Sauf mention contraire tous les documents visuels sont tirés de l'article de Sergueï Voronkov.
Je souhaite remercier mon épouse pour l'aide qu'elle m'a apportée pour la traduction de l'article de Sergueï Voronkov !
Il me semble intéressant de vous en faire partager le contenu. Voronkov apporte non seulement des informations inédites au sujet de Xavier Tartakover, mais surtout cet article rétablit la vérité sur un épisode douloureux de la vie de Xavier Tartakover.
Ainsi les parents de Tartakover n’ont pas succombé à un pogrom, et lui-même n’a pas été chassé de Russie à cause de l’antisémitisme. Et la véritable passion de Tartakover a été la poésie !
Pour ceux qui l’ignore, Xavier Tartakover fut une des figures marquantes du jeu d’échecs en France dans les années 1930 / 1950. Xavier est son prénom francisé, Savielly son véritable prénom.
Même si elles contiennent des erreurs, vous pouvez lire sa page wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Xavier_Tartakover ou bien encore l’article qui se trouve sur le site « Héritage des échecs français » http://heritageechecsfra.free.fr/tartakover.htm
Bien entendu il existe un lien direct entre lui et le Café de la Régence. Sa première visite à la Régence semble remonter à juillet 1907. Disons que la première trace que j’ai trouvée de lui en lien avec la Régence provient de la revue « L’échiquier Français » de 1907.
Cette revue était l’organe officiel de l’UAAR, l’Union Amicale des Amateurs de la Régence.
Les sources sur internet ont tendance à se recopier les unes sur les autres. Ainsi sur Wikipédia il est indiqué : « Xavier Tartacover est né d'un père autrichien et d'une mère polonaise, tous deux d'origine juive. Ses parents, qui furent plus tard assassinés lors d'un pogrom, l'emmenèrent hors de Russie lorsqu'il avait 12 ans ». Rétablissons la vérité grâce à Voronkov !
Tartakover en 1907 au tournoi de Vienne. Voronkov indique que la photo lui a été communiquée par Dominique Thimognier (Héritage Échecs Français). C'est en 1907 que Tartakover met les pieds pour la première fois au Café de la Régence, il a alors 20 ans.
Xavier Tartakover est né à Rostov sur le Don le 9 février 1887 selon le calendrier Julien alors en vigueur dans l’Empire Russe (ce qui donne le 22 février 1887 selon notre calendrier grégorien).
Ses parents sont de riches commerçants de Rostov et possèdent une excellente réputation locale.
Leur magasin existe depuis 1879, et l’on y trouve toutes sortes de vêtements, de vaisselles etc.
Son père d’origine juive changera de religion pour devenir protestant, ce que ne fera pas sa mère.
Une réclame du magasin des Tartakover. Il est indiqué que leur magasin existe depuis 1879.
Les parents de Tartakover. Publié dans le journal "La Région d'Azov" le 27/02/1911.
Voronkov indique que cette photo est inédite.
Vers l’âge de 11 ou 12 ans, leur père apprend à ses deux fils à jouer aux échecs. Ils assistèrent probablement au match en 1896 à Rostov entre Steinitz (alors en visite en Russie) et Schiffers (plus fort joueur russe derrière Tchigorine). Pour rappel, Steinitz avait perdu en 1894 son titre de champion du monde face à Lasker (et échouera à le regagner fin 1896 / début 1897).
Leur père, d’origine autrichienne, décide d’envoyer ses deux fils, Savielly (Xavier) et son frère Arthur faire leurs études à l’étranger. Arthur, de un an son cadet, suivra les traces de Savielly (Xavier). À noter qu’ils ont également deux sœurs.
Tartakover en 1918, avec l'uniforme de l'armée d'Autriche-Hongrie. Son frère Arthur sera tué durant la première guerre mondiale le 19/11/1914 près de Katowice.
Savielly (Xavier) arrive en 1899 dans un collège à Genève où il y restera jusqu’en 1904. C’est par hasard qu’il découvre à Genève le Café de la Couronne où se trouvent les joueurs d’échecs. Dans ses souvenirs (Chess Review 1951) Tartakover explique que le contact avec le jeu d’échecs lui joua des tours quant à ses résultats de fin d’étude au collège ! Il part ensuite à l’université de Vienne pour des études de droit.
Et c’est là qu’il reçoit un télégramme lui apprenant en février 1911 l’assassinat de ses parents à Rostov. Mais comme le montre clairement Voronkov, ceci n’a absolument aucun lien avec un quelconque pogrom. Le seul pogrom connu à Rostov date de 1905 et la première révolution russe.
La presse locale parlera de l’affaire de longues semaines, en évoquant les détails sordides de cette histoire : un cambriolage chez des notables qui tourne très mal avec la complicité de plusieurs domestiques de la famille Tartakover.
Le journal de la région d'Azov du 19/02/1911 qui parle du crime de la veille contre les Tartakover.
Les enfants des Tartakover reviennent à Rostov pour assister aux funérailles de leurs parents et se partagent l’héritage important qu’ils ont laissé. Savielly (Xavier) profite de son séjour à Rostov pour publier un recueil de ses poésies et de se vers. Il s’agit d’un livret de 56 pages, divisé en deux parties (« dissonances » et « accords »).
Le début de sa dernière poésie de « dissonances » peut se traduire ainsi
ЕЩЕ ОДИН, ПОСЛЕДНИЙ ДИССОНАНС...
(На смерть родителей)
Целый век и лишений, и слез, и труда!
Для кого? для детей, проживавших беспечно
В чужеземных краях.
ENCORE UNE DERNIÈRE DISSONANCE
(Sur la mort des parents)
Tout un siècle de labeur, de peine et de larmes !
Et pour qui ? Les enfants qui vivaient sans souci
Sur la terre étrangère (…)
Voronkov indique avoir trouvé ce recueil de poésies à la bibliothèque Lénine de Moscou.
Savielly (Xavier) publia deux autres recueils à Berlin en 1922 puis à Paris en 1928 qu’il signa Revokatrat, c’est-à-dire son nom inversé !
Le recueil de poèmes publié par Tartakover à Paris en 1928.
Il est signé "Ревокатрать" "Revokatrat" c'est à dire le nom "Tartakover" à l'envers !
Mais cette passion ne lui apportera aucune reconnaissance, bien au contraire.
Le grand poète russe Nikolaï Goumilev disait de Tartakover qu’il ne maitrisait pas très bien la langue russe … Et Vladimir Nabokov d’ajouter « Tu peux écrire, mais ne pense pas qu’il s’agisse là de poésie ».
Tartakover était quelqu’un de brillant. Il maitrisait trois langues, le russe, l’allemand et le français, sans compter le latin et le grec. Il pouvait devenir juriste mais ne le devint pas. Les échecs étaient son métier, mais sa vraie passion resta toujours la poésie. Les joueurs d’échecs appréciaient ses écrits (Et son fameux « Bréviaire des échecs » par exemple) mais pas le monde littéraire. Sans doute son plus grand regret.