vendredi 12 avril 2024

Les revues d'échecs Françaises

C'est une excellente idée qu'ont eu Thierry Lafargue et Bernard Montangerand de mener une recherche sur les revues d'échecs Françaises.
Il manquait une synthèse indispensable à qui s'intéresse à l'histoire du jeu d'échecs en France, et leur catalogue comble cette lacune.

"Les revues d'échecs Françaises, Catalogue des principales revues, du Palamède à Europe Échecs."
Cette première édition date de mars 2024, et le catalogue n'a été tiré qu'à 50 exemplaires.

Précipitez-vous pour l'acquérir auprès des auteurs Thierry Lafargue et Bernard Montangerand, ou bien auprès d'Alain Barnier président de l'association Thèméchecs qui a soutenu ce beau projet. 
 
Voici quelques morceaux choisis, et un complément possible pour une deuxième édition :-)

La couverture du catalogue

La quatrième de couverture.

Table des matières

Table des matières (suite...)

 
Table des matières (...et fin)

Une revue classique 

 
L'échiquier d'Aix, revue très difficile à trouver.
Il est possible de la consulter au fonds Mennerat à Belfort.

Le courrier des échecs, revue des joueurs d'échecs par correspondance.
J'ai pratiqué cette forme du jeu d'échecs pendant plus de 10 ans... juste avant l'apparition de l'ordinateur.
Et je garde une certaine sympathie pour cette revue.

J'aimais beaucoup cette revue des années 80 dont je possédais tous les numéros.
Malheureusement, un problème aquatique a détruit ma petite collection il y a quelques années...

Une revue récente et malheureusement défunte après quelques numéros.
Difficile de concurrencer internet.

Un bulletin rare d'une grande association.

A nouveau une revue très rare.
L'ensemble de la collection de "La renaissance échiquéenne" est consultable à Belfort au fonds Mennerat.
Et comme l'indique Thierry Lafargue : "Le n°13 est très rare. Le seul que j'ai pu consulter est celui du fonds Mennerat"
 
En complément, hors catalogue...

Le bulletin du cercle d'échecs parisien "Astarté".
Ce bulletin date des années 1930. Dominique Thimognier - Héritage des échecs Français - a pu le consulter, je vous laisse deviner où... sans surprise à Belfort, au fonds Mennerat, d'où il m'a envoyé les photos qu'il a faites du bulletin.
Ce bulletin pourra apparaitre dans une deuxième édition de ce magnifique catalogue !

mercredi 10 avril 2024

Un petit échiquier Régence

Le 17 mars 2024, M. Holger Langer a publié sur FaceBook toute une série de photographies d’un élégant jeu d’échecs Régence. Ce jeu, probablement des années 1930 selon M. Holger Langer, provient de la boutique d’Henri Delaire, située au 4 rue des Pyramides à Paris.
 
Henri Delaire, 1er Président de la FFE
Source: Les Échecs Modernes  (1914)
http://heritageechecsfra.free.fr/delaire.htm - Dominique Thimognier

Les photos du jeu d’échecs sont accompagnées d’un texte en anglais (dont vous avez ci-dessous la traduction), hommage à Henri Delaire.
M. Holger Langer s’est inspiré de la biographie que j’ai publiée sur ce site. Il m’a aimablement autorisé à publier les photos qu'il a prises de son jeu, ainsi que son article, et je l’en remercie.
 
 

 


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Petit jeu d'échecs d'une taille de 5 cm seulement, de style Régence français, en ivoire, une face naturelle, l'autre teintée en rouge vif. Le jeu est présenté dans une boîte ajustée recouverte de satin brun rougeâtre et a vraisemblablement été fabriqué vers 1930. L'extérieur du couvercle porte l'inscription « Lewis Le Bouvier », qui était probablement le nom du premier propriétaire. Cependant, je n'ai pu trouver aucune information à son sujet jusqu'à présent. (Note JO Leconte - Lewis Bouvier n'apparait pas dans la liste des membres du Philidor en 1925, ni de l'UAAR en 1913)

La partie intéressante est l'empreinte à l'intérieur du couvercle, qui indique « Delaire, 4 Rue des Pyramides, Paris ». Cela indique que le jeu a été fabriqué et vendu par Henri Delaire, qui distribuait du matériel d'échecs à l'adresse susmentionnée à Paris.

Henri Delaire n'était pas seulement un simple négociant en matériel d'échecs, mais l'une des figures clés du jeu d'échecs français à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Né dans le 3e arrondissement de Paris le 15 mai 1860, il est rapidement devenu ce que Rachel Syme a appelé dans le New Yorker « une dynamo parisienne des échecs » (cf. Rachel Syme, Making Peace With a Precious Chess Set, The New Yorker, 13 juillet 2022).

Il a été le fondateur et le président de longue date du club d'échecs parisien « Cercle Magenta », créé en 1888 et rebaptisé « Cercle Philidor » en 1895. En 1903, Delaire organise le premier championnat de France amateur d'échecs à Arcachon, auquel il participe également. À partir de 1908, il devient le troisième rédacteur en chef de la revue d'échecs française « La Stratégie », créée en 1867 par Jean Preti et poursuivie par son fils Numa Preti en 1881. 
 

