mercredi 27 août 2025

Le tournoi d’échecs de l’exposition universelle à Paris en 1900

Il s'agit d'un tournoi d’échecs très particulier, révélateur des problèmes de l'époque du microcosme échiquéen français, comme nous allons voir.
 

Le Monde Illustré - 23 juin 1900. Collection personnelle. Curieusement il manque une partie des numéros du Monde Illustré sur le site Gallica pour l'année 1900. Par un heureux hasard j'en possède un exemplaire qui contient cette gravure du tournoi de Paris 1900, gravure que je n'ai jamais vue par ailleurs. Samuel Rosenthal est représenté sur la droite, assis sur une chaise.

Au XIXème siècle, la France a organisé 5 expositions universelles à Paris : 1855, 1867, 1878, 1889 et 1900. A chaque fois, des comités se sont formés pour organiser un tournoi d’échecs international.
L’idée d’un tel tournoi provenait de l’exposition universelle de Londres en 1851 et du 1er tournoi d’échecs international remporté par l’allemand Adolf Anderssen.

En 1855, Jules Arnous de Rivière attribue l’échec de l’organisation d’un tournoi d’échecs par l’attitude de Saint-Amant.  Voir une lettre qu’il a écrit à ce sujet et à laquelle j'ai consacré un article.
 
En 1867 l’enthousiasme est là, on parle même pour la première fois de réunir les joueurs français au sein d’une fédération. Paul Morphy est de passage à Paris et beaucoup caressent l’espoir de le voir jouer le tournoi, un vœu pieux. C’est le hongrois Ignatz von Kolisch qui remportera le tournoi.  
 
En 1878, nouvelle exposition universelle, et c’est le polonais Szymon Winaver qui le gagnera.

Puis arrive l’exposition de 1889. Nous sommes 5 ans après le déchirement des joueurs d’échecs français à l’occasion du match par correspondance entre Paris et Vienne en 1884. J’ai déjà eu l’occasion de discuter de cet incident regrettable qui privera pour plusieurs décennies la France d’une fédération de joueurs d’échecs.
 
Le tournoi de 1889 n’aura pas lieu. Après Saint-Amant en 1855, c’est Samuel Rosenthal qui œuvrera pour faire échouer l’organisation. Voir la série d’articles que j’ai consacrés à ce sujet :
 
 
Pour l’exposition de Paris 1900, c’est Samuel Rosenthal qui va s’occuper de l’organisation. Il souhaite sans doute montrer à ses ennemis, Jules Arnous de Rivière, Albert Clerc et bien d’autres, qu’il est capable lui d’organiser un tel tournoi ! Jules Arnous de Rivière restera curieusement assez discret durant cette période, contrairement à 1889. Peut-être une explication : il fait profil bas et œuvre à l’organisation d’un premier tournoi d’échecs international à Monaco, tournoi qui aura lieu en 1901.
 

Le Monde Illustré - 23 juin 1900. Collection personnelle.Détail - Samuel Rosenthal

La première trace que j’ai trouvée, concernant le tournoi de 1900, remonte à un article paru dans « Le Monde Illustré » du 21 janvier 1899. C’est Samuel Rosenthal qui y tient la chronique hebdomadaire d’échecs depuis de nombreuses années.

Puis toujours dans Le Monde Illustré, le 28 janvier 1899, on apprend qu’un comité s’est formé avec des membres du Grand Cercle situé 16 boulevard Montmartre, dont Samuel Rosenthal y est le directeur du jeu d’échecs. 10.000 francs sont déjà alloués au tournoi, et les souscriptions sont ouvertes, pour un montant minimum de 100 francs.
 

Le Monde Illustré - 21 janvier 1899 - Gallica
 
Comme pour le tournoi avorté de 1889, il me semble intéressant de faire une courte disgression concernant la situation des échecs en France en 1899. Et c’est un article de « La Stratégie » qui nous donne quelques détails :

♔ ♖ Nous n’avons pas à Paris un local convenable pour faire jouer un grand match, pour faire donner des séances aux grands maîtres et faire apprécier les beautés du noble jeu en mettant en évidence le vrai talent. Le Grand Cercle, le Cercle artistique et littéraire et plusieurs autres ont des installations luxueuses dont une petite partie est consacrée aux échecs, mais ce sont des Cercles fermés pour le grand public ; ce qu’ils font n’est que pour leurs propres membres et n’aide en rien à la propagation des Échecs. Ainsi, par exemple, le Grand Cercle va, l’année prochaine, consacrer une somme importante pour un tournoi international ; combien de parisiens, de provinciaux assisteront aux belles luttes qui auront lieu ? Ceux qui pourront ou voudront souscrire 100 francs…

D’autre part, les membres du Cercle Philidor, le plus important de Paris comme nombre, se réunissent dans la salle commune d’un Café, la faible cotisation ne permettant pas les frais d’un loyer. Bien des amateurs désirent la fondation d’un lieu de réunions, lequel, sans être absolument fermé, ni luxueux comme les grands cercles, fût confortable, non accessible sans présentation, mais pourrait donner des fêtes, suivant ses ressources, auxquelles tout le monde serait convié.

Le Café de la Régence aurait dû remédier, depuis longtemps, à l’état actuel des Échecs à Paris, en mettant à la disposition des joueurs, un local indépendant ; comme il ne semble pas disposé à le faire, un groupe d’amateurs va le tenter. La nouvelle réunion prend le titre : « Association Française des Échecs » ; le local choisi est 36, rue Richelieu, salle du 1er étage du Café Molière. Momentanément l’on se réunira les lundis, mercredis et samedis de 4 heures à 7 heures. La cotisation annuelle est fixée à 12 francs ; nous la trouvons un peu minime, mais probablement tout est encore provisoire et statuts et règlements définitifs ne seront discutés et adoptés que lorsque les adhérents seront assez nombreux.

Les adhésions doivent être adressées à M. L. Maurat, président provisoire, au Café Molière, 36, rue Richelieu.

 
Ainsi, « L’Association Française des Echecs » refait parler d’elle. 
Mais à vrai dire, ce sera vraiment de façon éphémère. Et il est difficile d’en trouver des traces après 1900.

