mardi 19 novembre 2024

Capablanca par Georges Bertola

Georges Bertola, rédacteur en chef de la revue "Europe Echecs" et historien du jeu d'échecs, vient de publier un livre sur Capablanca, préfacé par le champion ukrainien Vasyl Ivanchuk.
Coïncidence, ce 19 novembre est également le jour de son anniversaire ! 


Un livre passionnant, très richement illustré et qui vous fait revivre la carrière de ce prodige du jeu d'échecs. Le premier tome porte plus exactement sur son ascension, de sa naissance en 1888 jusqu'à l'année précédant le championnat du Monde contre Lasker en 1921.

Vous pouvez vous procurez le livre sur le site de la revue Europe Échecs
Voici le lien direct
https://www.europe-echecs.com/la-boutique-en-ligne.html?prod=426
Prix 39,90 euros

Capablanca en 1931 - Wikipedia

Voici ce qu'indique la 4ème de couverture :

Ce premier volume révèle l’ascension du jeune prodige, José Raúl Capablanca, qui a appris le jeu vers l’âge de 4 ans et demi en observant son père jouer. Il n’appartenait à aucune école, n’a pas étudié le jeu d’échecs autrement qu’en le pratiquant intensément. Il fut rapidement considéré comme un phénomène et son illustre prédécesseur, Emanuel Lasker le 2e champion du monde de l’histoire, devait avouer : « J’ai connu beaucoup de joueurs d’échecs mais un seul génie : Capablanca. »

Au travers de 111 parties qui illustrent son style que l’on a qualifié souvent de limpide, basé sur une excellente technique, j’ai tenté de le faire revivre dans son époque en insistant sur ses qualités humaines. J’ai traité les moments essentiels de sa biographie jusqu’à ce que Capablanca devienne le prétendant incontesté au titre mondial qu’il remportera en 1921.
En rejouant ses parties, la pratique du jeu peut paraître un exercice d’une relative simplicité. On se souvient de lui comme du plus grand joueur de fins de parties du début du XXe siècle, mais dont le traitement des ouvertures est dépassé.

Il n’y a rien de plus trompeur que l’évidence. Si cela peut s’avérer une réalité pour un super Grand-Maître, pour l’ensemble des amateurs et des joueurs de club, la logique de ses analyses, sa vision pragmatique et ses évaluations positionnelles ont conservé une grande partie de leur fraîcheur.
Son style, son efficacité et sa domination face aux joueurs de son époque présentent quelques analogies avec des « géants » de notre temps comme Anatoly Karpov ou Magnus Carlsen.



Georges Bertola a répondu à quelques questions que je lui ai posées au sujet de son livre.

Jean-Olivier Leconte : Peux-tu te présenter succinctement ?
Georges Bertola : J’ai toujours été passionné par le jeu et les joueurs qui ont façonné son histoire. Pour ma part, j’ai pratiqué en amateur (j’ai travaillé à plein temps dans une compagnie d’assurance depuis 1980) et à l’époque il y avait peu de titrés. À la fin des années 80, mon Elo était proche de 2200, j’ai aussi pratiqué la correspondance, avant l’ère des puissants ordinateurs, avec un Elo de plus de 2400. J’ai par la suite collectionné des livres d’échecs, magazines etc. pour réunir l’une des collections les plus importantes de Suisse.

JOL : Pourquoi as-tu choisi Capablanca plutôt qu’un autre joueur d’échecs ? As-tu une affinité particulière avec lui ?
GB : J’avais proposé à Europe Echecs de publier une collection dédiée aux « Champions du monde ». Capablanca était l’un des joueurs qui, par la clarté de sa vision essentiellement stratégique, me semblait être celui dont l’enseignement était le plus pertinent pour les joueurs de club. La simplicité apparente de son jeu, l’application de ses principes et la logique de leurs réalisations sont toujours d’actualité pour aider la plupart des amateurs. C’est avant tout utile pour comprendre le jeu, avant d’apprendre par cœur la complexité de ce que l’on nomme la théorie… 

La tombe de Capablanca à Cuba

JOL : Lors de notre dernière rencontre à Budapest, tu m’as indiqué être allé à Cuba et voir notamment la tombe de Capablanca. Peux-tu raconter dans quelles circonstances tu t’y es rendu ?
GB : En 2016, je me suis rendu à Cuba. La popularité dont jouissait les échecs et les souvenirs que Sylvain Zinser et le GM Florin Georghiu m’avaient rapporté de l’Olympiade de 1966, la résurrection du « Mémorial Capablanca » par le mythique Che Guevara, tout cela avait attisé ma curiosité. Je dois dire que les seuls contacts qui m’ont permis de comprendre la réalité de ce que vivait les Cubains furent quelques joueurs d’échecs, je mentionnerai le GM Silvino Garcia et le MI José Luis Vilela. La visite de la tombe de Capablanca m’a fait prendre conscience de l’importance qu’il représente encore aujourd’hui pour les Cubains. C’est probablement la tombe la plus imposante qui existe d’un joueur d’échecs. 

JOL : Combien de temps as-tu mis pour rédiger ce premier tome ?
GB : Cela m’a pris plus d’une année pour l’écrire, mais depuis que je publie des articles historiques ou autres (depuis 1975 dans presse de Suisse romande), beaucoup de matière se trouvait déjà en «  veilleuse », si je puis dire. Il s’agit d’abord d’un travail de compilation, de synthèse sur tout ce qui j’ai pu rassembler sur Capablanca. L’apport de l’ordinateur pour chercher la vérité est minimal. L’idée est essentiellement de comprendre et de s’immiscer dans les pensées des grands joueurs qui ont écrit sur lui. En parallèle, j’aime introduire des éléments du contexte de la grande histoire qui ont souvent un lien, même ténu, avec les problèmes existentiels des grands champions. Celui qui me semble le plus intéressant, Alekhine, est le prochain sur la liste de mes projets.

JOL : Il s’agit pour le moment du 1er tome. As-tu prévu 2 ou 3 tomes ? 
GB : Je travaille actuellement sur le 2e tome qui couvre la période de la conquête du titre en 1921 jusqu’à sa mort. Donc, se sera probablement le 2e et dernier tome consacré à Capablanca. Au vu de la matière, notamment le match de 1927 et ses relations compliquées avec Alekhine, il sera tout aussi volumineux, si ce n’est pas plus… 

JOL : Quand penses-tu que ce deuxième tome sera disponible ?
GB : Il me faudra certainement encore une année pour mener à terme ce projet. Je dois avouer que l’image caricaturale que j’avais du champion Capablanca, qui n’étudiait pas les échecs, a été sérieusement écornée. C’est le GM Vasyl Ivanchuk, qui lors d’un entretien il y a quelques années, m’avait dit qu’il lui semblait impossible que Capablanca ne préparait pas ses parties. Il se référait notamment à son match contre Max Euwe. Une opinion que je partage désormais.

