mercredi 16 octobre 2024

Considérations sur la partie Ruy Lopez par Saint-Amant

Saint-Amant va tenir la chronique d'échecs du journal "Le Sport" du début d'année 1855 à janvier 1864, où il cède sa place à Jean Préti, futur créateur de la revue "La Stratégie".
 
Le Sport du mercredi 2 février 1859 - Gallica

J'ai déjà eu l'occasion de parler de ses articles. Par exemple dans un hypothétique fragment d'une partie de Deschapelles inconnu jusqu'à lors, ou bien encore dans ses relations difficiles notamment quand il se fait moucher par Paul Journoud pour ses erreurs.

Mais pour autant ses articles sont parfois très intéressants. C'est ainsi que j'ai découvert comment était considérée la partie Espagnole, ou Ruy Lopez, en ce milieu du XIXe siècle. 
 
La partie Espagnole ou Ruy Lopez
 
Dans le numéro du 2 février 1859 du journal "Le Sport", Saint-Amant commente la deuxième partie du match jouée entre Anderssen et Morphy en fin d'année 1858. C'est une partie Ruy Lopez, de quoi disserter pour Saint-Amant.


Saint-Amant écrit :

On a donné le nom de Lopez à ce début : c’est lui reconnaitre près de trois siècles. Depuis fort longtemps, il était non-seulement négligé, méconnu, mais même condamné. Philidor n’en parle pas : ce n’est pas étonnant, lui qui blâmait jusqu’au Cavalier du Roi sorti à la 3ème case du Fou au second coup de celui qui a le trait.

La Bourdonnais est tout aussi silencieux, dans son pauvre Traité, sur le début de Lopez ; mais La Bourdonnais, aussi bien que Deschapelles, désapprouvait jusqu’à la pensée de porter le Fou du Roi au-delà de la 4ème case du Fou de la Dame, et Deschapelles, tout philidorien, n’admettait pas non plus qu’on pût sortir le Cavalier du Roi, au second coup, à la 3ème case du Fou. Enfin il allait jusqu’à repousser le Giuoco Piano, qui est la partie la plus universellement jouée.

Dans les parties entre La Bourdonnais et McDonnell, où ces grands maîtres abordèrent alternativement tant de débuts variés, on ne trouve pas l’ombre de celui de Lopez.

De nos jours, ce début est devenu une fureur, et il est considéré par les maîtres comme une des plus fortes attaques. Il y a certainement à s’étonner que dans un jeu tout mathématique, se présente, sans que la règle ait été changée, de ces capricieuses révolutions, de ces revirements d’opinions qui ne devraient appartenir qu’à ce qui est un objet de goût ou de mode, et non à ce qui a trait à des calculs précis : 2 et 2 continuent toujours de faire 4.

Après avoir repoussé, condamné ce début de Ruy Lopez, pendant deux cents ans, on le prône aujourd’hui, on le démontre excellent. Est-ce au moins définitif cette fois-ci, et nos neveux ne s’inscriront-ils pas contre ?
 
Comme de nos jours, les ouvertures sont souvent une question de mode.
Je me suis amusé à faire quelques statistiques simplistes avec la Méga Database de Chessbase.
Voici le tableau que j'obtiens avec la répartition des ouvertures.
 

Ok, les échantillons ne sont pas du tout les mêmes (environ 4000 parties répertoriées pour la période 1200 à 1860 contre 210000 pour la seule année 2016). Il est clair qu'il y a beaucoup plus de parties jouées et sauvegardées de nos jours. Mais le résultat reste intéressant à mes yeux.
 
Ainsi jusqu'en 1860, 60% des parties jouées étaient avec 1.e4 e5 ! avec une proportion de 4% de Ruy Lopez contre 15 % de Gambit du Roi.
Les choses évoluent sur la fin du XIXe siècle, la partie Ruy Lopez devient l'ouverture la plus jouée (17% des parties) et le Gambit du Roi recule avec 8% des parties jouées.
Et de nos jours, la reine des ouvertures est sans trop de surprise la défense Sicilienne avec 19% des parties jouées, le Gambit du Roi devenant négligeable et la partie Ruy Lopez revenant à 4%.

Reverrons-nous un jour le Gambit du Roi en tête d'affiche ? Stockfish trouvera-t-il des améliorations pour rendre un peu plus jouable cette ouverture ? L'avenir nous le dira, mais on a un peu de peine à y croire.
 