Projetons nous un peu plus tard dans l’année 1899. Toujours dans « Le Monde Illustré » nous apprenons que Samuel Rosenthal s’est rendu en Angleterre pour faire la promotion de son tournoi auprès des participants du tournoi de Londres 1899. Tournoi remporté par Emanuel Lasker.

Si vous consultez la page Wikipedia (en anglais) du tournoi, vous pouvez constater que David Janowski prend la 4ème place du tournoi, sous la bannière de la France. Et vous pouvez également constater qu’il n’est pas mentionné dans les joueurs abordés par Rosenthal à l’occasion de son voyage. Peut-être est il inclus dans le mot « etc. » (voir ci-dessous) ? Nous verrons un peu plus loin que ce n’était pas un oubli…
 


 Le Monde Illustré - 22 juillet 1899 - Gallica
 
En février 1900, Jean Préti parle de  l’organisation du tournoi et relève plusieurs aspects étonnants. 
 
 
  

Merci à Dominique Thimognier de m’avoir communiquer plusieurs années complètes de La Stratégie.

Voici la transcription de l'article de La Stratégie de février 1900.

Tournoi international des Échecs du Grand Cercle de Paris

Le Monde Illustré vient de publier le programme du Tournoi international organisé par le Grand Cercle.
Il y aura six prix d’une valeur totale de 13.500 fr., et les quatre premiers recevront en plus un Vase de Sèvres, offert par M. le Président de la République. Le tournoi commencera le 15 mai, il sera à un tour, avec un maximum de vingt concurrents ; chacun doit verser une entrée de 100 fr. et 200 fr. de dédit qui seront restitués quand il aura joué toutes ses parties ; quatre parties par semaine, trente coups pour les deux premières heures et ensuite quinze coups par heure ; la première partie nulle ne comptera pas et devra être recommencée avec changement du trait.

Nous désirons que ce programme reçoive l’approbation des maîtres auxquels il est fait appel, mais nous doutons qu’ils accourent nombreux et avec enthousiasme, car il est loin d’être comparable aux dernières luttes étrangères. — Tournoi du Jubilé de S. M. l’Empereur d’Autriche et Tournoi de Londres 1899.

Pourquoi une entrée de 100 fr. ? Il est établi maintenant que lorsque l’on fait appel à des professionnels, il faut leur offrir une compensation. Aux précédents concours, à Vienne, par exemple : pour 19 concurrents il y a eu 11 prix valant 19.700 couronnes, à Londres, 15 concurrents, 10 prix valant 12.800 fr., plus le remboursement des frais de séjour. En ne payant pas un nombre restreint de prix, comme 25 ou 50 fr. à ceux qui n’ont pas triomphé, on les oblige à perdre une partie des frais de séjour et de voyage.

Or, nous pensons que les maîtres refuseront net, et, après avoir consenti aux prix offerts pour 100 fr., ils devront payer leurs frais eux-mêmes, comme amateurs, en temps de l’Exposition ! Pour des professionnels, cela ressemblerait même peu à une prime…

Pourquoi aussi 200 fr. de dédit ? À Vienne il n’a été demandé que 100 couronnes, à Londres 1,5 l.

Les prix sont de valeurs suffisantes, mais ils ne sont pas assez nombreux, parce que la souscription n’a pas marché ; en dehors des dons spéciaux du Grand Cercle et de M. le baron A. de Rothschild de Vienne, il n’a été recueilli que 3.400 fr., presque entièrement parmi les membres du Grand Cercle.

La cause de cette abstention totale du public français est le pouvoir omnipotent imposé de M. Rosenthal, comme directeur du Tournoi. Pour un tel rôle il faut une impartialité impeccable envers tous les concurrents et la confiance ne se commande pas. Déjà, en allant à Londres, faire signer aux concurrents l’engagement de venir à Paris, M. Rosenthal s’est adressé à tous, sauf à M. Janowski (!) qui depuis longtemps représente dignement la France dans les tournois Allemands, Anglais et Autrichiens.

Malgré les prix du Président de la République, ce tournoi n’a pas un caractère national : ce n’est pas Paris qui l’organise, mais seulement un groupe d’amateurs et c’est ce qui explique le titre sous lequel nous en donnerons des nouvelles… si nous pouvons.

Jean Préti, directeur de « La Stratégie » est pessimiste sur les joueurs qui viendront. Mais finalement, on peut le dire, ce sera un succès pour Samuel Rosenthal. Les meilleurs seront présents à quelques exceptions, dont Steinitz atteint de troubles mentaux et qui décèdera le 12 août 1900 à New-York.

Les souscripteurs proviennent essentiellement du Grand Cercle, dont les membres sont fortunés. Et vous pouvez voir l’attitude étonnante de Samuel Rosenthal vis-à-vis de David Janowski qu’il semble ignorer. 
Déjà, Jean Préti s’inquiète de ce qui risque être un tournoi privé. D’ailleurs les spectateurs ne pourront venir que s’ils ont déboursé la somme de 100 francs de souscription, une somme importante qui correspondait à peu près au salaire mensuel moyen d’un ouvrier en France à l’époque !
 
La liste des participants, au tournoi de Paris 1900, est publiée dans « La Stratégie » de mai 1900. On retrouve bien David Janowski, mais celui-ci jouera sous le drapeau de l’Empire Russe...
Rosenthal est français depuis une dizaine d'année, et ce n'est peut-être pas le cas de Janowski ? Un aspect à fouiller. Pourtant c'est lui qui représente la France dans les grands tournois...

 
Collection Dominique Thimognier 
 
Plus nous nous approchons de la date prévue pour le tournoi, plus les journaux français en parle. Par exemple dans « L’Écho de Paris » du 7 mars 1900


Retronews - L’Écho de Paris - 7 mars 1900 
 
Puis par exemple dans le journal « Le Temps » du 17 mai 1900. Le tournoi va commencer, le tirage au sort a été effectué.
 