Photo : La Stratégie - Directeur H.Delaire - août 1923


Le magazine était notoirement sous-financé et a été maintenu en vie par Delaire, qui a investi d'importantes sommes d'argent dans ce projet. Une grande partie de cet argent a dû être dépensée dans la boutique de Delaire, au 4 Rue des Pyramides à Paris, où il vendait du matériel d'échecs, y compris des jeux d'échecs luxueux et exclusifs comme celui présenté ici.

Il a également écrit plusieurs ouvrages sur les échecs, dont Le Traité - Manuel des Échecs en 1911 et Les Échecs Modernes, dont les deux volumes ont été publiés pour la première fois en 1914 et 1924. Sa plus grande réalisation est cependant sa participation à la création de la Fédération Française des Echecs, le 19 mars 1921. Henri Delaire est décédé pendant la Seconde Guerre mondiale, le 27 septembre 1941.

Les photos présentées ici comprennent deux photos de Delaire. La première montre Delaire (à gauche) lors d'une partie d'échecs contre Matthieu Lemarchand. La photo a été publiée dans un article du Monde Moderne en 1902 et a été faite dans le club d'échecs « Cercle Philidor ». La seconde photo est une nécrologie publiée par la Fédération Française des Échecs dans son bulletin d'avril 1942, honorant les réalisations de Delaire pour les échecs en France.


 
 
Heureux propriétaires d'objets achetés dans cette boutique Delaire.
On trouve cette marque également sur les livres d'échecs, comme par exemple dans cet exemplaire du livre "All change here" de 1919. (Collection de M. Oliver Sheppard).
 



Il semble que la boutique a continué à exister un certain temps dans les années 1950, bien après le décès d'Henri Delaire.
En effet on trouve plusieurs publicités de la boutique dans l’Échiquier de Paris. 
Par exemple dans le numéro d'octobre 1948.

J'ignore jusqu'à quand cette boutique spécialisée a existé.
En allant sur Google Street on peut constater que la boutique se trouvait en plein centre de Paris, près du jardin des Tuileries et du Louvre, à quelques centaines de mètres de la Régence.
 
Le 4 rue des Pyramides de nos jours.

mercredi 7 février 2024

Amusettes sur le Baron de Münchhausen

Au hasard de mes recherches sur internet, j'ai découvert deux textes en Russe datant de 1937 et signé d'un certain Efim Iavitch. Il s'agit d'amusettes au sujet du fameux Baron de Münchhausen et ses aventures extraordinaires. Bien entendu il s'agit ici de jeu d'échecs !
 
A noter que je n'ai absolument rien trouvé sur ce compositeur du jeu d'échecs Efim Iavitch. Si par hasard quelqu'un possède la moindre information à son sujet, je me ferais un plaisir de la publier. 
Ces deux textes ont été publié dans la revue 64 journal d'échecs et de Dames, du 10 avril 1937 pour l'histoire sur Philidor, et du 10 octobre 1937 pour l'histoire au Café de la Régence.
 
Les aventures surprenantes du Baron Münchhausen, illustration d'Alphonse Adolphe Bichard (1879)


J'ai découvert ces deux textes sur le site https://ru-chess-art.livejournal.com/ Всё о шахматной композиции - Tout sur la composition aux échecs.
 
Les positions et parties sont jouables via l'échiquier interactif à la fin de l'article. 
 
64 journal d'échecs et de Dames - 10 octobre 1937
 
Rencontre avec Philidor

- De très nombreuses années se sont écoulées depuis que le vieux Raspe m'a donné l'immortalité avec son beau livre. Sur ces mots, le baron de Münchhausen nous regarda tous et, fumant une pipe, continua en regardant tristement sa fumée bleuâtre :

- Où que j'aie été, qui n'ai-je pas rencontré au cours de ma longue vie ! J'ai vécu à Saint-Pétersbourg et en Turquie, j'ai connu Voltaire et Rousseau, j'ai joué aux échecs avec Napoléon (je vous le raconterai un jour), j'ai assisté au premier tournoi de Londres, j'ai vu le match de Morphy contre Anderssen, bref, j'ai connu presque tout le monde et vu presque tout ce qui était intéressant au cours des deux derniers siècles.

Je suis vieux maintenant, la vie a laissé des traces profondes en moi, et il vous est peut-être difficile d'imaginer que j'ai été jeune. Mais j'ai été jeune, mes amis, oui, oui, je vous l'assure. J'ai passé l'automne 1751 à Paris, où j'étais attaché au baron Manteuffel, qui se trouvait à Versailles pour une mission importante pour l'électeur de Bavière. Un jour, Manteuffel me convoqua d'urgence. Il était sombre et de mauvaise mine. Ses yeux étaient inquiets.

- Münchhausen, vous êtes mon seul espoir, me dit-il, vous êtes le seul à pouvoir remplir ma mission.
Sur ces mots, il me tendit un petit paquet.
- Remettez-le, continua Manteuffel, à son Altesse à Munich au plus tard à la fin de la semaine. Chevauchez comme un démon, Münchhausen, et souvenez-vous que si vous êtes en retard, l'Europe entière tombera dans l'abîme.