En attendant vous pouvez rejouer cette 2ème partie du match entre Anderssen et Morphy via l'échiquier interactif ci-dessous, avec les commentaires de Saint-Amant et quelques ajouts de ma part avec l'aide de Stockfish (mes commentaires sont précédés de mes initiales).
Ce match s'est jouée fin décembre 1858 dans la chambre de Morphy à l'hôtel de Breteuil. Le match était tout à fait sérieux, mais les parties jouées assez rapidement.


[Event "Hôtel de Breteuil - Paris"] [Site "Paris"] [Date "1858.12.22"] [Round "2"] [White "Anderssen, Adolf"] [Black "Morphy, Paul"] [Result "1/2-1/2"] [ECO "C77"] [Annotator "Saint-Amant Le Sport 2 février 1859"] [PlyCount "86"] [EventDate "1858.12.20"] [EventType "match"] [EventRounds "11"] [EventCountry "FRA"] {[%evp 0,88,25,16,10,25,17,16,31,-6,3,2,2,-26,-31,-33,-33,-31,-6,-31,-48,-29, 11,-20,-12,-4,-4,-3,-9,-17,3,5,5,-55,-48,-48,-49,-69,-38,-168,-140,-141,-152, -179,-156,-161,-153,-218,-111,-110,-240,-224,-263,-266,-88,-63,-56,-56,-67,-61, -66,-59,-54,-65,-53,-56,-34,-43,-32,-57,-43,-45,-42,-37,-50,-44,-27,-16,-25, -17,-31,-29,-29,-29,-29,-29,-29,-34,-34,-48,-34]} {(JOL) Il s'agit de la 2ème partie du match entre Morphy et Anderssen, match joué dans la chambre de Morphy à l'hôtel de Breteuil à Paris. Les commentaires sont de Saint-Amant pour le journal "Le Sport" du 2 février 1859. J'y ajoute quelques commentaires avec l'assistance de Stockfish. Rappelons que les parties se jouaient sans pendule et que le rythme était assez rapide.} 1. e4 e5 2. Nf3 Nc6 3. Bb5 {On a donné le nom de Lopez à ce début : c’est lui reconnaitre près de trois siècles. Depuis fort longtemps, il était non-seulement négligé, méconnu, mais même condamné. Philidor n’en parle pas : ce n’est pas étonnant, lui qui blâmait jusqu’au Cavalier du Roi sorti à la 3ème case du Fou au second coup de celui qui a le trait. La Bourdonnais est tout aussi silencieux, dans son pauvre Traité, sur le début de Lopez ; mais La Bourdonnais, aussi bien que Deschapelles, désapprouvait jusqu’à la pensée de porter le Fou du Roi au-delà de la 4ème case du Fou de la Dame, et Deschapelles, tout philidorien, n’admettait pas non plus qu’on pût sortir le Cavalier du Roi, au second coup, à la 3ème case du Fou. Enfin il allait jusqu’à repousser le Giuoco Piano, qui est la partie la plus universellement jouée. Dans les parties entre La Bourdonnais et McDonnell, où ces grands maîtres abordèrent alternativement tant de débuts variés, on ne trouve pas l’ombre de celui de Lopez. De nos jours, ce début est devenu une fureur, et il est considéré par les maîtres comme une des plus fortes attaques. Il y a certainement à s’étonner que dans un jeu tout mathématique, se présente, sans que la règle ait été changée, de ces capricieuses révolutions, de ces revirements d’opinions qui ne devraient appartenir qu’à ce qui est un objet de goût ou de mode, et non à ce qui a trait à des calculs précis : 2 et 2 continuent toujours de faire 4. Après avoir repoussé, condamné ce début de Ruy Lopez, pendant deux cents ans, on le prône aujourd’hui, on le démontre excellent. Est-ce au moins définitif cette fois-ci, et nos neveux ne s’inscriront-ils pas contre ?} a6 {Ruy Lopez fait pousser ici le Pion de la Dame un pas, ce qui donne un assez mauvais jeu à la défense ; il fait aussi sortir le Fou du Roi à la 4ème case du Fou de la Dame, et arrive alors à un meilleur résultat.} 4. Ba4 {L’Anonyme de Modène qui donne cette partie, sur le Pion de la Tour poussé, et, selon nous, très judicieusement, au lieu de retirer le Fou, lui fait prendre le Cavalier ; le Pion de la Dame prend le Fou et la partie se termine par une remise, ce qui est la proclamer égale.} Nf6 5. d3 {C’est un coup de défense inutile. Il fait perdre un temps précieux à l’attaque. Le Pion du Fou de la Dame un pas ou Roquer étaient mieux. L’adversaire ne peut prendre le Pion du Roi sans avoir à en reperdre un et à supporter une rude attaque. Quelque convaincu qu’on soit, ce n’est vraiment qu’avec hésitation qu’on se permet le blâme quand il s’agit d’aussi excellentissimes joueurs. L’on s’étonne aussi qu’étant exercés comme ils le sont sur les débuts, qu’ils on explorés à fond avec tant de lucidité, ils puissent prêter le flanc à une juste critique surtout aussitôt, dès le 5ème coup !