Joseph Kieffer fut en effet le propriétaire du Café de la Régence de 1873 (ou 1875) à 1903.
Contrairement à deux autres propriétaires, Lucien Levy ou encore à Claude Vielle, je n’ai pas trouvé trace de Joseph Kieffer aux archives en ligne de Paris.
J’ignore donc où il est né et où il a terminé sa vie.
En 1893, un certain Charles Mallet rencontre Joseph Kieffer et il écrit une monographie d’une dizaine de pages sur le Café de la Régence (Source BNF – le document n’est pas encore en ligne sur internet).
En voici un extrait qui est intéressant au sujet du propriétaire lui-même, mais également pour son début au sujet des « proto »-champions de France d’échecs :
« (…) Est-il en effet, dans le monde entier, un joueur célèbre qui ne soit passé ou qui passe à la Régence ? N’est-ce pas dans ce lieu, qu’on pourrait dénommer le Forum de l’Echiquier, n’est-ce pas dans cette vieille maison française, que la réputation des maîtres en cet art se fait ou se consacre, que leur véritable renommée doit prendre son cachet ineffaçable ?
On y trouve, organisée depuis longtemps et bien assise, une institution essentiellement française qui étend son influence morale sur toutes les autres nations. C’est le Championnat, qui consiste en ce que chaque année, aux mois de décembre et de janvier, les salons de la Régence sont ouverts à un grand tournoi dont le vainqueur est proclamé, pour l’année, le champion des joueurs français.
C’est actuellement un jeune alsacien, français par option, qui possède cet honneur, et pour la seconde fois ; car, deux années de suite, il a remporté le premier prix du tournoi du CHAMPIONNAT FRANÇAIS. Les plus grands joueurs estiment même qu’il s’est révélé d’une aptitude extraordinaire pour les parties à l’aveugle. On le nomme Goetz ; il habite Paris, et joue ses parties habituelles à la maison de la rue Saint-Honoré.
Il est assez curieux de constater que celui qui tient aux échecs, aujourd’hui, le drapeau des joueurs de France, soit de cette Alsace à laquelle doit aussi son origine le propriétaire de la Régence, M. Joseph Kieffer.
M. Kieffer appartient même à cette jeune génération d’Alsaciens-Lorrains qui lutta vaillamment dans les deux (…texte abîmé illisible…) Strasbourg, de Strasbourg à Belfort, pour essayer d’arrêter (…texte abîmé illisible…) qui se rua sur leur sol en 1870 ; il habitait Paris, mais il était sous-officier dans les mobiles du Bas-Rhin, et c’est en hâte qu’il rejoignit son corps aussitôt la rupture de la paix.
(Source BNF – le document n’est pas consultable sur internet).
Il se trouva parmi les combattants du siège de Schlestadt, que le chef d’escadron de Reinach de Foussemagne, commandant de la place, défendit contre les Allemands du 9 au 23 octobre 1870, malgré les trente-deux grosses pièces d’artillerie qui bombardèrent sans merci cette petite ville pendant cinq jours, et la détruisirent à moitié.
Fait prisonnier, M. Kieffer fut conduit à Ulm et interné au fort de Guillaume. C’est la haine au cœur pour les envahisseurs de son pays, qu’il opta ensuite pour la France et s’empressa de regagner Paris.
Dès 1873, il était à la tête du Café de la Régence. Tous les vieux souvenirs qu’il y trouva, il les respecta religieusement et, pendant les vingt années qui viennent de s’écouler, ce temple du grand jeu des échecs, unique dans le monde entier, a été pour ainsi dire son culte.
Il a toujours considéré et il considère toujours cette maison comme une gloire française, qui charme ses sentiments de patriote dont la pensée n’oublie pas la guerre terrible ; c’est une satisfaction profonde pour lui, quand il voit la France dominer dans les tournois qui se tiennent sous ses yeux.
Et c’est pourquoi peut-être, ne visant qu’à la maintenir dans le principe traditionnel des échecs, il ne s’est pas préoccupé des changements qu’a pu subir la société dans ses manifestations de vie extérieure.
La Régence n’a pas, en effet, suivi les voies nouvelles ; elle n’a fait aucune concession aux idées de la grande foule ; aucune innovation n’a eu lieu, si ce n’est des tables de restaurant, afin que les amateurs d’échecs aient moins à se déranger dans leurs parties, et que les curieux, qui viennent de partout, puissent également ne pas aller chercher plus loin un repas confortable.
Et encore cette innovation est rentrée dans l’aspect d’ensemble qu’offre l’antique établissement : luxe de distinction, discrètement présenté, élégance tout aristocratique et, le mot trouve bien ici son emploi, très régence.
Il y a toujours un monde choisi qui aime à se trouver dans un milieu de ce genre, et aujourd’hui comme hier, comme dans le temps passé, la Régence peut attendre en toute certitude, des meilleures classes de la société, les garanties les plus sérieuses d’un succès jusqu’à ce jour inaltérable.
M. Joseph Kieffer a donc bien fait de rester dans les vieilles traditions, traditions qui ont d’ailleurs établi la fortune de sa maison et la maintiennent au premier rang dans Paris (…).»
J’ai cependant un gros doute sur l’acquisition en 1873 du Café de la Régence par Joseph Kieffer.
En effet j’ai trouvé dans le numéro du 8 juillet 1875 de « Archives Commerciales de la France » (Source Gallica) en date du dimanche 4 juillet 1875, l’inscription de la vente par (Laurent) Catelain du Café de la Régence à (Joseph) Kieffer. Il y a là deux ans d’écart avec ce qui est indiqué dans le texte.
(3ème ligne en partant de la fin)
Enfin, dans « La Stratégie » de juin 1903, c’est la fin d’une époque :
M. Kieffer, propriétaire depuis trente ans du café de la Régence, vient de céder son établissement ; l’acquéreur a résolu d’apporter de notables améliorations, avec une luxueuse décoration style Louis XV, lesquelles nécessitent la fermeture du vieux Temple des Échecs pendant les mois de juillet et août prochains. Pendant la durée des travaux les amateurs se réuniront à la Taverne de l’Opéra, avenue de l’Opéra, 26.