mercredi 24 juillet 2013

Jean-Jacques Rousseau au café de la Régence (1 sur 2)

2012 était l’année du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau.

 (JJ Rousseau en 1753, il a alors 41 ans - Pastel de Quentin de la Tour)

Bon, j'ai un an de retard...

Mais, un aspect méconnu de ce philosophe était sa passion épisodique pour le jeu d’échecs.
Un long article paru en 1907 décrit très bien cet état de fait.

Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau, 1907
L’article est signé I.Grünberg
Source GALLICA BNF


En voici des extraits et quelques commentaires largement inspirés de cet excellent article.
En italique, j'indique le texte de Jean-Jacques Rousseau lui-même.
 
ROUSSEAU JOUEUR D’ECHECS

Rousseau musicien, Rousseau botaniste ont fait l’objet de multiples et copieuses études. On connaît moins Rousseau joueur, joueur d’échecs en particulier. (…) Dans sa grande lettre à M. de Saint-Germain, datée de Monquin, 26 février 1770, Rousseau se défend d’aimer le jeu :

Le jeu : je ne puis le souffrir. Je n’ai vraiment joué qu’une fois en ma vie, au Redoute à Venise ; je gagnai beaucoup, m’ennuyai, et ne jouai plus. Les échecs, où l’on ne joue rien, sont le seul jeu qui m’amuse.

Dans ses Confessions, Jean-Jacques Rousseau parle de sa passion très ancienne, communiqué par le Genevois Bagueret lorsqu’il était à Chambéry.

Il s’avisa de me proposer d’apprendre les échecs, qu’il jouait un peu.
J’essayai presque malgré moi ; et, après avoir tant bien que mal appris la marche, mon progrès fut si rapide, qu’avant la fin de la première séance je lui donnai la tour qu’il m’avait donnée en commençant.
Il ne m’en fallut pas davantage : me voilà forcené des échecs. J’achète un échiquier, j’achète le Calabrais ; je m’enferme dans ma chambre, j’y passe les jours et les nuits à vouloir apprendre par cœur toutes les parties, à les fourrer dans ma tête bon gré, mal gré, à jouer seul sans relâche et sans fin.
Après deux ou trois mois de ce beau travail et d’efforts inimaginables, je vais au café, maigre, jaune, et presque hébété. Je m’essaye, je rejoue avec M. Bagueret : il me bat une fois, deux fois, vingt fois : tant de combinaisons s’étaient brouillées dans ma tête, et mon imagination s’était si bien amortie, que je ne voyais plus qu’un nuage devant moi.

A noter que « Le Calabrais » était le surnom donné au livre écrit par Gioachino Greco, joueur du 17ème siècle originaire de Calabre en Italie. Ce livre fut longtemps une référence du jeu d’échecs (première traduction française vers 1669), que seul l’ouvrage de Philidor « L’analyse des Echecs » édité un siècle après parviendra à éclipser. Toujours dans les Confessions :

Toutes les fois qu’avec le livre de Philidor ou celui de Stamma j’ai voulu m’exercer à étudier des parties, la même chose m’est arrivée ; et après m’être épuisé de fatigue, je me suis trouvé plus faible qu’auparavant. Du reste, que j’ai abandonné les échecs, ou qu’en jouant je me sois remis en haleine, je n’ai jamais avancé d’un cran depuis cette première séance, et je me suis toujours retrouvé au même point où j’étais en la finissant. Je m’exercerais des milliers de siècles, que je finirais par pouvoir donner la tour à Bagueret, et rien de plus. Voilà du temps bien employé ! Direz-vous. Et je n’y ai pas employé peu.

Philippe Stamma, originaire d’Alep en Syrie est l’auteur de livre « Essai sur le jeu des eschets » publié à Paris en 1737.

L’article poursuit sur l’ambition de Rousseau de devenir un très fort joueur lors de son arrivée à Paris en 1742. « dans son heureuse insouciance, ile ne voyait alors que deux moyens d’échapper à la misère : l’un, renouvelé des Athéniens prisonniers à Syracuse après la défaite de Nicias, consistait à réciter des fragments de poèmes appris par cœur ; l’autre était de la même force : » 

J’avais un autre expédient non moins solide dans les échecs, auxquels je consacrais régulièrement, chez Maugis, les après-midi des jours que je n’allais pas au spectacle. Je fis connaissance avec M.de Légal, avec un M. Husson, avec Philidor, avec tous les grands joueurs d’échecs de ce temps-là, et n’en devins pas plus habile. Je ne doutai pas cependant que je ne devinsse à la fin plus fort qu’eux tous, et c’en était assez, selon moi, pour me servir de ressource. De quelque folie que je m’engouasse, j’y portais toujours la même manière de raisonner. Je me disais « Quiconque prime en quelque chose est toujours sûr d’être recherché. Primons donc, n’importe en quoi ; je serai recherché, les occasions se présenteront, et mon mérite fera le reste. » Cet enfantillage n’était pas le sophisme de ma raison, c’était celui de mon indolence. Effrayé des grands et rapides efforts qu’il aurait fallu faire pour m’évertuer, je tâchais de flatter ma paresse, et je m’en voilais la honte par des arguments dignes d’elle.

Jean-Jacques Rousseau continue toute sa vie de jouer aux échecs.
Dans une lettre à Du Peyrou du 27 septembre 1767 il indique

« Je me souviens qu’ayant l’honneur de jouer, il y a six ou sept ans, avec M. le prince de Conti, je lui gagnai trois parties de suite, tandis que tout son cortège me faisait des grimaces de possédé : en quittant le jeu, je lui dis gravement : « Monseigneur, je respecte trop Votre altesse pour ne pas toujours gagner. » Mon ami, vous serez battu, et bien battu…  

Encore en 1770, lorsqu’il revient se fixer à Paris, la Correspondance littéraire de Grimm note qu’il s’est montré « plusieurs fois » au café de la Régence, le rendez-vous favori des joueurs d’échecs de ce temps-là, mais que des attroupements s’étant formés sur la place pour le voir passer, la police l’a prié de ne plus paraître « ni à ce café, ni dans aucun autre lieu public ».
La Correspondance ajoute que « depuis ce temps-là, il s’est tenu plus retiré ».
Sa place au moins est restée très longtemps marquée, s’il faut en croire un chroniqueur du Palamède de 1836 (p 390), lequel raconte qu’ « il y a peu d’années encore les maîtres de ce café [la Régence] disaient avec orgueil à leurs garçons : Servez à Jean-Jacques, servez à Voltaire, désignant ainsi les tables où ces illustres habitués se plaçaient ordinairement ».

Dans une fantaisie intitulée J.J.Rousseau au café Procope et publié dans le Palamède de 1842, t. I. p. 127-130, Méry a décrit de chic une partie où Jean-Jacques aurait joué et perdu ses entrées à la première représentation du Devin du Village.

En fait de contemporains qui aient parlé de Rousseau joueur d’échecs, peut-être faut-il encore mentionner Richard Twiss, Chess, Londres, 1787, p.6 « Rousseau was very inexpert at Chess, though an enthusiastic admirer of it : he was accustomed, when at Paris, to spend many hours daily at the Caffé de la Régence, where a dozen chess-boards are constantly in use ».

Traduction libre de ma part « Rousseau était très inexpérimenté aux échecs, mais un admirateur enthousiaste de celui-ci : il avait l’habitude, quand il était à Paris, de passer de nombreuses heures par jour au Caffé de la Régence, où une douzaine d’échiquiers étaient constamment en cours d’utilisation ».



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