Plus de deux cents lieues me séparaient de Munich ; chaque minute était précieuse. Avec une révérence, je pris le paquet et, en moins d'une heure, j'étais hors des murs de Paris. Je devais parcourir la distance en un temps ridiculement court. La nuit, je m'endormais dans la voiture cahotante ; le jour, j'étais déjà à cheval, poursuivant inlassablement mon voyage. Sale et poussiéreux, je suscitais l'étonnement des postiers. D'innombrables dangers m'attendaient. 

Près de Coblence, une douzaine de bandits attaquèrent la voiture. J'en tuais la moitié et mettais les autres en fuite. Évitant différents dangers de noyade, j'ai failli me rompre le cou dans l'un des virages serrés.
Mais j'avais atteint Ulm. Le but était proche et, après avoir attelé mon cheval, je m'élançais avec une vigueur renouvelée. Mon dernier jour touchait à sa fin ; soudain, le cheval, couvert d'écume, siffla et tomba raide mort de fatigue.

Heureusement, la poste n'était pas loin. En y arrivant, je fus heureux de constater qu'une voiture toute prête attendait dans la cour.
- Une voiture et un cheval, et le plus vite possible, criai-je au facteur.
- Je n'ai ni l'un ni l'autre, répondit-il froidement.
- Mais non, m'écriai-je en montrant une voiture qui se trouvait à proximité, et qu'est-ce que ceci ?
- Elle a été prise par un voyageur qui se rend à Paris. Si vous voulez, vous pouvez lui parler ; voici sa chambre.

Lorsque j'ouvris la porte, je vis un jeune homme approximativement de mon âge. Il vint à ma rencontre.
- Écoutez, Monsieur, lui criai-je, je veux votre voiture et votre cheval.
- Ce n'est pas une raison pour vous déranger, répondit-il avec indignation.
- Mais je suis pressé, terriblement pressé. Donnez-les-moi.
- En aucun cas, je n'en ai besoin moi-même.

Désespéré, je regardai autour de moi ; le soir approchait ; si je n'obtenais pas un cheval, ma mission ne serait pas accomplie. Des notes éparses jonchaient la pièce. Soudain, je remarquai une petite table dans un coin, avec des pièces d'échecs jetées négligemment. Une idée brillante me vint à l'esprit.

- Voici une proposition, dis-je, jouons l'objet de notre différend aux échecs. Le gagnant aura la voiture et le cheval, et le perdant devra se contenter de s'ennuyer dans cette maudite gare.

Il hésita quelques instants, puis ses yeux s'éclaircirent.
- D'accord, répondit-il, je suis d'accord. Mais il serait injuste de ne pas vous prévenir que je m'appelle François-André Danican Philidor.
Oh, ce nom m'était familier. A Paris, au Café de la Régence, je l'avais souvent entendu, c'était le nom du premier joueur d'échecs au monde. Mais je ne suis pas du genre à baisser les bras. Rien ne peut m'intimider.
- Je m'appelle Friedrich Hieronymus Münchhausen. Dis-je avec un peu d'arrogance, Monsieur, je ne retire pas mon offre.
Nous nous sommes assis pour jouer ; je pris les Blancs et commençai la partie avec le pion du Roi, mon adversaire répondit en avançant le pion du Cavalier du Roi d'une case.

Je jouai avec esprit, initiative et beauté. Négligeant la sécurité de mon propre roi, je développai une forte attaque sur le Roi des Noirs. Dans mon cœur, je triomphai déjà. Mais mon adversaire semblait avoir tout vu. Se défendant calmement, il créa de fortes menaces. En sacrifiant quelques pièces, il donna à ses pions une force décisive. Enfin, deux d'entre eux se trouvaient sur la deuxième ligne.

C'est moi qui prit la décision. La gravité de la position était claire pour moi. Le Roi au centre était en danger immédiat. Un sourire apparut sur les lèvres de mon adversaire. Il était sûr de gagner.
Avec une concentration douloureuse, je réfléchis à la position. Il me semblait que l'avantage de mon vif jeu de figures était sur le point d'être réduit à néant. Peu à peu, des options se dessinèrent de plus en plus clairement devant moi. À présent, je souriais moi aussi.


- Échec et mat en dix coups !, annonçai-je bruyamment.

Mon adversaire secoua la tête d'un air incrédule, mais plein de confiance, je jouai 1.Dg5xd8+ Re8xd8 2.Tc4xc8 Rd8xc8 (les Noirs ne peuvent pas frapper la tour avec le fou à cause du mat en trois coups) 3.Ff1xa6+ Philidor hésita un instant. Mais constatant que Rc7 serait suivi de 4.Fa5+ Rb8 5.Tb3+ Ra8 6.Fb7+ Rb8 7.Cc6#, il s'empressa de jouer 3.... Rc8-b8. Suivi : 4.Ce5-c6+ Rb8-a8 (et ici après 4... Rc7 les Blancs font mat en trois coups) 5.Fa6-b7+ Ra8xb7 6.Ta3xa7+ Rb7-b6 7.Fb4-a5+ Rb6-b5 9.c3-c4+ Rb5-a4 9.Fa5-b4+ Ra4-b3 10.Ta7-a3#.