Merci Georges.

jeudi 31 octobre 2024

L'Agonie des Aigles

Sans vraiment tenir de comptabilité, j'ai recensé jusqu'à présent deux films et une pièce de théâtre dans lesquels est représenté le Café de la Régence.
 
Pour le théâtre, plus exactement il s'agit d'un opéra comique en un acte intitulé "Battez Philidor" et daté de 1882.Toute l'action se déroule dans le Café de la Régence. 
 
L'affiche du film de 1922 L'Agonie des Aigles

Pour le cinéma, j'ai trouvé un film amateur "une partie d'échecs" mentionné dans le bulletin de la FFE (avril-juillet 1935), et une brève scène dans une reconstitution du Café de la Régence dans un film plus récent "Karl Marx" de 2017.

Sinon, j'espère mettre un jour la main sur un film tourné dans le véritable Café de la Régence en mars 1933 à l'occasion d'une simultanée de Lasker.
 
Voici donc une 4ème représentation du Café de la Régence dans un film de 1922 intitulé "L'Agonie des Aigles". Film muet en noir et blanc de Dominique Bernard-Deschamps, sur un scénario de Georges d'Esparbès, d'après son roman Les Demi-soldes (roman que l'on trouve également sous le titre L'Agonie des Aigles).

Le journal L'Illustration y consacre un grand article illustré dans son numéro du 15 janvier 1921.
Et parmi toutes les photos publiées se trouve une reconstitution du Café de la Régence.
 
La couverture de L'Illustration du 15 janvier 1921
 
Voici un extrait de l'article de L'Illustration. Le "centenaire" fait bien évidemment référence au centenaire de la mort de Napoléon Bonaparte.

Une société française (Art et Cinématographie), spécialement fondée pour reconstituer avec le cinéma les hautes fresques de notre histoire nationale, a consacré plusieurs millions à la réalisation d’un film dont la projection prochaine inaugurera les cérémonies du centenaire, que l’on a voulu émouvant et magnifique, qui s’appellera l’Agonie des Aigles, et dont l’un des décors essentiels sera le palais de l’abdication et des adieux célèbres : Fontainebleau. 
 
Et un habile metteur en scène, M.Bernard-Deschamps, s’est appliqué à composer devant l’objectif les images d’un récit filmé, un récit tout en action et en sensibilité ardente, que l’on a eu la très heureuse inspiration de prendre, pour la plus grande partie, dans l’œuvre de Georges d’Esparbès.
 

 
 
 

 












La reconstitution est intéressante, mais elle ne correspond pas à la réalité de l'emplacement de la Régence.
Sous la Restauration, le Café de la Régence se trouvait place du Palais-Royal.
 
Là, de chaque côté de cette image on distingue une colonne ainsi que des grilles. 
Cette reconstitution a probablement était faite dans les jardins du Palais-Royal et non sur la place du même nom, car ces grilles sont vraiment caractéristiques du lieu.

samedi 26 octobre 2024

Alekhine, d’une patrie à l’autre, sous les couleurs Françaises, par Guy Gignac

Guy Gignac (Québec) vient de publier, à compte d’auteur, un formidable opuscule qui retrace la vie d’Alekhine. Une bonne synthèse biographique de la vie tumultueuse du 4ème champion du Monde d'échecs.


Guy est un collectionneur incoercible de tout ce qui touche de près ou de loin à Alekhine et je ne peux que vous recommander d’acquérir son livre, en contactant l’auteur directement à son adresse courriel gignac_guy@hotmail.com
 
La préface de Thierry Lafargue

Un seul (petit) regret : le lecteur avide, que je suis, attendait une iconographie encore plus riche !
 
  
Un document exceptionnel de la collection de Guy et publié dans son livre.
Photo de l'équipe de France aux olympiades de Hambourg en 1930
De gauche à droite, Aristide Gromer, Marcel Duchamp, Alexandre Alekhine, André Voisin, Louis Betbeder 
Notez la dédicace : Le 24.7.1930 Meilleures pensées aux amis du Cercle Philidor, restés à Paris

Par exemple en page 34, Guy parle, sans le montrer, d’un encrier offert à Alekhine lors de l’olympiade d’échecs à Paris en 1924 et qu’il a acquis. Vous pouvez voir une photo de cet objet incroyable dans un article que j’ai publié en juillet dernier. Photo que Guy m'avait généreusement autorisé à publier sur ce blog.
 

L'encrier offert à Alekhine à Paris en 1924 - Collection Guy Gignac
 
Sommaire 




mercredi 23 octobre 2024

Triche

Depuis quelques jours, une nouvelle et triste affaire de triche touche le jeu d’échecs. Le jeune Grand Maître International Kirill Chevtchenko (d’origine Ukrainienne) est accusé d’avoir triché avec son téléphone mobile lors du championnat d’Espagne par équipe. Ce n’est pas la première fois qu’une telle affaire de triche a lieu, et c’est un véritable poison qui peut tuer la compétition aux échecs.

La triche est un phénomène vieux comme les jeux eux-mêmes. En 1861, le célèbre prestidigitateur Français Jean-Eugène Robert-Houdin publie l’excellent « Les tricheries des grecs dévoilées : L’art de gagner à tous les jeux », mais heureusement il ne parle pas du jeu d’échecs !
Pour la petite histoire, un « grec » désignait au XIXème siècle un tricheur professionnel.

Et pour le jeu d’échecs ? J’y arrive…

Ferdinand Bloch - Types du Boulevard - Paris (Source Gallica)

Dans le livre « Types du Boulevard », un écrivain méconnu, Ferdinand Bloch, trace différents portraits de personnages typiques des boulevards parisiens de la fin du XIXème siècle. Curieusement le livre n’est pas daté, mais la BNF nous apprend que la production littéraire de Ferdinand Bloch va essentiellement de 1890 à 1910, d’où mon estimation.
 
Dans un style souvent humoristiques et parfois en vers, une trentaine de figures parisiennes sont décrites : Le monsieur qui va aux premières, le flâneur, la balayeuse, le monsieur qui attend l’omnibus, le buveur de bière pour lequel il termine ainsi

(…) Le lendemain, comme la veille,
On peut le voir, au même endroit,
Dans une attitude pareille,
Recommencer le même exploit.


etc. Bref, parmi ces portrait, se trouve une description sur deux pages d’un joueur d’échecs (à partir de la page 69 du livre).
 


Ce chapitre sur le joueur d’échecs (de boulevard) fait référence très probablement au Cercle Philidor.
En 1895 le Cercle Magenta, situé au Café du Globe, 8 boulevard de Strasbourg, change de nom et devient le Cercle Philidor. C’est un des 3 lieux emblématiques du jeu d’échecs à Paris à la fin du XIXème siècle, avec le Café de la Régence et le Grand Cercle et Cercle des échecs de Paris.

