Le dernier jour du Café de la Régence – Décès et courte biographie de Kieseritzky – Apparition de la table de Bonaparte – Expropriation, Factum d’expulsion et jugement – Déménagement au 21 Rue de Richelieu – Inauguration en grande pompe du nouveau Café de la Régence au 161 rue Saint-Honoré
Le coup d'état du 2 décembre 1851 marque la fin d'une éphémère deuxième République.
Très vite Napoléon III décide de moderniser Paris.
Parmi les premiers travaux envisagés, il y a le percement de la rue de Rivoli qui implique une rénovation complète de la Place du Palais-Royal.
Le Café de la Régence est alors menacé de disparition.
Son propriétaire, Claude Vielle, se défend et essaye d'obtenir le maximum d'argent en échange de son expropriation.
Le factum nous donne quelques détails sur le Café de la Régence et le dédommagement demandé par Claude Vielle, à savoir 300 000 francs.
Le jugement est rendu en août 1853, Claude Vielle n'aura pas ce qu'il réclame...
"Journal du Loiret (1)
Samedi 27 août 1853
Le Café de la Régence
Les expropriations nécessitées à Paris par la continuation en arcades de la rue de Rivoli viennent de se terminer devant le tribunal civil de la Seine. L’intérêt se portait surtout, à la dernière audience sur l’indemnité réclamée par M. Vielle, propriétaire du Café de la Régence, place du Palais-Royal.
Ce café célèbre est, comme a dit Me Dufaure, avocat de M. Vielle, un monument historique, planté au coin de la place du Palais-Royal. Fondé sous la régence en 1718, on peut dire qu’il a vu s’asseoir à ses tables tout ce que le dix-huitième siècle a produit d’illustre dans les arts, la science, la littérature, la guerre : on y allait, la nuit, en partie fine, comme on allait autrefois au cabaret. Au sortir du Palais-Royal, les roués du régent allaient continuer la débauche dans ce café dont ils étaient les parrains. C’étaient alors des soupers bruyants, le vin coulant sur les tables, parfois aussi des glaces brisées et des éclats de verre volant sur les vestes de soie et les habits pailletés des convives. Bonnes aubaines, nuits fructueuses pour le maître et les garçons du café de la Régence.
(...) On peut se faire indiquer la table (2) où vint s’accouder, un matin de l’année 1803, un homme simplement vêtu, dont un chapeau rabattu sur les yeux protégeait l’incognito. La légende a conservé religieusement les détails de cette visite, et le souvenir de Napoléon couronne aujourd’hui les souvenirs si illustres et si nombreux de l’endroit dont nous écrivons l’histoire.
Un provincial qui, au milieu du siècle dernier, aurait eu l’idée de contempler face à face les célébrités qui remplissaient alors l’Europe du bruit de leur nom n’aurait eu qu’à faire arrêter sa chaise devant le Café de la Régence. Il y aurait vu entrer Voltaire (3), Rousseau, Diderot, Sedaine, Piron, Marmontel, Bernardin de Saint-Pierre. La poésie a toujours affectionné ce petit réduit ; elle n’a cessé d’y voir ses pénates, et celui qui les garde aujourd’hui, c’est l’enfant de Byron et de Marivaux, le charmant écrivain, le poète plein de gaité et de mélancolie, de verre et de raison, de fantaisie et de bon sens, d’originalité surtout :
« Mon verre n’est pas grand, mais je bois dans mon verre ».
D’autres cafés ont partagé les faveurs de la Muse, Procope, par exemple, et le café Laurent, où, sous la signature vraie ou supposée de Rousseau-Pindare, furent lancés les couplets qui troublèrent, pour le reste de ses jours le repos du malheureux poète. Mais ce qui appartient en propre au Café de la Régence, ce qui lui assure une place à part dans l’histoire parisienne, c’est le sceptre des échecs. Là, le rival de Rameau, l’auteur d’Ernelinde et de Bélisaire, le célèbre Philidor a ouvert cette série de grands joueurs d’échecs, qu’ont si brillamment continuée de nos jours La Bourdonnais et Deschapelles.
Là se sont livrées entre la France et l’Angleterre ces grandes batailles dont le destin émouvait bien autrement les habitués du café que la guerre de Hongrie ou la question d’Orient. Que va devenir aujourd’hui le cercle des Échecs ? Restera-t-il dans ce coin de la place du Palais-Royal, son berceau, sa patrie ? Ira-t-il, au risque de se dissoudre, émigrer avec ses tables, ses pions, ses combinaisons savantes, vers les quartiers profanes des Italiens ou de la Chaussée-d’Antin (4) ?
Nous ne savons encore. La ville offrait au Café de la Régence une indemnité de 60.000 francs. Le café en demandait 300.000, le jury a alloué la somme de 140.000 fr."
(1) Merci à Mme Marie Claire Prudhomme pour m'avoir communiqué cette référence
(2) La fameuse table de Napoléon qui semble apparaitre vers 1850
(3) Dans mon livre j'explique que la présence de Voltaire est peu probable
(4) à l'époque, la mode des cafés a changé de quartier. Elle est passée du Palais-Royal aux Boulevards. Le Café de la Régence survivra grâce à sa proximité avec le Théâtre-Français.
Poursuivons avec un document unique que l’on trouve dans les archives numérisées des bibliothèques Parisiennes.
Recueil de dessins – Expropriations de 1852 – 1854 pour le prolongement de la rue de Rivoli
Gabriel Davioud (1823-1881), architecte, inspecteur général des travaux d’architecture de la Ville de Paris
Ce recueil de dessins est exceptionnel pour l’histoire de ce quartier, voire tout simplement de Paris.
Avant de détruire tout un pan de l’histoire parisienne, l’administration a eu la riche idée de dessiner toutes les façades des immeubles. Elles sont toutes là dans ce recueil, notamment celles de la Place du Palais-Royal et bien sûr le Café de la Régence.
(image surchargée en couleur par mes soins !)
Ceci est à rapprocher du dessin présent dans le livre en deux tomes d'Edmond Texier intitulé "Tableau de Paris", Paris 1852.
On apprend également dans le recueil de dessins que l’immeuble à côté est celui qui abrite Jean Victor Andrieux et ses daguerréotypes. Ceci ouvre des perspectives, car j’émets l’hypothèse que M. Andrieux a peut-être gardé un souvenir de la façade de son ancien commerce sous la forme d’un daguerréotype.
Il faudra attendre août 1855 pour l'ouverture du nouveau Café de la Régence, au 161 rue Saint-Honoré.
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