 Retronews - Le Temps - 17 mai 1900 

Passons directement au mois de juin 1900 et un article de « Le Journal » du 27 juin 1900. Celui-ci s’étonne du peu de publicité pour le tournoi dans les journaux Français, tandis qu’à l’étranger une très large place était faire à ce tournoi dans les feuilles quotidiennes…C’est tout simplement Samuel Rosenthal qui distille les informations au fur et à mesure du tournoi. Il n’informe que ceux avec qui il s’entend bien à l’étranger en ignorant la presse Française. 

L'INTERNATIONAL DES ÉCHECS
au Grand Cercle de Paris

Le concours qui a pris fin lundi dernier au Cercle des échecs de Paris a eu, dans toute l'Europe et jusqu'en Amérique, un retentissement considérable. Des centaines de journaux ont tenu leurs lecteurs au courant des péripéties de la lutte. Nos voisins d'Allemagne et d'Angleterre ont fait dans leurs feuilles quotidiennes et dans leurs périodiques une très large place aux jeux sportifs dont les échecs sont le plus sérieux. Le jour viendra où l'on comprendra en France qu'il convient de mieux équilibrer les parts de publicité entre les exercices du plein air et les spéculations scientifiques. S'il est bon de savoir tirer du fusil ou exécuter des pirouettes, il n'est pas moins utile de fortifier chez les jeunes gens la puissance de concentration et les qualités maîtresses de la pensée logique et de l’intelligence active. Voilà ce que savent bien des nations. Et l'on est fondé à croire que les Français comprendront comme les autres peuples l’intérêt qu’il y a à faire vivre chez nous une science du jeu aussi sérieuse que celle des échecs. De fortes sommes, aujourd’hui, sont dépensées dans ce but.

Le tournoi de 1900 ne fut pas seulement une rencontre de maîtres ; il fut aussi un groupement d’une association vitale entre les bons éléments que possède notre pays.

Vingt années se sont écoulées depuis le dernier concours d’échecs à Paris. Le Grand Cercle vient de donner enfin avec beaucoup d’éclat et de succès une regrettable lacune et nous aurons, l’hiver prochain, à Monte-Carlo, un nouveau concours pour lequel les notabilités de l’échiquier se sont fait inscrire sans hésitation.

Le tournoi de 1900 a été pour Lasker l’occasion d’établir une fois de plus sa supériorité. Il a remporté le premier prix comportant un beau vase de Sèvres offert par le Président de la République et une allocation de 5.000 fr. L’Américain Pillsbury, si célèbre par ses performances du jeu sans voir, est arrivé second. Maroczy (de Vienne) et Marshall, le Canadien, ont reçu ex æquo les troisième et quatrième prix. Après eux, le champion anglais Amos Burn, puis Tchigorin, le grand maître russe.

Mieses (de Leipzig) s’est adjugé un prix spécial donné par M. le baron Albert de Rothschild pour récompenser la partie la plus brillante.

À l’issue du tournoi, un vote de remerciements a été émis par les hôtes du Cercle de Paris, dont les somptueuses générosités et l’hospitalité pleine de courtoisie ont charmé les concurrents et tous les visiteurs.


La réaction de Jean Préti dans « La Stratégie » de juin 1900 est cinglante : « Chez nous la propagande se fait par le silence ».
 

 
 
 
 





En cas de partie nulle, une seconde partie était immédiatement rejouée en inversant les couleurs.
Cette seconde partie attribuait le résultat définitif. Ceci explique les « n » dans le tableau (1ère partie nulle).

En 1937 Lasker, vainqueur de ce tournoi de Paris, va publier un livre très intéressant dans lequel il décrira de nombreux épisodes de sa carrière échiquéenne. Ce livre s’intitule « Comment Victor est devenu un maitre d’échecs » et je lui ai consacré un article. Nous suivons les aventures de Victor (personnage fictif du livre, qui n’est autre que Lasker). Emanuel Lasker dresse un portrait très critique de Samuel Rosenthal directeur des échecs au Grand Cercle.
 

 Le Monde Illustré - 23 juin 1900. Collection personnelle. Portrait d'Emanuel Lasker, champion du Tournoi international d'Echecs

Le Cercle ne sert pas à développer les échecs. Telle est la conclusion de Victor, après sa visite au Cercle.

En 1901, Samuel Rosenthal publiera le livre du tournoi de Paris 1900. La seule photo qui s’y trouve est celle de Samuel Rosenthal ! (Il décèdera le 12 septembre 1902).
 
Les photos ci-dessous proviennent de l'exemplaire du livre du tournoi de Paris 1900 de Jean Mennerat.
Livre consultable à Belfort au fonds Mennerat.
 
* La seule photo du livre, celle de Samuel Rosenthal
* La dédicace de Samuel Rosenthal à un certain Monsieur Malmanche 
* Un extrait du texte en vers en l'honneur du tournoi et de Rosenthal 
* La signature de Jean René Mennerat - 26 août 1940 






 









Le tournoi d'échecs de Paris 1900 était quand même un évènement sportif d'importance. Plusieurs évènements annexes se déroulèrent durant l'exposition universelle. On peut citer par exemple la simultanée donnée par Pillsbury.
 
Je termine avec la partie Mieses - Janowski qui remporte le prix de beauté du tournoi de Paris 1900.
Partie commentée par Samuel Rosenthal dans Le Monde Illustré du 21 juillet 1900.

