lundi 28 décembre 2015

Lionel Adalbert Bagration Félix Kiéséritzky


21/06/2020 - Correction d'un diagramme erroné

Nous sommes en 1839, et un jeune joueur en provenance de l'Empire Russe s'installe à Paris. Très vite il va se consacrer exclusivement au jeu d'échecs. Ce joueur, Lionel Kiéséritzky, apporte beaucoup au jeu d'échecs à Paris de par son énergie pour organiser des rencontres, des tournois, des séances à l'aveugle, des leçons d'échecs, mais également par son inventivité pour le jeu d'échecs.

La postérité n'est pas tendre avec lui. Vous le connaissez peut-être car c'est l'adversaire malheureux d'Anderssen dans la fameuse partie immortelle jouée à Londres en 1851 en marge du 1er Tournoi International. Ou bien peut-être connaissez-vous la variante Kiéséritzky du Gambit du Roi ?

En tout cas, vers 1840, il a le tort de s'opposer à Saint-Amant, successeur désigné de La Bourdonnais, qui n'est pourtant pas un professionnel du jeu d'échecs (Saint-Amant est négociant en vin de Bordeaux).
Ce dernier aura d'ailleurs des mots assez durs sur les inventions de Kiéséritzky, comme vous le verrez un peu plus loin dans cet article.

À ma connaissance, le seul portrait officiellement reconnu comme étant celui de Kiéséritzky est le suivant :

Kiéséritzky est sur la gauche. Je ne connais pas la référence de ce dessin.

La page de Wikipédia au sujet de Kiéséritzky ne cite pas sa source et il est incomplet.
Il est en fait tiré d'un article paru dans la revue L'Échiquier de Paris de mars / avril 1951 signé par Louis Mandy, que voici :

Lionel, Adalbert, Bagration, Félix Kiéséritzky est né à Dorpat (Livonie) le 1er janvier 1806 (20 décembre 1805 suivant le calendrier julien). Il appartenait à une famille polonaise émigrée vers le milieu du dix-huitième siècle.
Son grand-père et son père s’étaient mariés à des Allemandes et sa famille était entièrement germanisée. Son père, Otto Wilhelm, avocat, avait épousé Félicitas Katarina von Hoffmann. Lionel était le plus jeune des quatorze enfants nés de cette union.
Je n’ai retrouvé trace que de deux de ses frères : Félix, l’aîné, et Guido, tous deux bons joueurs d’échecs, et d’une sœur prénommée Lydia (décédée en 1882).

En 1825, Lionel Kiéséritzky se fit inscrire comme étudiant en philologie à l’Université de sa ville natale. Il étudia également le droit et les mathématiques, matières pour lesquelles il avait des dispositions particulières.

En 1829, quittant l’Université, il s’établit professeur de mathématiques à Dorpat et son enseignement était très recherché par les meilleures familles de la ville.
À la mort de ses parents et jusqu’en 1837, il habita, avec sa sœur, la maison paternelle. Son frère Guido était un mathématicien et un physicien distingué qui consacra sa vie entière à la recherche d’un appareil destiné à donner un poli parfait aux lentilles de télescopes.
Ce frère, de même que sa sœur Lydia, avaient une réputation de parfaits originaux qui alimenta longtemps les commérages de la ville. 
Lionel Kiéséritzky possédait une nature sensible, nerveuse, susceptible et, partant, très irritable.
Il intenta un procès en diffamation aux mauvaises langues qui s’occupaient des originalités de la maison Kiéséritzky et le gagna.
Mais le rappel incessant de ces évènements lui rendit bientôt insupportable le séjour à Dorpat.
Aussi décida-t-il d’aller se fixer à Paris. Il quitta, pour toujours, sa ville natale le 5 mai 1839.
Il fit le voyage par Riga, Rostock et Le Havre et arriva à Paris le 14 août 1839.

Là, il subvint modestement à ses besoins en donnant des leçons d’échecs à 5 francs l’heure et par des parties jouées à la Régence avec un enjeu de même importance. Il habita un certain temps au 5 de la rue de Lille, ainsi qu’au 24 de la rue Dauphine.

Kiéséritzky mourut à Paris au début du mois de mai 1853, âgé seulement de 47 ans.


