samedi 15 février 2025

Différents baux de location - Le Café de la Régence au XVIIIème siècle - 5ème partie

Voici l'avant dernier article consacré à ma visite aux archives nationales en octobre dernier.
Celui-ci est consacré aux différents baux de location des boutiques qui constituent le Café de la Régence au XVIIIe siècle. 
Ils proviennent essentiellement de la côté Q/1/1146 qui est particulièrement riche.
Ces différents baux de location permettent de retracer une histoire légèrement différente de ce qui est couramment rapporté concernant l'histoire du Café de la Régence. 
 
Par exemple ce qu'indique la revue l’Échiquier Français en mai 1906 (5ème numéro).
Le premier gérant du futur Café de la Régence serait un sieur Lefèvre, et son successeur appelé Leclerc, etc. C'est ce que je reprends à tort dans mon livre, en y ajoutant un dénommé Antoine de Ramées, mais la côté Q/1/1146 permet de corriger tout ça.

Extrait de l’Échiquier Français de mai 1906.
 
Côte Q/1/1146 - Document (bail) daté du 4 septembre 1697
 
D'autres documents sont antérieurs à cette date dans la côte Q/1/1146. Mais arbitrairement c'est ce document daté de 1697 avec lequel je commence. Le café, en tant que boisson, arrive à Paris dans la deuxième moitié du XVIIe siècle et les premiers établissements sont créés à la fin du XVIIe siècle, dont le futur Café de la Régence. Puis la plus ancienne trace du jeu d'échecs dans un café parisien trouvée à ce jour date de 1718, comme je l'indique dans un précédent article.
 
 
Le 4 septembre 1697
Bail de la maison dite en 1769 le Caffé de la Régence

Le bail de 3 ans est contracté par Nicolas Repucu d'Angerville et Marie Repucu.
Maison sise rue Saint-Thomas du Louvre faisant face sur la Place du Palais-Royal. Trois boutiques, chambres appartenances et dépendances.
 
Il n'est pas fait mention d'un certain M. Lefèvre, et cela fait donc apparaitre un gérant inconnu jusqu'à lors.
Poursuivons...

Côte Q/1/1186 - Document (bail) daté du 3 septembre 1704
 


Ce document nous apprend que le propriétaire de l'immeuble est Gabriel du Maitz Chevalier seigneur de Goimpy. C'est cette famille qui en sera propriétaire tout au long du XVIIIe siècle jusqu'à l'achat de l'immeuble par la ville de Paris en 1774 (voir l'article dédié).
 
Extrait :
"...promet faire jouir à Noël Lavoisiere marchand Me (Maître) limonadier à Paris et Marie Henriette Fevre ( = Fèvre).... "
 
Il est précisé que le bail commence à partir du 1er janvier prochain (donc en 1705), qu'il concerne 2 boutiques (sur les 3 qui composent le rez-de-chaussée de l'immeuble), pour un bail d'une durée de 3 ans, et un montant annuel de 1400 livres.
 
Il est donc fait mention d'une Marie Henriette Fèvre. Est-ce la fameuse Le Fèvre dont il est question à l'origine ? Tout ceci n'est pas très clair car ce nom est cité en 1691 bien avant ce bail de 1704.
 
Côte Q/1/1186 - Document (bail) daté du 10 septembre 1705
 


Bail commencé en 1705 et n‘est allé que jusqu’en 1709, d'après une note manuscrite en entête du document.
 
Deux noms et une profession apparaissent :
Jean Lecointre Maitre rôtisseur et Germaine Cécile Landrin

Une boutique, une soupente, Loyer 300 livres
La fin du bail indique que le propriétaire les décharge du bail le 2 octobre 1709.
 
Ce bail nous apprend donc qu'au début du XVIIIe siècle, le futur Café de la Régence est partagé entre un maitre rôtisseur, qui occupe une des trois boutiques, et un maitre limonadier qui occupe les deux autres boutiques.
 
Côte Q/1/1186 - Document (bail) daté du 27 décembre 1710
 
C'est à ce moment-là qu'apparait Antoine Déramées, Déramée, Déramez, des Ramez, selon les orthographes rencontrées. Il sera le gérant du café de 1710 à 1737.  Et c'est seulement ensuite qu'apparaitra Leclerc dont il est question au début de cet article.
Ce bail de 1710 marque également la jonction des 3 boutiques qui vont former le Café de la Régence proprement dit.
 
C'est donc Antoine Déramée qui va nommer le lieu "Café de la Régence" en 1718, qui va probablement introduire et accepter le jeu d'échecs dans ce café parisien, et dont Antoine François de Legall, sire de Kermeur, sera le premier maître Français du jeu d'échecs à partir des années 1720 en attendant l'arrivée de Philidor quelques décennies plus tard.
 

 
à Antoine Desramées marchand limonadier
et à sa femme Marie Jeanne Mirat
 
Côte Q/1/1186 - Document (bail) daté de 1720 


Ce bail de 1720, toujours à Antoine de Ramée, contient un paragraphe intéressant. Outre le prix du loyer annuel, il doit fournir au bailleur "6 livres de café bon loyal" !
A noter que c'est tout le bâtiment qui est en location à Antoine de Ramée.
 
Côte Q/1/1186 - Document (bail) daté de 1729
 
Il s'agit de la continuité de la location par Antoine de Ramée et sa femme Marie Jeanne Mirat. 