 
 
 
[Event "Paris"] [Site "?"] [Date "1900.06.12"] [Round "?"] [White "Mieses, Jacques"] [Black "Janowski, David"] [Result "1-0"] [ECO "C27"] [Annotator "Samuel Rosenthal"] [PlyCount "71"] {Commentaires de Samuel Rosenthal pour Le Monde Illustré du 21 juillet 1900. "Jouée le 12 juin 1900 au Grand Cercle, dans le tournoi international, entre MM. Mieses et Janowski. Cette partie a obtenu le 1er prix de 500 francs offert par le baron Albert de Rothschild, de Vienne, à la plus belle partie du tournoi." Partie Viennoise} 1. e4 e5 2. Nc3 Nf6 ({Ainsi que nous l'avons dit à plusieurs reprises, le coup juste est} 2... Nc6 3. f4 exf4 {pour la suite voir nos analyses données sur ce début.}) 3. Bc4 Bc5 ({Nous aurions préféré} 3... Nxe4 4. Qh5 (4. Bxf7+ Kxf7 5. Nxe4 d5 6. Qf3+ Kg8 7. Ng5 Qd7 { etc. mieux}) 4... Nd6 5. Bb3 Nc6 6. Nb5 g6 7. Qf3 Nf5 8. Qd5 Nh6 9. d4 d6 10. Bxh6 Be6 {etc. mieux}) 4. d3 d6 5. f4 Nc6 (5... Ng4 6. f5 h5 ({Si} 6... Nf2 7. Qh5 g6 8. Qh6 Nxh1 9. Qg7 {etc. et gagnent}) 7. Nh3 Qh4+ 8. Kf1 {etc. mieux}) 6. f5 Na5 7. Qf3 c6 8. g4 h6 (8... h5 9. g5 Ng4 10. Nh3 {etc. mieux}) 9. h4 b5 10. Bb3 Nxb3 11. axb3 h5 12. gxh5 Nxh5 13. Nge2 Qb6 14. Ng3 Nf6 15. Bg5 Bb7 16. h5 Nh7 17. Bd2 O-O-O 18. h6 g6 19. O-O-O Rhg8 20. fxg6 fxg6 21. Rdf1 Kb8 22. Qf7 Rh8 ({Si} 22... Qc7 23. Qxc7+ Kxc7 24. Rf7+ Rd7 25. Rhf1 Rgd8 26. Rg7 { et gagnent}) 23. Qxg6 Rdg8 24. Qg7 {Très joli coup qui termine brillamment la partie} Bc8 (24... Rxg7 25. hxg7 Rg8 26. Rxh7 {etc. et gagnent}) 25. Nf5 Bxf5 26. Rxf5 Bb4 27. Kb1 Bxc3 ({Si} 27... Rxg7 28. hxg7 Rg8 29. Rf7 ({Si} 29. Rxh7 Qg1+ 30. Ka2 Rxg7 {défendrait la partie}) 29... Nf6 30. Rh8 {et gagnent}) 28. bxc3 Nf8 29. Rhf1 Ng6 30. Qd7 Rd8 ({Si} 30... Qc7 31. Qxc7+ Kxc7 32. Rf7+ Kb6 33. Be3+ c5 34. R1f6 {et gagnent}) 31. Qe6 Nf4 32. Bxf4 exf4 33. R5xf4 Qc5 34. Rf7 Qg5 35. Rf8 Qc5 (35... Rhxf8 36. Rxf8 Rxf8 37. Qxd6+ {et gagnent}) 36. Qe7 1-0

mercredi 30 juillet 2025

Visite de l’exposition « Philidor enfant de Dreux »

Le weekend dernier je me suis rendu à Dreux pour voir l’exposition consacrée à Philidor au musée d’Art et d’Histoire de la ville. Cette exposition est accessible du 23 mai 2025 au 7 septembre 2025.
 
A cette occasion j’ai rédigé un article pour le site de la FFE consacré aux évènements du tricentenaire de la naissance de Philidor. Comme je l’y indique, il est curieux de fêter ce tricentenaire un an avant l’année effective (Philidor est né le 7 septembre 1726 à Dreux) ! Mais bon il est également prévu d’autres évènements pour l’année 2026.
 
Voici donc un reportage consacré à cette exposition.
 
Il y a dix ans déjà je m'étais rendu à Dreux. J'avais pu voir, sans y entrer car c'est une propriété privée, la maison natale de Philidor. 
Il existe forcément une rue Philidor à Dreux. Vous remarquerez le blason de la ville qui ressemble à un échiquier.
 

La rue Philidor à Dreux. Il me semble que la maison, à droite de la tour, est celle de Philidor.
 
 
 
Le musée d'Art de d'Histoire de Dreux, accessible gratuitement.  



L'entrée de la salle du musée consacrée à l'exposition sur Philidor.
A vrai dire je pensais que l'exposition serait un peu plus importante.
Mais ne boudons pas notre plaisir, il est très rare de voir une telle exposition.
 
 
La salle de l'exposition sur Philidor.
 

Le buste de Philidor par Augustin Pajou ami de Philidor, vers 1773.
Un autre exemplaire se trouve au musée Carnavalet à Paris.
A noter que la plupart des objets exposés proviennent de la collection privée des descendants de Philidor.
Je vous conseille la lecture de l'entrevue de Dany Sénéchaud (décédé en 2019) à ce sujet.  
 
 
Une vitrine contient deux registres. Sur un des registres il est possible de voir l'acte de baptême de Philidor, et sur l'autre l'acte décès de son père. 
Voici la transcription du texte du baptême de Philidor
 
« L’an mil sept cent vingt-sept, le jeudi seizième octobre, 
François André, né le septième de septembre de l’année 
mil sept cent vingt six, et baptisé par moy, prestre curé de cette 
église, en l’église de Saint-Étienne dudit Dreux, avec la permission 
de Monseigneur l’évêque de Chartres, le premier septembre 
de la dite année mil sept cent vingt six, signé Charles François 
évêque de Chartres avec paraphe, du légitime mariage de sieur André Danican de Philidor, 
ordinaire de la musique du Roy et garde de sa bibliothèque, et de damoiselle 
Élisabeth le Roy sa femme, de cette paroisse, a reçu les cérémonies 
de baptême de moy prestre curé de cette Église, soussigné, le parrain 
haut et puissant seigneur messire François Chaillou, seigneur 
de Jouville, gentilhomme ordinaire du Roy, qui a donné les noms, la marraine 
haute et puissante dame Catherine Guille Parat, qui a signé 
le sieur parain et père et mère.
C. Guille Parat, André Danican Philidor, Chaillou de Jouville, Chevalier et Élisabeth Philidor »



Acte de décès du père de Philidor, le 11 août 1730.

