lundi 28 décembre 2015

Lionel Adalbert Bagration Félix Kiéséritzky


21/06/2020 - Correction d'un diagramme erroné

Nous sommes en 1839, et un jeune joueur en provenance de l'Empire Russe s'installe à Paris. Très vite il va se consacrer exclusivement au jeu d'échecs. Ce joueur, Lionel Kiéséritzky, apporte beaucoup au jeu d'échecs à Paris de par son énergie pour organiser des rencontres, des tournois, des séances à l'aveugle, des leçons d'échecs, mais également par son inventivité pour le jeu d'échecs.

La postérité n'est pas tendre avec lui. Vous le connaissez peut-être car c'est l'adversaire malheureux d'Anderssen dans la fameuse partie immortelle jouée à Londres en 1851 en marge du 1er Tournoi International. Ou bien peut-être connaissez-vous la variante Kiéséritzky du Gambit du Roi ?

En tout cas, vers 1840, il a le tort de s'opposer à Saint-Amant, successeur désigné de La Bourdonnais, qui n'est pourtant pas un professionnel du jeu d'échecs (Saint-Amant est négociant en vin de Bordeaux).
Ce dernier aura d'ailleurs des mots assez durs sur les inventions de Kiéséritzky, comme vous le verrez un peu plus loin dans cet article.

À ma connaissance, le seul portrait officiellement reconnu comme étant celui de Kiéséritzky est le suivant :

Kiéséritzky est sur la gauche. Je ne connais pas la référence de ce dessin.

La page de Wikipédia au sujet de Kiéséritzky ne cite pas sa source et il est incomplet.
Il est en fait tiré d'un article paru dans la revue L'Échiquier de Paris de mars / avril 1951 signé par Louis Mandy, que voici :

Lionel, Adalbert, Bagration, Félix Kiéséritzky est né à Dorpat (Livonie) le 1er janvier 1806 (20 décembre 1805 suivant le calendrier julien). Il appartenait à une famille polonaise émigrée vers le milieu du dix-huitième siècle.
Son grand-père et son père s’étaient mariés à des Allemandes et sa famille était entièrement germanisée. Son père, Otto Wilhelm, avocat, avait épousé Félicitas Katarina von Hoffmann. Lionel était le plus jeune des quatorze enfants nés de cette union.
Je n’ai retrouvé trace que de deux de ses frères : Félix, l’aîné, et Guido, tous deux bons joueurs d’échecs, et d’une sœur prénommée Lydia (décédée en 1882).

En 1825, Lionel Kiéséritzky se fit inscrire comme étudiant en philologie à l’Université de sa ville natale. Il étudia également le droit et les mathématiques, matières pour lesquelles il avait des dispositions particulières.

En 1829, quittant l’Université, il s’établit professeur de mathématiques à Dorpat et son enseignement était très recherché par les meilleures familles de la ville.
À la mort de ses parents et jusqu’en 1837, il habita, avec sa sœur, la maison paternelle. Son frère Guido était un mathématicien et un physicien distingué qui consacra sa vie entière à la recherche d’un appareil destiné à donner un poli parfait aux lentilles de télescopes.
Ce frère, de même que sa sœur Lydia, avaient une réputation de parfaits originaux qui alimenta longtemps les commérages de la ville. 
Lionel Kiéséritzky possédait une nature sensible, nerveuse, susceptible et, partant, très irritable.
Il intenta un procès en diffamation aux mauvaises langues qui s’occupaient des originalités de la maison Kiéséritzky et le gagna.
Mais le rappel incessant de ces évènements lui rendit bientôt insupportable le séjour à Dorpat.
Aussi décida-t-il d’aller se fixer à Paris. Il quitta, pour toujours, sa ville natale le 5 mai 1839.
Il fit le voyage par Riga, Rostock et Le Havre et arriva à Paris le 14 août 1839.

Là, il subvint modestement à ses besoins en donnant des leçons d’échecs à 5 francs l’heure et par des parties jouées à la Régence avec un enjeu de même importance. Il habita un certain temps au 5 de la rue de Lille, ainsi qu’au 24 de la rue Dauphine.

Kiéséritzky mourut à Paris au début du mois de mai 1853, âgé seulement de 47 ans.


(Acte de décès reconstitué de Lionel Kiéséritzky. Source : Archive numérisée de la ville de Paris.
Celui-ci décède le 19 mai 1853 dans le Xème arrondissement ancien de Paris.
Ce qui peut correspondre à l'adresse de son domicile du 24 rue Dauphine indiqué dans l'article.)

Au physique, c’était un homme d’une corpulence moyenne, avec tendance à l’obésité. Visage pâle aux traits fortement accusés, cheveux plats très bruns, yeux sombres et vifs, la tête légèrement inclinée en avant. Sa démarche vive et quelque peu sautillante.

Aimable, spirituel, affable et impartial, Kiéséritzky possédait une excellente mémoire ainsi qu’une intelligence vive et passionnée, alliée à une profonde et ardente sensibilité.

Son jeu était à la mesure de son intelligence, car Kiéséritzky jouait plus brillamment et génialement que sûrement et correctement. Il lui arrivait parfois de faire des coups surprenants et extraordinaires, mais il pouvait aussi, lorsqu’il était dans un mauvais jour, jouer fort médiocrement et même très mal.
Bien que mathématicien de profession, il était incapable de froid calcul et de réflexion soutenue et pratiquait au contraire une manière de jouer vive et hasardeuse dans laquelle son esprit et sa sensibilité pouvaient se donner libre cours. Il avait commencé très jeune à se familiariser avec les Échecs puisqu’il n’avait, parait-il, que trois ans lorsque son père lui montra un mat en trois coups par Dame et Fou. Depuis, il ne cessa de jouer avec ses frères Félix et Guido et devint rapidement leur maître.