A cette époque, une partie d’échecs se joue essentiellement avec un enjeu, quelques centimes ou quelques francs. Là, notre joueur intéressé n’hésite pas à consulter un carnet de notes durant la partie s’il est embarrassé. Une tricherie à l’ancienne, que j’ai vu dans les années 1980 dans un tournoi.
Un joueur avait été surpris dans les toilettes en train de consulter une partie dans la revue yougoslave l’Informateur. Autre époque, autre méthode de triche…

Voici le texte de Ferdinand Bloch

Le joueur d’échecs

Le joueur d'échecs frise la cinquantaine, souvent même il l'a défrisée.
Vêtu toujours du même paletot, sorte de redingote à basques, que le temps a marqué de son aile destructive, on le voit, entre une heure et deux heures de l'après-midi, suivre d'un pas toujours égal, la route, toujours la même, qui le conduit au café où il a établi ses assises.
 
Le joueur d'échecs est sobre et économe. 
Au café, sans qu'il ait besoin d'interpeller le garçon, celui-ci lui apporte, dès qu'il est assis, l'unique consommation, qu'il prendra durant la journée, une demi-tasse avec bain de pied — café dans la soucoupe — et un petit verre d'eau-de-vie. 

Quand le joueur d'échecs engage une partie, à cinquante centimes ou à un franc, avec un nouveau venu, il étudie minutieusement le jeu de son adversaire, et s'il se trouve embarrassé, il prétexte le besoin de s'absenter pendant un instant et va, dans une pièce voisine, consulter un carnet dont il ne se dessaisit jamais, et sur lequel sont notés tous les coups possibles. 

Le joueur d'échecs a conservé l'extrême courtoisie qui régnait a l'époque où les échecs étaient le jeu favori des grands seigneurs. Jamais il ne se laisse aller à un mouvement d'humeur, jamais il ne prononce une parole acerbe. 

Dès que la partie est terminée et que le joueur d'échecs a empoché l'enjeu de son adversaire, il salue celui-ci cérémonieusement et se met à la recherche d'un nouveau « pigeon ».
Si un joueur réputé très fort propose une partie intéressée au joueur d'échecs, le joueur d'échecs se plaint d'une migraine violente ou d'un mal d'yeux subit.... 

Quand le joueur d'échecs ne trouve plus d'adversaires au-dessous de sa force, il se fait professeur à trois francs le cachet, et... se laisse battre par ses élèves.



samedi 19 octobre 2024

Entretien avec Herbert Bastian sur le livre : Chapais - Das revolutionäre Schachmanuskript von Gaspard Monge

Herbert Bastian, avec qui j’ai collaboré pour le centenaire de la FFE, vient de publier un travail remarquable (en Allemand), fruit de longues années de recherche, sur le mystérieux manuscrit dit "de Chapais". Vous avez une courte présentation par Oliver Sheppard de ce manuscrit du XVIIIe siècle, consacré aux finales du jeu d’échecs, sur le site internet de l’association dont je suis le président. 
 
 
Voici l’entretien qu’il a donné et qui a été initialement publié en anglais sur le site de la CH&LS (Chess History and Literature Society). Et s'il n'y a qu'une chose à retenir de cet entretien, pour ma part c'est ce paragraphe fondamental :

" (...) Indépendamment de l'identité du véritable auteur, le manuscrit est un chaînon manquant dans l'histoire des échecs. Ceux qui étudient mon livre s'en rendront compte. Il s'est avéré qu'il existait en France au XVIIIe siècle, à côté de Philidor qui dominait tout, un autre auteur qui était au moins égal à lui en termes de capacité d'analyse, voire supérieur en termes de performance globale, selon ma conviction.(...)"
 
Présentation de l’auteur
Herbert Bastian est né en 1952. Après son baccalauréat et le service militaire, il étudie les mathématiques et la physique jusqu'au deuxième examen d'État, puis commence dans la recherche comme collaborateur scientifique dans le domaine de la physique expérimentale, puis comme enseignant dans une école polyvalente. 

Parcours en tant que joueur d'échecs : vainqueur de la coupe d'Allemagne en 1976, 20 fois champion de la Sarre, 27 participations au championnat individuel allemand, 10 ans en Bundesliga pour le club d'échecs de Munich 1836, titulaire d'une licence d'entraîneur A depuis 1986, Maître International depuis 2005, 14 apparitions en tant que joueur national.

Fonctions officielles : Président de l'Association sarroise des échecs de 1992 à 2016, porte-parole des associations régionales de la Fédération allemande des échecs de 2004 à 2011, président de la Fédération allemande des échecs de 2011 à 2017, président honoraire depuis 2023, vice-président de la FIDE de 2014 à 2018, actuellement chargé des relations franco-allemandes par  la fédération allemande des échecs. 2017 Remise de l'insigne d'honneur du Deutscher Olympischer Sportbund, pour la première fois à un joueur d'échecs.

Publications (sélection) : La France et son apport dans le jeu d'échecs en Europe (2022), avec le professeur Frank Hoffmeister et Jean Olivier Leconte, à l'occasion du 100e anniversaire de la Fédération Française des Échecs.
 
Siegfried Schönle
L'intervieweur est un collectionneur de scènes d'échecs dans la littérature allemande et s'intéresse à l'histoire culturelle du jeu.
 
Entretien avec Herbert Bastian

Siegfried Schönle : Tu as consacré environ 10 ans à l'élaboration de ce livre. Peux-tu décrire les grandes lignes de ton parcours depuis le début jusqu'à l’impression du livre ?
 
Herbert Bastian : Eh bien, ce long délai s'explique notamment par le fait qu'au début, j'étais encore en activité professionnelle et impliqué dans plusieurs fonctions bénévoles. De plus, la rédaction du livre sur le centenaire de la Fédération Française des Échecs (2021-2022) et d'autres essais ont entraîné un retard supplémentaire. Les débuts remontent à 1966, mais cela et l'histoire complète peuvent être consultés dans le livre, qui est rédigé en allemand.

La décision de traduire le volumineux manuscrit de Chapais (523 pages, pas de diagrammes) et de le présenter de manière moderne a été prise en 2015 lors d'une visite à Kórnik (Pologne), où j'ai examiné le fonds von der Lasa avec le Dr Michael Negele (Wuppertal, aujourd'hui Lübeck) et Tomasz Lissowski (Varsovie) et où j'ai eu le plaisir de tenir le « Saint Graal » entre les mains.


Un regard sur le manuscrit Chapais (Kórnik, Pologne, 2015)

J'ai tout de suite compris que l'auteur devait être un mathématicien - d'où ma motivation à le suivre à la trace. Il a fallu un an pour transférer le texte sur un ordinateur et un autre pour le traduire.
 