(Acte de décès reconstitué de Lionel Kiéséritzky. Source : Archive numérisée de la ville de Paris.
Celui-ci décède le 19 mai 1853 dans le Xème arrondissement ancien de Paris.
Ce qui peut correspondre à l'adresse de son domicile du 24 rue Dauphine indiqué dans l'article.)

Au physique, c’était un homme d’une corpulence moyenne, avec tendance à l’obésité. Visage pâle aux traits fortement accusés, cheveux plats très bruns, yeux sombres et vifs, la tête légèrement inclinée en avant. Sa démarche vive et quelque peu sautillante.

Aimable, spirituel, affable et impartial, Kiéséritzky possédait une excellente mémoire ainsi qu’une intelligence vive et passionnée, alliée à une profonde et ardente sensibilité.

Son jeu était à la mesure de son intelligence, car Kiéséritzky jouait plus brillamment et génialement que sûrement et correctement. Il lui arrivait parfois de faire des coups surprenants et extraordinaires, mais il pouvait aussi, lorsqu’il était dans un mauvais jour, jouer fort médiocrement et même très mal.
Bien que mathématicien de profession, il était incapable de froid calcul et de réflexion soutenue et pratiquait au contraire une manière de jouer vive et hasardeuse dans laquelle son esprit et sa sensibilité pouvaient se donner libre cours. Il avait commencé très jeune à se familiariser avec les Échecs puisqu’il n’avait, parait-il, que trois ans lorsque son père lui montra un mat en trois coups par Dame et Fou. Depuis, il ne cessa de jouer avec ses frères Félix et Guido et devint rapidement leur maître.

Devant l’échiquier, Kiéséritzky, par son comportement toujours courtois et par son égalité d’humeur dans la victoire comme dans la défaite, était très aimé. Son jeu était riche de brillantes idées, mais non exempt de quelques coups baroques au moyen desquels il cherchait à introduire des variantes nouvelles. Son caractère ouvert le faisait rechercher par les milieux échiquéens français et sa précoce disparition fut unanimement regrettée.

Kiéséritzky avait encore eu l’occasion, dès son arrivée à Paris, de jouer avec La Bourdonnais qui l’avait signalé aux lecteurs du Palamède par ces mots laconiques mais précis : « M. Kiéséritzky, un jeune Russe, très fort ».


(Extrait du Palamède de 1839/1840 
Le texte de La Bourdonnais est légèrement différent de celui donné dans l'article de Louis Mandy)
(La Bourdonnais a du mal avec le nom compliqué de Kiéséritzky...
Le Palamède 1840)

La Bourdonnais lui rendait Pion et deux traits, mais cet avantage, trop important, donnait la supériorité à Kiéséritzky. La Bourdonnais sut reconnaitre le talent de son adversaire et le proclama second joueur de France.
Après la mort de La Bourdonnais, survenue peu après, il ne resta que Saint-amant comme adversaire à sa taille, mais les ridicules prétentions de ce dernier firent de Kiéséritzky son ennemi, et cet état de choses dura malheureusement jusqu’au départ de Saint-Amant pour l’Amérique, en 1852. Toutefois, comme ils ont peu joué ensemble, du fait de leur antipathie, on ne peut se prononcer sur celui des deux qui était le plus fort.

La Bourdonnais était peut-être mieux renseigné sur le jeu de Kiéséritzky. Il connaissait également celui de Saint-Amant. Mais il connut Kiéséritzky trop peu de temps avant sa mort et n’eut pas suffisamment l’occasion d’asseoir son opinion. D’autant que, de 1837 à 1840, Saint-Amant s’abstint presque complètement de jouer aux Échecs.
Il semble cependant que Saint-Amant était meilleur en match que Kiéséritzky, bien que ce dernier eût un jeu plus inventif et ingénieux. Et il ne faut évidemment pas conclure que, du fait de la victoire de Kiéséritzky sur le nerveux Horwitz (Londres, 1846), le maître livonien aurait eu des chances de succès dans un match contre Staunton.