Devant l’échiquier, Kiéséritzky, par son comportement toujours courtois et par son égalité d’humeur dans la victoire comme dans la défaite, était très aimé. Son jeu était riche de brillantes idées, mais non exempt de quelques coups baroques au moyen desquels il cherchait à introduire des variantes nouvelles. Son caractère ouvert le faisait rechercher par les milieux échiquéens français et sa précoce disparition fut unanimement regrettée.

Kiéséritzky avait encore eu l’occasion, dès son arrivée à Paris, de jouer avec La Bourdonnais qui l’avait signalé aux lecteurs du Palamède par ces mots laconiques mais précis : « M. Kiéséritzky, un jeune Russe, très fort ».


(Extrait du Palamède de 1839/1840 
Le texte de La Bourdonnais est légèrement différent de celui donné dans l'article de Louis Mandy)
(La Bourdonnais a du mal avec le nom compliqué de Kiéséritzky...
Le Palamède 1840)

La Bourdonnais lui rendait Pion et deux traits, mais cet avantage, trop important, donnait la supériorité à Kiéséritzky. La Bourdonnais sut reconnaitre le talent de son adversaire et le proclama second joueur de France.
Après la mort de La Bourdonnais, survenue peu après, il ne resta que Saint-amant comme adversaire à sa taille, mais les ridicules prétentions de ce dernier firent de Kiéséritzky son ennemi, et cet état de choses dura malheureusement jusqu’au départ de Saint-Amant pour l’Amérique, en 1852. Toutefois, comme ils ont peu joué ensemble, du fait de leur antipathie, on ne peut se prononcer sur celui des deux qui était le plus fort.

La Bourdonnais était peut-être mieux renseigné sur le jeu de Kiéséritzky. Il connaissait également celui de Saint-Amant. Mais il connut Kiéséritzky trop peu de temps avant sa mort et n’eut pas suffisamment l’occasion d’asseoir son opinion. D’autant que, de 1837 à 1840, Saint-Amant s’abstint presque complètement de jouer aux Échecs.
Il semble cependant que Saint-Amant était meilleur en match que Kiéséritzky, bien que ce dernier eût un jeu plus inventif et ingénieux. Et il ne faut évidemment pas conclure que, du fait de la victoire de Kiéséritzky sur le nerveux Horwitz (Londres, 1846), le maître livonien aurait eu des chances de succès dans un match contre Staunton.

Mais Kiéséritzky et Saint-Amant ont eu tous deux une grande influence sur la vie échiquéenne en France, ce dernier plus certainement par la publication du Palamède que par la pratique du jeu, alors que Kiéséritzky était vraiment un joueur, toujours prêt à se mesurer avec qui le défiait, et un excellent professeur, dont les manières modestes contrastaient singulièrement avec la morgue hautaine de Saint-Amant.

En 1846, Kiéséritzky édita un recueil de 50 parties jouées la plupart par lui-même, au Cercle des Échecs et au Café de la Régence. Elles sont bien commentées, servent d’études théoriques et constituent un instructif souvenir de l’actif Groupe du Café de la Régence. Dans le domaine de la théorie, on lui doit de nombreuses nouveautés, notamment dans le Gambit Allgaier et le Gambit du Fou.


Dans les dernières années de sa vie, il se fit l’ardent propagateur d’une merveilleuse idée mathématique : « Les Échecs dans l’Espace », mais ni ses émules, dont étaient Harrwitz, Eugène Rousseau, Thompson, etc…, ni les quelques maîtres au nombre desquels figurait Anderssen, qui tentèrent de s’initier à cette espèce de mystère, ne purent se faire une idée bien nette de la question et Kiéséritzky, incompris, emporta son secret dans la tombe.

Le portrait que nous publions est extrait du très intéressant ouvrage : « Aus Vergangenen Zeiten (1) » que Ludwig Bachmann a consacré aux maîtres de la Régence et à leurs rivaux britanniques. La partie se rapportant à Kiéséritzky, avec les souvenirs du Dr. W. Schwartz de Riga à la « Wochenschach » et du conseiller de cour Dr. Guttceit d’Orel à la Berliner Schachzeitung de 1855, nous a fourni l’essentiel de cette étude.

Le fameux tableau de Marlet, gravé par Laemlein, comporte-t-il le portrait de Kiéséritzky ? Gaston Legrain a posé naguère la question dans ses Cahiers de l’Échiquier Français. Un certain personnage est désigné sous le signe de K… Est-ce Kiéséritzky ? En comparant le portrait ci-dessus à celui du tableau, en s’attachant particulièrement aux détails de la chevelure, du profil, de la redingote, je crois que l’on peut, sans témérité excessive, conclure par l’affirmative.


(Détail de la gravure de Laemlein - La Stratégie, novembre 1911
Kiéséritzky serait la personne que j'ai cerclée en rouge)

Louis Mandy.

(1) Vol . I, 5ème cahier (Edition de Bernhard Kagan, Berlin, s.d.)


En juillet 1846, Kiéséritzky se rend en voyage à Londres, où il a l'occasion de tester ses inventions  contre le joueur anglais Georges Walker.
Quelques parties sont ensuite publiées dans le Palamède, dont le propriétaire et rédacteur en chef n'est autre que Saint-Amant.
Voici comment Saint-Amant juge les inventions de Kiéséritzky dans le Palamède en 1846...