Grâce à des échantillons de manuscrits, j'ai découvert dès 2016 que le mathématicien Gaspard Monge (*1746 ; 1818), qui m'était totalement inconnu jusqu'alors, était un candidat « chaud ». Après avoir fait part de ma découverte à Michael Negele, nous sommes tombés à peu près en même temps, lors d'une soirée mémorable, sur une note de 60 pages de notes de Monge sur le problème de la marche du cavalier, non publiées jusqu'à présent, dans les archives de l'École Polytechnique. J'ai fait numériser ces pages après une visite de la célèbre école. Plus tard, j'ai réussi à établir un lien entre ces notes et le manuscrit de Chapais, dont je parle dans le livre.

Le problème était que l'écriture dans le manuscrit de Chapais ne correspondait pas exactement aux nombreux exemples d'écriture dans la succession de Monge. De plus, ma thèse a été mise en doute de différents côtés et avec différentes critiques. C'est pourquoi j'ai exploré chaque piste, même la plus faible, sans jamais trouver de preuve totalement convaincante, mais sans jamais non plus trouver de véritable réfutation. 

Les indices sont maintenant convaincants pour moi, et il y a eu des sous-produits passionnants. Ainsi, j'ai ainsi découvert beaucoup de choses nouvelles sur Philidor (Schach 8/2019, p. 40-50), et j'ai pu, après 6 mois de recherches intensives, découvrir quelque chose d'essentiel sur Montigny, l'auteur anonyme des Stratagèmes de 1802 (Schach 8/2020, p. 32-42). 

De plus, on connaît maintenant l'histoire du fameux problème du maréchal de Saxe. Il s'agit apparemment d'un type de problème publié pour la première fois par Gianutio (1593/1597), qui chiffrait en fin de compte un plan de bataille et servait à l'entraînement de la pensée stratégique chez les militaires. J'ai même trouvé des preuves que ce problème d'échecs aurait pu influencer la planification de la bataille d'Austerlitz par Napoléon.
 
La position préférée du maréchal de Saxe
 
Les documents originaux de Mézières ont été transférés à Metz en 1793, lorsque l'école y a été transférée. De là, les Prussiens auraient emporté les documents à Berlin après la guerre de 1870, où ils ont été victimes d'un bombardement pendant la Seconde Guerre mondiale. Malgré tout, j'ai bon espoir que l'on trouve encore quelque chose un jour, peut-être dans les archives du ministère français de la Défense ou dans les archives maçonniques. Les divergences mentionnées entre les manuscrits s'expliquent. Le manuscrit de Chapais est conçu comme une calligraphie minutieuse, si l'on entre dans les détails, on trouve des habitudes similaires chez Monge et Chapais. Cela m'a pris beaucoup de temps pour trouver la solution. 

Mes conclusions ne seront pas totalement convaincantes, les analyses sont trop compliquées pour cela. J'ai moi-même dû comprendre la typographie française du XVIIIe siècle avant de comprendre les habitudes de l'auteur. Mais si l'on considère l'ensemble des connaissances, je pense que les indices sont suffisants pour dire que l'auteur du manuscrit est Gaspard Monge.
 
Siegfried Schönle : Quelle a été ta question principale au cours de ces longues années et surtout, quelle a été ta motivation personnelle et de fond ?

Herbert Bastian : Le premier à avoir présenté le manuscrit est le collectionneur français Dr Jean Mennerat (*1917 ; 2007) lors de la conférence Lasa de Kórnik en 2002 ; il a été traduit par le Dr Harald Balló, sur le site duquel j'ai découvert la première référence vers 2008. Mennerat a dit que l'on ne pourrait vraiment juger de la valeur du manuscrit que lorsqu'on en aurait fait une présentation contemporaine. Il qualifiait cela de "travail de bénédictin" en raison de la notation singulière et difficilement maniable, ce que Harald traduisait par "Pferdearbeit (travail de cheval)" avec l'assentiment de Mennerat.

Je considérais ce "travail de cheval" comme un défi que je voulais relever. Sur le plan du contenu, j'étais surtout attiré par la théorie de Chapais de la finale Roi et deux cavaliers contre Roi et pion, qui n'existait pas encore avant lui. Ce que j'ai découvert ensuite était si passionnant que je ne pouvais plus m'arrêter. Cela concerne aussi bien le contenu proposé par Chapais que l'étude des racines historiques de ses thèmes. Et bien sûr aussi la personne de Gaspard Monge, l'une des personnalités les plus intéressantes de la France du XVIIIe siècle, qui m'était totalement inconnue auparavant.
 
Gaspard Monge
 

Siegfried Schönle : Le contenu est caractérisé de manière assez grossière par « la théorie des fins de parties ». Tu peux certainement donner des informations plus détaillées aux lecteurs ! 

Herbert Bastian : Chapais explique au début qu'il n'a pas voulu écrire un livre d'échecs, mais seulement donner à ses amis des réponses à des questions sur les finales « qui présentent des difficultés ». Je suppose que ce cercle d'amis était la loge maçonnique fondée en 1765 à l'École du génie (école d'élite pour les ingénieurs militaires) à Mézières. Le manuscrit a été conçu avant 1772 et soigneusement couché sur papier de 1772 à 1777, en plusieurs phases de travail que j'ai identifiées. Il commence par une définition de la notion d'opposition, issue de l'astronomie, dérivée d'une finale à 2 pions contre 1 seul, souvent réimprimée par la suite.
 
C'est à partir de cette position que Chapais a développé son concept d'opposition.
 
Le terme est ensuite repris par les amateurs parisiens en 1775 et diffusé dans une version plus simple, mais il est certainement dû à Chapais. Lui-même ou l'un de ses amis l'a ensuite utilisé dans le Café de la Régence à Paris. Chapais a également découvert et utilisé le mouvement du roi multifonctionnel, bien avant Réti. Les finales les plus importantes, et de loin pas les seules, sont Tour contre Cavalier, Dame contre Tour, Roi et deux Cavaliers contre Roi et Pion et enfin Roi, Tour et Fou contre Roi et Tour.

Dans ce dernier cas, pour lequel il avait utilisé l'ouvrage de Lolli (1763), il a démontré que la conclusion de Philidor selon laquelle la finale est toujours gagnée par la partie la plus forte est fausse. Une grande place est également accordée aux solutions du problème de la marche du cavalier, précédemment affiné scientifiquement par Euler. Le travail d'Euler fut publié en 1766 et connu en France à partir de 1767.

Siegfried Schönle : L'auteur du manuscrit m'est probablement totalement inconnu, et je ne suis pas le seul. Qui est-il, qu'as-tu pu trouver à son sujet dans les archives ?

Herbert Bastian : Avant mes publications, on ne disposait que de quelques indications sur la vie de Chapais. Il se qualifiait lui-même de « négociant à Paris ». En outre, il était clair qu'il devait être instruit. Mennerat n'a rien trouvé sur lui dans les archives, et il en a été de même pour Harrie Grondijs et moi-même.