Son épouse décède probablement, vers 1730, car une côte des archives nationales, MC/ET/IX/640 , nous apprend qu'un mariage a lieu à Paris le 4 mars 1734 entre Antoine des Ramez, chef d'échansonnerie du duc d'Orléans, et Marie-Julie Turgis
 
Échanson :  Personnage qui était chargé de servir à boire à la table d'un roi, d'un prince. 

Côte Q/1/1186 - Document (bail) daté du 14 août 1737




Bail de la maison place du Palais Royal fait à M Le Clerc pour 9 années commencé à Pâques 1738
9 ans à François Le Clerc Maitre limonadier et maitre distillateur (ce dernier n'est pas marié comme l'indique le bail).
 
A noter l'orthographe changeante de son nom : Le Clerc, Leclerc, Leclair, Le Clair sont les différentes variantes que j'ai trouvées de ce gérant du Café de la Régence.

(…) Maison sise à Paris place du Palais Royal appartenant à Messire de Goimpoy consistant en trois boutiques quatre caves, cinq étages de chambres et grenier au-dessus des lieux d’aisances et  dépendances de la maison

Loyer 2300 livres annuel... engagement de verser du Café 6 livres par an de bon café loyal...Antoine Déramées a cédé son droit au bail à Leclerc le 7 novembre 1736.

Le 20 avril 1746, Leclerc va décéder (côte Y/12149 pour laquelle je consacrerai un article dédié), et Antoine Déramées s'occupera quelques semaines encore du Café de la Régence (il vivait dans l'immeuble et avait un lien familial avec François Le Clerc).
 
Côte Q/1/1186 - Document (bail) daté du 20 juin 1746




Bail daté du 20 juin 1746 selon la dernière page, pour une durée de 9 ans à Guillaume Rey et Jeanne Collot pour 2400 livres de loyer, ainsi que du chocolat et du café à livrer chaque année !
C'est ce Guillaume Rey qui est cité dans Le Neveu de Rameau de Diderot (écrit entre 1762 et 1773 environ). Guillaume Rey va rester le gérant du Café de la Régence pendant près de 30 ans !

Si le temps est trop froid ou trop pluvieux, je me réfugie au café de la Régence. Là, je m’amuse à voir jouer aux échecs. Paris est l’endroit du monde, et le café de la Régence est l’endroit de Paris où l’on joue le mieux à ce jeu ; c’est chez Rey que font assaut le Légal profond, Philidor le subtil, le solide Mayot ; qu’on voit les coups les plus surprenants et qu’on entend les plus mauvais propos ; car si l’on peut être homme d’esprit et grand joueur d’échecs comme Légal, on peut être aussi un grand joueur d’échecs et un sot comme Foubert et Mayot 

Côte Q/1/1186 - Document (bail) daté de 1756
Côte Q/1/1186 - Document (bail) daté de 1765

Ces deux baux sont toujours au nom de Guillaume Rey, maitre limonadier, et Jeanne Collot.
 
à Guillaume Rey et Mme Jeanne Colleau...
Bail de 9 ans 2400 livres par an en 4 quartiers...
Consistant en trois boutiques n’en formant qu’une, quatre caves, cinq étages de chambres et greniers au dessus aisances et dépendances...
 
Avec toujours du café et du chocolat à livrer au bailleur une fois par an.

Côte Q/1/1186 - Document (bail) daté de 1772

La propriétaire du bâtiment, qui le met en location, est Marie Marguerite Antoinette Louise de Pas de Feuquière veuve de Mgr Henry Dumaitz Chevalier seigneur de Goimpy

La bail démarre à Pâques 1774.

(…) bail donné à loyer pour neuf années entières et consécutives qui commenceront au jour en fête de Pasques mil sept cent soixante quatorze et promis le temps durant faire jouir au M. Guillaume Rey marchand limonadier à Paris y demeurant dans la maison cy après paroisse Saint- Germain l’auxerrois (…)
Une maison (…) sise en cette ville place du palais royal consistante en trois boutiques confondues en une seule, quatre caves, cinq étages de chambre en greniers au dessus aisances et dépendances de la maison (…)


Rey dit la connaitre parfaitement pour l’occuper depuis plusieurs années.
3000 livres de loyer par an payer en 4 fois par an, 1er paiement le 1er juillet 1774

Et toujours la même clause particulière :

Plus à la charge de fournir pour chacune année au premier avril douze livres de Caffé moka la meilleure qualité et quatre livre de chocolat à une vanille qui ne pourra être de moindre prix qu’à raison de cent soles la livre à commencer la première livraison au premier avril mil sept cent soixante quatorze  

Promet et l’oblige le Sieur Rey de faire ratifier ces présentes par la personne qu’il épousera ce faisant de la faire obliger conjointement et solidairement avec lui elle seule.

L'épouse de Guillaume Rey est-elle décédée ?
 
Mais tout ceci va changer en fin d'année 1774, avec le projet de démolition et d'achat par la ville de Paris.
 
Côte Q/1/1186 - Document daté du 25 octobre 1774
 


(…) Lequel en sa dite qualité en exécution des lettres patentes de sa majesté, du sept août mil sept cent soixante neuf registrées au parlement le vingt neuf du même mois, portant entre autres choses que la place du Palais Royal serait élargie par la suppression de plusieurs maisons, tant du côté des quinze vingt que de celuy de la rue froidmanteau et qu’il serait formé un pan coupé à chacun des angles de la rue Saint-Honoré.