La faiblesse des pions les plus avancés était prouvée. Philidor se releva ébranlé. Son visage exprimait l'excitation. Il essaya de parler, mais je ne l'écoutai pas. En cinq minutes, je me précipitai vers Munich.
Le précieux paquet avait été livré à temps. L'Europe était sauvée, Manteuffel avait une étoile, j'avais un congé et la permission de rentrer à Paris.
 
-----------------------------------------------------------------------------------------------------
L'histoire suivante nous compte les aventures du Baron de Münchhausen au Café de la Régence...
 
D'après les histoires du Baron de Münchhausen.

Mes défaites


A la fin d'une longue journée d'hiver, nous nous sommes retrouvés autour de Münchhausen. Ce soir-là, le baron était plus animé que jamais. Positivement, il était inépuisable. Nous écoutions avec admiration ses histoires les plus drôles et les plus fantastiques. Soudain, quelqu'un dit :
- Racontez-nous, Münchhausen, vos défaites aux échecs !
 
Le regard du narrateur s'assombrit légèrement, mais après quelques instants, il redevint clair.
- Ah, mes amis, répondit-il, ce n'est pas un sujet très vaste. Vous savez que j'ai rencontré avec bonheur les plus illustres joueurs d'échecs du monde. Rares sont ceux qui résistent à mon jeu fort et courageux. Mais pourtant, parfois... Parfois.
C'est ce que nous avons entendu ce soir-là :
- C'est arrivé il y a de nombreuses années, a commencé Münchhausen.
- J'étais jeune à l'époque et je faisais mes premiers pas timides dans l'art des échecs. Je me rendais souvent au célèbre « café des échecs Parisiens », La Régence, qui conservait encore le souvenir de l'époque glorieuse de Deschapelles et La Bourdonnais. Très vite, la force de mon jeu, et surtout ma langue infatigable, m'y rendirent invincible.

Et un jour, alors que je regardais une partie et que, selon mon habitude, je discutais bruyamment des mérites comparés des deux partenaires, je remarquais un étranger qui regardait silencieusement la même partie. Il n'avait pas l'air d'apprécier mes remarques sarcastiques. Cette impertinence me fit bondir. Je résolus de lui donner une leçon sur-le-champ.

- Monsieur, m'écriai-je, voulez-vous jouer avec moi ? Non, non, et ne vous avisez pas de refuser, ajoutai-je, voyant qu'il essayait de s'y opposer ; vous allez jouer avec moi, bon sang, et tout de suite. D'ailleurs, il y a une table libre. Il me regarda avec appréhension et s'installa docilement.

Je pris les Blancs, et je décidai de jouer rapidement et énergiquement. Voici le jeu :
1.e2-e4 d7-d5 2.e4-e5 d5-d4 3.c2-c3 f7-f6 4.e5xf6 d4xc3 5.f6xe7 c3xd2+ 6.Fc1xd2 Ff8xe7 7.Cg1-f3 Cb8-c6 8.Cb1-c3 Cg8-f6 9.Cc3-e2 Cf6-d7 10.Cf3-d4 Cc6-e5.  Ici, pensant gagner la dame, j'ai joué 11.Cd4-e6, mais mon puissant adversaire répondit 11... Ce5-d3 et j'ai alors tristement constaté que j'étais maté.
 


- Une partie ne prouve rien, ai-je dit, faisons-en une autre. J'espère que vous me permettrez de reprendre les Blancs.

Ayant repris la partie avec le coup 1.e2-e4, après la réponse 1... d7-d5, décidant d'être plus prudent, j'ai joué 2.d2-d3. La partie s'est ensuite déroulée comme suit : 2... e7-e6 3.Cg1-f3 Cb8-c6 4.Fc1-g5 Ff8-b4+ 5.Re1-e2 (ayant à l'esprit un plan stratégique complexe) 5... Dd8-d7 6.Cb1-c3 Cg8-f6 7.a2-a3 h7-h6 8.Fg5-h4 Fb4-a5 9.e4-e5 d5-d4 10.Cc3-a4 (Dans le but de s'emparer du point c5) 10... Cf6-h5 11.Ca4-c5 Ch5-f4#.  Mon roi était maté.
 

J'étais vraiment en colère.

À ce moment-là, beaucoup de gens s'étaient rassemblés autour de nous. La rumeur de ma défaite s'était répandue partout. Tout le monde voulait être convaincu de ma défaite. En serrant les dents, j'ai alors proposé de jouer une troisième fois.
- Et puisque - disais-je - j'avais perdu les parties précédentes avec les Blancs, la justice elle-même m'oblige à les reprendre maintenant.

Voici notre troisième partie : 1.e2-e4 d7-d5 2.d2-d4 e7-e5 3.c2-c4 f7-f5 4.f2-f4 c7-c5.  Voulant éviter les complications, j'entreprends un long échange. Il s'ensuit au galop : 5.e4xf5 d5xc4 6.d4xc5 e5xf4 7.Fc1xf4 Ff8xc5 8.Ff1xc4 Fc8xf5 9.Ff4xb8 Fc5xg1 10.Fc4xg8 Ff5xb1 11.Ta1xb1 Th8xg8 12.Th1xg1 Ta8xb8.  Je me suis arrêté ici. Le peu de matériel restant sur l'échiquier m'a fait arrêter de penser à la victoire. Et décidant de clarifier définitivement la position, j'ai échangé les dames : 13.Dd1xd8+.
 