Aujourd'hui, je suis certain que Chapais est un pseudonyme derrière lequel se cache le célèbre mathématicien, physicien et homme politique Gaspard Monge, fondateur de l'École polytechnique et ami intime de Napoléon, dont il fut le directeur scientifique lors de la campagne d'Égypte. C'est à cette occasion que Monge a expliqué pour la première fois comment se produit un mirage. Dans mon livre, on peut lire sur une centaine de pages tout ce que j'ai découvert sur lui. Il n'y a toutefois pas de preuve directe, de sorte que des recherches supplémentaires sont nécessaires pour dissiper les derniers doutes.
 
Siegfried Schönle : À qui tes résultats de recherche peuvent-ils servir ou être utiles ? Quelle est l'importance de ton livre dans le contexte de la recherche sur l'histoire des échecs ?

Herbert Bastian : Lorsque l'on se lance dans un tel projet, on apprend d'abord soi-même énormément. Cela se répercute sur les autres et, dans le meilleur des cas, les incite à se lancer dans une tâche. C'est une source de joie et de qualité de vie.

Dans mon cas, on a découvert quelque chose sur Gaspard Monge qui était totalement inconnu jusqu'à présent, et ce même si ma thèse s'avérait fausse, car j'ai beaucoup écrit sur son environnement historique, et il reste ses solutions au problème de la marche du cavalier que j'ai décryptées et qui n'avaient pas encore été publiées. En tout cas, la biographie de cet éminent scientifique s'en trouve élargie.

Indépendamment de l'identité du véritable auteur, le manuscrit est un chaînon manquant dans l'histoire des échecs. Ceux qui étudient mon livre s'en rendront compte. Il s'est avéré qu'il existait en France au XVIIIe siècle, à côté de Philidor qui dominait tout, un autre auteur qui était au moins égal à lui en termes de capacité d'analyse, voire supérieur en termes de performance globale, selon ma conviction.

Les découvertes sur le réseau de Monge et sur les coopérations internationales ont considérablement élargi ma vision du XVIIIe siècle, le siècle des Lumières. Ceux qui liront ces passages de mon livre verront la France d'un œil nouveau. Bien entendu, les praticiens ont également tout à gagner à étudier les nombreuses finales. Même les entraîneurs peuvent en tirer profit s'ils se penchent sur la didactique de l'auteur. Monge avait une excellente réputation en tant qu'enseignant et professeur d'université, cet aspect correspond également à la démarche du manuscrit Chapais qu'il aura écrit dans sa jeunesse. Il avait été nommé professeur de physique à l'âge de 16 ans en raison de ses compétences particulières.
 
Siegfried Schönle : En règle générale, les collectionneurs et les bibliophiles ont des exigences en matière de présentation du livre. Dis quelque chose sur la mise en page, la reliure, etc.

Herbert Bastian : Tous mes interlocuteurs étaient d'accord avec moi pour dire que l'œuvre de Chapais méritait une mise en page appropriée. C'est pourquoi j'ai collaboré avec Ulrich Dirr, qui avait déjà réalisé la mise en page des différents volumes de la biographie de Lasker.

Je trouve la mise en page très réussie, la reliure en toile noire avec impression dorée, appréciée de tous jusqu'à présent, ainsi que le papier fin complètent l'impression. Le livre comporte des pages d'essai et, à la fin de l'ouvrage, environ 40 illustrations originales en couleur, ce qui permet au lecteur de se faire une bonne idée de ce dont il s'agit.

En outre, il propose des index très complets de la littérature, des noms et des mots-clés. Nous avons consacré deux ans à la conception de la mise en page et aux corrections, de sorte que le nombre d'erreurs restantes devrait être faible. Un bémol toutefois : le prix élevé, qui est loin de couvrir les coûts de production. Sans les dons généreux d'amis bienveillants qui ont reconnu la valeur historique, le projet n'aurait pas pu être réalisé avec cette qualité.
 
La figure du bas montre le "plan de bataille" du maréchal de Saxe.
 
Siegfried Schönle : La maison d'édition Exzelsior Berlin est connue au moins parmi les amateurs d'échecs allemands. Un ouvrage aussi volumineux nécessite de nombreuses discussions avant d'être imprimé. Donne-nous un aperçu de cet aspect de la fabrication d'un livre, s'il te plaît.

Herbert Bastian : Ma première publication a eu lieu dans Schach 10/2017, p. 32-43. Raj Tischbierek, le rédacteur en chef de Schach, a tout de suite reconnu le caractère "explosif" du sujet et m'a toujours soutenu amicalement depuis. Il a toujours été clair que ma conception - présentation complète des résultats de mes recherches, impression de haute qualité - ne permettrait pas d'obtenir un succès commercial. Ce qui m'intéressait, c'était la cause, pas l'argent. C'est pourquoi j'ai pris en charge les frais de mise en page et d'impression restants après les dons, et donc l'intégralité des risques. Afin de minimiser les pertes prévisibles, le livre ne peut pour l'instant être commandé que par mon intermédiaire, et c'est l'imprimerie qui le livre.

J'ai été en contact permanent avec Ulrich Dirr pour la réalisation de la mise en page. Comme il est un entraîneur d'échecs compétent et un collectionneur de livres d'échecs, il a pu me donner de nombreuses indications qui ont complété mon travail. J'ai moi-même réalisé les innombrables diagrammes et repères.
Frank Hoffmeister, qui m'a toujours accompagné amicalement pendant toutes ces années, m'a posé des questions et m'a toujours encouragé à terminer l'ouvrage. C'est au Dr Michael Negele que je dois d'avoir pu pénétrer aussi profondément dans l'histoire des échecs. Le livre rend hommage à sa contribution.

Enfin, je dois remercier la Société Emanuel Lasker en la personne de l'infatigable Thomas Weischede, qui m'a considérablement aidé à financer la mise en page. Je remercie également Kathleen Kremp de la ELG pour la tenue des comptes. Enfin, et ce n'est pas le moins important, je remercie la CH&LS pour son soutien, que je retourne à ses membres sous la forme d'une réduction de prix.
 
L'ouvrage comporte deux parties, avec un total de 32 chapitres sur 832 pages. La première partie contient une traduction complète des 19 chapitres du manuscrit, complétée par environ 700 diagrammes et notes historiques, respectivement sur l'origine des thèmes traités par Chapais. La deuxième partie contient des compléments et des analyses sur l'ordre chronologique des ensembles de pages reliées entre elles, dérivées d'études typographiques. Il en résulte que certains ensembles de pages ont été remaniés après la réalisation de la version originale (1772-1773) et ont remplacé les pages originales.

Dans la deuxième partie, on trouve également une biographie complète de Monge et des considérations sur son environnement échiquéen. Qui aurait su, par exemple, que les célèbres physiciens Coriolis et Ampère, qui enseignaient à l'École polytechnique, étaient des joueurs d'échecs passionnés ? L'ouvrage se termine par une comparaison des profils de Chapais et de Monge.

