mardi 20 décembre 2016

Joseph Kieffer

Selon moi, deux propriétaires ont véritablement marqué l'histoire du Café de la Régence.
Il s'agit de Claude Vielle et de Joseph Kieffer.

Curieusement les seuls contacts que j'ai eus avec des descendants de propriétaires proviennent justement de descendants de Claude Vielle et Joseph Kieffer !

Je souhaite remercier particulièrement M. Gaëtan Portier et M. Régis Delisle pour les informations qu'ils m'ont communiquées au sujet de Joseph Kieffer leur aïeul, ainsi que leur autorisation de publier les photos qui illustrent cet article.

Pour commencer, voici une photo inédite de Joseph Kieffer.

 
Joseph Kieffer - Propriétaire du Café de la Régence de 1875 à 1903

« (…) Un jeune patron dirige le vieil établissement. Le propriétaire est Joseph Kieffer, un alsacien de naissance et de sympathie.
Sa figure a une frappante ressemblance avec celle du général Grant alors que Grant avait 30 ans.
Ce tavernier jouit de la plus heureuse des idiosyncrasies. Il préside un synode de joueurs d’échecs sans avoir appris l’A, B, C du jeu.
Je lui ai même entendu dire qu’il ne savait pas reconnaitre un Roi d’une Reine !
Cette louable ignorance est sans doute ce qui fait que la Régence hospitalière peut offrir aux amis et aux étrangers non seulement la meilleure Académie des Échecs de France, mais encore le meilleur Café de Paris. (…) »

Source :
LE CAFE DE LA REGENCE
Extrait de « The European correspondent »
(Du 13 novembre 1886)
Traduction parue dans la revue La Stratégie de décembre 1886

Je vous laisse juge de la ressemblance avec le général Grant.

Le général Grant

Ensuite je me suis toujours posé la question de savoir pourquoi Joseph Kieffer cédait le Café de la Régence en 1903.
Joseph Kieffer en était le propriétaire depuis 1875, soit 28 années et il a sans doute considéré qu’il était temps de céder sa place.
Son acte de décès indique qu’il est mort assez âgé (86 ans). Ma conclusion est qu’il a tout simplement cédé son établissement à un bon prix à Lucien Lévy et qu’il a pu profiter assez longtemps de sa retraite.

« Le six décembre, mil neuf cent trente-trois, trois heures, est décédé à Neuilly sur Seine (Seine), Avenue de Neuilly, 128, son domicile : Joseph Jean-Baptiste KIEFFER, sans profession, né à Benfeld, Bas-Rhin, le neuf Mai mil huit cent quarante-sept ; fils de Jean Pierre KIEFFER et Marie Aimée MULLER, époux décédés. Veuf de Louise Marie Mélanie Adeline FROMENT. Dressé le six décembre mil neuf cent trente-trois, neuf heures trente, sur la déclaration de Henri FROC, cinquante-sept ans, employé, à Neuilly sur Seine, 119 avenue du Roule, qui, lecture faites signé avec Nous, Célestin, Louis VILLENEUVE, chevalier de la Légion d’honneur, Conseiller général de la Seine, Adjoint au Maire de Neuilly sur Seine, Seine, officier de l’état civil par délégation. »


Il repose dans le petit cimetière du Val-Saint-Germain au sud-ouest de Paris, village d’où était originaire son épouse.

Photo que j'ai prise en août 2016

Enfin pour terminer cet article, voici des photos de "reliques" du Café de la Régence.
Celles-ci sont tellement rare...
Il s’agit de couteaux marqués du nom de notre célèbre Café.

Il est indiqué « Sabatier, 84 rue Saint-Honoré ». La boutique n’est plus là, mais l’entreprise de coutellerie existe toujours.






dimanche 30 octobre 2016

Un nouveau Café de la Régence ?

A quelques numéros de l'ancien Café de la Régence (aujourd'hui l'office du tourisme du Maroc) s'est ouvert cet été le ... Café de la Régence.



Comme vous pouvez le voir la proximité est troublante.

Le café de la Régence, au 155 de la rue Saint-Honoré était juste à côté du buste de Jeanne d'Arc que l'on trouve sur la façade de l'immeuble.





Aussi, bien évidemment je les ai appelé au cours du mois de juillet pour savoir s'il y avait un lien quelconque avec l'ancien café et s'il était possible d'y jouer aux échecs...
Sans surprise, la réponse fut négative à ces deux questions.
Le nom de ce restaurant a juste été repris en hommage au prestigieux café objet principal de ce blog.