 


Quelle ne fut pas ma surprise et celle de tous ceux qui m'entouraient quand, en réponse à cela, mon adversaire, d'un air résolu, s'empara du Roi et joua 13....Re8xe1 ??
- Laissez tomber ces plaisanteries déplacées, criai-je avec irritation, remettez le Roi à sa place !
- Et pourquoi avez-vous fait ce déplacement ? me demanda-t-il.
- Qu'est-ce que c'est que cette question ridicule ? Vous ne savez pas faire la différence entre une Reine et un Roi ?
- Oui, je ne sais pas, répondit-il calmement. Je ne sais pas du tout jouer aux échecs. J'ai essayé de vous le dire dès le début, mais vous n’avez pas voulu m'écouter. Tout ce que j'avais à faire, c'était de copier, dans la mesure du possible, les mouvements que vous faisiez pour les Blancs.

Cette déclaration inattendue déclencha des rires assourdissants. Tout le monde riait ; je n'ai jamais entendu de rire plus désagréable. Je me sentais, je l'avoue, mal à l'aise. Toute mon autorité ne tenait qu'à un fil.
- Voici un cas remarquable, dis-je aussi fort que possible, et au son de ma voix, tout devint silencieux.
- Un homme qui ne sait pas jouer gagne soudain contre un joueur d'échecs aussi expérimenté et fort que moi. Je garantis, continuai-je d'une voix ferme, je garantis que cela ne pouvait arriver qu'à moi seul, qu'à un homme aussi extraordinaire que le baron de Münchhausen !
Sur ces mots, je partis. Mon honneur était sauvé. Mais pendant longtemps, je n'ai pas touché aux échecs.
 
---------------------------------------------------------------------------------------
En fonction de votre navigateur internet, il faudra peut-être utiliser les flèches bleus pour naviguer de partie en partie.

 
[Event "Première partie"] [Site "?"] [Date "????.??.??"] [Round "?"] [White "Münchhausen, Friedrich Hieronymu"] [Black "Inconnu"] [Result "0-1"] [PlyCount "22"] {Je pris les Blancs, et je décidai de jouer rapidement et énergiquement. Voici le jeu :} 1. e4 d5 2. e5 d4 3. c3 f6 4. exf6 dxc3 5. fxe7 cxd2+ 6. Bxd2 Bxe7 7. Nf3 Nc6 8. Nc3 Nf6 9. Ne2 Nd7 10. Nfd4 Nce5 {Ici, pensant gagner la Dame, j'ai joué} 11. Ne6 {mais mon puissant adversaire répondit} Nd3# { et j'ai alors tristement constaté que j'étais maté.} 0-1 [Event "Deuxième partie"] [Site "?"] [Date "????.??.??"] [Round "?"] [White "Münchhausen, Friedrich Hieronymu"] [Black "Inconnu"] [Result "0-1"] [PlyCount "22"] {[%evp 0,22,27,14,57,-14,5,-36,10,-16,9,-58,-12,-34,-69,-161,297,-172,-50,-58, 56,-76,-47,-29999,-30000]} {Ayant repris la partie avec le coup} 1. e4 { après la réponse} d5 {décidant d'être plus prudent, j'ai joué} 2. d3 { La partie s'est alors déroulé comme suit} e6 3. Nf3 Nc6 4. Bg5 Bb4+ 5. Ke2 { ayant à l'esprit un plan stratégique complexe} Qd7 6. Nc3 Nf6 7. a3 h6 8. Bh4 Ba5 9. e5 d4 10. Na4 {dans le but de s'emparer du point c5} Nh5 11. Nc5 Nf4# { Mon Roi était maté} 0-1 [Event "Troisième partie"] [Site "?"] [Date "????.??.??"] [Round "?"] [White "Münchhausen, Friedrich Hieronymu"] [Black "Inconnu"] [Result "*"] [PlyCount "25"] {Voici notre troisième partie} 1. e4 d5 2. d4 e5 3. c4 f5 4. f4 c5 {Voulant éviter les complications, j'entreprends un long échange. Il s'ensuit au galop :} 5. exf5 dxc4 6. dxc5 exf4 7. Bxf4 Bxc5 8. Bxc4 Bxf5 9. Bxb8 Bxg1 10. Bxg8 Bxb1 11. Rxb1 Rxg8 12. Rxg1 Rxb8 {Je me suis arrêté ici. Le peu de matériel restant sur l'échiquier m'a fait arrêter de penser à la victoire. Et décidant de clarifier définitivement la position, j'ai échangé les dames.} 13. Qxd8+ {Quelle ne fut pas mar surprise et celle de tous ceux qui m'entouraient quand, en réponse à cela, mon adversaire, d'un air résolu, s'empara du Roi et joua Re8xe1 !} * [Event "?"] [Site "?"] [Date "????.??.??"] [Round "?"] [White "Münchhausen, Friedrich Hieronymu"] [Black "Philidor, André Danican"] [Result "*"] [SetUp "1"] [FEN "2nbk3/p4p2/b2pp1N1/3PN1Q1/1BRK4/R1P5/1pp4q/5B2 w - - 0 1"] [PlyCount "19"] {[%evp 0,19,29981,29982,29983,29984,29985,29986,29987,29988,29989,29990,29991, 29992,29993,29994,29995,29996,29997,29998,29999,-30000] [#]Échec et mat en dix coups !, annonçai-je bruyamment. Mon adversaire secoua la tête d'un air incrédule, mais plein de confiance, je jouai} 1. Qxd8+ Kxd8 2. Rxc8+ Kxc8 { les Noirs ne peuvent pas frapper la tour avec le fou à cause du mat en trois coups} (2... Bxc8 3. Ba5+ Ke8 4. Bb5+ Bd7 5. Bxd7#) 3. Bxa6+ {Philidor hésita un instant.} {Mais, il s'empressa de jouer} Kb8 ({Mais constatant que} 3... Kc7 {serait suivi de} 4. Ba5+ Kb8 5. Rb3+ Ka8 6. Bb7+ Kb8 7. Nc6#) {Suivi} 4. Nc6+ Ka8 (4... Kc7 {les blancs font mat en trois coups} 5. Ba5+ Kd7 6. Nb8+ Ke8 7. Bb5#) 5. Bb7+ Kxb7 6. Rxa7+ Kb6 7. Ba5+ Kb5 8. c4+ Ka4 9. Bb4+ Kb3 10. Ra3# { La faiblesse des pions les plus avancés était prouvée. Philidor se releva ébranlé.} *