Mais Kiéséritzky et Saint-Amant ont eu tous deux une grande influence sur la vie échiquéenne en France, ce dernier plus certainement par la publication du Palamède que par la pratique du jeu, alors que Kiéséritzky était vraiment un joueur, toujours prêt à se mesurer avec qui le défiait, et un excellent professeur, dont les manières modestes contrastaient singulièrement avec la morgue hautaine de Saint-Amant.

En 1846, Kiéséritzky édita un recueil de 50 parties jouées la plupart par lui-même, au Cercle des Échecs et au Café de la Régence. Elles sont bien commentées, servent d’études théoriques et constituent un instructif souvenir de l’actif Groupe du Café de la Régence. Dans le domaine de la théorie, on lui doit de nombreuses nouveautés, notamment dans le Gambit Allgaier et le Gambit du Fou.


Dans les dernières années de sa vie, il se fit l’ardent propagateur d’une merveilleuse idée mathématique : « Les Échecs dans l’Espace », mais ni ses émules, dont étaient Harrwitz, Eugène Rousseau, Thompson, etc…, ni les quelques maîtres au nombre desquels figurait Anderssen, qui tentèrent de s’initier à cette espèce de mystère, ne purent se faire une idée bien nette de la question et Kiéséritzky, incompris, emporta son secret dans la tombe.

Le portrait que nous publions est extrait du très intéressant ouvrage : « Aus Vergangenen Zeiten (1) » que Ludwig Bachmann a consacré aux maîtres de la Régence et à leurs rivaux britanniques. La partie se rapportant à Kiéséritzky, avec les souvenirs du Dr. W. Schwartz de Riga à la « Wochenschach » et du conseiller de cour Dr. Guttceit d’Orel à la Berliner Schachzeitung de 1855, nous a fourni l’essentiel de cette étude.

Le fameux tableau de Marlet, gravé par Laemlein, comporte-t-il le portrait de Kiéséritzky ? Gaston Legrain a posé naguère la question dans ses Cahiers de l’Échiquier Français. Un certain personnage est désigné sous le signe de K… Est-ce Kiéséritzky ? En comparant le portrait ci-dessus à celui du tableau, en s’attachant particulièrement aux détails de la chevelure, du profil, de la redingote, je crois que l’on peut, sans témérité excessive, conclure par l’affirmative.


(Détail de la gravure de Laemlein - La Stratégie, novembre 1911
Kiéséritzky serait la personne que j'ai cerclée en rouge)

Louis Mandy.

(1) Vol . I, 5ème cahier (Edition de Bernhard Kagan, Berlin, s.d.)


En juillet 1846, Kiéséritzky se rend en voyage à Londres, où il a l'occasion de tester ses inventions  contre le joueur anglais Georges Walker.
Quelques parties sont ensuite publiées dans le Palamède, dont le propriétaire et rédacteur en chef n'est autre que Saint-Amant.
Voici comment Saint-Amant juge les inventions de Kiéséritzky dans le Palamède en 1846...

1.e4 e5 2.f4 e5xf4 3.Cf3 g5 4.h4 


« C’est le Gambit auquel M. Kiéséritzky donna, plaisamment sans doute, le nom d’irrésistible, il y a quelques années, et dont il avait pourtant essayé l’effet sans succès contre quatre joueurs de deuxième force. On ne doit donc pas être surpris du sort qu’il a eu contre le célèbre joueur anglais.  » 

Les amabilités continuent un peu plus loin...

« Le second joueur a non seulement le Pion de plus, mais encore la position. Le Gambit n’est pas jugé, sur cet échantillon, un Gambit irrésistible, mais un Gambit déplorable. Ce ne peut être sérieusement qu’on espère attacher son nom à des analyses si mal élaborées.  »

Kiéséritzky teste à Londres un deuxième gambit qu'il affectionne et qui sera le thème de la partie immortelle 5 ans plus tard...