} Bc5 6. c3 b5 7. Bc2 {Peut-être ce Fou eût-il mieux fait de ne se retirer qu’à la 3ème case du Cavalier de la Dame ; mais cette préférence, qui a été contradictoirement soutenue par de très habiles théoriciens, n’est cependant prouvée victorieusement d’aucun côté ; dans tous les cas, elle n’implique pas une faute, mais simplement une manière différente d’envisager la conduite de la partie.} d5 8. exd5 Nxd5 9. h3 O-O 10. O-O h6 11. d4 exd4 12. cxd4 Bb6 13. Nc3 Ndb4 14. Bb1 Be6 ({(JOL) Prendre le pion laisse de bonnes compensations aux Blancs, mais c'était préférable.} 14... Nxd4 15. Nxd4 Bxd4 16. Qf3) 15. a3 Nd5 16. Ne2 {Ce coup, qui a l’air d’être fait en vue de défendre le Pion de la Dame ou d’éviter l’échange des cavaliers, présente l’insidieuse menace de gagner une pièce en portant, le coup suivant, la Dame à la 2ème case de son Fou. Voir le danger dans ces cas-là, c’est le conjurer, et il ne fallait certainement pas compter qu’il échapperait au joueur sagace qui tenait les noirs.} ({ (JOL)} 16. Qc2 {immédiatement mettait en difficulté Paul Morphy} Nf6 17. Ne4) 16... Nf6 17. Be3 ({(JOL)} 17. Bxh6 $5 gxh6 18. Qc1 Ne7 19. Qxh6) 17... Re8 18. Ng3 Bc4 19. Nf5 {Il ne pouvait pas bouger sa Tour sans perdre le Pion de la Dame ; mais il pouvait opposer Fou à Fou à la 3ème case de la Dame : c’est ce que le commun des martyrs n’eût pas manqué de faire (et c’était peut-être le coup à la fois le plus juste et le plus prudent). M. Anderssen, emporté par l’audace, oublie un moment le terrible adversaire qui lui fait face, et consomme hardiment un premier sacrifice. Après la perte de cet échange, nous allons le voir donner la pièce, et à partir de ces sacrifices son jeu s’élève à la plus grande hauteur et à donné un vif intérêt à la fin de cette partie.} ({(JOL)} 19. Bd3 {était plus raisonnable }) 19... Bxf1 20. Qxf1 Ne7 21. N3h4 Nxf5 22. Nxf5 Qd7 23. Bxh6 {Ce second sacrifice est la suite, la conséquence du premier. Les noirs ont tiré l’épée en jetant le fourreau : les voici avec deux Pions seulement pour une Tour, et encore un de ces pions va-t-il être perdu. Il faut une attaque sans défaillance pour compenser un si fort désavantage matériel.} gxh6 24. Qc1 {Mieux joué que de prendre tout de suite un pion avec le Cavalier, qui ne peut échapper. C’est le renforcement et la richesse de ces attaques qu’il faut étudier dans la manière des grands maîtres.} Bxd4 25. Qxh6 Re1+ 26. Kh2 Ne4 ({(JOL)} 26... Qxf5 $3 {et les Noirs devaient gagner. L'attaque d'Anderssen ne fonctionnait pas. Stockfish donne la ligne suivante où les Noirs ont un bon avantage matériel qu'il reste à convertir.} 27. Bxf5 Rxa1 28. Qg5+ Kf8 29. Qh6+ Ke7 30. Qf4 Rd8 31. Qxc7+ Ke8 32. h4 Re1 {etc. les Noirs se regroupent}) 27. Bxe4 Rxe4 {La Tour ne pouvait prendre la Tour sans s’exposer à être mat ou à perdre au moins le Fou. Dans tous les cas les noirs avaient au moins la remise par un échec perpétuel.} 28. Qg5+ Kf8 29. Qh6+ Ke8 30. Nxd4 Qd6+ {La Dame ni la Tour ne peuvent prendre cet audacieux cavalier sans perdre ensuite l’une ou l’autre Tour, et alors la partie tournerait au désavantage des noirs, qui, au lieu d’avoir encore le bénéfice de l’échange, resteraient avec un Pion de moins.} 31. Qxd6 cxd6 32. Rd1 Kf8 {Peut-être valait-il mieux marcher résolument avec le roi pour soutenir le pion passé, au centre, et le faire agir. Sans doute il pouvait y avoir quelque imprudence à éloigner le Roi des pions liés de l’adversaire soutenus par le Roi. C’est à approfondir et un champ vaste ouvert à l’étude.} 33. Rd2 Rae8 34. g4 R8e5 35. f3 Re1 36. h4 Rd5 37. Kg3 a5 38. h5 Kg8 39. Kf2 Re8 40. Kg3 Kh7 41. Kf4 Re7 {Les noirs ne peuvent pas laisser occuper au roi adverse la ligne des Rois. Malgré l’avantage de l’échange ils seraient exposés à perdre. Les blancs ne peuvent également se départir de leur manière de jouer. C’est une de ces nombreuses parties où celui qui force pur gagner, perd par suite des faux coups qu’il a dû hasarder.} ({ (JOL) Curieusement, Paul Morphy ne pousse pas son avantage, par exemple avec} 41... a4 42. Kg3 b4 43. axb4 Rb8 44. Kf4 Rxb4 45. Ke4 Re5+ 46. Kd3 {Il y a encore du travail, mais les Noirs ont des bonnes chances de gagner la partie}) 42. Kg3 f6 43. Kf4 Re8 {Les blancs, qui avaient eu la velléité de pousser les pions du côté du Roi, y renoncent, n’entrevoyant pas la possibilité d’arriver à quelque bon résultat.} 1/2-1/2