samedi 2 décembre 2023

A la recherche de la tombe de Pierre Vincent fondateur de la FIDE en 1924

L'année prochaine, en 2024, la FIDE, Fédération Internationale Des Échecs, célébrera le centenaire de sa création, en 1924 à Paris à l'initiative du Français Pierre Vincent.
 
Revue L’Échiquier - Janvier 1926, avec le texte suivant sous la photo :
Pierre Vincent secrétaire général de la Fédération Française des Échecs
 
A cette occasion, plusieurs évènements auront lieu en 2024 et sont en cours d'organisation.
Parmi ces évènements, la FIDE, en la personne de Willy Iclicki qui dirige notamment le comité historique de la FIDE, envisage d'honorer Pierre Vincent.
 
Photo publiée par la FIDE (non sourcée - merci de me communiquer l'origine de cette photo si vous la connaissez). Photo intitulée : Le 1er Congrès de la Fédération Internationale des Échecs (Paris juillet 1924)

Voici donc le récit d'une enquête collective et d'un mystère résolu en quelques jours !
Un remerciement tout particulier à Philippe Bodard pour son aide très précieuse.

Tout commence dimanche dernier, 26 novembre 2023, avec une question de Willy Iclicki sur la date de décès et le lieu d'inhumation de Pierre Vincent transmise par Christophe Bouton. Dominique Thimognier (Héritage des Échecs Français) a consacré une page web pour une courte biographie de Pierre Vincent.
C'est ici : http://heritageechecsfra.free.fr/vincent.htm
 
Gallica - Très belle photo trouvée sur le site numérisé de la BNF.
Agence Rol, 1929, Paris 10 février 1929 Salle Zimmer, Place du Châtelet, Coupe de Paris d'échecs
De gauche à droite Marcel Duchamp, Pierre Vincent, L. Monvoisin, Mourier.
Monvoisin était le chroniqueur d'échecs pour le journal La Liberté. J'ignore qui est Mourier.

Malheureusement, Dominique Thimognier indique

Vincent est mort en 1956, la revue de l'époque était L’Échiquier de France qui n'a publié aucune nécrologie.
Vincent était retiré des échecs depuis longtemps, après une dispute avec la FFE, quand on a attribué à Alekhine le poste de délégué à la FIDE.
Il y a eu une nécrologie dans la Revue de la FIDE, rédigée par Marcel Berman, mais sans lieu de décès.
Le Chess Personalia de Jeremy Gaige, qui fait référence, indique 02/04/1956 sans lieu de décès.
Le nom est très courant, je n'ai pas pu trouver en cherchant un peu "tout azimut"
 
Journal Excelsior - 13 juillet 1924
A l'occasion des jeux olympiques, un tournoi des nations est organisé (olympiades non reconnues) ainsi que la création de la FIDE.
 


Je me décide alors à contacter Philippe Bodard (spécialiste de l'histoire du bridge, passionné par Deschapelles et généalogiste) qui m'a déjà beaucoup aidé lors de recherches généalogiques particulièrement efficaces.
En deux coups de cuillère à pot (!) Philippe m'annonça avoir trouvé la réponse que je résume ci-dessous :

Pierre Vincent est décédé à Nice le 2 avril 1956, d'après la surcharge de son acte de naissance (ci-dessous en bas à gauche de l'acte). On y apprend également qu'il se nomme Pierre Auguste César Vincent (ce qui correspond très probablement aux mêmes prénoms que son grand-père, voir plus bas).

Il a été marié à 3 reprises.
La première fois à Paris XIème le 5 août 1915 avec Candel (Candelaria) Angela Ortega (de nationalité Espagnole, artiste musicienne d'après l'acte de mariage) qui décédera à 40 ans le 7 janvier 1919 (peut-être de la grippe Espagnole).

D'après les sources trouvées par Philippe Bodard, on apprend que sa première épouse est enterrée au cimetière de Montmartre à Paris (avec la précision allée de Montmorency 21-6-2).
 