(…) acquéreur au nom de la dite ville, en vertu des lettres patentes énoncées et datées ci-dessus, une maison située à Paris rue Saint-Thomas du Louvre sur la dite place du Palais Royal appelée Le Caffé de la Régence occupée par le sieur Rey limonadier ayant son entrée par une allée dans la dite rue Saint-Thomas du Louvre et sur la dite place du Palais Royal, et composée d’un étage de cave, rez de chaussée, quatre étages en carrée, un autre en mansarde et grenier au-dessus

(…) Achat de la maison pour la somme de cinquante cinq mil livres.
 
Côte H/2/1959 - Document daté du 18 janvier 1788
 
Il manque des éléments dans la côte Q/1/1186. Avec notamment ce que devient le bâtiment suite à son achat par la ville de Paris et du fait qu'il ne sera pas détruit (heureusement pour l'histoire du jeu d'échecs !).
Nous avons quelques détails avec un document qui se trouve à une autre côte aux archives nationales, la côte H/2/1959.
 


La première page du document parle de Pierre Nicolas Lecomte écuyer conseiller secrétaire du Roi couronne de France.

M Lecomte d’acquérir une maison place du Palais Royal, ayant pour enseigne le Caffé de la Régence, battie sur un terrain qui appartenait ci-devant à la ville et qui depuis a été adjugé au Sieur de sieurs Rey et Jacquemard par sentence du 29 avril 1775.  

Ainsi, Guillaume Rey, en association avec un dénommé Jacquemard, a acheté à la ville de Paris l'immeuble du Café de la Régence en 1775 !
Guillaume Rey doit être assez âgé à l'époque, et de toute façon c'est un autre gérant qui loue le café de la Régence. Il s'agit d'un certain François Haquin, qui officiera durant la Révolution Française et fera fuir les joueurs d'échecs au Café Morillon, cher à la légende que s'est construite Deschapelles.
 
 

samedi 4 janvier 2025

Plus ancienne représentation - Le Café de la Régence au XVIIIème siècle - 4ème partie

Toujours au cours de ma quête aux Archives Nationales, j'ai (re-)découvert une image que j'ai mentionnée dans mon livre sur l'histoire du Café de la Régence (Tome 1 - page 159/160). 
Il s'agit tout simplement de la plus ancienne représentation du Café de la Régence, place du Palais-Royal, que je connaisse pour le moment.

Pourquoi redécouvert ? Car à l'origine je n'en avais trouvée la trace qu'indirectement dans la revue Le Magasin Pittoresque (numéro de l'année 1888 en page 156, que l'on trouve sur Gallica). Mais l'image était tronquée dans Le Magasin Pittoresque et la voici en entier.

Document des Archives Nationale - Cote : T//131/5 
Dimensions indiquées 16,5x16,5 cm

Le texte (modernisé) indique :
 
Entrepôt direct
Magasin d'étoffes de soie, or et argent, en tous genres.
Fabrique de Lyon
à prix fixe
Place du Palais-Royal, au grand balcon au-dessus du Café de la Régence 
à Paris

De quoi s'agit-il ? Les Archives Nationales indiquent "Papiers de Joachim Charles Laure, marquis de Montagu et de Bouzols, lieutenant général des armées du Roi."

L'article de la revue Le Magasin Pittoresque de 1888 donne l'image tronquée dans un article intitulé "une collection de factures du siècle dernier". Il s'agit donc probablement d'un en-tête de document.
 

Le Magasin Pittoresque - Année 1888 page 155 - Gallica

« L’annonce est gravée dans un cadre orné de fastueuses guirlandes de roses. Au sommet, dans un médaillon, une fine gravure représente la façade du magasin, avec son grand balcon au-dessus du café. »

Mais ni les Archives Nationales, ni Le Magasin Pittoresque ne proposent une datation.
Si on zoome sur l'image on voit l'image ci-dessous, c'est-à-dire la façade de l'immeuble où jouait aux échecs Philidor à cette époque.
 
Le premier étage, où se trouve le magasin d'étoffes en cette fin de XVIIIème siècle, sera en 1821 un éphémère Cercle Philidor, dont Deschapelles sera le président et La Bourdonnais le secrétaire, puis à partir de 1841 le siège du Cercle des Échecs de Paris, mais surtout le lieu du match Saint-Amant / Staunton en fin d'année 1843.

Image à rapprocher du dessin présent dans le livre en deux tomes d'Edmond Texier intitulé "Tableau de Paris", Paris 1852...au moins 75 ans plus tard, faute de mieux.

Pour ma part je pense que l'image des Archives Nationales date d'après les travaux du XVIIIème siècle dont je parle dans mon précédent article, et donc qu'elle est postérieure à 1775.

Ce qui semble cohérent avec le texte des Archives qui indique "Papiers de Joachim Charles Laure, marquis de Montagu et de Bouzols, lieutenant général des armées du Roi."  Personnage vivant de 1734 à 1815 comme nous l'apprend le site Geneanet.

samedi 14 décembre 2024

Plan de la Régence - Le Café de la Régence au XVIIIème siècle - 3ème partie

Une découverte majeure, que j'ai faite lors de ma visite aux archives en octobre dernier, c'est que le Café de la Régence aurait pu disparaitre après son achat par la ville de Paris en 1774. Ceci dans le cadre de travaux dans le quartier du Palais Royal, suite au transfert de l'hôpital des Quinze-Vingts rue de Charenton, non loin de la Bastille.

Comme l'indique Wikipedia au sujet de l'enclos des quinze-Vingts : Par lettres patentes du 16 décembre 1779, le roi ordonne la création de plusieurs rues à l'emplacement de l'ancien hospice des Quinze-Vingts.