1.e4 e5 2.f4 e5xf4 3.Cf3 g5 4.h4 


« C’est le Gambit auquel M. Kiéséritzky donna, plaisamment sans doute, le nom d’irrésistible, il y a quelques années, et dont il avait pourtant essayé l’effet sans succès contre quatre joueurs de deuxième force. On ne doit donc pas être surpris du sort qu’il a eu contre le célèbre joueur anglais.  » 

Les amabilités continuent un peu plus loin...

« Le second joueur a non seulement le Pion de plus, mais encore la position. Le Gambit n’est pas jugé, sur cet échantillon, un Gambit irrésistible, mais un Gambit déplorable. Ce ne peut être sérieusement qu’on espère attacher son nom à des analyses si mal élaborées.  »

Kiéséritzky teste à Londres un deuxième gambit qu'il affectionne et qui sera le thème de la partie immortelle 5 ans plus tard...

1.e4 e5 2.f4 e5xf4 3.Fc4 Dh4+ 4.Rf1 b5



« Ceci est regardé comme une fantaisie de M. Kiéséritzky. Nous ne pensons pas que cette manière de restituer le Pion qu’on avait de plus par suite du Gambit offert et pris fasse autorité et soit jamais regardée comme une bonne défense.  »

Terminons cet article par ce qu'on peut appeler la quasi immortelle de Kiéséritzky.
Il s'agit d'une partie jouée le 6 mai 1850 lors d'une série de plus de 150 parties (!) contre le joueur allemand Schulten.
Cette partie a du se jouer sur un rythme rapide, peut-être vingt minutes par joueur tout au plus, car rappelons le, la pendule d'échecs n'existait pas encore en 1850.
La postérité n'a retenu que la partie immortelle contre Anderssen alors que celle-ci n'a probablement pas duré beaucoup plus longtemps.
En tout cas, le mat final est bien amené.

"M. Schulten vient de partir pour l'Allemagne. Pendant son dernier séjour à Paris, il a joué un grand nombre de parties avec M. Kiéséritzky;
il en a gagné 34 et perdu 107. Dix parties seulement ont été nulles. Cette grande différence s'explique moins par la force respective des deux antagonistes que par le choix du début.
A l'exception de cinq parties, M. Schulten choisissait toujours le gambit du Fou, et son adversaire celui du Cavalier.
La plupart de ces parties ont été jouées avec trop de précipitation, mais elles étaient presque toutes très piquantes."

La Régence - Journal des échecs - Juin 1850

Schulten / Kiéséritzky
Partie jouée le 6 mai 1850 au Cercle des échecs de Paris.
Ce cercle est alors situé au 1er étage du Café de la Régence

Les commentaires sont de Kiéséritzky pour la revue La Régence.

1. e4 e5 2. f4 exf4 3. Fc4 Dh4+ 4. Rf1 b5 5. Fxb5 Cf6

Au lieu de 5... Fb7 coup irréprochable, du reste, on peut jouer tout de suite Cf6 peut-être avec
plus de succès encore

6. Cc3 Cg4 7. Ch3 Cc6 8. Cd5 Cd4

Au premier abord plusieurs coups de cette partie paraitrons incompréhensibles, ils supporteront
pourtant l'examen. Les Noirs se laissent prendre une Tour, mais cela leur
donne une attaque excessivement forte.


9. Cxc7+ Rd8 10. Cxa8 f3 11. d3

Si les Blancs prenaient ce Pion avec le leur, ils perdraient non seulement le
Cavalier, mais encore la partie et en peu de coups. 11. gxf3

11... f6

Le double échec que les Blancs ont en vue en préparant le coup Fg5+ n'est point
si dangereux qu'on le pense, car les Noirs auraient également un double échec
à donner par Ce3. Cependant cette précaution n'est point mauvaise, et c'est
précisément à cause de d'elle que la partie a pu être terminée d'une manière
si brillante.

12. Fc4 

Puisque les Noirs ne veulent pas prendre ce Fou égaré, les Blancs consentent à le conserver.

12... d5 13. Fxd5 Fd6 14. De1

A ce moment les Noirs annoncent le Mat en sept coups
(Diagramme provenant de la revue La Régence.
Remarquez la notation particulière des coups de la partie. 
Il s'agit également d'une invention de Kiéséritzky mais qui s'avéra trop complexe et abandonnée par la suite).

14... fxg2+ 15. Rxg2

En jouant 15. Rg1 la partie serait finie plus tôt

15... Dxh3+ 16. Rxh3 Ce3+ 17. Rh4 

Les blancs pouvaient couvrir avec le Fou, mais cela n'augmentait pas le nombre de
coups annoncé.

17... g5+ 18. Rh5 Fg4+ 19. Rh6 Ff8#

Le Mat se faisait aussi par 19... Cdf5+ 20. exf5 Cxf5#

0-1

(Position finale)


[Event "Cercle des Echecs"] [Site "?"] [Date "1850.05.06"] [Round "?"] [White "Schulten"] [Black "Kieseritzky"] [Result "0-1"] [ECO "C33"] [Annotator "L.Kieseritzky"] [PlyCount "38"] 1. e4 e5 2. f4 exf4 3. Bc4 Qh4+ 4. Kf1 b5 5. Bxb5 Nf6 6. Nc3 Ng4 7. Nh3 Nc6 8. Nd5 Nd4 9. Nxc7+ Kd8 10. Nxa8 f3 11. d3 11... f6 12. Bc4 d5 13. Bxd5 Bd6 14. Qe1 fxg2+ 15. Kxg2 15... Qxh3+ 16. Kxh3 Ne3+ 17. Kh4 g5+ 18. Kh5 Bg4+ 19. Kh6 Bf8# 0-1

mardi 22 décembre 2015

Chapitre 15 – 1852 à 1855 – La destruction

Contenu du chapitre 15 (1er chapitre du tome 2)