 


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Acte de naissance de Pierre Auguste César Vincent.
 
Je me lance alors dans une recherche sur Nice. Notamment grâce à la mairie de Nice qui propose un site internet pour localiser les tombes de défunts.
Malheureusement Pierre Vincent y est introuvable. Philippe Bodard émit alors l'hypothèse qu'il se trouvait avec sa première épouse à Paris, belle intuition comme nous allons voir !
J'ai donc écrit à la mairie de Nice qui m'a répondu avec une célérité incroyable dès le lendemain.
En effet, je me souviens avoir déjà attendu plusieurs semaines pour avoir une réponse d'une mairie lors d'une recherche généalogique...
Bref, la mairie de Nice m'annonça que le corps de Pierre Vincent avait été rapatrié à Paris suite à son décès...

Avec ces éléments, c'est alors que Dominique Thimognier trouva la réponse aux archives numérisées de la ville de Paris !
Pierre Vincent a été inhumé le 9 avril 1956 (7 jours après son décès) au cimetière de Montmartre à Paris, allée de Montmorency 21-6-2. C'est-à-dire, attention touchante, au même endroit que sa première femme, décédée prématurément, 37 ans auparavant.
 
Archives numérisées de la ville de Paris
 
Je me suis rendu au cimetière de Montmartre de bon matin vendredi dernier 1er décembre 2023.
Direction l'administration du cimetière afin d'éviter une recherche pénible au milieu de tombes souvent illisibles.
Concession à perpétuité 316-1859, allée de Montmorency, division 21, 6ème rangée, 2ème tombe. Elle porte le numéro 890 d'après leur cadastre, et c'est un caveau familial.
 


Bref, la tombe contient une dizaine de corps (d'après le document de concession que j'ai pu consulter), les deux derniers étant ceux de sa première épouse en 1919 et lui-même en 1956.
Le caveau familial a été créé en 1859 pour un premier défunt qui je pense est le grand-père de Pierre Vincent, lui-même prénommé Pierre Auguste César Vincent, comme on peut le voir sur la photo.
La tombe est en relativement bon état, sauf une épaisse couche de mousse sur la pierre tombale qui empêche de voir une partie des noms gravés et probablement plus ou moins effacés.

La prochaine étape consiste à trouver d'éventuels ayants-droits, et voir s'il est possible de rénover la tombe, en vue d'une éventuelle cérémonie d'hommage au fondateur de la FIDE en juillet 2024.
 
Retronews, Journal Combat - 9 juillet 1949 à l'occasion du 25ème anniversaire de la FIDE.
Il est écrit à la fin de l'article :
M. Pierre Vincent, ancien secrétaire général de la FFE, à qui l'on doit la fondation de la FIDE en 1924, a été invité et le Congrès lui rendra un hommage tout particulier.

dimanche 29 octobre 2023

Fait divers

Au hasard de mes recherches, je suis tombé sur plusieurs articles de journaux qui mentionnent un fait divers avec un lien ténu avec le Café de la Régence. Néanmoins je le trouve intéressant car cela permet de connaitre une personne qui a travaillé à la Régence dans les années 1880.  Il est également intéressant de voir comment ce fait divers est traité par les journaux de l’époque...
 
Musée Carnavalet - Rue des Deux-Ecus n°36 à 48 (actuelle rue Berger) - Jules Gaildrau 1887.

Joseph Marie Grosroyat, 43 ans, célibataire, demeurant au 40 rue des deux écus, est cuisinier au Café de la Régence. Le samedi 26 juin 1880 à 17h30 (d’après le jugement consultable aux archives de Paris) arrive un fâcheux incident alors qu’il se rend probablement pour son service du soir à la Régence.
 

Le Figaro du 27 juin 1880 explique l’affaire de façon assez factuelle, même si le nom du cuisinier est très approximatif.

Hier soir, à cinq heure moins un quart, le sieur Grosolial (sic), cuisinier au Café de la Régence, demeurant, 40, rue des Deux-Ecus, tournait l’angle de l rue Saint-Honoré et de la rue des Bons-Enfants.
 
La voiture numéro 11.461, Compagnie l’Urbaine, conduite par le cocher Perrin, arrivait en sens inverse. Grosolial se trouva serré entre le trottoir et la voiture qui lui toucha assez fortement le pied. Il avait à la main un paquet, contenant divers ustensiles qu’il rapportait de chez le repasseur. Instinctivement, il étendit la main vers le cocher qu’il frappa avec ce paquet. Puis il voulut continuer son chemin.
 
A ce moment on vit le cocher pâlir. Il descendit de son siège et l’on s’aperçut qu’il perdait le sang par une blessure qu’il avait au bas ventre. Un couteau, dépassant le paquet, lui avait perforé l’abdomen.
Il a été conduit à la pharmacie du passage Montesquieu, puis à l’hôpital Lariboisière. Son état est des plus graves. Grosolial a été mis à disposition de M. Allais, commissaire de police.  
 
Le journal Gil Blas du 28 juin 1880 fait moins dans la dentelle. Grosroyat est décrit comme un assassin qui a sciemment poignardé le cocher. Curieusement l’article lui donne le prénom « Gérard ».