« Mort le vendredi onzième août 1730
Le sieur André Danican de Philidor, ordinaire de la musique
du Roi et garde de la Bibliothèque, décédé d’aujourd’hui
entre minuit et une heure, âgé de soixante et dix-huit ans ou
environ, après avoir reçu les sacrements de l’Église, a été inhumé
dans l’église de cette paroisse, en présence de messieurs les prêtres de ladite Église. (...) »
 
Trois beaux portraits sont visibles dans cette exposition.
Tout d'abord le portrait du père de Philidor dit Philidor l'Ainé. Huile sur toile, auteur anonyme.

 
Anonyme, huile sur toile.
André Joseph Hélène Danican Philidor, dit le Beau Philidor (1762 - 1845), fils de Philidor.
 
Voici un extrait de la revue Le Palamède 1847 - Biographie de Philidor par son fils ainé (celui du tableau ci-dessus, décédé en 1845) - page 6 et 7

« (...) il rentrait un soir chez lui au moment où deux de ses enfants de quatorze à seize ans essayaient leur force aux Échecs. Il jeta un coup d’œil sur leur partie et la suivit pendant deux ou trois coups : 
- Nos enfants, ma chère amie, dit-il à sa femme, sont parvenus à faire de ce jeu-là un jeu de hasard. (…)  »  
 

Anonyme, huile sur toile.
Claude Frédéric Danican Philidor (1766 - 1821), fils de Philidor. 

 

Dans une autre vitrine se trouve un exemplaire de son célèbre livre L'analyse des échecs.
Il est indiqué 1749. S'agit-il d'un exemplaire de la première édition ? Ou bien est-ce une copie comme il en existait de nombreuses à l'époque ?
D'ailleurs je m'interroge : le manuscrit du livre de Philidor existe-t-il toujours (disons d'une des trois éditions) ? 
 
Le livre ouvert correspond probablement à celui ci-dessous et qui contient l'intégralité de la correspondance connue de Philidor.
 

Indispensable à qui souhaite approfondir sa connaissance de Philidor.
Ce livre est paru en 1995 et on peut le trouver sur internet.
 
 
Deux petits portraits par Charles-Nicolas Cochin (1715-1790).
Mine graphite 
Celui de gauche représente Philidor et celui de droite, son épouse, Angélique Henriette Élisabeth Richer (1741-1809). 
 

L'échiquier pliable et personnel de Philidor.
Il me semble que le Roi et la Dame sont intervertis.
 
Mais il ne faut pas oublier la deuxième facette de Philidor...
Philidor musicien. Le mur et la vitrine du fond y sont consacrés.
 

 

Louis-René Boquet (1717-1814) 
Personnages en costume pour Ernelinde, tragédie lyrique en 3 actes sur une musique de Philidor.
 

Tom Jones, opéra comique en 3 actes de Philidor.

Voilà, c'est tout pour cette exposition.

samedi 5 juillet 2025

Genèse des idées échiquéennes de François-André Philidor

En 2026, nous fêterons le tricentenaire de la naissance de Philidor, et sa ville natale, Dreux, organisera plusieurs évènements. Et ce sera l'occasion pour moi de publier plusieurs articles sur Philidor.
 
Dans ce présent article je souhaite mettre en lumière le travail remarquable d'un jeune Maître International, Benjamin Defromont, également étudiant en philosophie. Il s'agit de son mémoire de Master 2 au sujet de Philidor intitulé "Genèse des idées échiquéennes de François-André Philidor : L’Analyse des échecs à la lumière des théories ramistes". 
 
Benjamin, que je remercie, m'a autorisé à le publier sur mon blog, et je le mettrai très prochainement à disposition sur le site de la FFE. Vous trouverez donc dans cet article un résumé du travail de Benjamin, une entrevue et le texte intégral de son mémoire (à la fin de cet article), qui contient des documents inédits concernant Philidor. 
 
Benjamin Defromont en mai 2023 à Gournay-en-Bray
quand il réalisa sa 2ème norme de MI 
 

Résumé du mémoire

Benjamin Defromont, jeune Maître International, a soutenu le 30 juin 2023 à la Sorbonne Université, un mémoire de Master 2 en musicologie, intitulé "Genèse des idées échiquéennes de François-André Philidor : L'Analyse des échecs à la lumière des théories ramistes".

Le mémoire explore la vie et les contributions de François-André Danican Philidor, compositeur et joueur d'échecs français du XVIIIe siècle, en mettant l'accent sur ses idées révolutionnaires concernant les échecs et leur possible lien avec les théories musicales de Jean-Philippe Rameau. Le mémoire est structuré en plusieurs chapitres qui couvrent la biographie détaillée de Philidor, ses voyages, sa carrière musicale, ses idées sur les échecs, et une analyse des influences possibles sur sa pensée, notamment les théories de Rameau.

Benjamin Defromont examine plusieurs hypothèses pour expliquer la genèse des idées échiquéennes de Philidor, notamment l'influence des traités d'échecs précédents, le jeu de dames, la partie des pions inventée par le Sire de Le Gall, et les théories musicales de Rameau.

Le mémoire inclut également des annexes contenant des documents d'archives, des actes d'état civil, et des partitions musicales. L'objectif principal de Benjamin Defromont est de déterminer comment les théories de Rameau ont été portées à la connaissance de Philidor et quel a été leur impact sur sa pensée échiquéenne, tout en explorant d'autres hypothèses pour comprendre la genèse des idées de Philidor.

En résumé, ce mémoire offre une étude approfondie de la vie et de l'œuvre de Philidor, en mettant en lumière les intersections possibles entre la musique et les échecs, et en explorant les influences théoriques qui ont façonné ses idées. Il s'agit d'une contribution significative à la compréhension de l'héritage culturel et intellectuel de Philidor.

Retrouvez le texte intégral du mémoire à la fin de cet article

Entrevue avec Benjamin Defromont

Jean Olivier Leconte - Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Benjamin Defromont - Je m’appelle Benjamin, j’ai 22 ans, je suis maître international. J’exerce en tant qu’entraîneur d'échecs en parallèle de mes études, et je m’intéresse également à l’arbitrage et à la composition et la résolution de problèmes. À tous les aspects du jeu d’échecs, en somme ! 