Le dernier jour du Café de la Régence – Décès et courte biographie de Kieseritzky – Apparition de la table de Bonaparte – Expropriation, Factum d’expulsion et jugement – Déménagement au 21 Rue de Richelieu – Inauguration en grande pompe du nouveau Café de la Régence au 161 rue Saint-Honoré 





Le coup d'état du 2 décembre 1851 marque la fin d'une éphémère deuxième République.
Très vite Napoléon III décide de moderniser Paris.
Parmi les premiers travaux envisagés, il y a le percement de la rue de Rivoli qui implique une rénovation complète de la Place du Palais-Royal.
Le Café de la Régence est alors menacé de disparition.
Son propriétaire, Claude Vielle, se défend et essaye d'obtenir le maximum d'argent en échange de son expropriation.
Le factum nous donne quelques détails sur le Café de la Régence et le dédommagement demandé par Claude Vielle, à savoir 300 000 francs.
Le jugement est rendu en août 1853, Claude Vielle n'aura pas ce qu'il réclame...

"Journal du Loiret (1)
Samedi 27 août 1853


Le Café de la Régence

Les expropriations nécessitées à Paris par la continuation en arcades de la rue de Rivoli viennent de se terminer devant le tribunal civil de la Seine. L’intérêt se portait surtout, à la dernière audience sur l’indemnité réclamée par M. Vielle, propriétaire du Café de la Régence, place du Palais-Royal.

Ce café célèbre est, comme a dit Me Dufaure, avocat de M. Vielle, un monument historique, planté au coin de la place du Palais-Royal. Fondé sous la régence en 1718, on peut dire qu’il a vu s’asseoir à ses tables tout ce que le dix-huitième siècle a produit d’illustre dans les arts, la science, la littérature, la guerre : on y allait, la nuit, en partie fine, comme on allait autrefois au cabaret. Au sortir du Palais-Royal, les roués du régent allaient continuer la débauche dans ce café dont ils étaient les parrains. C’étaient alors des soupers bruyants, le vin coulant sur les tables, parfois aussi des glaces brisées et des éclats de verre volant sur les vestes de soie et les habits pailletés des convives. Bonnes aubaines, nuits fructueuses pour le maître et les garçons du café de la Régence.

(...) On peut se faire indiquer la table (2) où vint s’accouder, un matin de l’année 1803, un homme simplement vêtu, dont un chapeau rabattu sur les yeux protégeait l’incognito. La légende a conservé religieusement les détails de cette visite, et le souvenir de Napoléon couronne aujourd’hui les souvenirs si illustres et si nombreux de l’endroit dont nous écrivons l’histoire.

Un provincial qui, au milieu du siècle dernier, aurait eu l’idée de contempler face à face les célébrités qui remplissaient alors l’Europe du bruit de leur nom n’aurait eu qu’à faire arrêter sa chaise devant le Café de la Régence. Il y aurait vu entrer Voltaire (3), Rousseau, Diderot, Sedaine, Piron, Marmontel, Bernardin de Saint-Pierre. La poésie a toujours affectionné ce petit réduit ; elle n’a cessé d’y voir ses pénates, et celui qui les garde aujourd’hui, c’est l’enfant de Byron et de Marivaux, le charmant écrivain, le poète plein de gaité et de mélancolie, de verre et de raison, de fantaisie et de bon sens, d’originalité surtout :
« Mon verre n’est pas grand, mais je bois dans mon verre ».

D’autres cafés ont partagé les faveurs de la Muse, Procope, par exemple, et le café Laurent, où, sous la signature vraie ou supposée de Rousseau-Pindare, furent lancés les couplets qui troublèrent, pour le reste de ses jours le repos du malheureux poète. Mais ce qui appartient en propre au Café de la Régence, ce qui lui assure une place à part dans l’histoire parisienne, c’est le sceptre des échecs. Là, le rival de Rameau, l’auteur d’Ernelinde et de Bélisaire, le célèbre Philidor a ouvert cette série de grands joueurs d’échecs, qu’ont si brillamment continuée de nos jours La Bourdonnais et Deschapelles. 


Là se sont livrées entre la France et l’Angleterre ces grandes batailles dont le destin émouvait bien autrement les habitués du café que la guerre de Hongrie ou la question d’Orient. Que va devenir aujourd’hui le cercle des Échecs ? Restera-t-il dans ce coin de la place du Palais-Royal, son berceau, sa patrie ? Ira-t-il, au risque de se dissoudre, émigrer avec ses tables, ses pions, ses combinaisons savantes, vers les quartiers profanes des Italiens ou de la Chaussée-d’Antin (4) ?

Nous ne savons encore. La ville offrait au Café de la Régence une indemnité de 60.000 francs. Le café en demandait 300.000, le jury a alloué la somme de 140.000 fr."


(1) Merci à Mme Marie Claire Prudhomme pour m'avoir communiqué cette référence
(2) La fameuse table de Napoléon qui semble apparaitre vers 1850
(3) Dans mon livre j'explique que la présence de Voltaire est peu probable
(4) à l'époque, la mode des cafés a changé de quartier. Elle est passée du Palais-Royal aux Boulevards. Le Café de la Régence survivra grâce à sa proximité avec le Théâtre-Français.



