dimanche 30 octobre 2016

Un nouveau Café de la Régence ?

A quelques numéros de l'ancien Café de la Régence (aujourd'hui l'office du tourisme du Maroc) s'est ouvert cet été le ... Café de la Régence.



Comme vous pouvez le voir la proximité est troublante.

Le café de la Régence, au 155 de la rue Saint-Honoré était juste à côté du buste de Jeanne d'Arc que l'on trouve sur la façade de l'immeuble.





Aussi, bien évidemment je les ai appelé au cours du mois de juillet pour savoir s'il y avait un lien quelconque avec l'ancien café et s'il était possible d'y jouer aux échecs...
Sans surprise, la réponse fut négative à ces deux questions.
Le nom de ce restaurant a juste été repris en hommage au prestigieux café objet principal de ce blog.

Je n'y ai pas encore mis les pieds, mais les commentaires sur Trip Advisor sont assez positifs.

En 1911 au Café de la Régence...

Dans mon précédent article j'indiquais ne pas avoir trouvé de photographie avec ces échiquiers particuliers utilisés sur la gravure de l'Illustration en 1873.
M. Etienne Cornil (Belgique), que je remercie, vient de me rappeler à juste titre l'existence d'une photo avec cet échiquier. La voici:


Elle a été publiée dans la revue La Stratégie d'avril 1911.
Nous y voyons bien l'échiquier avec ses bords particuliers pour recueillir les pièces d'échecs comme sur la gravure de l'Illustration en 1873.

La Stratégie indique la légende suivante :
"Les deux frères champions parisiens"
à gauche Frédéric Lazard "Union Amicale de la Régence"
à droite Gustave Lazard "Cercle Philidor"

La photo a probablement été prise dans un café (la bouteille d'eau de Seltz sous pression dans le fond semble l'indiquer). Mais La Stratégie ne précise pas le lieu exact...
Je me plais à croire qu'elle a été prise au Café de la Régence...

Champions parisiens ?

C'est dans La Stratégie de Janvier 1911 que nous apprenons la victoire de Frédéric Lazard au "Tournoi-Championnat d'automne de L'Union Amicale de la Régence".
Il remporte largement le tournoi avec 12 points 2/3 sur 16 devant Gibaud avec 9 points 1/3.
2/3 ? Deux tiers ? Oui car les parties nulles comptèrent pour 1/3 de point...

Le numéro de La Stratégie d'avril 1911 donne le résultat du XXIIè tournoi annuel du Cercle Philidor remporté en 1ère classe par Gustave Lazard.
Le Cercle Philidor a plusieurs fois changé de lieu, mais sauf erreur il était toujours dans un café non loin de la place de la République à Paris.

Enfin pour terminer sur 1911, voici des informations relatives au café de la Régence (La Stratégie - Avril 1911).
José Raul Capablanca (1888 - 1942)

"Les visites que firent au Café de la Régence la plupart des maîtres ayant pris part au Tournoi de Saint-Sébastien ont donné pendant plusieurs jours à notre vieux temple parisien une physionomie d'animation inaccoutumée, au grand plaisir des habitués et, souhaitons-le, au profit de la propagande générale.
- Le 19 mars le maître russe Rubinstein donne dans l'après-midi une séance de 16 parties simultanées, il obtient le beau résultat de 14 victoires et perd contre MM. Gueffier fils et B. Tschabritsch.

- Le 24, une petite rencontre en trois parties est organisée entre les maîtres Teichmann et Taubenhaus. Résultats : Teichmann gagne les deux premières parties, la troisième ne pouvant rien modifier est jouée en analyses.

- Puis le 25, "l'Union Amicale", profitant du très court passage de Capablanca et pour fêter dignement le beau succès qu'il vient de remporter à Saint-Sébastien, réunit hâtivement en un banquet la plupart des sommités de l’Échiquier parisien auquel elle invite également Marshall le grand ami de la Régence et le toujours fidèle professeur Taubenhaus.

Malgré une organisation à l'improviste la fête est en tout point réussie et le jeune lauréat américain gagne bien vite les sympathies de tous les assistants venus le complimenter.
Sont présents : MM. Deroste qui préside, Tauber, Pape, Place, Constant-Bernard et Levy du comité de l'U.A.A.R; MM.Antoniadi, A. Joliet, Merle, Singer, Letorey, Gestesi, etc.
Après le banquet: splendide exploit de notre vétéran A. Joliet, de la Comédie, qui conduit simultanément deux parties, contre... Capablanca et Marshall !! Résultat: une partie nulle avec le dernier nommé; l'autre perdue avec... beaucoup d'esprit.

