Où l'on découvre que chaque exemplaire de l'édition originale de son livre d'échecs, paru en 1737, porte une mention manuscrite très probablement de Philippe Stamma lui-même.
Cet article fait suite à ma visite du fonds Mennerat à Belfort le 12 juin 2021, et contient des informations communiquées par Jean-Baptiste Grange, responsable du patrimoine de la bibliothèque de Belfort.
Même si je n'aime pas rester sans sourcer les informations que je donne, voici quelques mots sur ce qui est communément admis au sujet de Stamma :
Phillipe (Philipp, Philippo ou Filipo) Stamma est né à Alep, en Syrie vers 1705 (alors l'empire Ottoman). Son nom arabe était Fathallah, fils de Safar, du clan Shtamma.
Sa famille avait des origines syro-orthodoxes, mais aussi des liens avec l'église catholique.
En plus d'être joueur d'échecs, il était interprète de langues orientales.
Après avoir quitté l'Empire ottoman, il séjourne quelque temps en Italie avant d'arriver en France.
Puis, il s'installe ensuite à Londres vers 1738. Il est nommé interprète de langues orientales en 1739. Il meurt à Londres vers 1755.
Le livre de Philippe Stamma
Fonds Mennerat - Belfort
Lors de son séjour à Paris, dans les années 1730, il publie la première édition de son livre "Essai sur le jeu des Échecs, par le sieur Philippe Stamma natif d’Alep en Syrie, à Paris en 1737".
Sa situation financière est précaire, comme il l'indique dans son introduction où il remercie son protecteur en Angleterre qu’il va bientôt rejoindre (William Stanhope, 1er comte de Harrington, homme d'état et diplomate britannique).
"A très haut et très honoré seigneur Mylord Harrington, ministre et secrétaire d'état du Roi de Grand-Bretagne, etc. (...) Dans la situation, où la fortune m'a réduit, la compassion vous parlera pour moi (...)"
Il est juste de considérer Stamma comme ayant un niveau de jeu inférieur à Legall contre lequel il a dû forcément jouer au Café de la Régence durant son séjour à Paris.
En effet, Philidor disposera facilement de son adversaire syrien, alors considéré comme le deuxième joueur d’Angleterre derrière Janssen, lors de son match à Londres en 1747.
Stamma mentionne aussi une façon de jouer particulière des Orientaux, il s’agit peut-être du gambit d’Alep (en fait le Gambit Dame) qu’il emploiera contre Philidor, et l’intérêt particulier des joueurs arabes pour l’étude des finales.
"(...) la manière de jouer chez les Orientaux ne vous a pas déplu : je commence à la rendre publique en Occident, quoique j'y sois étranger.(...)".
Voici ce que m'a indiqué M. Jean-Baptiste Grange, au sujet du livre de Stamma :
"La collection Mennerat possède un exemplaire de l'édition originale du livre de Stamma, imprimé par le libraire parisien Pierre Emery au format in-16, et relié en veau. Sur l'ensemble des exemplaires de l'édition originale figure, page 146 précisément, à la suite de l'achever d'imprimer, l'inscription manuscrite en arabe suivante :
"Ce livre a été imprimé à Paris sous le nom de Philippe Stamma".
L'ouvrage, le premier à utiliser la notation algébrique, popularisa en Europe l'art des finales d'échecs, fort appréciées depuis des siècles au Moyen-Orient."
Note manuscrite en arabe, probablement de Philippe Stamma
Jean-Baptiste Grange ne franchit pas le pas, mais il me semble très probable que cette inscription manuscrite soit de Philippe Stamma.
Ci-dessus la note manuscrite de Stamma dans l'exemplaire du fonds Mennerat à Belfort.
Vous retrouvez la même note manuscrite dans l'exemplaire consultable sur Google Book en provenance des Etats-Unis.
Google Book - Princeton University Library
Une note en arabe similaire à la précédente (il semble manquer un mot sur la 2ème ligne - je ne parle pas arabe, et si quelqu'un veut m'aider il sera le bienvenu).Pour la petite histoire, Jean-Jacques Rousseau cite Stamma dans le livre V des Confessions (1782).
Voici le premier et le deuxième article que je lui ai consacré.
On y découvre qu'il achète le manuel de Stamma, Philidor et le traité d'échecs de Gioachino Greco (dit "Le Calabrais"). Une belle collection !
"Il y avait un Genevois nommé M. Bagueret, lequel avait été employé sous Pierre le Grand à la cour de Russie ; un des plus vilains hommes et des plus grands fous que j’aie jamais vus, toujours plein de projets aussi fous que lui, qui faisait tomber les millions comme la pluie, et à qui les zéros ne coûtaient rien.
Cet homme, étant venu à Chambéry pour quelque procès au sénat, s’empara de maman comme de raison, et, pour ses trésors de zéros qu’il lui prodiguait généreusement, tirait ses pauvres écus pièce à pièce. Je ne l’aimais point : il le voyait ; avec moi cela n’est pas difficile : il n’y avait sorte de bassesse qu’il n’employât pour me cajoler.
Il s’avisa de me proposer d’apprendre les échecs, qu’il jouait un peu. J’essayai presque malgré moi ; et, après avoir tant bien que mal appris la marche, mon progrès fut si rapide, qu’avant la fin de la première séance, je lui donnai la tour qu’il m’avait donnée en commençant. Il ne m’en fallut pas davantage : me voilà forcené des échecs.
J’achète un échiquier, j’achète le Calabrois : je m’enferme dans ma chambre, j’y passe les jours et les nuits à vouloir apprendre par cœur toutes les parties, à les fourrer dans ma tête bon gré mal gré, à jouer seul sans relâche et sans fin. Après deux ou trois mois de ce beau travail et d’efforts inimaginables, je vais au café, maigre, jaune, et presque hébété. Je m’essaye, je rejoue avec M. Bagueret : il me bat une fois, deux fois, vingt fois ; tant de combinaisons s’étaient brouillées dans ma tête, et mon imagination s’était si bien amortie, que je ne voyais plus qu’un nuage devant moi.
Toutes les fois qu’avec le livre de Philidor ou celui de Stamma j’ai voulu m’exercer à étudier des parties, la même chose m’est arrivée ; et après m’être épuisé de fatigue, je me suis trouvé plus faible qu’auparavant. Du reste, que j’aie abandonné les échecs, ou qu’en jouant je me sois remis en haleine, je n’ai jamais avancé d’un cran depuis cette première séance, et je me suis toujours retrouvé au même point où j’étais en la finissant. Je m’exercerais des milliers de siècles que je finirais par pouvoir donner la tour à Bagueret, et rien de plus."
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