1.e4 e5 2.f4 e5xf4 3.Fc4 Dh4+ 4.Rf1 b5



« Ceci est regardé comme une fantaisie de M. Kiéséritzky. Nous ne pensons pas que cette manière de restituer le Pion qu’on avait de plus par suite du Gambit offert et pris fasse autorité et soit jamais regardée comme une bonne défense.  »

Terminons cet article par ce qu'on peut appeler la quasi immortelle de Kiéséritzky.
Il s'agit d'une partie jouée le 6 mai 1850 lors d'une série de plus de 150 parties (!) contre le joueur allemand Schulten.
Cette partie a du se jouer sur un rythme rapide, peut-être vingt minutes par joueur tout au plus, car rappelons le, la pendule d'échecs n'existait pas encore en 1850.
La postérité n'a retenu que la partie immortelle contre Anderssen alors que celle-ci n'a probablement pas duré beaucoup plus longtemps.
En tout cas, le mat final est bien amené.

"M. Schulten vient de partir pour l'Allemagne. Pendant son dernier séjour à Paris, il a joué un grand nombre de parties avec M. Kiéséritzky;
il en a gagné 34 et perdu 107. Dix parties seulement ont été nulles. Cette grande différence s'explique moins par la force respective des deux antagonistes que par le choix du début.
A l'exception de cinq parties, M. Schulten choisissait toujours le gambit du Fou, et son adversaire celui du Cavalier.
La plupart de ces parties ont été jouées avec trop de précipitation, mais elles étaient presque toutes très piquantes."

La Régence - Journal des échecs - Juin 1850

Schulten / Kiéséritzky
Partie jouée le 6 mai 1850 au Cercle des échecs de Paris.
Ce cercle est alors situé au 1er étage du Café de la Régence

Les commentaires sont de Kiéséritzky pour la revue La Régence.

1. e4 e5 2. f4 exf4 3. Fc4 Dh4+ 4. Rf1 b5 5. Fxb5 Cf6

Au lieu de 5... Fb7 coup irréprochable, du reste, on peut jouer tout de suite Cf6 peut-être avec
plus de succès encore

6. Cc3 Cg4 7. Ch3 Cc6 8. Cd5 Cd4

Au premier abord plusieurs coups de cette partie paraitrons incompréhensibles, ils supporteront
pourtant l'examen. Les Noirs se laissent prendre une Tour, mais cela leur
donne une attaque excessivement forte.


9. Cxc7+ Rd8 10. Cxa8 f3 11. d3

Si les Blancs prenaient ce Pion avec le leur, ils perdraient non seulement le
Cavalier, mais encore la partie et en peu de coups. 11. gxf3

11... f6

Le double échec que les Blancs ont en vue en préparant le coup Fg5+ n'est point
si dangereux qu'on le pense, car les Noirs auraient également un double échec
à donner par Ce3. Cependant cette précaution n'est point mauvaise, et c'est
précisément à cause de d'elle que la partie a pu être terminée d'une manière
si brillante.

12. Fc4 

Puisque les Noirs ne veulent pas prendre ce Fou égaré, les Blancs consentent à le conserver.

12... d5 13. Fxd5 Fd6 14. De1

A ce moment les Noirs annoncent le Mat en sept coups
(Diagramme provenant de la revue La Régence.
Remarquez la notation particulière des coups de la partie. 
Il s'agit également d'une invention de Kiéséritzky mais qui s'avéra trop complexe et abandonnée par la suite).

14... fxg2+ 15. Rxg2

En jouant 15. Rg1 la partie serait finie plus tôt

15... Dxh3+ 16. Rxh3 Ce3+ 17. Rh4 

Les blancs pouvaient couvrir avec le Fou, mais cela n'augmentait pas le nombre de
coups annoncé.

17... g5+ 18. Rh5 Fg4+ 19. Rh6 Ff8#

Le Mat se faisait aussi par 19... Cdf5+ 20. exf5 Cxf5#

0-1

(Position finale)


[Event "Cercle des Echecs"] [Site "?"] [Date "1850.05.06"] [Round "?"] [White "Schulten"] [Black "Kieseritzky"] [Result "0-1"] [ECO "C33"] [Annotator "L.Kieseritzky"] [PlyCount "38"] 1. e4 e5 2. f4 exf4 3. Bc4 Qh4+ 4. Kf1 b5 5. Bxb5 Nf6 6. Nc3 Ng4 7. Nh3 Nc6 8. Nd5 Nd4 9. Nxc7+ Kd8 10. Nxa8 f3 11. d3 11... f6 12. Bc4 d5 13. Bxd5 Bd6 14. Qe1 fxg2+ 15. Kxg2 15... Qxh3+ 16. Kxh3 Ne3+ 17. Kh4 g5+ 18. Kh5 Bg4+ 19. Kh6 Bf8# 0-1

mardi 22 décembre 2015

Chapitre 15 – 1852 à 1855 – La destruction

Contenu du chapitre 15 (1er chapitre du tome 2)