- Pour terminer la soirée Capablanca mène de front huit parties contre quelques forts amateurs de la Régence, d'aucuns luttant pour leur propre compte, d'autres opposant leurs forces regroupées. Le jeune maître américain joue avec une rapidité vraiment surprenante, puisque exactement en 22 minutes ! il termine sur les huit échiquiers, gagnant 7 parties et ne perdant que celle avec M. Halberstam.

dimanche 16 octobre 2016

Une gravure célèbre


Voici une gravure assez connue du Café de la Régence que j'ai aperçue sur Facebook ces derniers temps.


русский перевод

Celle-ci a été publiée le 22 février 1873 dans le journal L'Illustration.
En fait en y jetant de plus près un coup d’œil on s’aperçoit que la scène est imaginaire, et n'est là que pour mettre en valeur les principaux joueurs de la Régence (de différentes époques - notamment pour Morphy qui n'était pas là en 1873).

C'est ce que nous apprend en mars 1873, Charles Joliet chroniqueur de la revue La Stratégie :

« À Monsieur J. Preti, Directeur de la Stratégie, 
Paris, 1er Mars 1873

Cher Monsieur,

Vous me demandez quelques notes complémentaires au sujet de l’article « Le café de la Régence », publié dans l’Illustration du 22 février dernier. Je saisis avec plaisir cette occasion de donner un commentaire d’exécution à la promesse que vous avez faite en mon nom aux lecteurs de la Stratégie. Le dessin qui accompagne cette étude humoristique représente en perspective quatre tables d’échecs, où huit joueurs sont aux prises. Par une disposition ingénieuse, le dessinateur de l’Illustration, M. Miranda, a su grouper, dans un cadre restreint, un certain nombre de portraits que les habitués de la Régence ont pu reconnaître, et dont la plupart des noms sont familiers à vos lecteurs.

Au premier plan, à gauche, est M. Rosenthal, l’illustre champion français des matchs européens. En face de lui, M. Lequesne, un des noms consacrés de la sculpture moderne, auquel on doit le remarquable buste de Paul Morphy, en regard de celui de Philidor, témoins impassibles et silencieux des tournois journaliers. MM. Rosenthal et Lequesne sont représentés, étudiant l’une des deux parties par correspondance entre Paris et Marseille. La position des pièces, très nettement déterminée sur l’échiquier, indique le coup décisif où Paris sacrifie la Dame, et gagne la partie en quatorze coups.

Deuxième échiquier : à droite, Paul Morphy (d’après son buste). Son adversaire est M. Henri Baucher une des colonnes de l’école française, en souvenir de la belle partie qu’il a joué contre le Roi des échecs des Deux-Mondes.

Troisième échiquier : à droite, c’est à vous, s’il vous plait, que ce discours s’adresse, M. Jean Preti, en face, son adversaire habituel, M. le vicomte de Vaufreland, contemporain de La Bourdonnais. Ce maître lui rendait la Tour, avantage qu’il faisait impitoyablement payer par des mats aussi merveilleux qu’imprévus.

Quatrième échiquier : à gauche, M. Maubant, de la Comédie-Française, profil de médaille romaine, front césarien. Son vis-à-vis est le célèbre romancier, Yvan Tourgueneff. Parmi les personnages assez nombreux qui composent la galerie, et dont il est difficile de préciser la place au milieu des groupes, nous mentionnerons à droite, au deuxième plan, le baron d’André, un des amateurs les plus distingués de la Régence ; à l’extrême gauche du dessin, le prince de Villafranca, affable dans la victoire comme dans la défaite ; puis, au fond, M. Chartran, M. A. de Gogorza, M. Preti fils, et M. Nachman. (…)   »


La Stratégie – 1873 – Charles Joliet

Et voici donc la gravure avec les différentes personnes évoquées (+ Albert Clerc, non mentionné dans l'article de Charles Joliet).


1 - Samuel Rosenthal
2 - Eugène-Louis Lequesne
3 - Paul Morphy
4 - Henri Baucher
5 - Jean Préti
6 - Le Vicomte de Vaufreland
7 - Maubant
8 - Ivan Tourgueniev
9 - Albert Clerc
10 - Le Baron d'André
11 - Le Prince de Villafranca

Notez les échiquiers très particuliers avec lesquels jouent les différentes personnes.
Je n'ai pas trouvé de photos d'échiquiers comme ceux-là.

En bonus voici le fameux buste de Morphy réalisé par Lequesne (sculpteur célèbre de la deuxième moitié du XIXème siècle à qui l'on doit la fameuse Bonne Mère de Marseille).

Les trois photos ci-dessous proviennent de l'excellent site anglophone sur Morphy
http://www.edochess.ca/batgirl/Morphybust.html




C'est également à Lequesne que nous devons ce moulage des mains de Morphy.


Et voici la position sur le premier échiquier de la gravure.
Il s'agit de la position de la partie par correspondance Paris / Marseille après le 38ème coup des joueurs parisiens. La partie sera gagnée 14 coups plus tard par les parisiens comme l'indique l'article.