JOL - Qu'est-ce qui t'a inspiré à choisir ce sujet de mémoire sur François-André Danican Philidor et ses idées échiquéennes ?
BD - À vrai dire, je n’en sais rien ! J’avais déjà travaillé sur Philidor dans le cadre de mon prix d’histoire de la musique au C.R.R. de Lille (NDA : CRR - Conservatoire à Rayonnement Régional), et j’imagine que j’ai voulu approfondir quelque peu mes recherches. Quant à ce qui m’a amené à Philidor en premier lieu… mais ce n’est sans doute pas si fréquent de tomber sur un joueur et un théoricien des échecs de premier plan, qui occupe également une place de choix dans l’histoire de l’opéra français ! 

JOL - Peux-tu nous parler du processus de recherche que tu as suivi pour ce mémoire ? Quelles ont été tes principales sources d'information ?
BD -
Comme c’est presque toujours le cas en sciences humaines, la plus grande partie de mon travail a consisté en l’établissement et à la lecture d’une bibliographie. En outre, puisque mon sujet était avant tout axé sur l’histoire, je me suis fréquemment rendu aux archives de Paris, pour y consulter des documents d’époque. J’ai été le premier surpris de voir que je pouvais passer des heures dans les minutes [sic] de notaire ! 

JOL - En quoi les contributions de Philidor aux échecs et à la musique sont-elles toujours pertinentes aujourd'hui, selon toi ?
BD - En ce qui concerne les échecs, je dirais que la réponse est simple : c’est Philidor le premier qui a compris l’importance d’avoir un objectif stratégique à long-terme. Si la construction d’un plan nous semble aujourd’hui évidente (pas dans mes propres parties, malheureusement), c’est en quelque sorte grâce à lui. Je tiens aussi à ajouter qu’il est le premier, longtemps avant l’avènement de la génération de joueurs professionnels emmenée par Steinitz et Zukertort, à avoir cherché les principes du jeu, et à avoir voulu analyser celui-ci de façon scientifique.

Pour ce qui est de la musique, les choses sont un peu plus compliquées. Le fait qu’il y ait davantage de musiciens que de joueurs d’échecs fait qu’une discipline évolue plus vite que l’autre, et comme Philidor n’a pas laissé d’écrits théoriques sur la musique, son influence n’est plus très prégnante aujourd’hui. En fait, le Drouais fait partie des nombreux compositeurs qui ont été un peu laissés de côté par les historiens, ce qui ne veut pas dire pour autant que ses œuvres ne sont pas intéressantes ! Certains livrets qu’il a mis en musique sont même très actuels. Ce n’est pas pour rien que Julie Depardieu a consacré il y a quelques années une chronique sur France Musique aux Femmes vengées, l’un des plus grands succès du compositeur.
 
François-André Danican Philidor 
Portrait gravé (1772) par Augustin de Saint-Aubin d'après Charles-Nicolas Cochin. 
 
JOL - Quelles ont été les découvertes les plus surprenantes lors de tes recherches sur Philidor ?
BD - Sans hésiter, sa personnalité ! Avant de m’intéresser à Philidor, je ne connaissais de lui que quelques éléments biographiques, une ou deux parties, et les grandes lignes de ses théories échiquéennes. Au fur et à mesure de mes recherches, j’ai découvert un homme non seulement pétri de talent, mais aussi amical, généreux, sensible, et, si tant est que cela veuille dire quelque chose, profondément humain. De façon générale, apprécier la personne sur qui l’on travaille nous donne envie de redoubler d’efforts (excepté dans certaines professions, comme tueur à gages, par exemple), même s’il faut toujours veiller à garder une certaine distance critique vis-à-vis de son objet d’étude. 

JOL - Philidor était à la fois un compositeur renommé et un joueur d'échecs exceptionnel. Comment parvenait-il à concilier ces deux activités ?
BD - Philidor a toujours considéré la musique comme son activité principale, sa vraie profession, en quelque sorte. Les échecs étaient pour lui avant tout un passe-temps, un « objet d’amusement sérieux » pourrait-on dire. Durant ses voyages de jeunesse, cependant, et plus tard, à partir des années 1770, c’est pourtant bien le Noble Jeu qui a pris le pas sur la musique, mais pas tant par intérêt intellectuel que par intérêt financier. À l’époque, sans assurance, sans retraite et sans revenu fixe, les compositeurs qui n’avaient pas eu la chance de trouver une place à la cour, ou au service de l’Église ou de l’aristocratie vivaient en effet dans la plus grande précarité, et c’est donc vers les échecs que Philidor a été forcé de se tourner pour assurer la subsistance de sa famille.
 
JOL - Comment les théories musicales de Rameau ont-elles pu influencer la pensée échiquéenne de Philidor ?
BD - Excellente question ! J’ai travaillé sur le sujet il y a deux ans déjà, et j’ai bien peur que ma mémoire me fasse défaut…. heureusement qu’il y a un autre type de mémoire auquel se rapporter ! 
 
Jean-Philippe Rameau.
Portrait attribué à Joseph Aved (1702-1766)
Musée des beaux-arts de Dijon.

 
JOL - Philidor est souvent considéré comme un pionnier des échecs modernes. Selon toi, quelle est sa contribution la plus marquante à ce jeu ?
BD - Philidor a été le premier a véritablement tenter d’analyser les échecs. Il a été le premier à étudier un certain nombre de finales encore importantes aujourd’hui pour la théorie. Il a été le premier à se pencher en détail sur le Gambit Dame. Il a été le premier à comprendre l’importance de l’avantage d’espace et la valeur relative du matériel, même dans des positions fermées - là où Greco s’était cantonné aux positions ouvertes. Bref, il n’a été ni plus ni moins qu’un pionnier, qui a fait progresser le jeu dans toutes ses phases. Le plus important d’après moi se situe cependant ailleurs, dans la cohérence qui existe entre sa théorie et l’application qu’il en fait. Pour le dire autrement, Philidor a logicisé le jeu d’échecs. 
 
