutaient pratiquement pas, mais se querellaient l’un et l’autre à tous les coups. 

Source : Gallica
Madame Penco - Cantatrice - Atelier Nadar

Madame Penco, qui tenait le rôle de la prêtresse druidique, regardait avec insistance vers la loge, en se demandant quelle était la cause de cet enthousiasme, se disant que Caïssa était la seule Casta Diva qui importait pour les occupants de la loge.(...)"

Paul Morphy, the chess champion – Chapitre XII – Londres 1859 – Frederick Edge

Curieusement la célèbre partie de Morphy est donnée parfois comme ayant été jouée durant "Le Barbier de Séville", "Le mariage de Figaro" etc. Pourtant son secrétaire est parfaitement clair dans son livre et il n'y a pas de raison pour qu'il donne une fausse information.
Cette partie s'est jouée durant La Norma.

Ensuite sur le lieu il me semble qu'il n'y a aucun doute possible.
"La Norma" est un Opéra Italien et la représentation a donc eu lieu dans la salle Ventadour, c'est-à-dire l'Opéra Italien de Paris à l'époque.

Quant à la date, c'est un peu plus difficile et la consultation des journaux parisiens de l'époque donnent les représentations du 21, 23, 26 ou 30 octobre 1858.

La Presse - Source Gallica.
Ici l'exemplaire du vendredi 29 octobre 1858 annonçant le spectacle pour le lendemain.

Bon, voici la fameuse partie reproduite à l'infini.


[Event "Opéra Italien de Paris"] [Site "Salle Ventadour"] [Date "1858.10.??"] [Round "?"] [White "Morphy, Paul"] [Black "Duc de Brunswick et Comte Isoard"] [Result "1-0"] [ECO "C41"] 1. e4 e5 2. Nf3 d6 3. d4 Bg4 4. dxe5 Bxf3 5. Qxf3 dxe5 6. Bc4 Nf6 7. Qb3 Qe7 8. Nc3 c6 9. Bg5 b5 10. Nxb5 cxb5 11. Bxb5+ Nbd7 12. O-O-O Rd8 13. Rxd7 Rxd7 14. Rd1 Qe6 15. Bxd7+ Nxd7 16. Qb8+ Nxb8 17. Rd8# 1-0

Voici également le magnifique aria Casta Diva de La Norma.
J'aime particulièrement Anna Netrebko dans ce rôle.