Je reviendrai une autre fois sur ces fameuses rencontres par correspondance qui étaient assez fréquentes entre les grands clubs d'échecs au XIXème siècle.

Les blancs viennent de jouer 38.Dxh6 sacrifiant la dame après 38....Txg4+

Pour la petite histoire, sachez que les deux parties du match par correspondance entre Paris (Café de la Régence) et Marseille ont été remportées par les joueurs parisiens.

mardi 4 octobre 2016

Saint-Amant et la Comédie-Française

À plusieurs reprises j’ai lu que Saint-Amant aurait été acteur de théâtre.
Par exemple c’est ce qu’indique Wikipédia, mais sans mentionner de source.


Saint-Amant

Aussi je me suis dit que peut-être il existait un lien entre Saint-Amant et la Comédie-Française.
En effet celle-ci se situe au Palais-Royal, à proximité immédiate du Café de la Régence.
Je me suis donc adressé à la bibliothèque du Théâtre-Français (autre dénomination de la Comédie-Française) en leur demandant si par hasard ce nom apparaitrait dans leurs archives aux environs des années 1820.


Et là bingo, j’ai obtenu la réponse suivante :

M. Pierre Charles Fournier de Saint-Amant n'a ni été pensionnaire, ni sociétaire à la Comédie-Française, nous n'avons donc pas de dossier d'archives à son nom.
Toutefois, il a été effectivement figurant autour des années 1820, et apparait dans un registre de feux, registres de distribution de rôles que vous pouvez venir consulter.
Sachez cependant que nous n'avons pas d'autres documents pertinents sur votre recherche.

C’était suffisant pour m’inciter à leur rendre visite…

Malheureusement il est interdit de publier les documents que j’ai photographiés à ce sujet, mais en voici leur retranscription et mes conclusions.


Tout d’abord une lettre concernant Saint-Amant.

Intendance des Théâtres Royaux
Paris le 23 mai 1823

Nous Duc de Duras, Pair de France, Premier Gentilhomme de la chambre du Roi, etc.
Sur la demande du comité d’administration du Théâtre Français ;
Ouï le rapport de M. l’Intendant des Théâtres Royaux ;
Avons accordé et accordons au sieur St Amand, la permission de débuter au Théâtre Français dans l’emploi des Premiers Rôles de la tragédie.

Paris le 23 Mai 1823
Signé : Le Duc de Duras.
Pour copie conforme.
L’Intendant des théâtres Royaux (signature illisible)

L’orthographe de Saint-Amant est mentionné avec un « d » à la fin de Saint-Amant contrairement au « vrai » nom du joueur d’échecs.

Même la revue "La Stratégie" écrit parfois de façon erronée le nom de Saint-Amant.
Ainsi en novembre 1869 il est écrit "Saint-Amand"...

S’agissait-il d’un homonyme ?
Je ne le pense pas, car dans les registres des feux son nom apparait clairement.
Les registres des feux du Théâtre-Français correspondent initialement aux « indemnités pour le chauffage et l'éclairage de la loge » des acteurs. Il s’agit en fait d’un registre quotidien où sont notés les pièces jouées, les noms des acteurs et leurs rôles respectifs.

Des registres des feux ont déjà été numérisés mais pas encore ceux du XIXe siècle.

Ainsi dans le registre en date du lundi 23 juin 1823, tout juste un mois après avoir obtenu l’autorisation de jouer, j’ai découvert le nom de Saint-Amant (avec un « t » final).
Il y tient le rôle d’Achille dans la tragédie de Racine « Iphigénie en Aulide ».
Si vous souhaitez lire la pièce c’est par ici.
Le document porte également la mention « 1er début de M. St Amant ». Une mention tout à fait habituelle pour indiquer les premières apparitions d’acteurs ou d’actrices.

La signature de Saint-Amant.

Par tout hasard j’ai cherché son nom dans les registres de feux pour les années 1822, 1823, 1824 et 1825 puis j’ai laissé tomber au-delà.
Ce 23 juin 1823 correspond à son unique apparition sur la scène du Théâtre-Français. Peut-être avait-il tenté sa chance dans un autre théâtre auparavant, mais son passage à la Comédie-Française a été des plus furtifs.

Bref, Saint-Amant a bien été acteur, mais n’a pas franchement marqué son époque comme l’a été Talma par exemple…

Ensuite la question que je me pose est la suivante : en 1823 Saint-Amant ne s’est pas encore fait un nom dans le milieu des échecs français dominé par La Bourdonnais après le retrait de Deschapelles. Est-ce la proximité du Théâtre-Français qui l’a incité à pousser la porte du Café de la Régence ? Cette question reste pour le moment sans réponse…