Le dernier jour du Café de la Régence – Décès et courte biographie de Kieseritzky – Apparition de la table de Bonaparte – Expropriation, Factum d’expulsion et jugement – Déménagement au 21 Rue de Richelieu – Inauguration en grande pompe du nouveau Café de la Régence au 161 rue Saint-Honoré 





Le coup d'état du 2 décembre 1851 marque la fin d'une éphémère deuxième République.
Très vite Napoléon III décide de moderniser Paris.
Parmi les premiers travaux envisagés, il y a le percement de la rue de Rivoli qui implique une rénovation complète de la Place du Palais-Royal.
Le Café de la Régence est alors menacé de disparition.
Son propriétaire, Claude Vielle, se défend et essaye d'obtenir le maximum d'argent en échange de son expropriation.
Le factum nous donne quelques détails sur le Café de la Régence et le dédommagement demandé par Claude Vielle, à savoir 300 000 francs.
Le jugement est rendu en août 1853, Claude Vielle n'aura pas ce qu'il réclame...

"Journal du Loiret (1)
Samedi 27 août 1853


Le Café de la Régence

Les expropriations nécessitées à Paris par la continuation en arcades de la rue de Rivoli viennent de se terminer devant le tribunal civil de la Seine. L’intérêt se portait surtout, à la dernière audience sur l’indemnité réclamée par M. Vielle, propriétaire du Café de la Régence, place du Palais-Royal.

Ce café célèbre est, comme a dit Me Dufaure, avocat de M. Vielle, un monument historique, planté au coin de la place du Palais-Royal. Fondé sous la régence en 1718, on peut dire qu’il a vu s’asseoir à ses tables tout ce que le dix-huitième siècle a produit d’illustre dans les arts, la science, la littérature, la guerre : on y allait, la nuit, en partie fine, comme on allait autrefois au cabaret. Au sortir du Palais-Royal, les roués du régent allaient continuer la débauche dans ce café dont ils étaient les parrains. C’étaient alors des soupers bruyants, le vin coulant sur les tables, parfois aussi des glaces brisées et des éclats de verre volant sur les vestes de soie et les habits pailletés des convives. Bonnes aubaines, nuits fructueuses pour le maître et les garçons du café de la Régence.

(...) On peut se faire indiquer la table (2) où vint s’accouder, un matin de l’année 1803, un homme simplement vêtu, dont un chapeau rabattu sur les yeux protégeait l’incognito. La légende a conservé religieusement les détails de cette visite, et le souvenir de Napoléon couronne aujourd’hui les souvenirs si illustres et si nombreux de l’endroit dont nous écrivons l’histoire.

Un provincial qui, au milieu du siècle dernier, aurait eu l’idée de contempler face à face les célébrités qui remplissaient alors l’Europe du bruit de leur nom n’aurait eu qu’à faire arrêter sa chaise devant le Café de la Régence. Il y aurait vu entrer Voltaire (3), Rousseau, Diderot, Sedaine, Piron, Marmontel, Bernardin de Saint-Pierre. La poésie a toujours affectionné ce petit réduit ; elle n’a cessé d’y voir ses pénates, et celui qui les garde aujourd’hui, c’est l’enfant de Byron et de Marivaux, le charmant écrivain, le poète plein de gaité et de mélancolie, de verre et de raison, de fantaisie et de bon sens, d’originalité surtout :
« Mon verre n’est pas grand, mais je bois dans mon verre ».

D’autres cafés ont partagé les faveurs de la Muse, Procope, par exemple, et le café Laurent, où, sous la signature vraie ou supposée de Rousseau-Pindare, furent lancés les couplets qui troublèrent, pour le reste de ses jours le repos du malheureux poète. Mais ce qui appartient en propre au Café de la Régence, ce qui lui assure une place à part dans l’histoire parisienne, c’est le sceptre des échecs. Là, le rival de Rameau, l’auteur d’Ernelinde et de Bélisaire, le célèbre Philidor a ouvert cette série de grands joueurs d’échecs, qu’ont si brillamment continuée de nos jours La Bourdonnais et Deschapelles. 


