Saint-Amant ne se laisse pas faire
Je vais essayer de remettre régulièrement des articles au sujet du Café de la Régence ou bien des personnes qui ont fait vivre ce lieu.
Donc en cherchant dans la masse d'archives que j'ai accumulée pour écrire mon livre sur le Café de la Régence, je suis tombé sur une affaire judiciaire.
Celle-ci concerne
Saint-Amant et peut nous sembler assez incroyable par sa nature.
Saint-Amant en 1842
Nous sommes en été 1843.
Saint-Amant est revenu de Londres où il y passe du temps en avril mai presque chaque année pour vendre du vin de Bordeaux.
Au printemps 1843 il en a profité pour jouer un match d'échecs contre Staunton.
Match qu'il remporte sur le score de 3,5 à 2,5.
Dans quelques mois commencera le match revanche qui se terminera par une sévère défaite de Saint-Amant. Et entre les deux nous voyons que Saint-Amant ne se laisse pas faire...
Source Gallica
En page 3 du "Constitutionnel" du jeudi 31 août 1843 on peut lire ceci à la rubrique "Bulletin des tribunaux"
Source Gallica
Théâtre de l'Opéra - Changement d'affiches - Le tribunal de commerce est saisi d'une demande formée contre le directeur de l'Opéra par M. Fournié de Saint-Amant, qui réclame la restitution du prix d'une stalle de parterre et 20 fr. de dommages-intérêts, parce que, lors de la représentation de Robert-le-Diable, donnée le dimanche 20 août, l'administration de l'Opéra aurait substitué M. Marié à M. Duprez, qui avait été indiqué par les affiches.
Maître Schayé représentera M. Fournié Saint-Amant, et Maître Durmont plaidera pour M. Léon Pillet, directeur de l'Opéra.
Comment se termine cette affaire ?
Le journal "Le Ménestrel" (journal de musique) du 3 septembre 1843 nous donne quelques détails en page 3. En tout cas je n'ai pas trouvé de suite après l'explication du Ménestrel ci-dessous.
Saint-Amant a peut être arrêté là sa démarche judiciaire...
Source Gallica
VINGT FRANCS DE DOMMAGES-INTERETS
Un curieux procès vient d'être intenté au directeur de l'Opéra par un monsieur Fournier Saint-Amant.
La prétention de M. Fournier Saint-Amant est fort simple.
Il voulait aller à l'Opéra un dimanche soir, c'est bien naturel, entendre Duprez, cela va sans dire, et l'entendre dans Robert, ce qui est excusable.
Donc il s'achemine vers l'Académie royale de musique, achète une stalle de parterre, entre, s'assied, n'écoute pas l'ouverture, mais regarde lever la toile en homme qui se connait en musique.
La pièce commence.
Tout à coup M. Fournier Saint-Amant bondit sur une banquette:
"- Qu'est-ce que cela ! dit-il à son voisin
- ça ! c'est Robert
- Mais le chanteur ?
- C'est Marié.
- Marié ? ... Ah ! c'est Marié !" Et il s'élance et ne fait qu'un bon de l'Opéra chez son huissier.
L'huissier était à la campagne. Il ne trouve que l'huissière à laquelle il raconte sa mésaventure: il avait consulté les affiches de spectacles à midi précis, au coin d'une rue: il s'était assuré que Duprez jouerait ce soir-là le rôle de Robert le Diable.
Il s'était rendu à l'Opéra sur la foi de l'affiche du coin de rue, et à la place de Duprez, c'est Marié qu'on lui donne, c'est Marié qu'on veut lui faire entendre ! Il n'entend pas ça !
Il formera une demande en dommages-intérêts contre le directeur de l'Opéra: 20 francs de dommages-intérêts, et le remboursement de sa stalle de parterre, cela va sans dire.
Nous ignorons ce que l'huissière répondit à son discours pathétique, mais vingt-quatre heures après le directeur de l'Opéra recevait une assignation à l'effet de comparaitre par devant le tribunal de commerce, pour s'y entendre condamner, etc, etc. etc.
Cette grave affaire a été appelée à l'audience de mardi dernier et remise à quinzaine.
Si le tribunal donne gain de cause à M. Fournier Saint-Amant et sanctionne le désappointement du plaignant, M. Marié n'en sera guère flatté.
Aussi assure-t-on que ce chanteur, pour éviter tout désagrément public, vient de proposer à M. Fournier Saint-Amant de se désister de sa plainte en lui offrant de sa propre bourse les 20 francs de dommages-intérêts.