Enfin, je tiens à préciser que l'épouse de Monge, Catherine Huart, n'est décédée qu'en 1846, à l'âge de 99 ans. Cela pourrait expliquer pourquoi le manuscrit n'est apparu qu'en 1854 ou 1855 et a été acquis par von der Lasa. C'est l'une des nombreuses pièces de la mosaïque qui, à mes yeux, donne une image claire de la situation.

Siegfried Schönle : Cher Herbert, merci beaucoup pour tes réponses détaillées, utiles et informatives. Je suppose, et je ne dis pas cela à la légère, que tes réponses seront utiles aux futurs lecteurs du livre.
 

Données bibliographiques Herbert Bastian, Chapais - Das revolutionäre Schachmanuskript von Gaspard Monge, Exzelsior Verlag, Berlin, 2024, 832 pages, reliure en toile, prix 99,- € (pour les membres de CH&LS 79,- €), plus frais de port et d'expédition. Commande uniquement auprès de l'auteur par e-mail à herbertbastian@freenet.de, livraison par l'imprimerie.
 
Extraits
 
 
 

mercredi 16 octobre 2024

Considérations sur la partie Ruy Lopez par Saint-Amant

Saint-Amant va tenir la chronique d'échecs du journal "Le Sport" du début d'année 1855 à janvier 1864, où il cède sa place à Jean Préti, futur créateur de la revue "La Stratégie".
 
Le Sport du mercredi 2 février 1859 - Gallica

J'ai déjà eu l'occasion de parler de ses articles. Par exemple dans un hypothétique fragment d'une partie de Deschapelles inconnu jusqu'à lors, ou bien encore dans ses relations difficiles notamment quand il se fait moucher par Paul Journoud pour ses erreurs.

Mais pour autant ses articles sont parfois très intéressants. C'est ainsi que j'ai découvert comment était considérée la partie Espagnole, ou Ruy Lopez, en ce milieu du XIXe siècle. 
 
La partie Espagnole ou Ruy Lopez
 
Dans le numéro du 2 février 1859 du journal "Le Sport", Saint-Amant commente la deuxième partie du match jouée entre Anderssen et Morphy en fin d'année 1858. C'est une partie Ruy Lopez, de quoi disserter pour Saint-Amant.


Saint-Amant écrit :

On a donné le nom de Lopez à ce début : c’est lui reconnaitre près de trois siècles. Depuis fort longtemps, il était non-seulement négligé, méconnu, mais même condamné. Philidor n’en parle pas : ce n’est pas étonnant, lui qui blâmait jusqu’au Cavalier du Roi sorti à la 3ème case du Fou au second coup de celui qui a le trait.

La Bourdonnais est tout aussi silencieux, dans son pauvre Traité, sur le début de Lopez ; mais La Bourdonnais, aussi bien que Deschapelles, désapprouvait jusqu’à la pensée de porter le Fou du Roi au-delà de la 4ème case du Fou de la Dame, et Deschapelles, tout philidorien, n’admettait pas non plus qu’on pût sortir le Cavalier du Roi, au second coup, à la 3ème case du Fou. Enfin il allait jusqu’à repousser le Giuoco Piano, qui est la partie la plus universellement jouée.

Dans les parties entre La Bourdonnais et McDonnell, où ces grands maîtres abordèrent alternativement tant de débuts variés, on ne trouve pas l’ombre de celui de Lopez.

De nos jours, ce début est devenu une fureur, et il est considéré par les maîtres comme une des plus fortes attaques. Il y a certainement à s’étonner que dans un jeu tout mathématique, se présente, sans que la règle ait été changée, de ces capricieuses révolutions, de ces revirements d’opinions qui ne devraient appartenir qu’à ce qui est un objet de goût ou de mode, et non à ce qui a trait à des calculs précis : 2 et 2 continuent toujours de faire 4.

Après avoir repoussé, condamné ce début de Ruy Lopez, pendant deux cents ans, on le prône aujourd’hui, on le démontre excellent. Est-ce au moins définitif cette fois-ci, et nos neveux ne s’inscriront-ils pas contre ?
 
Comme de nos jours, les ouvertures sont souvent une question de mode.
Je me suis amusé à faire quelques statistiques simplistes avec la Méga Database de Chessbase.
Voici le tableau que j'obtiens avec la répartition des ouvertures.
 

Ok, les échantillons ne sont pas du tout les mêmes (environ 4000 parties répertoriées pour la période 1200 à 1860 contre 210000 pour la seule année 2016). Il est clair qu'il y a beaucoup plus de parties jouées et sauvegardées de nos jours. Mais le résultat reste intéressant à mes yeux.
 
Ainsi jusqu'en 1860, 60% des parties jouées étaient avec 1.e4 e5 ! avec une proportion de 4% de Ruy Lopez contre 15 % de Gambit du Roi.
Les choses évoluent sur la fin du XIXe siècle, la partie Ruy Lopez devient l'ouverture la plus jouée (17% des parties) et le Gambit du Roi recule avec 8% des parties jouées.
Et de nos jours, la reine des ouvertures est sans trop de surprise la défense Sicilienne avec 19% des parties jouées, le Gambit du Roi devenant négligeable et la partie Ruy Lopez revenant à 4%.

Reverrons-nous un jour le Gambit du Roi en tête d'affiche ? Stockfish trouvera-t-il des améliorations pour rendre un peu plus jouable cette ouverture ? L'avenir nous le dira, mais on a un peu de peine à y croire.
 
En attendant vous pouvez rejouer cette 2ème partie du match entre Anderssen et Morphy via l'échiquier interactif ci-dessous, avec les commentaires de Saint-Amant et quelques ajouts de ma part avec l'aide de Stockfish (mes commentaires sont précédés de mes initiales).
Ce match s'est jouée fin décembre 1858 dans la chambre de Morphy à l'hôtel de Breteuil. Le match était tout à fait sérieux, mais les parties jouées assez rapidement.