La cote Q/1/1146, dont j'ai déjà parlée et dont je reparlerai dans d'autres articles tant elle est riche, contient notamment deux plans très intéressants. Un plan du Café de la Régence proprement dit, et un plan du quartier tel qu'il est envisagé après les travaux. Ce sont les objets de cet article.
Pour ceux qui connaissent Paris, les travaux de 1854 sous Napoléon III, vont complétement chambouler le quartier (avec le percement de la rue de Rivoli) pour lui donner l'aspect actuel.

Commençons par une description des travaux

Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 25 octobre 1774
 
Il est facile de lire par exemple "(...) que la Place du Palais serait élargie par la suppression de plusieurs maisons, tant du côté des quinze-vingts que de celui de la rue Froidmanteau, et qu'il serait formé un pan coupé à chacun des angles de la rue Saint-Honoré (...)"

Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 25 octobre 1774
 
La page suivante du document donne des détails qui concernent directement le Café de la Régence.

"(…) acquéreur au nom de la dite ville, en vertu des lettres patentes énoncées et datées ci-dessus, une maison située à Paris rue Saint-Thomas du Louvre sur la dite place du Palais Royal appelée Le Caffé de la Régence occupée par le sieur Rey limonadier ayant son entrée par une allée dans la dite rue Saint-Thomas du Louvre et sur la dite place du Palais Royal, et composée d’un étage de cave, rez de chaussée, quatre étages en carrée, un autre en mansarde et grenier au-dessus (...)"

Un autre document de la cote Q/1/1146 donne donc le pan du Café de la Régence.

Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 9 août 1774

Il est indiqué que la devanture fait 36 pieds, 4 pouces, 9 lignes
 
Un petit calcul de conversion donne une longueur de
36 x 0,3248 m + 4 x 0,027 + 9 x 2,2558 mm = 11,69 m + 0,108 = environ 12 mètres
Pour une largeur de 19 pieds et 6 pouces, soit
19 x 0,3248 + 6 x 0,027 = 6,33 mètres environ

Soit une surface d’environ 6,33 x 12 = 76 mètres carrés environ.
 
Le texte sur la droite est le suivant : "Maison appartenant à Monsieur de Goimpy occupée par le sieur Ray Limonadier"
 
On peut voir un escalier, probablement pour aller dans les étages et à la cave.
Un mur semble traverser le café dans sa partie sur la droite. En fait dans les différents baux de location que nous verrons dans un autre article, il est précisé que le local est constitué de 3 boutiques. Sauf au début du XVIIIème siècle, où deux boutiques étaient occupées par un limonadier et la 3ème boutique par un maitre rôtisseur, les trois boutiques formaient un tout durant le XVIIIème siècle.
 
Nous avons là le plan du Café de la Régence de François Antoine de Le Gall sire de Kermeur et de François André Danican Philidor.

Retenez la forme rectangulaire du Café de la Régence. J'y reviens un peu plus loin dans cet article.
 
Voici maintenant le document d'enregistrement de la vente du Café de la Régence, toujours à la cote Q/1/1146.
 
Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 7 février 1775
 
Si on zoome sur le document on peut lire ceci
 

"(...) profit de la ville d'une maison sise rue Saint-Thomas du Louvre place du palais Royal, appelée le Café de la Régence, moyennant la somme de Cinquante Cinq mille livres (...)"

Un peu plus tard, le 25 octobre 1779 un plan du futur quartier après travaux est établi.
Et là, force est de constater que le Café de la Régence semble toujours s'y trouver.
Mais à ce jour je n'ai pas l'explication de la "non destruction" de la maison où se trouve la Régence.

Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 25 octobre 1779

Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 25 octobre 1779
Zoom sur la partie en haut à gauche du document.

J'ai cerclé de rouge l'emplacement du Café de la Régence.
Là on s’aperçoit que sa forme a légèrement changé. De rectangulaire, il a gagné un morceau en biais.
Est-ce ce qui se trouvait dans le premier document de cet article ? 
à savoir : 
"(...) qu'il serait formé un pan coupé à chacun des angles de la rue Saint-Honoré (...)"
 
Voici le plan du quartier 50 à 60 ans plus tard (déjà publié sur ce blog).

Plan de la Place du Palais Royal (Cadastre de Paris par îlot - Atlas Vasserot et Bellanger 1830 - 1850).
Archives de Paris. 4ème quartier - Tuilerie - Îlots 19 et 20


Le Café de la Régence a changé de forme,comme on peut le voir en zoomant sur ce plan.

La partie B (en rouge) correspond au Café de la Régence d'origine, tel qu'on peut le voir sur le plan un peu avant dans cet article.
Les parties A et C (en jaune) on donc été ajouté au bâtiment du Café de la Régence.
Celui-ci n'a donc pas été démoli, mais il a gagné en surface, avec une forme un peu étonnante.

Cette forme, pas très harmonieuse, est décrite en 1840 avec humour par un anglais nommé Georges Walker. Son nom est alors bien connu dans le milieu des échecs britanniques et français, en tant que chroniqueur, mais également comme joueur d'échecs de bon niveau. 
 
En 1839, il se rend à Paris et découvre le Café de la Régence qui vient de retrouver les plus forts joueurs suite à la dissolution du Cercle des Échecs de Paris situé rue de Ménars. Georges Walker va rédiger un long article au sujet de sa visite au Café de la Régence. Texte qui est publié pour la première fois en décembre 1840 dans le Fraser’s Magazine, puis en français en 1841 dans la Revue Britannique . Le Palamède de juillet 1843, alors sous la direction de Saint-Amant, le reproduira également.