Là se sont livrées entre la France et l’Angleterre ces grandes batailles dont le destin émouvait bien autrement les habitués du café que la guerre de Hongrie ou la question d’Orient. Que va devenir aujourd’hui le cercle des Échecs ? Restera-t-il dans ce coin de la place du Palais-Royal, son berceau, sa patrie ? Ira-t-il, au risque de se dissoudre, émigrer avec ses tables, ses pions, ses combinaisons savantes, vers les quartiers profanes des Italiens ou de la Chaussée-d’Antin (4) ?

Nous ne savons encore. La ville offrait au Café de la Régence une indemnité de 60.000 francs. Le café en demandait 300.000, le jury a alloué la somme de 140.000 fr."


(1) Merci à Mme Marie Claire Prudhomme pour m'avoir communiqué cette référence
(2) La fameuse table de Napoléon qui semble apparaitre vers 1850
(3) Dans mon livre j'explique que la présence de Voltaire est peu probable
(4) à l'époque, la mode des cafés a changé de quartier. Elle est passée du Palais-Royal aux Boulevards. Le Café de la Régence survivra grâce à sa proximité avec le Théâtre-Français.



Poursuivons avec un document unique que l’on trouve dans les archives numérisées des bibliothèques Parisiennes.

Recueil de dessins – Expropriations de 1852 – 1854 pour le prolongement de la rue de Rivoli
Gabriel Davioud (1823-1881), architecte, inspecteur général des travaux d’architecture de la Ville de Paris


Ce recueil de dessins est exceptionnel pour l’histoire de ce quartier, voire tout simplement de Paris.
Avant de détruire tout un pan de l’histoire parisienne, l’administration a eu la riche idée de dessiner toutes les façades des immeubles. Elles sont toutes là dans ce recueil, notamment celles de la Place du Palais-Royal et bien sûr le Café de la Régence.

(image surchargée en couleur par mes soins !)

Une esquisse nous permet de mettre un peu de couleur dans les représentations en noir et blanc du Café de la Régence. On y apprend, par une note manuscrite, que l’enseigne est grise et que les lettres formant les mots « Café de la Régence » sont rouges...

Ceci est à rapprocher du dessin présent dans le livre en deux tomes d'Edmond Texier intitulé "Tableau de Paris", Paris 1852.



On apprend également dans le recueil de dessins que l’immeuble à côté est celui qui abrite Jean Victor Andrieux et ses daguerréotypes. Ceci ouvre des perspectives, car j’émets l’hypothèse que M. Andrieux a peut-être gardé un souvenir de la façade de son ancien commerce sous la forme d’un daguerréotype.



Il faudra attendre août 1855 pour l'ouverture du nouveau Café de la Régence, au 161 rue Saint-Honoré.

lundi 7 décembre 2015

Le fonds Mennerat - Samedi 12 décembre

Jeudi 10 décembre 2015

Je viens d'apprendre à l'instant que cet évènement était repoussé à une date non précisée...

L'inauguration du fonds Mennerat initialement prévue ce samedi 12 décembre à 11 heures à la Bibliothèque Léon Deubel est reportée à une date ultérieure.

Avec l'explication parue aujourd'hui 11 décembre dans l'Est Républicain.
Rendez-vous en février 2016 !


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Samedi prochain 12 décembre, je suis invité par le club de Belfort Échecs et la ville de Belfort pour participer à l'inauguration du fonds Mennerat.

"(...) Léguée à la Ville de Belfort en 2008, cette très belle collection d'ouvrages échiquéens comprend 20993 documents, dont 941 titres de périodiques. Cela en fait la plus importante de France, et l'une des quatre plus importantes au monde.(...)"

Toutes les infos sur cette journée exceptionnelle en suivant ce lien
http://www.bm.mairie-belfort.fr/opacwebaloes/index.aspx?IdPage=596

A partir de 17h J'aurai l'honneur de donner une conférence sur le thème du Café de la Régence, bien évidemment !