[Event "Hôtel de Breteuil - Paris"] [Site "Paris"] [Date "1858.12.22"] [Round "2"] [White "Anderssen, Adolf"] [Black "Morphy, Paul"] [Result "1/2-1/2"] [ECO "C77"] [Annotator "Saint-Amant Le Sport 2 février 1859"] [PlyCount "86"] [EventDate "1858.12.20"] [EventType "match"] [EventRounds "11"] [EventCountry "FRA"] {[%evp 0,88,25,16,10,25,17,16,31,-6,3,2,2,-26,-31,-33,-33,-31,-6,-31,-48,-29, 11,-20,-12,-4,-4,-3,-9,-17,3,5,5,-55,-48,-48,-49,-69,-38,-168,-140,-141,-152, -179,-156,-161,-153,-218,-111,-110,-240,-224,-263,-266,-88,-63,-56,-56,-67,-61, -66,-59,-54,-65,-53,-56,-34,-43,-32,-57,-43,-45,-42,-37,-50,-44,-27,-16,-25, -17,-31,-29,-29,-29,-29,-29,-29,-34,-34,-48,-34]} {(JOL) Il s'agit de la 2ème partie du match entre Morphy et Anderssen, match joué dans la chambre de Morphy à l'hôtel de Breteuil à Paris. Les commentaires sont de Saint-Amant pour le journal "Le Sport" du 2 février 1859. J'y ajoute quelques commentaires avec l'assistance de Stockfish. Rappelons que les parties se jouaient sans pendule et que le rythme était assez rapide.} 1. e4 e5 2. Nf3 Nc6 3. Bb5 {On a donné le nom de Lopez à ce début : c’est lui reconnaitre près de trois siècles. Depuis fort longtemps, il était non-seulement négligé, méconnu, mais même condamné. Philidor n’en parle pas : ce n’est pas étonnant, lui qui blâmait jusqu’au Cavalier du Roi sorti à la 3ème case du Fou au second coup de celui qui a le trait. La Bourdonnais est tout aussi silencieux, dans son pauvre Traité, sur le début de Lopez ; mais La Bourdonnais, aussi bien que Deschapelles, désapprouvait jusqu’à la pensée de porter le Fou du Roi au-delà de la 4ème case du Fou de la Dame, et Deschapelles, tout philidorien, n’admettait pas non plus qu’on pût sortir le Cavalier du Roi, au second coup, à la 3ème case du Fou. Enfin il allait jusqu’à repousser le Giuoco Piano, qui est la partie la plus universellement jouée. Dans les parties entre La Bourdonnais et McDonnell, où ces grands maîtres abordèrent alternativement tant de débuts variés, on ne trouve pas l’ombre de celui de Lopez. De nos jours, ce début est devenu une fureur, et il est considéré par les maîtres comme une des plus fortes attaques. Il y a certainement à s’étonner que dans un jeu tout mathématique, se présente, sans que la règle ait été changée, de ces capricieuses révolutions, de ces revirements d’opinions qui ne devraient appartenir qu’à ce qui est un objet de goût ou de mode, et non à ce qui a trait à des calculs précis : 2 et 2 continuent toujours de faire 4. Après avoir repoussé, condamné ce début de Ruy Lopez, pendant deux cents ans, on le prône aujourd’hui, on le démontre excellent. Est-ce au moins définitif cette fois-ci, et nos neveux ne s’inscriront-ils pas contre ?} a6 {Ruy Lopez fait pousser ici le Pion de la Dame un pas, ce qui donne un assez mauvais jeu à la défense ; il fait aussi sortir le Fou du Roi à la 4ème case du Fou de la Dame, et arrive alors à un meilleur résultat.} 4. Ba4 {L’Anonyme de Modène qui donne cette partie, sur le Pion de la Tour poussé, et, selon nous, très judicieusement, au lieu de retirer le Fou, lui fait prendre le Cavalier ; le Pion de la Dame prend le Fou et la partie se termine par une remise, ce qui est la proclamer égale.} Nf6 5. d3 {C’est un coup de défense inutile. Il fait perdre un temps précieux à l’attaque. Le Pion du Fou de la Dame un pas ou Roquer étaient mieux. L’adversaire ne peut prendre le Pion du Roi sans avoir à en reperdre un et à supporter une rude attaque. Quelque convaincu qu’on soit, ce n’est vraiment qu’avec hésitation qu’on se permet le blâme quand il s’agit d’aussi excellentissimes joueurs. L’on s’étonne aussi qu’étant exercés comme ils le sont sur les débuts, qu’ils on explorés à fond avec tant de lucidité, ils puissent prêter le flanc à une juste critique surtout aussitôt, dès le 5ème coup !} Bc5 6. c3 b5 7. Bc2 {Peut-être ce Fou eût-il mieux fait de ne se retirer qu’à la 3ème case du Cavalier de la Dame ; mais cette préférence, qui a été contradictoirement soutenue par de très habiles théoriciens, n’est cependant prouvée victorieusement d’aucun côté ; dans tous les cas, elle n’implique pas une faute, mais simplement une manière différente d’envisager la conduite de la partie.} d5 8. exd5 Nxd5 9. h3 O-O 10. O-O h6 11. d4 exd4 12. cxd4 Bb6 13. Nc3 Ndb4 14. Bb1 Be6 ({(JOL) Prendre le pion laisse de bonnes compensations aux Blancs, mais c'était préférable.} 14... Nxd4 15. Nxd4 Bxd4 16. Qf3) 15. a3 Nd5 16. Ne2 {Ce coup, qui a l’air d’être fait en vue de défendre le Pion de la Dame ou d’éviter l’échange des cavaliers, présente l’insidieuse menace de gagner une pièce en portant, le coup suivant, la Dame à la 2ème case de son Fou. Voir le danger dans ces cas-là, c’est le conjurer, et il ne fallait certainement pas compter qu’il échapperait au joueur sagace qui tenait les noirs.} ({ (JOL)} 16. Qc2 {immédiatement mettait en difficulté Paul Morphy} Nf6 17. Ne4) 16... Nf6 17. Be3 ({(JOL)} 17. Bxh6 $5 gxh6 18. Qc1 Ne7 19. Qxh6) 17... Re8 18. Ng3 Bc4 19. Nf5 {Il ne pouvait pas bouger sa Tour sans perdre le Pion de la Dame ; mais il pouvait opposer Fou à Fou à la 3ème case de la Dame : c’est ce que le commun des martyrs n’eût pas manqué de faire (et c’était peut-être le coup à la fois le plus juste et le plus prudent). M. Anderssen, emporté par l’audace, oublie un moment le terrible adversaire qui lui fait face, et consomme hardiment un premier sacrifice. Après la perte de cet échange, nous allons le voir donner la pièce, et à partir de ces sacrifices son jeu s’élève à la plus grande hauteur et à donné un vif intérêt à la fin de cette partie.} ({(JOL)} 19. Bd3 {était plus raisonnable }) 19... Bxf1 20. Qxf1 Ne7 21. N3h4 Nxf5 22. Nxf5 Qd7 23. Bxh6 {Ce second sacrifice est la suite, la conséquence du premier. Les noirs ont tiré l’épée en jetant le fourreau : les voici avec deux Pions seulement pour une Tour, et encore un de ces pions va-t-il être perdu. Il faut une attaque sans défaillance pour compenser un si fort désavantage matériel.} gxh6 24. Qc1 {Mieux joué que de prendre tout de suite un pion avec le Cavalier, qui ne peut échapper. C’est le renforcement et la richesse de ces attaques qu’il faut étudier dans la manière des grands maîtres.} Bxd4 25. Qxh6 Re1+ 26. Kh2 Ne4 ({(JOL)} 26... Qxf5 $3 {et les Noirs devaient gagner. L'attaque d'Anderssen ne fonctionnait pas. Stockfish donne la ligne suivante où les Noirs ont un bon avantage matériel qu'il reste à convertir.} 27. Bxf5 Rxa1 28. Qg5+ Kf8 29. Qh6+ Ke7 30. Qf4 Rd8 31. Qxc7+ Ke8 32. h4 Re1 {etc. les Noirs se regroupent}) 27. Bxe4 Rxe4 {La Tour ne pouvait prendre la Tour sans s’exposer à être mat ou à perdre au moins le Fou. Dans tous les cas les noirs avaient au moins la remise par un échec perpétuel.} 28. Qg5+ Kf8 29. Qh6+ Ke8 30. Nxd4 Qd6+ {La Dame ni la Tour ne peuvent prendre cet audacieux cavalier sans perdre ensuite l’une ou l’autre Tour, et alors la partie tournerait au désavantage des noirs, qui, au lieu d’avoir encore le bénéfice de l’échange, resteraient avec un Pion de moins.} 31. Qxd6 cxd6 32. Rd1 Kf8 {Peut-être valait-il mieux marcher résolument avec le roi pour soutenir le pion passé, au centre, et le faire agir. Sans doute il pouvait y avoir quelque imprudence à éloigner le Roi des pions liés de l’adversaire soutenus par le Roi. C’est à approfondir et un champ vaste ouvert à l’étude.} 33. Rd2 Rae8 34. g4 R8e5 35. f3 Re1 36. h4 Rd5 37. Kg3 a5 38. h5 Kg8 39. Kf2 Re8 40. Kg3 Kh7 41. Kf4 Re7 {Les noirs ne peuvent pas laisser occuper au roi adverse la ligne des Rois. Malgré l’avantage de l’échange ils seraient exposés à perdre. Les blancs ne peuvent également se départir de leur manière de jouer. C’est une de ces nombreuses parties où celui qui force pur gagner, perd par suite des faux coups qu’il a dû hasarder.} ({ (JOL) Curieusement, Paul Morphy ne pousse pas son avantage, par exemple avec} 41... a4 42. Kg3 b4 43. axb4 Rb8 44. Kf4 Rxb4 45. Ke4 Re5+ 46. Kd3 {Il y a encore du travail, mais les Noirs ont des bonnes chances de gagner la partie}) 42. Kg3 f6 43. Kf4 Re8 {Les blancs, qui avaient eu la velléité de pousser les pions du côté du Roi, y renoncent, n’entrevoyant pas la possibilité d’arriver à quelque bon résultat.} 1/2-1/2

