samedi 14 décembre 2024

Plan de la Régence - Le Café de la Régence au XVIIIème siècle - 3ème partie

Une découverte majeure, que j'ai faite lors de ma visite aux archives en octobre dernier, c'est que le Café de la Régence aurait pu disparaitre après son achat par la ville de Paris en 1774. Ceci dans le cadre de travaux dans le quartier du Palais Royal, suite au transfert de l'hôpital des Quinze-Vingts rue de Charenton, non loin de la Bastille.

Comme l'indique Wikipedia au sujet de l'enclos des quinze-Vingts : Par lettres patentes du 16 décembre 1779, le roi ordonne la création de plusieurs rues à l'emplacement de l'ancien hospice des Quinze-Vingts.

La cote Q/1/1146, dont j'ai déjà parlée et dont je reparlerai dans d'autres articles tant elle est riche, contient notamment deux plans très intéressants. Un plan du Café de la Régence proprement dit, et un plan du quartier tel qu'il est envisagé après les travaux. Ce sont les objets de cet article.
Pour ceux qui connaissent Paris, les travaux de 1854 sous Napoléon III, vont complétement chambouler le quartier (avec le percement de la rue de Rivoli) pour lui donner l'aspect actuel.

Commençons par une description des travaux

Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 25 octobre 1774
 
Il est facile de lire par exemple "(...) que la Place du Palais serait élargie par la suppression de plusieurs maisons, tant du côté des quinze-vingts que de celui de la rue Froidmanteau, et qu'il serait formé un pan coupé à chacun des angles de la rue Saint-Honoré (...)"

Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 25 octobre 1774
 
La page suivante du document donne des détails qui concernent directement le Café de la Régence.

"(…) acquéreur au nom de la dite ville, en vertu des lettres patentes énoncées et datées ci-dessus, une maison située à Paris rue Saint-Thomas du Louvre sur la dite place du Palais Royal appelée Le Caffé de la Régence occupée par le sieur Rey limonadier ayant son entrée par une allée dans la dite rue Saint-Thomas du Louvre et sur la dite place du Palais Royal, et composée d’un étage de cave, rez de chaussée, quatre étages en carrée, un autre en mansarde et grenier au-dessus (...)"

Un autre document de la cote Q/1/1146 donne donc le pan du Café de la Régence.

Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 9 août 1774

Il est indiqué que la devanture fait 36 pieds, 4 pouces, 9 lignes
 
Un petit calcul de conversion donne une longueur de
36 x 0,3248 m + 4 x 0,027 + 9 x 2,2558 mm = 11,69 m + 0,108 = environ 12 mètres
Pour une largeur de 19 pieds et 6 pouces, soit
19 x 0,3248 + 6 x 0,027 = 6,33 mètres environ

Soit une surface d’environ 6,33 x 12 = 76 mètres carrés environ.
 
Le texte sur la droite est le suivant : "Maison appartenant à Monsieur de Goimpy occupée par le sieur Ray Limonadier"
 
On peut voir un escalier, probablement pour aller dans les étages et à la cave.
Un mur semble traverser le café dans sa partie sur la droite. En fait dans les différents baux de location que nous verrons dans un autre article, il est précisé que le local est constitué de 3 boutiques. Sauf au début du XVIIIème siècle, où deux boutiques étaient occupées par un limonadier et la 3ème boutique par un maitre rôtisseur, les trois boutiques formaient un tout durant le XVIIIème siècle.
 
Nous avons là le plan du Café de la Régence de François Antoine de Le Gall sire de Kermeur et de François André Danican Philidor.

Retenez la forme rectangulaire du Café de la Régence. J'y reviens un peu plus loin dans cet article.
 
Voici maintenant le document d'enregistrement de la vente du Café de la Régence, toujours à la cote Q/1/1146.
 
Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 7 février 1775
 
Si on zoome sur le document on peut lire ceci
 

"(...) profit de la ville d'une maison sise rue Saint-Thomas du Louvre place du palais Royal, appelée le Café de la Régence, moyennant la somme de Cinquante Cinq mille livres (...)"

Un peu plus tard, le 25 octobre 1779 un plan du futur quartier après travaux est établi.
Et là, force est de constater que le Café de la Régence semble toujours s'y trouver.
Mais à ce jour je n'ai pas l'explication de la "non destruction" de la maison où se trouve la Régence.

Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 25 octobre 1779

Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 25 octobre 1779
Zoom sur la partie en haut à gauche du document.

J'ai cerclé de rouge l'emplacement du Café de la Régence.
Là on s’aperçoit que sa forme a légèrement changé. De rectangulaire, il a gagné un morceau en biais.
Est-ce ce qui se trouvait dans le premier document de cet article ? 
à savoir : 
"(...) qu'il serait formé un pan coupé à chacun des angles de la rue Saint-Honoré (...)"
 
Voici le plan du quartier 50 à 60 ans plus tard (déjà publié sur ce blog).