JOL - J'ai vu qu'actuellement tu étais en thèse à l'université de Lille avec comme thème "La beauté aux échecs". peux-tu nous en parler ?
BD - Mon mémoire sur Philidor a été réalisé dans le cadre d’un master en musicologie, mais je suis avant tout un étudiant en philosophie, et mon doctorat s’inscrit dans cette dernière discipline. J’avais, durant mes deux années de master, travaillé sur la pantomime dans l’œuvre de Diderot, et j’ai voulu rester dans le champ de l’esthétique. Au vu de mon intérêt pour la composition échiquéenne, le sujet s’est presque imposé de lui-même.

Je ne vais pas rentrer dans le détail ici, mais la première étape de mon travail a consisté à choisir la définition de la beauté que j’allais défendre, pour ensuite montrer comment elle pouvait s’appliquer aux échecs. Pour le moment, je suis assez satisfait du résultat, et, si tout se passe bien, je devrais soutenir ma thèse en juin 2026. Comme je le dis souvent aux élèves de mon cours d’histoire des échecs, il y a de nombreuses façons de s’intéresser à notre jeu : à travers les parties par correspondance, la composition, la résolution, l’arbitrage, etc.. 
 
Tous ces domaines sont autant de facettes des échecs, qui, selon moi, ne devraient pas être éclipsées par le jeu à la pendule. De ce point de vue, je regrette que les fédérations nationales ne communiquent pas davantage sur la diversité de ces pratiques, et j’espère que mes recherches permettront de mettre en évidence le caractère pluriel des échecs, et de faire découvrir de nouveaux aspects du jeu à un public qui n’en aurait peut-être jamais entendu parler autrement.
 
Merci Benjamin ! 

 

samedi 21 juin 2025

Comment Philidor apprit à jouer aux échecs

L’année 2026 marquera le tricentenaire de la naissance de François-André Danican Philidor à Dreux. Sans aucun doute, il fut l’un des joueurs d’échecs les plus influents de l’histoire. À cette occasion, je publierai plusieurs articles consacrés à cette figure majeure du XVIIIe siècle.


Je l’ai déjà mentionné par le passé, mais selon moi, l’un des ouvrages de référence sur Philidor demeure celui de Sergio Boffa. D'autres publications méritent d’être citées, notamment Philidor, musicien et joueur d’échecs, paru en 1995. Plus récemment, on peut saluer l'excellent mémoire de Master 2 soutenu à Paris-Sorbonne en juin 2023 : Genèse des idées échiquéennes de François-André Philidor, rédigé par le jeune Maître International Benjamin Defromont.

Revenons à Philidor lui-même. Nous sommes aux alentours de 1736. Âgé d’une dizaine d’années, le jeune François-André est alors page de la Musique du Roi, chantant dans les chœurs de la Chapelle royale de Versailles.

Voici comment son fils aîné, André-Joseph-Hélène Philidor (1762–1845), raconte ses débuts au noble jeu (témoignage rapporté par Jules Lardin dans Philidor peint par lui-même, Paris, 1847) :

« Les musiciens, en attendant la messe du Roi, avaient l’habitude de jouer aux échecs sur une longue table où étaient incrustés six échiquiers.

Philidor s’amusait à les regarder, et y mettait toute son attention. Il avait à peine dix ans, qu’un jour un vieux musicien, arrivant le premier, se plaignait devant lui du retard de ses camarades, et regrettait de ne pouvoir faire sa partie.

Philidor, en hésitant, lui propose de la faire. Le musicien se met à rire, mais finit par accepter.
La partie commence, et l’étonnement succède bientôt au dédain qu’inspirait le jeune adversaire ; la partie avance, et l’humeur ne tarde pas à s’en mêler. Elle monte à un tel point que l’enfant, craignant quelque suite malencontreuse d’un amour-propre profondément blessé, regarde la porte, suit le cours de ses succès, se glisse doucement jusqu’au bout de son banc et s’enfuit en avançant la pièce victorieuse, en criant : “Mat !” à son adversaire indigné de n’avoir pas des jambes assez lestes, et obligé de dévorer son dépit sans pouvoir se venger.

Dès le lendemain, c’était à qui ferait sa partie avec lui. »

Mais une question demeure : comment Philidor a-t-il appris à jouer aux échecs ?

La tradition veut que ce soit en observant ces musiciens pendant les longues attentes. Mais Sergio Boffa propose une autre hypothèse, tout aussi fascinante.


André Danican Philidor, Philidor l'ainé, père de Philidor

En 1700, le père de François-André, André Danican Philidor — dit « Philidor l’aîné » —, présente au roi Louis XIV une mascarade intitulée Le Jeu d’échecs (voir le texte à la fin de cet article - Google Book). Sergio Boffa écrit à ce sujet :

« Nous pouvons donc penser qu’il connaissait les rudiments du jeu, et il est possible — mais ce n’est qu’une hypothèse — qu’il en ait enseigné les règles à son très jeune fils. Cela aussi permettrait d’expliquer l’incroyable précocité du jeune Philidor. »

Rappelons que le père de Philidor meurt le 11 août 1730, à l’âge de 78 ans. Son fils n’a alors pas encore quatre ans. Aurait-il appris à jouer aussi jeune, peut-être sur les genoux de son père ? L'idée n'est pas invraisemblable.

Ce n’est pas sans rappeler les débuts précoces d’un autre prodige des échecs : José Raúl Capablanca. Le futur troisième champion du monde raconte lui-même :

« Je me souviens clairement de ma première découverte d’une partie d’échecs. Je venais de fêter mon quatrième anniversaire. (...) » Munsey’s Magazine, juin 1916

« Jusqu’ici, je n’avais jamais assisté à une partie : les pièces m’intéressaient, et le jour suivant, je suis revenu en spectateur. Le troisième jour, alors que j’observais la partie, mon père, un amateur sans grand talent, déplaça son Cavalier d’une case blanche vers une autre case blanche. Son adversaire, manifestement pas meilleur, ne le remarqua pas.