Poursuivons avec un document unique que l’on trouve dans les archives numérisées des bibliothèques Parisiennes.

Recueil de dessins – Expropriations de 1852 – 1854 pour le prolongement de la rue de Rivoli
Gabriel Davioud (1823-1881), architecte, inspecteur général des travaux d’architecture de la Ville de Paris


Ce recueil de dessins est exceptionnel pour l’histoire de ce quartier, voire tout simplement de Paris.
Avant de détruire tout un pan de l’histoire parisienne, l’administration a eu la riche idée de dessiner toutes les façades des immeubles. Elles sont toutes là dans ce recueil, notamment celles de la Place du Palais-Royal et bien sûr le Café de la Régence.

(image surchargée en couleur par mes soins !)

Une esquisse nous permet de mettre un peu de couleur dans les représentations en noir et blanc du Café de la Régence. On y apprend, par une note manuscrite, que l’enseigne est grise et que les lettres formant les mots « Café de la Régence » sont rouges...

Ceci est à rapprocher du dessin présent dans le livre en deux tomes d'Edmond Texier intitulé "Tableau de Paris", Paris 1852.



On apprend également dans le recueil de dessins que l’immeuble à côté est celui qui abrite Jean Victor Andrieux et ses daguerréotypes. Ceci ouvre des perspectives, car j’émets l’hypothèse que M. Andrieux a peut-être gardé un souvenir de la façade de son ancien commerce sous la forme d’un daguerréotype.



Il faudra attendre août 1855 pour l'ouverture du nouveau Café de la Régence, au 161 rue Saint-Honoré.

lundi 7 décembre 2015

Le fonds Mennerat - Samedi 12 décembre

Jeudi 10 décembre 2015

Je viens d'apprendre à l'instant que cet évènement était repoussé à une date non précisée...

L'inauguration du fonds Mennerat initialement prévue ce samedi 12 décembre à 11 heures à la Bibliothèque Léon Deubel est reportée à une date ultérieure.

Avec l'explication parue aujourd'hui 11 décembre dans l'Est Républicain.
Rendez-vous en février 2016 !


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Samedi prochain 12 décembre, je suis invité par le club de Belfort Échecs et la ville de Belfort pour participer à l'inauguration du fonds Mennerat.

"(...) Léguée à la Ville de Belfort en 2008, cette très belle collection d'ouvrages échiquéens comprend 20993 documents, dont 941 titres de périodiques. Cela en fait la plus importante de France, et l'une des quatre plus importantes au monde.(...)"

Toutes les infos sur cette journée exceptionnelle en suivant ce lien
http://www.bm.mairie-belfort.fr/opacwebaloes/index.aspx?IdPage=596

A partir de 17h J'aurai l'honneur de donner une conférence sur le thème du Café de la Régence, bien évidemment !



jeudi 26 novembre 2015

Au sujet des pièces d'échecs utilisées lors du match Saint-Amant contre Staunton en 1843

русский перевод

Dans un précédent article j'indiquais brièvement que Staunton avait apporté son jeu d'échecs à Paris pour jouer son match contre Saint-Amant à la fin de l'année 1843.
Ce match se jouera au Cercle des Échecs de Paris alors situé au dessus du Café de la Régence.

En page 416 du Palamède il est possible de consulter le règlement du match proposé par Staunton.
En particulier l'article 4 indique :



4 : On jouera avec un échiquier et des pièces semblables à celles qui ont servi à MM. Saint-Amant et Staunton, en mai dernier. Cet échiquier, garni de ses pièces, sera fourni par M. Staunton.

Et en page suivante nous avons la réponse de Saint-Amant.


4. Accepté. Nous jouerons avec les armes que vous apporterez, bien convaincu qu’elles seront toujours courtoises.

M. Beaufils m'apporte les précisions suivantes très intéressantes sur le jeu apporté par Staunton :

"Le premier jeu dit ‘’Staunton'' est né en 1849. 
Donc, si Staunton est venu à Paris avec son jeu au café de la Régence en 1843 il n’a pas pu venir avec des pièces de type ‘’Staunton''. 
Le jeu dit ‘’Staunton'' a été crée par le designer Nathaniel Cook (employé de la société JAQUES). Brevet déposé le 1er Mars 1849. 
Ensuite JAQUES a eu l’idée génial de demander le soutien marketing de Staunton pour promouvoir son jeu. (les cinquante premier était signé par STAUNTON lui même). 
En 1843, si Staunton est venu avec son jeu ce n’était pas un jeu de type ‘’Staunton''…peut-être un St George (le playing set typique anglais de l’époque)."


Tout d'abord voici deux photos d'un jeu de type St George :
http://www.wittitscheks-schachfiguren.de/sets19/view07.php

Merci à M. Andreas Witticke pour ces photos.
 



à comparer avec un jeu de type Régence :
Merci à M. Emmanuel Beaufils pour ces photos.



Il est possible d'identifier la Dame du jeu d'échecs de type St George sur la lithographie de Jean Henry Marlet qui représente une partie du match entre Staunton et Saint-Amant à Paris en 1843.