lundi 14 octobre 2024

Le Café de la Régence mis en vente

Retournons à nos fondamentaux !
 
Durant la première visite de Paul Morphy à Paris (Septembre 1858 à début avril 1859) arrive un triste évènement. Le propriétaire des lieux, Pierre Alexis Delaunay décède brutalement le 20 février 1859.
Cela faisait un tout petit peu plus de 2 ans qu’il était à la tête du célèbre établissement.
M et Mme Gillet reprennent alors brièvement l’établissement dont il s’étaient occupés quelques temps avant M. Delaunay, ceci en attendant un nouveau propriétaire, qui sera Pierre Catelain pendant une quinzaine d’années. Les frères Catelain étaient de célèbres restaurateurs parisiens de l’époque.

Voici un court article que j’ai consacré au sujet de Delaunay
https://lecafedelaregence.blogspot.com/2022/10/precision-sur-un-changement-de.html

Vous avez également ici la liste des différents propriétaires du Café de la Régence
https://lecafedelaregence.blogspot.com/2011/09/les-noms-des-limonadiers.html
Il s’agit d’un de mes tous premiers articles que je continue d’actualiser au fur et à mesure de mes recherches.

On trouve alors au cours du mois de mars 1859 plusieurs annonces au sujet de la mise en vente du Café de la Régence, dans différents journaux, y compris en province !

Par exemple dans « La Gazette de France » du 13 mars 1859
 
 
Café-Estaminet de la Régence
Rue Saint-Honoré, 161, à Paris, à vendre pour cause de décès et de minorité, en l’étude de Me Dumas, notaire, boulevard Bonne-Nouvelle, 8 (Porte Saint-Denis), le lundi 21 mars 1859, à midi – Bail jusqu’au 1er avril 1880.
Mise à prix : 210.000 francs.


Difficile de savoir ce que représente ces 210.000 francs de l’époque par rapport à nos euros actuels, mais la somme est considérable, comme le laisse comprendre la référence suivante..

« Le journal de la ville de Saint-Quentin » du 18 mars 1859 indique :
 
 
D’immenses affiches annoncent depuis quelques jours la vente du célèbre café de la Régence, par suite du décès de son propriétaire. La mise à prix n’est pas peu de chose : Deux cent dix mille francs !! mais aussi l’on a droit au titre du café, à ses souvenirs historiques, à la clientèle et à la propriété du journal des Échecs.
L’affiche ne dit pas si dans les charges imposées à l’adjudicataire, il s’en trouve une qui exige qu’il connaisse le noble jeu inventé par Palamède.


une autre annonce intéressante est celle que l’on trouve dans la « Gazette Nationale ou Le Moniteur Universel » du 25 mars 1859 et que m’a communiqué Dominique Thimognier, que je remercie pour cette découverte. Nous y trouvons quelques détails.
Et il semble que le prix de la mise en vente a été baissé. Nous sommes passés de 210.000 francs à 185.000 francs. Est-ce difficile de trouver un acquéreur ? Il sera intéressant d'aller consulter les archives de ce notaire, Armand Vital Dumas, aux archives nationales pour avoir le fin mot de l'histoire. 
 


Étude de Me Dumas, notaire à Paris, boulevard Bonne-Nouvelle, 8 (Porte Saint-Denis)
Adjudication, pour cause de décès et de minorité, en l’étude et par le ministère de Me Dumas, notaire à Paris, le jeudi 31 mars 1859, à midi.
De l’établissement de limonadier connu sous la dénomination de Café et Estaminet de la Régence, sis à Paris, rue Saint-Honoré, 161. Cette adjudication comprendra :
1° Les titres de Café et d’Estaminet de la Régence ;
2° La propriété du journal La Régence, traitant spécialement du jeu des échecs et faisant suite au journal Le Palamède, et autres recueils publiés par les divers propriétaires du café de la Régence ;
3° La clientèle
4° Le matériel
5° Et le droit au bail des lieux d’exploitation et d’habitation, bail qui doit durer jusqu’au 1er avril 1880. Le tout sur la mise à prix de 185.000 fr. Il y aura adjudication même sur une seule enchère.
Entrée en jouissance de suite.
Nota – L’adjudicataire sera tenu de prendre toutes les marchandises qui se trouveront dans l’établissement au jour de la prise de possession, pour le prix qui en sera fixé à dire d’experts.
S’adresser à Me Dumas, notaire à Paris, boulevard Bonne-Nouvelle, 8 (porte Saint-Denis), dépositaire du cahier des charges.