lundi 14 octobre 2024

Le Café de la Régence mis en vente

Retournons à nos fondamentaux !
 
Durant la première visite de Paul Morphy à Paris (Septembre 1858 à début avril 1859) arrive un triste évènement. Le propriétaire des lieux, Pierre Alexis Delaunay décède brutalement le 20 février 1859.
Cela faisait un tout petit peu plus de 2 ans qu’il était à la tête du célèbre établissement.
M et Mme Gillet reprennent alors brièvement l’établissement dont il s’étaient occupés quelques temps avant M. Delaunay, ceci en attendant un nouveau propriétaire, qui sera Pierre Catelain pendant une quinzaine d’années. Les frères Catelain étaient de célèbres restaurateurs parisiens de l’époque.

Voici un court article que j’ai consacré au sujet de Delaunay
https://lecafedelaregence.blogspot.com/2022/10/precision-sur-un-changement-de.html

Vous avez également ici la liste des différents propriétaires du Café de la Régence
https://lecafedelaregence.blogspot.com/2011/09/les-noms-des-limonadiers.html
Il s’agit d’un de mes tous premiers articles que je continue d’actualiser au fur et à mesure de mes recherches.

On trouve alors au cours du mois de mars 1859 plusieurs annonces au sujet de la mise en vente du Café de la Régence, dans différents journaux, y compris en province !

Par exemple dans « La Gazette de France » du 13 mars 1859
 
 
Café-Estaminet de la Régence
Rue Saint-Honoré, 161, à Paris, à vendre pour cause de décès et de minorité, en l’étude de Me Dumas, notaire, boulevard Bonne-Nouvelle, 8 (Porte Saint-Denis), le lundi 21 mars 1859, à midi – Bail jusqu’au 1er avril 1880.
Mise à prix : 210.000 francs.


Difficile de savoir ce que représente ces 210.000 francs de l’époque par rapport à nos euros actuels, mais la somme est considérable, comme le laisse comprendre la référence suivante..

« Le journal de la ville de Saint-Quentin » du 18 mars 1859 indique :
 
 
D’immenses affiches annoncent depuis quelques jours la vente du célèbre café de la Régence, par suite du décès de son propriétaire. La mise à prix n’est pas peu de chose : Deux cent dix mille francs !! mais aussi l’on a droit au titre du café, à ses souvenirs historiques, à la clientèle et à la propriété du journal des Échecs.
L’affiche ne dit pas si dans les charges imposées à l’adjudicataire, il s’en trouve une qui exige qu’il connaisse le noble jeu inventé par Palamède.


une autre annonce intéressante est celle que l’on trouve dans la « Gazette Nationale ou Le Moniteur Universel » du 25 mars 1859 et que m’a communiqué Dominique Thimognier, que je remercie pour cette découverte. Nous y trouvons quelques détails.
Et il semble que le prix de la mise en vente a été baissé. Nous sommes passés de 210.000 francs à 185.000 francs. Est-ce difficile de trouver un acquéreur ? Il sera intéressant d'aller consulter les archives de ce notaire, Armand Vital Dumas, aux archives nationales pour avoir le fin mot de l'histoire. 
 