Détail :


Merci beaucoup à Emmanuel Beaufils pour ces précisions ainsi qu'à M. Alan Fersht, LE spécialiste des jeux d’échecs britanniques qui a confirmé tout cela !

dimanche 22 novembre 2015

Chapitre 14 – 1850 à 1852 L’adieu à l’ancien Café de la Régence

русский перевод

Contenu du chapitre 14 (dernier du tome 1)

Bouleversements  – Statuts du Cercle des échecs de la Régence – Cercle des échecs, Café et Estaminet de la Régence – Un enfant appelé Paul Morphy – Grand Tournoi au Cercle des échecs – 1er Tournoi d’échecs international à Londres – Kieseritzky représente la France à Londres – La partie immortelle – Les échecs en berne – Les travaux annoncés dans le quartier du Palais-Royal

Une annonce de tournoi au Café de la Régence


Au début de l’année 1851, la revue La Régence publie un courrier de la Nouvelle-Orléans datant de la fin de l’année 1849, de la part d’Ernest Morphy, oncle d’un tout jeune joueur promis à un grand avenir : Paul Morphy. Ce dernier n’a que 12 ans en 1849 et son niveau de jeu est déjà stupéfiant.

« Nous devons cette jolie partie à l’obligeance de M. Ernest Morphy, de la Nouvelle-Orléans, qui nous écrit à cet égard les lignes suivantes :

« Nouvelle-Orléans, le 31 octobre 1849.
Mon cher Monsieur,
Je vous envoie ci-jointe une partie d’Échecs jouée le 28 courant, par M. R… et le jeune Paul Morphy, mon neveu, âgé de seulement douze ans. Cet enfant n’a jamais ouvert un traité d’Échecs ; il a appris le jeu de lui-même, en suivant les parties jouées entre les membres de sa famille. Dans les débuts, il joue les coups justes comme par inspiration ; et l’on est étonné de la précision de ses calculs dans le milieu et à la fin des parties.
Assis devant l’Échiquier, nulle agitation ne se révèle sur son visage, comme dans les positions les plus critiques ; dans ces cas, il siffle ordinairement un air entre ses dents et cherche avec patience la combinaison qui doit le tirer d’embarras. Aussi, fait-il trois ou quatre parties assez ardues chaque dimanche (seul jour où son père lui permette de jouer) sans éprouver la moindre fatigue.  »
 
Ce Monsieur R… adversaire de Paul Morphy est en fait Eugène Rousseau (Circa 1810 / 1870), un français émigré à la Nouvelle-Orléans et réputé pour y être le plus fort joueur d’échecs de cette époque.

Morphy,Paul - Rousseau,Eugène
Nouvelle-Orléans, dimanche 28 octobre 1849

Cette partie s'est jouée à la Nouvelle-Orléans le 28 octobre 1849. Les commentaires sont de Lionel Kieseritzky. Cette partie Italienne, selon notre dénomination moderne, est appelée par Kieseritzky "Partie du Cavalier irrégulière".
1.e4 e5 2.Cf3 Cc6 3.Fc4 f5


Ce gambit en second est vicieux parce que les Noirs ouvrent au Fou Blanc une ligne d'attaque qui les empêchera de roquer. [Le coup juste eût été 3...Fc5 ] 4.d3 Cf6 5.0–0 d6 6.Cg5 Bon coup d'attaque, avec lequel les blancs entrent dans le début du Cavalier sur lequel feu Bilguer nous a laissé son mémorable ouvrage. 6...d5 7.exd5 Cxd5 8.Cc3 Cce7 9.Df3 c6 10.Cce4 Coup délicieux, profondément calculé.  



10...fxe4 La prise du Cavalier nous parait fort dangereuse. Il aurait mieux valu jouer Dc7. [10...h6 11.Dh5+ g6 12.Fxd5 Dxd5 (12...gxh5 13.Cf6#) 13.Cf6+ Rd8 14.Cxd5 gxh5 15.Cf7+ Re8 16.Cc7+ Rxf7 17.Cxa8 Cd5 18.c4 Cb4 19.Fe3 Cc2 20.Tac1 Cxe3 21.fxe3 Fd6 22.c5 Fb8 23.e4 et le Cavalier Blanc n'est plus en danger, puisque le Fou Noir ne peut pas bouger.] 11.Df7+ Rd7 12.De6+ Rc7



En revenant avec le Roi à sa case les Noirs s'exposaient à un autre danger. [12...Re8 13.Df7+ Rd7 14.dxe4 et les Blancs regagnaient la pièce perdue, gardant la position supérieure.] 13.Dxe5+ Dd6 14.Dxd6+ Rxd6 15.Cf7+ Re6 16.Cxh8 exd3 17.cxd3 Rf6 18.b4 Fe6 19.Te1 Fg8 20.Fb2+ Rg5 21.Te5+ Rh6 22.Fc1+ g5 23.Txg5


Brillamment terminée une jolie partie qui aurait fait honneur à nos meilleurs amateurs. LIONEL KIESERITZKY. 1–0


[Event "New Orleans"] [Site "New Orleans"] [Date "1849.10.28"] [Round "?"] [White "Morphy, Paul"] [Black "Rousseau, Eugene"] [Result "1-0"] [ECO "C50"] [Annotator "Leconte"] [PlyCount "45"] [EventDate "1849.??.??"] [EventType "game"] [EventRounds "4"] [EventCountry "USA"] [Source "ChessBase"] [SourceDate "1998.11.10"] 1. e4 e5 2. Nf3 Nc6 3. Bc4 f5 4. d3 Nf6 5. O-O d6 6. Ng5 d5 7. exd5 Nxd5 8. Nc3 Nce7 9. Qf3 c6 10. Nce4 fxe4 11. Qf7+ Kd7 12. Qe6+ Kc7 13. Qxe5+ Qd6 14. Qxd6+ Kxd6 15. Nf7+ Ke6 16. Nxh8 exd3 17. cxd3 Kf6 18. b4 Be6 19. Re1 Bg8 20. Bb2+ Kg5 21. Re5+ Kh6 22. Bc1+ g5 23. Rxg5 1-0