Je n'y ai pas encore mis les pieds, mais les commentaires sur Trip Advisor sont assez positifs.

En 1911 au Café de la Régence...

Dans mon précédent article j'indiquais ne pas avoir trouvé de photographie avec ces échiquiers particuliers utilisés sur la gravure de l'Illustration en 1873.
M. Etienne Cornil (Belgique), que je remercie, vient de me rappeler à juste titre l'existence d'une photo avec cet échiquier. La voici:


Elle a été publiée dans la revue La Stratégie d'avril 1911.
Nous y voyons bien l'échiquier avec ses bords particuliers pour recueillir les pièces d'échecs comme sur la gravure de l'Illustration en 1873.

La Stratégie indique la légende suivante :
"Les deux frères champions parisiens"
à gauche Frédéric Lazard "Union Amicale de la Régence"
à droite Gustave Lazard "Cercle Philidor"

La photo a probablement été prise dans un café (la bouteille d'eau de Seltz sous pression dans le fond semble l'indiquer). Mais La Stratégie ne précise pas le lieu exact...
Je me plais à croire qu'elle a été prise au Café de la Régence...

Champions parisiens ?

C'est dans La Stratégie de Janvier 1911 que nous apprenons la victoire de Frédéric Lazard au "Tournoi-Championnat d'automne de L'Union Amicale de la Régence".
Il remporte largement le tournoi avec 12 points 2/3 sur 16 devant Gibaud avec 9 points 1/3.
2/3 ? Deux tiers ? Oui car les parties nulles comptèrent pour 1/3 de point...

Le numéro de La Stratégie d'avril 1911 donne le résultat du XXIIè tournoi annuel du Cercle Philidor remporté en 1ère classe par Gustave Lazard.
Le Cercle Philidor a plusieurs fois changé de lieu, mais sauf erreur il était toujours dans un café non loin de la place de la République à Paris.

Enfin pour terminer sur 1911, voici des informations relatives au café de la Régence (La Stratégie - Avril 1911).
José Raul Capablanca (1888 - 1942)

"Les visites que firent au Café de la Régence la plupart des maîtres ayant pris part au Tournoi de Saint-Sébastien ont donné pendant plusieurs jours à notre vieux temple parisien une physionomie d'animation inaccoutumée, au grand plaisir des habitués et, souhaitons-le, au profit de la propagande générale.
- Le 19 mars le maître russe Rubinstein donne dans l'après-midi une séance de 16 parties simultanées, il obtient le beau résultat de 14 victoires et perd contre MM. Gueffier fils et B. Tschabritsch.

- Le 24, une petite rencontre en trois parties est organisée entre les maîtres Teichmann et Taubenhaus. Résultats : Teichmann gagne les deux premières parties, la troisième ne pouvant rien modifier est jouée en analyses.

- Puis le 25, "l'Union Amicale", profitant du très court passage de Capablanca et pour fêter dignement le beau succès qu'il vient de remporter à Saint-Sébastien, réunit hâtivement en un banquet la plupart des sommités de l’Échiquier parisien auquel elle invite également Marshall le grand ami de la Régence et le toujours fidèle professeur Taubenhaus.

Malgré une organisation à l'improviste la fête est en tout point réussie et le jeune lauréat américain gagne bien vite les sympathies de tous les assistants venus le complimenter.
Sont présents : MM. Deroste qui préside, Tauber, Pape, Place, Constant-Bernard et Levy du comité de l'U.A.A.R; MM.Antoniadi, A. Joliet, Merle, Singer, Letorey, Gestesi, etc.
Après le banquet: splendide exploit de notre vétéran A. Joliet, de la Comédie, qui conduit simultanément deux parties, contre... Capablanca et Marshall !! Résultat: une partie nulle avec le dernier nommé; l'autre perdue avec... beaucoup d'esprit.

- Pour terminer la soirée Capablanca mène de front huit parties contre quelques forts amateurs de la Régence, d'aucuns luttant pour leur propre compte, d'autres opposant leurs forces regroupées. Le jeune maître américain joue avec une rapidité vraiment surprenante, puisque exactement en 22 minutes ! il termine sur les huit échiquiers, gagnant 7 parties et ne perdant que celle avec M. Halberstam.

dimanche 16 octobre 2016

Une gravure célèbre


Voici une gravure assez connue du Café de la Régence que j'ai aperçue sur Facebook ces derniers temps.