Voici un extrait du texte de Georges Walker. Je mets en rouge le passage le plus intéressant pour cet article.

"(...) C'est ici que le jeu des échecs « gouverne et règne seul ». Personne n'a encore décrit à mon gré ce fameux café et ce jeu, le roi des jeux. Mery lui-même avec toute son imagination et son esprit, lorsqu'il a voulu s'en mêler, a prouvé qu'il n'y entendait rien. Sans trop de vanité, je parie battre Mery, sans être un écrivain aussi facile que lui. Matériellement, le café de la Régence est bientôt décrit: il est bas, long, étroit, assez semblable pour la forme à un parallélogramme de tartine au fromage (parallelogram of toasted cheese), l'antithèse de la grâce architecturale; le salon ne peut rivaliser avec ceux des cafés plus modernes si richement dorés, malgré ses glaces et ses tables de marbre… (...)"
 

a parallelogram of toasted cheese,
telle est la forme du Café de la Régence depuis probablement 1779.

mercredi 4 décembre 2024

Boues et lanternes - Le Café de la Régence au XVIIIème siècle - 2ème partie

Parmi tous les papiers de la cote Q/1/1146 des Archives Nationales, se trouvent quelques documents intéressants sur la vie au XVIIIème siècle. C'est ainsi que j'y ai trouvé plusieurs quittances de l'impôt des boues et lanternes pour l'immeuble du Café de la Régence.

Comme l'indique le site internet de l'économie et des finances,

Sous l'Ancien Régime, l'impôt des boues et lanternes, décidé par le Parlement de Paris en 1509, était dû par les habitants parisiens pour le nettoiement des rues et l'entretien des lanternes. Les sommes perçues permettaient de rémunérer les entrepreneurs du nettoiement (...)

Il semble que ce soit plus exactement les propriétaires des bâtiments qui devaient s'en acquitter.

Ci-dessous 3 exemples pour l'immeuble du Café de la Régence : 1705, 1748 et 1761.

Année 1705 - Archives Nationales - cote Q/1/1146


 

 


 

 

 

 

Année 1748 - Archives Nationales - cote Q/1/1146

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Année 1761 - Archives Nationales - cote Q/1/1146

Le nom du Café de la Régence n'est pas mentionné. A la place, il est indiqué une maison rue Saint-Thomas du Louvre.

Archives Nationales - cote Q/1/1146 - Petite note accrochée à la quittance de 1761.

En fait, même si l'immeuble du Café de la Régence donne sur la Place du Palais-Royal, il est alors considéré dans le prolongement de la rue Saint-Thomas du Louvre.
NB : cette rue a disparu en 1853 avec le percement de la rue de Rivoli.

Plan relatif au programme décrété le 30 juin 1793 par la Convention Nationale
Bibliothèque Historique de la Ville de Paris

A : Emplacement du Café de la Régence (sur la Place du Palais-Royal)
En rouge pâle, la rue Saint-Thomas du Louvre. 

On observe également que le nom du propriétaire de l'immeuble, du Café de la Régence, est le même tout au long du XVIIIème siècle, plus exactement jusqu'en 1774 date de son achat par la ville de Paris pour le détruire.

Il s'agit de la famille du Maitz de Goimpy que l'on retrouve sur tous les baux de l'époque. En regardant sur les quelques documents du XVIIème siècle également présents à la cote Q/1/1146 on voit que l'immeuble appartient à cette famille depuis très longtemps.

Vous avez sur Wikipédia une page sur un membre de cette famille à l'époque.

Archives Nationales - cote Q/1/1146

samedi 30 novembre 2024

Le Café de la Régence au XVIIIème siècle – 1ère partie

Voilà un drôle de titre pour une série d’articles que je vais publier, car j’ai déjà eu l’occasion de parler du Café de la Régence au XVIIIème siècle, à la fois sur ce blog, mais également dans mon livre écrit il y a bientôt 10 ans !
 
Le Centre d'Accueil et de Recherche des Archives Nationales - CARAN
Rue des Quatre-Fils à Paris dans le Marais.
 
En fait cela faisait longtemps que je souhaitais me rendre à nouveau aux Archives Nationales à Paris afin de consulter différentes références. J’en ai eu l’occasion au mois d’octobre dernier. Bien m’en a pris, car j’ai découvert différentes archives qui me permettent de réécrire, et donc de corriger, une partie de la chronologie du Café de la Régence en gros du début du XVIIIème siècle jusqu’à la Révolution, et qui m’apportent de nombreux renseignements. A vrai dire je n’imaginais pas trouver autant de choses.

Ceci se résume à 3 cotes consultables aux Archives Nationales à Paris, Q/1/1146, H//1959 et Y//12149.
 
Ne pas se décourager quand on voit un truc pareil :-)
De la patience et de la persévérance !

 
Q/1/1146 – La liasse de documents, à cette cote, contient beaucoup de choses, dont quasiment tous les baux de location de l’immeuble où se situe le Café de la Régence au XVIIIème siècle, ainsi qu’au siècle précédent. Mais les baux du XVIIème siècle m’intéressent beaucoup moins puisque le Café de la Régence proprement dit n’existait pas encore.
 
En fait il y a une raison pour laquelle tous ces baux ont été réunis dans ce dossier, raison que j’ignorais jusqu’à présent : le bâtiment du Café de la Régence, comme beaucoup d’autres dans le quartier, est acheté en fin d’année 1774 par la ville de Paris pour être démoli !
Cette liasse contient d’autres document très intéressants, comme un plan du Café de la Régence que je vous ferai découvrir dans un prochain article.
 