samedi 7 novembre 2015

Chapitre 13 – 1844 à 1849 La fin de la Monarchie de Juillet

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Contenu du chapitre 13

Les membres du Cercle des Échecs de la Régence par Alphonse Delannoy – Un manuel d’échecs signé Claude Vielle, propriétaire du Café de la Régence – Kieseritzky s’affirme comme le plus fort joueur de la Régence – Les échecs en vogue à Paris – 50 parties jouées au Cercle des Échecs et au Café de la Régence – Les inventions de Kieseritzky – Aménagements de la Régence – Le Roi Louis-Philippe et les échecs – Décès de Deschapelles – La Révolution de février 1848 – Saint-Amant sauve les Tuileries – Le choléra ravage Paris – Match historique entre le Café de la Régence et le Cercle des échecs de la Régence

Février 1848. Les combats font rage sur la Place du Palais-Royal.
Une barricade se trouve à l'angle de la Place et de la rue Saint-Honoré.
Sur cette gravure vous pouvez voir :
Au centre de la gravure, d'où partent des coups de feu, le Château-d'Eau, défendu par l'armée, et qui sera totalement détruit par la population.
Le grand bâtiment sur la droite, et qui surplombe le Château-d'Eau, est celui où Saint-Amant possède son magasin de vins, rue Saint-Thomas du Louvre.
Et sur la droite, vous apercevez le nom "Café de la Régence".

Louis-Philippe, Roi des Français, avait quelques liens avec le jeu d'échecs et les joueurs de la Régence.
Ses enfants recevaient quelques années auparavant des leçons d'échecs de Jacques François Mouret (Paris, 22/08/1787 - Paris, 09/05/1837), ancien animateur de l'automate Turc joueur d'échecs.
Un de ses espions n'est autre que le plus grand joueur d'échecs du début du XIXe siècle en la personne de Deschapelles (qui décède à Paris le 27 octobre 1847 après une longue agonie).
Ce même Deschapelles qui fournit la table du Roi avec ses melons, les meilleurs de Paris.
Enfin, Saint-Amant, directeur du Palamède rend visite en 1847 au Roi qui est abonné à sa revue.
Il faut dire que le Palais des Tuileries est à proximité de son magasin de vente de vins de Bordeaux.

Voici un texte publié dans Le Palamède en mars 1847.

« Le directeur du Palamède  se trouvant commander le poste du Drapeau de la garde nationale  au palais des Tuileries, a fait prier le roi de lui accorder quelques instants d’entretien, pour lui présenter le dixième volume du Palamède, dont il est l’abonné depuis la fondation. Sa Majesté a souscrit à ce désir avec une grâce parfaite, l’accompagnant des paroles suivantes :

« J’ai beaucoup aimé le jeu des Échecs ; mais je n’ai plus de temps à lui accorder. Je n’en vois pas moins avec plaisir celui qui jouit aujourd’hui d’une si haute réputation dans un jeu moral et qui honore l’intelligence. Vous avez raison de le dire : tous les empiètements de ce noble délassement sur les autres jeux, surtout sur les jeux de hasard, sont des conquêtes dont il est permis de s’enorgueillir ».

Et, reprenant ensuite en anglais : « Vous allez retourner prochainement en Angleterre, et vous trouver dans ces chess-meetings, si remarquablement composés. Je vous en fais mon compliment et vous félicite du développement que vous avez su donner au côté sérieux de la question, celui de rapports affectueux et bienveillants avec l’étranger ».

Et après avoir bien voulu nous permettre de lui répondre aussi en anglais, quoique nous parlions également cette langue moins bien que Louis-Philippe, le roi a ajouté en français :
« Monsieur Saint-Amant, croyez que j’apprécie les bons sentiments que vous m’offrez en votre nom, comme en celui de la compagnie que vous commandez. Je les recevrai toujours avec plaisir ».

Le roi parait jouir d’une santé parfaite, et tant qu’a duré cet entretien, seul à seul avec Sa Majesté, tout respirait dans sa voix et sa physionomie, la bonté et le contentement. Il est impossible, sans l’avoir éprouvé soi-même, de se faire une juste idée de tant de simplicité et de royale bienveillance.

En août 1830 nous étions au nombre des délégués des départements qui félicitèrent Louis-Philippe sur son avènement constitutionnel au trône. Depuis, nous ne lui avions rendu que des devoirs officiels. Cette fois-ci nous avons saisi l’occasion d’exprimer personnellement nos sentiments au chef de l’état ; les Échecs, et non la politique, en ont fait tous les frais.  »




Nous retrouvons Saint-Amant fin février 1848 lors de la Révolution qui chasse Louis-Philippe et qui va aboutir à la deuxième République.
Saint-Amant est officier de la Garde Nationale et le gouvernement provisoire lui confie la mission d'aller sauver les Tuileries du pillage.

lundi 2 novembre 2015

Le cimetière de Kensal Green à Londres

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Je poursuis avec une autre promenade de circonstance durant la Toussaint.
Profitant de ma visite à Londres, je n'ai pu m'empêcher d'aller au cimetière de Kensal Green.
Ce cimetière est situé dans le nord-ouest de la capitale britannique.
Bon je rassure le lecteur, je n'ai pas passé tout mon séjour à Londres dans les cimetières...