Étude de Me Dumas, notaire à Paris, boulevard Bonne-Nouvelle, 8 (Porte Saint-Denis)
Adjudication, pour cause de décès et de minorité, en l’étude et par le ministère de Me Dumas, notaire à Paris, le jeudi 31 mars 1859, à midi.
De l’établissement de limonadier connu sous la dénomination de Café et Estaminet de la Régence, sis à Paris, rue Saint-Honoré, 161. Cette adjudication comprendra :
1° Les titres de Café et d’Estaminet de la Régence ;
2° La propriété du journal La Régence, traitant spécialement du jeu des échecs et faisant suite au journal Le Palamède, et autres recueils publiés par les divers propriétaires du café de la Régence ;
3° La clientèle
4° Le matériel
5° Et le droit au bail des lieux d’exploitation et d’habitation, bail qui doit durer jusqu’au 1er avril 1880. Le tout sur la mise à prix de 185.000 fr. Il y aura adjudication même sur une seule enchère.
Entrée en jouissance de suite.
Nota – L’adjudicataire sera tenu de prendre toutes les marchandises qui se trouveront dans l’établissement au jour de la prise de possession, pour le prix qui en sera fixé à dire d’experts.
S’adresser à Me Dumas, notaire à Paris, boulevard Bonne-Nouvelle, 8 (porte Saint-Denis), dépositaire du cahier des charges.


samedi 5 octobre 2024

Entretien de Frank Hoffmeister par Georges Bertola

Voici l'entrevue de Frank Hoffmeister par Georges Bertola, rédacteur en chef de la revue Europe Échecs et historien du jeu d'échecs.
 
CHESS HISTORY & LITERATURE SOCIETY – FRANK HOFFMEISTER 
 

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Frank Hoffmeister préside actuellement la “Chess History & Literature Society” fondée à l’origine sous l’appellation “Ken Whyld Association”. Lors de l’assemblée générale, qui s’est tenue à Budapest les 13 et 14 septembre derniers, se fut l’occasion de faire plus ample connaissance.
 

Georges Bertola : Tout d’abord qu’est-ce qui différencie l’actuelle “Chess History & Literature Society” de l’ancienne “Ken Whyld Association” et qu’est-ce qui la distingue du “Chess Collectors International”?

Frank Hoffmeister :    La dénomination “Ken Whyld Association” provient de l’historien anglais Ken Whyld décédé en 2003, qui avait réuni quelques amis autour de lui pour faire des recherches sur l’histoire des échecs. (Ken Whyld est notamment le co-auteur avec David Hooper d’un ouvrage de référence “The Oxford Companion to Chess”).
 
Ken Whyld
 
Après son décès, ses amis ont décidé de poursuivre son travail en se réunissant dans une association destinée à devenir un cercle de rencontre et d’échange et d’élargir son horizon avec un nouveau nom “Chess History & Literature Society”. L’idée est d’attirer des membres qui ne sont pas centrés uniquement sur le Royaume-Uni, mais dont l’intérêt pour l’histoire correspond à une vision globale du monde des échecs.
  
Le “Chess Collectors International” rassemble des gens qui aiment collectionner des livres, des échiquiers, des pièces, des manuscrits etc. pour faciliter les échanges ou collecter  des informations.  
 
Notre association “Chess History & Literature Society” est plutôt intéressée dans la recherche pour traiter de différents sujets de manière concrète de l’histoire des échecs. Par exemple cette année, lors de notre assemblée générale à Budapest, nous nous sommes concentrés sur l’histoire de la FIDE.   
 
GB : Quelle est la signification d’ajouter le terme “Literature Society”?
 
FH :  C’était dès le début un des grands projets de la “Ken Whyld Association”. Nous disposons d’une base de données “Tobiblion” où les membres trouvent les livres, qui a écrit sur quoi, quand et dans quelle langue. C’est un catalogue électronique sur les jeux, les tournois et notamment les journaux. Les journaux sont particulièrement importants pour les recherches. En général, je ne dispose pas d’articles de journaux dans ma bibliothèque. Lors de mes recherches, je peux consulter la base de données pour vérifier s’il existe des articles intéressants. Découvrir par exemple qu’il existe un article dans un journal suédois cette année-là sur le sujet que j’étudie.
 
GB : Qui gère cette banque de données ?
 
FH : C’est l’association et, plus précisément un de nos membres, Per Skjoldager qui fait ce travail depuis de nombreuses années. Chaque membre reçoit un mot de passe et peut facilement accéder à cette base de données.