Plan de la Place du Palais Royal (Cadastre de Paris par îlot - Atlas Vasserot et Bellanger 1830 - 1850).
Archives de Paris. 4ème quartier - Tuilerie - Îlots 19 et 20


Le Café de la Régence a changé de forme,comme on peut le voir en zoomant sur ce plan.

La partie B (en rouge) correspond au Café de la Régence d'origine, tel qu'on peut le voir sur le plan un peu avant dans cet article.
Les parties A et C (en jaune) on donc été ajouté au bâtiment du Café de la Régence.
Celui-ci n'a donc pas été démoli, mais il a gagné en surface, avec une forme un peu étonnante.

Cette forme, pas très harmonieuse, est décrite en 1840 avec humour par un anglais nommé Georges Walker. Son nom est alors bien connu dans le milieu des échecs britanniques et français, en tant que chroniqueur, mais également comme joueur d'échecs de bon niveau. 
 
En 1839, il se rend à Paris et découvre le Café de la Régence qui vient de retrouver les plus forts joueurs suite à la dissolution du Cercle des Échecs de Paris situé rue de Ménars. Georges Walker va rédiger un long article au sujet de sa visite au Café de la Régence. Texte qui est publié pour la première fois en décembre 1840 dans le Fraser’s Magazine, puis en français en 1841 dans la Revue Britannique . Le Palamède de juillet 1843, alors sous la direction de Saint-Amant, le reproduira également.

Voici un extrait du texte de Georges Walker. Je mets en rouge le passage le plus intéressant pour cet article.

"(...) C'est ici que le jeu des échecs « gouverne et règne seul ». Personne n'a encore décrit à mon gré ce fameux café et ce jeu, le roi des jeux. Mery lui-même avec toute son imagination et son esprit, lorsqu'il a voulu s'en mêler, a prouvé qu'il n'y entendait rien. Sans trop de vanité, je parie battre Mery, sans être un écrivain aussi facile que lui. Matériellement, le café de la Régence est bientôt décrit: il est bas, long, étroit, assez semblable pour la forme à un parallélogramme de tartine au fromage (parallelogram of toasted cheese), l'antithèse de la grâce architecturale; le salon ne peut rivaliser avec ceux des cafés plus modernes si richement dorés, malgré ses glaces et ses tables de marbre… (...)"
 

a parallelogram of toasted cheese,
telle est la forme du Café de la Régence depuis probablement 1779.

mercredi 4 décembre 2024

Boues et lanternes - Le Café de la Régence au XVIIIème siècle - 2ème partie

Parmi tous les papiers de la cote Q/1/1146 des Archives Nationales, se trouvent quelques documents intéressants sur la vie au XVIIIème siècle. C'est ainsi que j'y ai trouvé plusieurs quittances de l'impôt des boues et lanternes pour l'immeuble du Café de la Régence.

Comme l'indique le site internet de l'économie et des finances,

Sous l'Ancien Régime, l'impôt des boues et lanternes, décidé par le Parlement de Paris en 1509, était dû par les habitants parisiens pour le nettoiement des rues et l'entretien des lanternes. Les sommes perçues permettaient de rémunérer les entrepreneurs du nettoiement (...)

Il semble que ce soit plus exactement les propriétaires des bâtiments qui devaient s'en acquitter.

Ci-dessous 3 exemples pour l'immeuble du Café de la Régence : 1705, 1748 et 1761.

Année 1705 - Archives Nationales - cote Q/1/1146


 

 


 

 

 

 

Année 1748 - Archives Nationales - cote Q/1/1146

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Année 1761 - Archives Nationales - cote Q/1/1146

Le nom du Café de la Régence n'est pas mentionné. A la place, il est indiqué une maison rue Saint-Thomas du Louvre.

Archives Nationales - cote Q/1/1146 - Petite note accrochée à la quittance de 1761.

En fait, même si l'immeuble du Café de la Régence donne sur la Place du Palais-Royal, il est alors considéré dans le prolongement de la rue Saint-Thomas du Louvre.
NB : cette rue a disparu en 1853 avec le percement de la rue de Rivoli.

Plan relatif au programme décrété le 30 juin 1793 par la Convention Nationale
Bibliothèque Historique de la Ville de Paris

A : Emplacement du Café de la Régence (sur la Place du Palais-Royal)
En rouge pâle, la rue Saint-Thomas du Louvre. 

On observe également que le nom du propriétaire de l'immeuble, du Café de la Régence, est le même tout au long du XVIIIème siècle, plus exactement jusqu'en 1774 date de son achat par la ville de Paris pour le détruire.

Il s'agit de la famille du Maitz de Goimpy que l'on retrouve sur tous les baux de l'époque. En regardant sur les quelques documents du XVIIème siècle également présents à la cote Q/1/1146 on voit que l'immeuble appartient à cette famille depuis très longtemps.

Vous avez sur Wikipédia une page sur un membre de cette famille à l'époque.

Archives Nationales - cote Q/1/1146