Petites Nouvelles

En tournant le coin de la rue des Bons-Enfants et de la rue Saint-Honoré, le fiacre n° 1,461, frôla légèrement le pied d'un passant. Furieux, celui-ci se précipita sur le cocher et le frappa d'un coup de couteau dans le bas-ventre.
Le blessé a été transporté dans un état désespéré à l'hôpital Lariboisière. Quant à l'assassin, qui se nomme Gérard et exerce la profession de chef de cuisine, il a été écroué sur-le-champ au Dépôt.

 
Le journal Le Temps du 28 juin 1880 reprend lui aussi l’idée d’un coup de couteau volontaire « (…) lui faisant une plaie de trois centimètres de profondeur. (…) » et fait dans le pathos « (…) ce malheureux, qui est veuf, est père d’un enfant de dix ans (…) ».

Le point final est donné par le journal Gil Blas du 29 juin 1880 (voir ci-dessous). Les trois centimètres de la blessure sont devenus trois coups de couteau et le malheureux cocher est mort des suites de ses blessures. Son fils ayant pris deux ans en une journée. Le journal La Presse ne fera guère mieux le même jour, annonçant également la mort du cocher, et le lendemain, le 30 juin 1880, le journal Le Peuple Français titrait « Assassiné par accident ».
 


Nous avons raconté, hier, que, pris tout à coup d'un accès de folie furieuse, un employé d'un des grands cafés parisiens, nommé Grosolial, s'était élancé sur un cocher dont la voiture l'avait légèrement frôlé au coin de la rue Saint-Honoré, et l'avait frappé de trois coups de couteau.
Le pauvre diable avait été aussitôt transporté à l'hôpital Lariboisière, sans avoir pu reprendre connaissance. Il y est mort, hier, dans la matinée, a milieu d'atroces souffrances. Le malheureux laisse un pauvre petit garçon de douze ans, qui se trouve aujourd'hui entièrement abandonné.

 
Le cocher Perrin et le cuisinier Grosroyat se retrouvent tous les deux au tribunal en octobre 1880, et le Journal des Débats publie un résumé du jugement dans son édition du 11 octobre 1880.
 
Pour tous les journaux, source Retronews

Bulletin judiciaire

Le 26 juin dernier, vers six heures du soir, Perrin, cocher de la Compagnie l'Urbaine, conduisait sa voiture au stationnement de la rue Radziwill. Son cheval allait au pas. Au moment où il tournait la rue Saint-Honoré pour entrer dans la rue des Bons-Enfans, Grosroyat, cuisinier au café de la Régence, n'entendant pas les cris de « Gare ! » poussés par le cocher, descendait du trottoir et posait le pied sur la chaussée.

La roue de droite de la voiture effleura l'extrémité du pied gauche de Grosroyat. Ce dernier injuria le cocher et, dans un moment de colère irréfléchi, frappa Perrin avec un paquet d'outils qu'il tenait à la main.
Malheureusement, au milieu d’autres instruments se trouvait un couteau de cuisine long et effilé, dont la pointe atteignit le cocher au bas ventre et lui fit une affreuse blessure. L'état de Perrin ayant paru grave, ce malheureux fut conduit à l'hôpital Lariboisière, où il est resté soixante-deux jours.
 
Aujourd'hui encore Perrin n'est pas complétement guéri des suites de sa blessure. Grosroyat, poursuivi pour coups volontaires, vient de comparaître devant la police correctionnelle. Perrin s'est porté partie civile. 

Sur les plaidoiries de Maître Georges Petit pour Perrin, et de Maître Charbonnel pour Grosroyat, le tribunal a condamné le prévenu à six jours d'emprisonnement et à. 1,000 fr. de dommages-intérêts.
1000 francs représente une somme assez considérable à l’époque, représentant la moitié d’un salaire d’un ouvrier pour 6 mois.

Par curiosité j’ai consulté le jugement du tribunal correctionnel de Paris aux archives de la ville de Paris. Le début du document de jugement indique les éléments suivants :
 
Archives de Paris

Pour le Procureur de la République
et
Le sieur Perrin Jean Marie, 43 ans, cocher, demeurant à Paris, rue Doudeauville (NDA - près de Montmartre), n°77, assisté par les conclusions écrites signées de Maître Aymé, avoué
Contre
Lib. (NDA – Libre ?) Grosroyat Joseph Marie, 43 ans, cuisinier, né à Nasbinals, arrondissement de Marvéjols (Lozère) , le 27 mai 1837, de Jean Jacques et de Marie Jeanne Coste, demeurant à Paris, rue des deux écus, n°40, célibataire.
Coups et blessures, blessures par imprudence (…)
Attendu qu’il n’est pas établi que Grosroyat ait volontairement porté le coup dont il s’agit (…)
(…) La roue droite de la voiture lui pressa l’extrémité de son pied (…).

J’ignore si Perrin a vécu longtemps après ce grave incident et si Grosroyat a conservé son travail au Café de la Régence.
 
Plan de poche - Paris Hachette 1894
 
Pour se situer dans le quartier
1 - Café de la Régence - 161 rue Saint-Honoré
2 - Angle de la Rue Saint-Honoré et de la rue des Bons-Enfans
3 - 40 rue des Deux-Ecus, adresse de Grosroyat 
4 - Stationnement des fiacres de la rue Radziwill