L’Échiquier Français, mai 1906.
A la lumière de ma visite aux archives, ce qui était communément admis est en fait faux comme nous le verrons dans un prochain article.
"(...) Le successeur de Lefèvre, nommé Leclerc (...)". Mea culpa, j'ai commis une erreur similaire que je corrigerai.
 
H//1959 – Là nous sommes en 1788, à la veille de la Révolution. Heureusement pour nous , le bâtiment du Café de la Régence n’a pas été démoli malgré les travaux importants dans le quartier. Il faudra attendre Napoléon III et le percement de la rue de Rivoli pour que le Café de la Régence déménage de la place du Palais-Royal en 1853.
En 1788, un dénommé Pierre Nicolas Lecomte (!), souhaite acquérir le bâtiment.
Cette cote contient quelques informations intéressantes.

Y//12149 – Une liasse de papiers qui contient, parmi toutes les feuilles jaunis par le temps, un document exceptionnel pour ma recherche. 
 
Début du document - Archives Nationales

Nous sommes le mercredi 20 avril 1746, et
« (…) Vient iceluy François LE CLAIR de decedder dans le moment (…) »
Le gérant, François Leclerc, vient de décéder dans l’immeuble du Café de la Régence (la phrase est cerclée de rouge ci-après). 
 
 
Il s’agit là du Procès-verbal d’apposition de scellés sur les biens de défunt François Leclerc, marchand limonadier à Paris, par Louis Cadot, commissaire au Châtelet de Paris, le jour-même du décès.

Document exceptionnel, car ce Louis Cadot visite l’intégralité de l’immeuble et écrit ce qu’il voit et ce qu’il fait. Il décrit notamment l’intérieur du Café de la Régence en 1746.
 
Pour terminer cet article d’introduction à cette visite des archives, comme vous pouvez le constater, la lecture de ces documents n’ai pas chose aisée.
Je remercie Philippe Bodard pour son aide, et tout particulièrement Jean-François Viel pour la transcription du document de la cote Y//12149 dont il est question et sa maitrise de la paléographie.

dimanche 24 novembre 2024

Lettre de Deschapelles au sujet du match entre Saint-Amant et Staunton

Nous sommes la veille du match pour le titre de champion du Monde d’échecs entre le tenant du titre, le Chinois Ding Liren et l’Indien Gukesh Dommaraju. Le match démarre demain lundi 25 novembre à Singapour. Il s’agit d’un match en 14 parties classiques. La cadence est de 120 minutes pour les 40 premiers coups, suivi de 30 minutes pour les reste de la partie, avec un incrément de 30 secondes à partir du 41eme coup. Bref les parties vont durer entre 4 et 6 heures environ.

Le temps de réflexion de ces partie dites « longues » rétrécit au fil du temps, Magnus Carlsen ayant même proposé de jouer le championnat du Monde sur un format de parties rapides !
 
Le tableau de Marlet sur le match Saint-Amant / Staunton.

Si nous revenons 180 ans en arrière avec la match Saint-Amant vs Staunton en fin d'année 1843, le temps de réflexion était à peu près libre, ce qui impliquait des parties interminables.
Un aspect temporel du jeu d’échecs que n’approuvait absolument pas Deschapelles, le meilleur joueur d’échecs du début du XIXème siècle, qui préconisait un jeu rapide, avec une partie ne devant pas dépasser 2 heures de réflexion au total. Je vous propose de découvrir tout cela dans ce présent article.

Un peu par hasard, j’ai découvert une lettre écrite par Deschapelles en début d’année 1844.
C’est la revue La Nouvelle Régence de 1862 (page 101), de Paul Journoud, qui parle de cette lettre traduite et publiée en 1848 dans la revue allemande Schachzeitung. Elle est mentionnée dans un article de von der Lasa au sujet de la force relative des différents maîtres du 18ème siècle et de la première moitié du 19ème siècle.
J’ai donc cherché cette revue et je l’ai trouvée, ainsi que la lettre (via Google Book).
Cette lettre est remarquable, car elle reflète très bien la façon de penser de Deschapelles.
 
Le passage de l'article de von der Lasa où il est question de la lettre de Deschapelles. 
La Nouvelle Régence 1862
 
De quoi s’agit-il ? La lettre est écrite environ 2 mois après la fin du 2ème match entre Saint-Amant et Staunton, match joué au Cercle des échecs de Paris au 1er étage du Café de la Régence, place du Palais Royal (la dernière partie a été jouée le 20 décembre 1843). Elle est adressée à l’astronome et joueur d’échecs Heinrich Christian Schumacher.

 

Deschapelles est sans aucun doute désabusé par le résultat du match et le critique vertement (Staunton gagne largement le match 11 à 6). Le sceptre des échecs change de main et quitte la France après plus d’un siècle de domination.

Ci-dessous, je reprend la lettre paragraphe par paragraphe (en caractères gras) et j’y ajoute mon commentaire (en italique).

En préambule vous pouvez lire ou relire le document que j’avais rédigé au sujet de Deschapelles pour la conférence du centenaire de la FFE. 
 
  Schachzeitung 1848 - Via Google Book
 
Paris, 12 Février 1844
 
Monsieur,

Il n'y a point d'affaire si compliquée qu'on ne puisse débrouiller et faire comprendre en un quart d'heure de conversation ; la loquacité accompagne l'intelligence ; et l'on peut pousser la chose à l'extrême en disant : qu'à celui seul qui n'a jamais rien à dire, appartient le droit de parler toujours.