GB : Sur le plan du fonctionnement de l’association, c’est avant tout une réunion annuelle ou d’autres évènements sont-ils au programme ?

FH : C’est effectivement une assemblée générale annuelle. Ces trois dernières années nous nous sommes rendus en Italie à Marostica, à Belfort en France et maintenant à Budapest. Mais nous informons également nos membres s’il y a d’autres évènements importants via notre site : https://www.kwabc.org/en/about-us.html
 
Toutes nos activités sont bénévoles, il n’y a aucune rémunération pour les membres qui gèrent l’association. Mettre sur pied un congrès annuel, c’est déjà beaucoup de travail et également le sujet principal de notre réflexion.
 
GB : Qu’est-ce qui est prévu pour 2025 ?
 
FH : Nous avons eu des discussions avec nos membres pour nous rendre en Espagne à Valencia et rendre visite à notre ami  José Antonio Garzon, un historien espagnol reconnu. Un autre projet est de se rendre aux Etats-Unis, mais pour l’option américaine, il faut aussi avoir le soutien de Saint-Louis. Pour l’instant, rien n’est certain. 

À Valencia, nous pourrions combiner la visite avec un évènement sur l’héritage espagnol des échecs qui va être organisé par Garzon.
 
GB :  Lors de la dernière assemblée, plusieurs membres ont proposé Amsterdam, est-ce à l’ordre du jour ?  
FH : Amsterdam reste une destination très intéressante avec le “Centre des échecs Max Euwe”, l’héritage d’un ancien champion du monde. Nous avons aussi un membre, Jurgen Stigter, qui dispose d’une collection impressionnante. Cela reste une option.

GB : Puisqu’il y a le mot littérature dans l’association, est-il prévu de développer plus en profondeur le lien qui existe entre le monde des échecs et celui des artistes. Je pense notamment à Marcel Duchamp, une figure importante du tournoi olympique de Paris 1924 ?

FH : Je réfléchis chaque année sur un sujet et si nous nous décidons sur un sujet comme les échecs et l’Art, ce sera bien sûr un personnage très important. En Allemagne, nous n’avons pas une personnalité de cette envergure, mais il y a beaucoup de joueurs d’échecs qui ont été intéressés par d’autres sujets. Le champion du monde Lasker s’était intéressé aux questions philosophiques et mathématiques. Beaucoup de joueurs se sont intéressés à l’art ou aux sciences. 

GB : Il est donc nécessaire d’élargir l’histoire des échecs en incluant les écrivains, les peintres, les artistes ou les scientifiques pour toucher un plus large public.

FH : Je suis absolument d’accord et pense aussi que les échecs sont une tradition culturelle, qu’ils ont une influence beaucoup plus large qui peut être mise en évidence sans aucun problème.
 
GB : Un sujet passionnant est aussi l’importance du jeu par rapport aux religions. L’un des premiers traités du moine Dominicain Jacques de Cessoles, qui date du XIIIe siècle “Le Jeu des Echecs moralisé”, est un texte au service de la féodalité et de l’ancien régime où chacun doit rester à sa place. Est-ce un sujet qui peut être à l’ordre du jour ?
 
FH : Si l’on va se rendre à Valencia, le sujet général pourrait être « La modernisation des Echecs au XVIe siècle » et, dans ce cas, il y a tous ces aspects qui pourraient faire l’objet de débats et conférences. Pourquoi les règles ont été renouvelées ? Pourquoi la Dame est devenue tellement puissante à partir de Lucena ? Quelles sont les thèses ou les explications ? Un sujet historique celui d’Isabelle la Catholique qui était le symbole d’une femme forte, même dominante à laquelle on a conféré plus de pouvoir au côté du Roi. C’est une thèse soutenue par plusieurs historiens. D’autres historiens l’apparentent plutôt à la symbolique de la Sainte Vierge.

GB : Aujourd’hui que représente l’association “Chess History & Literature Society”. Combien de pays, combien de membres ?