русский перевод

Celle-ci a été publiée le 22 février 1873 dans le journal L'Illustration.
En fait en y jetant de plus près un coup d’œil on s’aperçoit que la scène est imaginaire, et n'est là que pour mettre en valeur les principaux joueurs de la Régence (de différentes époques - notamment pour Morphy qui n'était pas là en 1873).

C'est ce que nous apprend en mars 1873, Charles Joliet chroniqueur de la revue La Stratégie :

« À Monsieur J. Preti, Directeur de la Stratégie, 
Paris, 1er Mars 1873

Cher Monsieur,

Vous me demandez quelques notes complémentaires au sujet de l’article « Le café de la Régence », publié dans l’Illustration du 22 février dernier. Je saisis avec plaisir cette occasion de donner un commentaire d’exécution à la promesse que vous avez faite en mon nom aux lecteurs de la Stratégie. Le dessin qui accompagne cette étude humoristique représente en perspective quatre tables d’échecs, où huit joueurs sont aux prises. Par une disposition ingénieuse, le dessinateur de l’Illustration, M. Miranda, a su grouper, dans un cadre restreint, un certain nombre de portraits que les habitués de la Régence ont pu reconnaître, et dont la plupart des noms sont familiers à vos lecteurs.

Au premier plan, à gauche, est M. Rosenthal, l’illustre champion français des matchs européens. En face de lui, M. Lequesne, un des noms consacrés de la sculpture moderne, auquel on doit le remarquable buste de Paul Morphy, en regard de celui de Philidor, témoins impassibles et silencieux des tournois journaliers. MM. Rosenthal et Lequesne sont représentés, étudiant l’une des deux parties par correspondance entre Paris et Marseille. La position des pièces, très nettement déterminée sur l’échiquier, indique le coup décisif où Paris sacrifie la Dame, et gagne la partie en quatorze coups.

Deuxième échiquier : à droite, Paul Morphy (d’après son buste). Son adversaire est M. Henri Baucher une des colonnes de l’école française, en souvenir de la belle partie qu’il a joué contre le Roi des échecs des Deux-Mondes.

Troisième échiquier : à droite, c’est à vous, s’il vous plait, que ce discours s’adresse, M. Jean Preti, en face, son adversaire habituel, M. le vicomte de Vaufreland, contemporain de La Bourdonnais. Ce maître lui rendait la Tour, avantage qu’il faisait impitoyablement payer par des mats aussi merveilleux qu’imprévus.

Quatrième échiquier : à gauche, M. Maubant, de la Comédie-Française, profil de médaille romaine, front césarien. Son vis-à-vis est le célèbre romancier, Yvan Tourgueneff. Parmi les personnages assez nombreux qui composent la galerie, et dont il est difficile de préciser la place au milieu des groupes, nous mentionnerons à droite, au deuxième plan, le baron d’André, un des amateurs les plus distingués de la Régence ; à l’extrême gauche du dessin, le prince de Villafranca, affable dans la victoire comme dans la défaite ; puis, au fond, M. Chartran, M. A. de Gogorza, M. Preti fils, et M. Nachman. (…)   »


La Stratégie – 1873 – Charles Joliet

Et voici donc la gravure avec les différentes personnes évoquées (+ Albert Clerc, non mentionné dans l'article de Charles Joliet).


1 - Samuel Rosenthal
2 - Eugène-Louis Lequesne
3 - Paul Morphy
4 - Henri Baucher
5 - Jean Préti
6 - Le Vicomte de Vaufreland
7 - Maubant
8 - Ivan Tourgueniev
9 - Albert Clerc
10 - Le Baron d'André
11 - Le Prince de Villafranca

Notez les échiquiers très particuliers avec lesquels jouent les différentes personnes.
Je n'ai pas trouvé de photos d'échiquiers comme ceux-là.

En bonus voici le fameux buste de Morphy réalisé par Lequesne (sculpteur célèbre de la deuxième moitié du XIXème siècle à qui l'on doit la fameuse Bonne Mère de Marseille).

Les trois photos ci-dessous proviennent de l'excellent site anglophone sur Morphy
http://www.edochess.ca/batgirl/Morphybust.html




C'est également à Lequesne que nous devons ce moulage des mains de Morphy.