À la fin, mon père gagnait la partie. Je me mis à rire et l’accusai d’avoir triché. Après une brève remontrance — j’ai failli être expulsé de la pièce — je lui montrai l’erreur. Il répondit que c’était impossible, car je ne savais même pas placer les pièces. Nous avons joué… et j’ai gagné. C’était mes débuts aux échecs. » My Chess Career, 1920


À notre époque, les cas de précocité ne manquent pas non plus. Citons, par exemple, le jeune prodige russe Roman Shogdzhiev (Роман Шогджиев), qui vient d’obtenir le titre de Maître International, avec un classement Elo de 2402 au 1er juin 2025…
 
 
 
 
 
 
Le Jeu d'Échecs, mascarade mise en musique par Mr Philidor l'aîné, Ordinaire de la Musique.
Représentée devant le roi à Marly le 19 février 1700 
A PARIS
Par Christophe Ballard, seul imprimeur du Roi pour la Musique, rue Saint-Jean de Beauvais, au Mont-Parnasse. 
1700
Par exprès commandement de Sa Majesté.


LE JEU D'ÉCHECS, MASCARADE
PREMIÈRE ENTRÉE

Après la Marche & Ouverture, le premier qui paraît,
c’est l’Échiquier, représenté par un Homme habillé
en Pantalon, tout garni d’Échiquiers devant, derrière,
sur les manches & les cuisses ; & pour coiffure c’est un
Carton fait en forme de Trictrac.
L’ÉCHIQUIER
Héritier des plus vaillants Héros,
J’amuse leur repos
Par une image de la Guerre.
Heureux, heureux le Potentat,
Qui peut malgré toute la Terre,
À ses fiers Ennemis donner Échec & mat.
CHŒUR
Heureux, heureux le Potentat,
Qui peut malgré toute la Terre,
À ses fiers Ennemis donner Échec & mat.

 

 

SECONDE ENTRÉE
Comme le Jeu d’Échecs s’ouvre ordinairement par les Pions du Roi & de la Reine, sitôt que l’Échiquier
aura cessé de chanter, l’on verra danser quatre petits
Pions, représentés par quatre Enfants, deux vêtus de
blanc & deux de noir ; deux Garçons pour les Pions
du Roi, deux Filles pour ceux de la Reine ; Garçon &
Fille blancs, Garçon & Fille noirs, coiffés d’un Bourrelet ;
L’Habit des Garçons en Pantalon & les Filles en
Jupes rondes, tenant un peu du Vertugadin : Ils
dansent au son des Flûtes.
TROISIÈME ENTRÉE
Un Héraut d’Armes qui précède les Chevaliers chante pour eux ces paroles :

Nul obstacle opposé n’arrête ma victoire,
J’entre & perce partout, & me vois tout soumis,
Le nombre de mes Ennemis
Ne sert qu’à redoubler ma gloire.
CHŒUR
Le nombre de mes Ennemis
Ne sert qu’à redoubler ma gloire.





QUATRIÈME ENTRÉE
Après que le Héraut a chanté, les deux Chevaliers se mettent en mouvement pour la Danse :
Ils paraissent montés sur des Chevaux, l’un blanc & l’autre noir,
l’un vêtu de noir avec l’Écu noir chargé d’une Fleur-de-Lys blanche ;
& l’autre blanc avec l’Écu blanc chargé d’une Fleur-de-Lys noire ;
& dansent au son des Hautbois.
CINQUIÈME ENTRÉE
Momus, vêtu fantasquement & précédant les Fous,
vient chanter pour eux ces paroles :
MOMUS
Sages, qui méprisez & vos Ris & vos Jeux,
Vous avez vos Plaisirs, mais nous avons les nôtres,
Et les plus fous ne sont pas ceux
Qui vivent aux dépens des autres.
CHŒUR
Et les plus fous ne sont pas ceux
Qui vivent aux dépens des autres.



SIXIÈME ENTRÉE
Après Momus paraissent deux Fous, habillés à la manière que les Fous sont peints ; c’est-à-dire, en Pantalon de deux couleurs tout rempli de grelots,
& le Bonnet finissant en corne houppée, tenant à la main des Marottes grelottées ou des Tambours de Basque ; l’un sera vêtu de rouge & violet, & l’autre de jaune & vert : Ils danseront au son des Hautbois & Tambours de Basque.

SEPTIÈME ENTRÉE
Cybèle, avec ses Tours sur la tête, précède la Marche des Tours & chante :
CYBÈLE
Mille Tours, mille Forteresses
Contre ton bras puissant ont en vain combattu,
Leur chute a montré leurs faiblesses,
Et ton invincible vertu.
Mille Tours, mille Forteresses
Contre ton bras puissant ont en vain combattu.
CHŒUR
Mille Tours, mille Forteresses
Contre ton bras puissant ont en vain combattu.

HUITIÈME ENTRÉE
Ce chant cessé, deux Tours paraissent, représentées par deux grosses Femmes vêtues d’une espèce de maçonnerie,
l’une d’or & l’autre d’argent, & pour coiffure
des chapiteaux de Tours : Elles danseront d’une manière grave au son des Bassons.

NEUVIÈME ENTRÉE
Enfin, pour dernière Entrée paraissent les deux Rois & les deux Reines, vêtus royalement ;
deux de couleur d’or & deux de couleur d’argent :
Le Roi d’argent chantera avec la Reine d’or.
LE ROI & LA REINE
Plus on nous voit dans la gloire suprême,
Plus de Jaloux
S’élèvent contre nous ;
Heureux qui porte un Diadème ;
Mais pour le bien porter
C’est Vous, Grand Roi, qu’il faut seul imiter.
CHŒUR
Heureux qui porte un Diadème ;

Mais pour le bien porter
C’est Vous, Grand Roi, qu’il faut seul imiter.


Après ce chant, le Roi d’or danse avec la Reine d’argent, ou tous quatre ensemble ; et après leur danse, le Chœur répète encore :
CHŒUR
Heureux qui porte un Diadème ;
Mais pour le bien porter
C’est Vous, Grand Roi, qu’il faut seul imiter.
FIN