FH : Je suis à la tête de l’association depuis trois ans et à l’époque j’ai hérité d’une association quelque peu en sommeil. Pour relancer l’association, il a fallu créer des activités qui intéressent tous les membres. Nous avons enlevé ceux qui n’étaient plus actifs et qui ne payaient plus leurs cotisations. À ce jour, nous avons plus de 90 membres actifs, la plupart se situent en Europe et quelques Américains. Des personnalités de dimensions internationales telles que Youri Averbakh et Lothar Schmid ont fait partie de notre association. Pour notre congrès ici à Budapest, des membres de la France, de l’Allemagne, de la Belgique, de la Suisse, de la Suède, du Danemark, de l’Irlande, de la Serbie et le Président du Comité historique de la FIDE, Willy Iclicki, sont venues. Bien sûr, aujourd’hui avec les Russes ce n’est pas facile. Toutefois notre but est d’être une association ouverte à tous les historiens ou amateurs de l’histoire des échecs du monde entier. Nous sommes à la recherche de membres plus jeunes, moi-même j’ai 54 ans et j’encourage tous ceux, qui sans être des experts, à nous rejoindre. L’histoire des grands joueurs, leurs contributions échiquéennes ou dans la vraie vie, les liens entre les différents pays qui ont pu être tissés grâce aux échecs, si tout cela les intéresse, ils sont les bienvenus. Ils peuvent nous contacter par courriel. Nous avons décidé de créer un groupe WhatsApp pour faciliter le contact des membres entre eux. C’est un de mes objectifs de créer une plateforme où il y a de la confiance, que l‘on puisse avoir des collègues et partager les connaissances, une plateforme d’échange internationale.
 

Georges Bertola
Budapest le 15 septembre 2024   
     



vendredi 4 octobre 2024

L'adhésion de l'Allemagne et de l'Union soviétique à la FIDE

Frank Hoffmeister, président de l'association CH&LS, a retracé le parcours de l'adhésion de l'Allemagne et de l'URSS à la FIDE.
Deux pays à l'histoire tumultueuse au XXème siècle, tumulte que l'on retrouve dans leurs relations vis-à-vis de la FIDE.
 
Stefan Löffler et Frank Hoffmeister
 
Voici un extrait du texte de présentation de l'assemblée générale des 13 et 14 septembre 2024.

La première conférence de la journée du samedi fut celle du Prof. Frank HOFFMEISTER sur les trois adhésions de la Fédération allemande des échecs à la FIDE : en tant que « Deutscher Schachbund », retardée en 1926 après la fondation de la FIDE en raison de la Première Guerre mondiale, une deuxième fois en 1938 en tant que Fédération allemande des échecs dont la succession automatique à la DSB a été contestée au sein de la FIDE en raison du paragraphe aryen, et une troisième fois en 1950 avec deux fédérations (une en Allemagne de l'Ouest après une dénazification hésitante et une en Allemagne de l'Est après la prise de contrôle soviétique).

La deuxième partie de l'exposé portait sur l'admission de l'Union soviétique, qui n'a eu lieu qu'en 1947. Hoffmeister a montré que la motivation principale était d'établir Botvinnik, fidèle au régime, comme champion du monde. Cela peut également expliquer que les « 6 de Winterthur » (c'est-à-dire Botvinnik, Smyslov, Keres, Reshevsky, Fine et Euwe, qui avaient été nommés par le congrès de la FIDE) se soient mis d'accord en septembre 1946 pour ne pas jouer à Prague, où Najdorf l'a emporté.
 
Malgré l'accord précédent selon lequel le vainqueur de l'accord de Prague aurait le droit de participer au prochain match de championnat du monde, le congrès de la FIDE à La Haye à l'été 1947 en a décidé autrement. Cette décision a également ouvert la voie à l'adhésion de l'Union soviétique à ce même congrès et à la promesse d'organiser le championnat en 1948 à La Haye et à Moscou. Botvinnik ayant remporté le tournoi en temps voulu, le plan a été couronné de succès et a marqué le début de la domination soviétique sur la Fédération mondiale des échecs.  Stefan LÖFFLER a abordé le sujet d'un point de vue autrichien, soulignant la nécessité pour la Fédération autrichienne de s'accommoder de la présence américaine et soviétique dans le pays jusqu'en 1955. 
 

 

mercredi 2 octobre 2024

Lettre manuscrite de Nimzowitsch

Cette assemblée générale est également l'occasion pour nos membres de présenter des documents de leur collection.
Ainsi, Claes Løfgren, a présenté une remarquable lettre manuscrite d'Aaron Nimzowitsch et l'a remise dans son contexte. On peut voir qu'il manque une partie du document, Claes m'a expliqué qu'il est probable que l'autographe de Nimzowitsch a été découpé avant l'acquisition de cette lettre.

Claes Løfgren et Frank Hoffmeister

Voici un extrait (corrigé - la partie jouée est bien celle de Nimzowitsch) du texte de présentation de l'assemblée générale des 13 et 14 septembre 2024.