Mon idée en visitant le cimetière de Kensal Green était de rendre hommage à 3 grands joueurs d'échecs du XIXe siècle, à savoir :

Alexander Mac Donnell (né à Belfast en Irlande en 1798 et décédé à Londres le 15/09/1835 à l'âge de 37 ans), adversaire malheureux de La Bourdonnais en 1834 dans une série de matchs-fleuves joués à Londres.

Howard Staunton (né dans le Westmoreland en Angleterre en 04/1810 et décédé à Londres le 22/06/1874), adversaire victorieux de Saint-Amant à la fin de l'année 1843 au Cercle des échecs de Paris, alors situé au-dessus du Café de la Régence.

Et surtout pour Louis-Charles Mahé de La Bourdonnais (né le 25/05/1797 à Paris et décédé le 13/12/1840 à Londres) meilleur joueur du monde de 1821 à 1840.

Notez que j'indique ici la date de naissance ainsi que le lieu probable de naissance de La Bourdonnais.
Mes recherches, publiées dans le tome 1 de mon livre, donnent une forte probabilité pour cette date du 25 mai 1797 et ce lieu, à savoir Paris.
Ainsi La Bourdonnais n'est pas né sur l'île de la Réunion ni à Saint-Malo comme cela est recopié de livre en livre et de site en site internet.

Notez les points que j'ai mis au stylo pour repérer les tombes si vous y allez un jour.

Du fait de notre choix d'entrée dans le cimetière, la première tombe à trouver était celle de Mac Donnell.
La référence que m'avait communiquée l'association du cimetière était "grave number 392 Square 182 Path Side".
Et après environ 30 minutes infructueuses et un découragement qui montait, le hasard a bien fait les choses.

 La plaque se distingue (quand elle n'est pas tombée...)


 

La plaque posée par "The Staunton Society" en 1997 était tombée dans l'herbe ce qui rendait la tombe difficilement identifiable.
Nous étions passés, mon épouse patiente et moi-même, plusieurs fois devant sans rien voir...
J'ai donc remis en place et nettoyé la plaque.

Initialement la gravure sur la tombe était
“Sacred to the Memory of
ALEXANDER MACDONNELL,
(Formerly of Belfast,)
Who died 14th September, 1835,
Aged 37 years.”

Maintenant il est absolument impossible de lire quoi que ce soit sur la pierre tombale.
Seule la plaque donne le nom de la personne enterrée là.
Voici ce à quoi ressemblaient les tombes de MacDonnell et La Bourdonnais en 1921.


“Our Folder” (The Good Companion Chess Problem Club) Mai 1921

Les deux autres tombes sont beaucoup plus simples à trouver, car elles se trouvent sur le bord d'un chemin.
Tout d'abord celle de La Bourdonnais "grave number 2796 Square 108 Road Side".
Celle-ci n'est pas à proximité de la tombe de Mac Donnell contrairement à ce que j'ai pu lire parfois.
Il faut marcher 5 à 10 minutes avant de la croiser.

La tombe de La Bourdonnais à une date indéterminée, la pierre tombale est alors au sol.
Photo non datée trouvée sur ce site internet.



Comme vous pouvez le voir, le texte est encore parfaitement lisible.
Mais il faut savoir que la pierre tombale était au sol par exemple dans les années 1920 ou bien beaucoup plus récemment (voir ci-dessus les photos).




Ce lieu me semble essentiel pour le souvenir du jeu d'échecs français.
C'est la seule tombe de la "Trinité française des échecs" à subsister (Philidor - Deschapelles - La Bourdonnais).
Il serait dommage de la voir se dégrader et l'idée d'une souscription pour la maintenir en l'état voire l'embellir me tente bien.


Vous pouvez donc lire sur la pierre tombale

“LOUIS CHARLES DE LA BOURDONNAIS,
The celebrated Chess Player,
Died 13th December, 1840,
Aged 43 years.”

Les obsèques de La Bourdonnais ont été prises en charge par son ami Georges Walker en présence de la femme de La Bourdonnais, Eliza Waller Gordon, de nationalité anglaise.
Tous les deux devaient parfaitement connaitre la date de naissance de La Bourdonnais en mai 1797, d'où la mention "âgé de 43 ans"...



Et à deux cents mètres de la tombe de La Bourdonnais se trouve celle d'Howard Staunton "Grave number 24419 Square 71 Road Side"
Là c'est le grand luxe. "The Staunton Society" a refait en 1997 de A à Z la pierre tombale de Staunton.
Le texte sur la tombe est un extrait de Shakespeare (dont Staunton fut un spécialiste) ainsi que la mention de son épouse inhumée à ses côtés quelques années plus tard.


Même si vous ne connaissez pas son nom (honte à vous) vous connaissez au moins les pièces d'échecs qu'il a approuvées, car elles sont devenues le standard du jeu d'échecs de compétition moderne.

Et pour l'anecdote, à la fin de l'année 1843, lors des discussions sur le match avec Saint-Amant, une des clauses du contrat portait sur la demande de Staunton d'utiliser ces nouvelles pièces d'échecs (au lieu d'un jeu "Régence")...
Ceci fut accepté par Saint-Amant, mais c'était déjà une victoire psychologique de Staunton...

Complément du 01/09/2022 - Dans les commentaires de cet article, Monsieur John Townsend (Wokingham, England) fait un commentaire pertinent et tout à fait exact au sujet des pièces d'échecs du match Saint-Amant vs Staunton à Paris en fin d'année 1843. Il s'agit de pièces d'échecs "St George", comme je l'ai indiqué dans un article correctif, si l'on peut dire, que j'ai publié quelques semaines après celui-ci en 2015.