Sur cette manière de voir vous pouvez juger du peu de cas que je fais des parties d'échecs qui viennent d'avoir lieu entre Messieurs Staunton et St. Amant.

En moyenne, elles ont duré neuf heures, c'est-à-dire neuf fois plus que n'ont duré les parties des grands maîtres ; les joueurs ont été longs à chaque coup, contrairement à la méditation qui dispose de l'avenir par une pause de quelque minutes, laissant ensuite, tomber comme de la main, et avec une légère révision, un grand nombre de coups subséquents.

 
J’ai eu l’occasion de parler du problème du temps de réflexion des parties d'échecs avant l’invention de la double pendule d’échecs. Vous avez ici un article que j’ai rédigé à ce sujet il y a quelque temps. Un an plus tard, en 1845, Deschapelles parle à nouveau de ce match est indique

« (…) Je repousse cette pesanteur, qui, récemment, a mis une journée à faire une partie  ;
je crois, Philidor et La Bourdonnais ont cru, qu’il n’y a point de combinaisons d’Échecs qui exigent de l’intelligence au-delà de cinq minutes d’attention, encore à la condition qu’une grande quantité de coups en découleront et que ce sera une avance économique ; j’en appelle, Messieurs, à vos souvenirs ; avez-vous jamais vu sacrifier deux heures à une partie ? Non, une partie d’Échecs est communément une affaire de trois quarts d’heure (…)  »

La 21ème et dernière partie du match entre Saint-Amant et Staunton a duré 14h30 (!) pour 66 coups. H.Wilson, arbitre de Staunton, calcula que Saint-Amant avait employé, pour ses coups, les trois quarts du temps total de jeu... 
 
Notez également que Deschapelles ne range pas Saint-Amant ni Staunton au rang de Grand Maitre !
 
Ils ployaient eux-mêmes sous une fatigue matérielle ; sous une fatigue qui semblait n'avoir rien de commun avec la pensée ; sous la fatigue du corps qui les forçait de s'interrompre et de s'échapper pour aller chercher de l'air et de la nourriture.

Ils étaient la risée de la galerie, souvent renouvelée par l'ennui, laquelle sur une table à côté, réalisait longtemps à l'avance le coup médiocre et prévu, qu'ils ne manquaient guère de jouer après l'avoir indéfiniment fait attendre.

C'était une longueur sans profit comme sans excuse ; une longueur maladive, fastidieuse, montrant les échecs de leur vilain côté et de nature à mettre en fuite les plus intrépides amateurs.

Avant de passer outre l'honneur de l'art exige une rectification : c'est que, il n'y a pas eu défi entre écoles, ni entre sommités, nous ne voyons là, qu'une rencontre entre deux vigoureux soldats qui ont tiré le sabre dans une anfractuosité du rempart ; ils se sont portés quelques bons coups, la victoire n'a pas été acquise sans danger et la défaite n'a pas éteint tout espoir de revanche.


Toutes les propositions de match de Deschapelles envers les anglais sont restées lettre morte
Immédiatement après la défaite de Saint-Amant, la rumeur veut que Deschapelles propose de revenir sur le devant de la scène en défiant Staunton. . Exemple avec l’extrait du journal « Le Sémaphore de Marseille » du 28 décembre 1843 (source Retronews), quelques jours après la fin du match…
 

 

En 1844 Deschapelles a quand même 64 ans… 34 ans pour Staunton et 44 ans pour Saint-Amant.
Le défi permanent adressé par Deschapelles aux anglais est par exemple repris par Fraser’s en 1839. « Messieurs, il y a plus de trente ans qu’il existe de ma part un défi permanent au jeu des échecs. J’offre le pion et deux traits ». Il revient sur ce point un peu plus loin dans la lettre.
 
 
 
 
C'est envahi que vous nous demanderiez du La Bourdonnais ! Cette longue pensée dont les conséquences jaillissaient avec tant de rapidité ! Ce mordant, qui entamait un adversaire inquiet et dérouté ! Ces trouvailles du génie, qui, si souvent, arrivaient à la catastrophe par un grand stratagème !

Il n'y a plus de La Bourdonnais ; il n'y aura plus de joueur de cette puissance qui consente à vivre continuellement dans les conditions actuelles, et encore : La Bourdonnais n'a pas égalé ses devanciers, il n'a pas eu leur valeur intrinsèque, il ne possédait pas au même degré cette essence qui en quelques jours les avait muri ; à lui, il avait fallu dix ans de travail pour les atteindre ; à lui, il fallait, pour se maintenir des efforts incessants ; à lui, enfin, étaient interdits, ces éclairs qui dépassent toutes les bornes.


La nous touchons à l’essence même de Deschapelles. Le « devancier » de La Bourdonnais n’est autre que Deschapelles lui-même ! Deschapelles indique qu’il a fallu 10 ans à La Bourdonnais pour ne même pas l’égaler. Tandis que lui-même reprend la légende qu’il a construite, à savoir qu’il a atteint son niveau au jeu d’échecs en seulement quelques jours en partant de zéro à la fin du XVIIIème siècle au café Morillon ! A ma connaissance, seul AlphaZéro, Intelligence Artificielle, est arrivé à ce résultat par auto-apprentissage en partant de zéro. A la fin de l’article sur le Café Morillon vous pouvez lire l’histoire de l’apprentissage des échecs par Deschapelles.
 
Revenons encore au défi, nous donnerons notre jugement en peu de mots : les parties sont monotones, les débuts sans variété, la tactique rétrécie, point d'imprévu et peut de saillies, pour qui ignorait le nom des champions, ce sont de faibles parties entre joueurs non classés.