Après la pause-café, le secrétaire général de l'association, le Danois Claes LOFGREN, a présenté une lettre de NIMZOWITSCH envoyée à l'éditeur d'un journal d'échecs danois. Dans une édition précédente, NIMZOWITSCH avait critiqué un coup discutable d'une partie jouée par lui-même contre un compatriote danois. Lorsque le président du club d'échecs, dont les joueurs avaient été critiqués, a protesté contre ces remarques, il est allé jusqu'à suggérer que le rédacteur en chef de la revue fasse preuve d'un certain contrôle. Cela a incité le grand maître à mettre en garde contre toute forme de censure dans les revues d'échecs, dans un style typiquement « nimzowitschien ».


lundi 30 septembre 2024

Les Olympiades d'échecs d'avant guerre

La deuxième conférence de l'assemblée générale de l'association CH&LS a été donnée par Matthias Johansson et avait pour thème les Olympiades d'échecs avant la seconde guerre mondiale.
Comme on peut le voir, ces olympiades ont été fortement influencées par les évènements politiques de cette période trouble de l'histoire.

Matthias Johansson et Frank Hoffmeister 

Voici un extrait du texte de présentation de l'assemblée générale des 13 et 14 septembre 2024.

(...) Dans la seconde présentation, le Suédois Matthias Johansson a donné des détails très intéressants sur les Olympiades d'avant-guerre, en se concentrant plus particulièrement sur Stockholm 1937. Il a montré que le caractère amateur du tournoi a été aboli lorsque le Royaume-Uni a accepté d'autoriser la participation de joueurs professionnels.
 
D'une manière générale, la Hongrie a dominé la compétition avec des victoires entre 1926 et 1928, tandis que les États-Unis ont conquis trois titres consécutifs entre 1931 et 1935. En 1936, l'Allemagne nazie a organisé une compétition par équipes à Munich, qui n'a pas été reconnue comme une Olympiade de la FIDE. Cependant, la FIDE avait autorisé ses membres à y participer volontairement puisque la Fédération allemande avait suspendu le paragraphe aryen (qui excluait les joueurs juifs d'Allemagne) pour le tournoi. En 2022, un livre de photos de Ferenc Chalupetzky, qui faisait partie de la délégation hongroise à l'Olympiade d'échecs de Munich en 1936, a été publié en Hongrie.
 
L'historien hongrois des échecs László Jakobetz a transformé ce précieux témoignage en un beau livre, qui a été publié à l'occasion de l'Olympiade 2024. Il montre notamment les relations amicales entre les Hongrois et la Fédération allemande d'échecs. La Hongrie a remporté le tournoi malgré les efforts considérables des nationaux-socialistes, qui auraient voulu remporter la médaille d'or et qui, pour cette raison, ont fait jouer le tournoi sur huit échiquiers. Deux ans plus tard, la Fédération allemande des échecs fut acceptée au sein de la FIDE.

 

dimanche 29 septembre 2024

La création de la FIDE à Paris en 1924

Voici le support de la 1ère conférence donnée à Budapest dans le cadre de l'assemblée générale de la CH&LS.
 
Dominique Thimognier présente un travail approfondi sur la création de la FIDE en 1924.
Dominique se penche tout particulièrement sur les différents protagonistes de cette création, et il a découvert des documents tout à fait inédits.
Ce travail complète très bien ma série d'articles que j'ai publiés sur ce blog au sujet des évènements à Paris en 1924.

Dominique Thimognier et Frank Hoffmeister

Voici un extrait du texte de présentation de l'assemblée générale des 13 et 14 septembre 2024.

Au cours de la première conférence, Dominique THIMOGNIER, qui anime le très recommandé site web Héritage des échecs français, a relaté la création de la FIDE en 1924 en apportant de nombreux éléments nouveaux. Il a révélé que, d'une part, des joueurs célèbres (tels que Lasker) et des officiels (tels que le secrétaire général de la Fédération britannique des échecs) avaient déjà soutenu l'idée de créer une fédération mondiale des échecs avant la première guerre mondiale.
 
D'autre part, l'acte de création en marge de l'Olympiade de Paris de 1924 a également été le résultat d'une action spontanée de ceux qui étaient présents à la fin des championnats par équipes. Certains délégués semblent avoir agi sans mandat clair de leur fédération, et certaines fédérations (comme la Fédération espagnole) n'avaient même pas encore été fondées. La question discutée lors de la conférence de savoir si le participant finlandais était présent lors de la réunion de fondation ou s'il a été ajouté plus tard n'a toujours pas été résolue. Il convient également de noter que la longue controverse entre une association de joueurs ou une fédération de nations a été tranchée en faveur de la seconde option, qui était particulièrement privilégiée par l'Angleterre.