Cependant, ces messieurs sont de bons joueurs ; ils tiennent les premiers rangs dans les deux réunions qui se distinguent le plus, ils ne connaissent plus de supérieur, à moins qu'ils ne l’aillent chercher dans une autre sphère. Cela est arrivé à Mr. St. Amant il n'y a guère plus d'un an ; alors il s'est montré tout autre ; en vingt heures il a fait vingt parties ; il avait de l'intelligence, de la vigueur et. une tenue infatigable ; on ne pourra pas dire qu'il jouait petit jeu ; un peu moins d'argent, oui, mais plus d'émulation, il s'agissait de se défendre en recevant un gros avantage, il s'agissait de conserver ses galons. 

Deschapelles fait référence sans doute au match informel qu’il a joué et gagné contre Saint-Amant en fin d’année 1842 en lui donnant différents avantages matériels. Page 233 du Palamède de 1842 (deuxième tome). J'aborde ce match dans cet article.

Nous croyons qu'en pareil cas Mr. Staunton éprouverait la même métamorphose, nous croyons qu'il deviendrait vif, et qu'il retrouverait son éclat.

 
Monsieur, il y a ici un problème que je livre à votre sagacité. Pourquoi deux joueurs puissants se font- ils amoindrir en combattant l'un contre l'autre ? Une autre singularité des échecs, c'est qu'une réunion quelconque s'y croit de la première force pour peu qu'elle reste du temps sans communiquer avec une force supérieure, à peine privé de La Bourdonnais, le club de Paris attribuait déjà la puissance à ses sommités actuelles, lorsqu'il choisit Mr. D. pour son président. La complaisance de celui-ci alla jusqu'à accepter, dans l'intérêt du club, quelques parties à un jeu qu'il avait entièrement abandonné.

La Présidence du club revient à un certain Mr. D., qui n’est autre que Deschapelles lui-même bien évidemment. En 1841, il est élu président du Cercle des Échecs de Paris, alors situé au-dessus du Café de la Régence. Il en sera le président pendant une année jusqu’en février 1842, conformément au règlement du Cercle, où le tirage au sort désignera un autre conseil d’administration.
 
Vous auriez été satisfait de voir votre programme en pleine exécution; non seulement les débuts furent variés, mais encore, et pour qu'il n'y manquait rien, des parties s'engagèrent avec des échanges de pièces. On donna la tour, on donna la dame en échange d'une quantité de pions.

En Allemagne on n'apprécie pas ces parties; on n'y a pas introduit encore cet apprentissage des pions, qui se reporte sur toutes les autres manières de jouer, leur donnant de l'aplomb et de grandes ressources. C'est un progrès que je vous recommande et vous me remercierez du plaisir que je vous en promets.

Quoiqu'il en soit, la vérité du récit exige que je vous apprenne que le président a donné à tous, un pion et demie (*C’est-à-dire, pion et trait) et qu'il a gagné tous les défis. Si vous joignez à ce fait; ce que nous avons entendu dire au président qu'il était encore d'un pion au dessous de sa propre force, vous aurez une pauvre idée des talents de l'époque.

 
Ici est évoquée une ancienne forme du jeu d’échecs que Deschapelles aimait particulièrement. Il s’agit de remplacer telle ou telle pièce par un certain nombre de pions. Cette forme de jeu était très pratiquée à la Régence au XVIIIème siècle, ce qui explique peut-être la découverte fondamentale de Philidor sur l’importance du pion aux échecs. Voir l'article que j'ai consacré à ce sujet.
 
Philidor classait par demi-pions les échelons des grandes forces ; Mr. de Légal jouait avec lui à but ; Verdoni, au pion pour le trait ; Carlier et Bernard, que j'ai connus, et grand nombre d'autres au pion et trait. 
 
Joué à but correspond à jouer à égalité matériel. Cela signifie que votre adversaire est de la même force que vous.
 
Monsieur, c'est la seule fois que j'aurai écrit sur ces babioles, c'est une consignation dans vos archives, ensuite, j'acquitte une dette pour les lettres savantes et polies que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser à diverses reprises, lettres qui m'ont touché, et auxquelles j'ai satisfait de mon mieux, soit, en vous faisant remettre ce qui me semblait devoir vous être agréable, soit en vous faisant répondre à fond, par La Bourdonnais qui était un poète de science.

Depuis le duel récent de ces messieurs, on m'a dit que les journaux parlaient d'un défi qui m'était ou me serait porté par Mr. Staunton  dans lequel il s'agirait d'une somme d'argent ; vous saurez que je ne crois à rien de semblable, qu'il ne m'a rien été communiqué, que Mr. Staunton n'en a pas non plus probablement entendu parler, et que ce sont les niaiseries de la presse. Il y a bientôt un demi siècle que je tiens la position, chacun à le droit de la réclamer et de porter défi.
 
Au sujet d’une nouvelle rumeur sur un match entre Staunton et Deschapelles voir un peu plus haut l’extrait du journal « Le Sémaphore de Marseille » du 28 décembre 1843 ou bien encore le journal « Le Commerce » du 25 décembre 1843 (source Retronews).
 

 
 
 
 
 
 
 
Si Mr. Staunton me demandait le pion et deux traits, ce serait la partie d'il y a quatre ans, que le comité d'outre mer a évité ; s'il me défiait à but, où trouverait-il assez de confiance pour l'enjeu ?

Agréez, Monsieur, ma haute estime et mon penchant amical.
Des Chapelles.