Et voici la position sur le premier échiquier de la gravure.
Il s'agit de la position de la partie par correspondance Paris / Marseille après le 38ème coup des joueurs parisiens. La partie sera gagnée 14 coups plus tard par les parisiens comme l'indique l'article.

Je reviendrai une autre fois sur ces fameuses rencontres par correspondance qui étaient assez fréquentes entre les grands clubs d'échecs au XIXème siècle.

Les blancs viennent de jouer 38.Dxh6 sacrifiant la dame après 38....Txg4+

Pour la petite histoire, sachez que les deux parties du match par correspondance entre Paris (Café de la Régence) et Marseille ont été remportées par les joueurs parisiens.

mardi 4 octobre 2016

Saint-Amant et la Comédie-Française

À plusieurs reprises j’ai lu que Saint-Amant aurait été acteur de théâtre.
Par exemple c’est ce qu’indique Wikipédia, mais sans mentionner de source.


Saint-Amant

Aussi je me suis dit que peut-être il existait un lien entre Saint-Amant et la Comédie-Française.
En effet celle-ci se situe au Palais-Royal, à proximité immédiate du Café de la Régence.
Je me suis donc adressé à la bibliothèque du Théâtre-Français (autre dénomination de la Comédie-Française) en leur demandant si par hasard ce nom apparaitrait dans leurs archives aux environs des années 1820.


Et là bingo, j’ai obtenu la réponse suivante :

M. Pierre Charles Fournier de Saint-Amant n'a ni été pensionnaire, ni sociétaire à la Comédie-Française, nous n'avons donc pas de dossier d'archives à son nom.
Toutefois, il a été effectivement figurant autour des années 1820, et apparait dans un registre de feux, registres de distribution de rôles que vous pouvez venir consulter.
Sachez cependant que nous n'avons pas d'autres documents pertinents sur votre recherche.

C’était suffisant pour m’inciter à leur rendre visite…

Malheureusement il est interdit de publier les documents que j’ai photographiés à ce sujet, mais en voici leur retranscription et mes conclusions.


Tout d’abord une lettre concernant Saint-Amant.

Intendance des Théâtres Royaux
Paris le 23 mai 1823

Nous Duc de Duras, Pair de France, Premier Gentilhomme de la chambre du Roi, etc.
Sur la demande du comité d’administration du Théâtre Français ;
Ouï le rapport de M. l’Intendant des Théâtres Royaux ;
Avons accordé et accordons au sieur St Amand, la permission de débuter au Théâtre Français dans l’emploi des Premiers Rôles de la tragédie.

Paris le 23 Mai 1823
Signé : Le Duc de Duras.
Pour copie conforme.
L’Intendant des théâtres Royaux (signature illisible)

L’orthographe de Saint-Amant est mentionné avec un « d » à la fin de Saint-Amant contrairement au « vrai » nom du joueur d’échecs.

Même la revue "La Stratégie" écrit parfois de façon erronée le nom de Saint-Amant.
Ainsi en novembre 1869 il est écrit "Saint-Amand"...

S’agissait-il d’un homonyme ?
Je ne le pense pas, car dans les registres des feux son nom apparait clairement.
Les registres des feux du Théâtre-Français correspondent initialement aux « indemnités pour le chauffage et l'éclairage de la loge » des acteurs. Il s’agit en fait d’un registre quotidien où sont notés les pièces jouées, les noms des acteurs et leurs rôles respectifs.

Des registres des feux ont déjà été numérisés mais pas encore ceux du XIXe siècle.

Ainsi dans le registre en date du lundi 23 juin 1823, tout juste un mois après avoir obtenu l’autorisation de jouer, j’ai découvert le nom de Saint-Amant (avec un « t » final).
Il y tient le rôle d’Achille dans la tragédie de Racine « Iphigénie en Aulide ».
Si vous souhaitez lire la pièce c’est par ici.
Le document porte également la mention « 1er début de M. St Amant ». Une mention tout à fait habituelle pour indiquer les premières apparitions d’acteurs ou d’actrices.

La signature de Saint-Amant.

Par tout hasard j’ai cherché son nom dans les registres de feux pour les années 1822, 1823, 1824 et 1825 puis j’ai laissé tomber au-delà.
Ce 23 juin 1823 correspond à son unique apparition sur la scène du Théâtre-Français. Peut-être avait-il tenté sa chance dans un autre théâtre auparavant, mais son passage à la Comédie-Française a été des plus furtifs.

Bref, Saint-Amant a bien été acteur, mais n’a pas franchement marqué son époque comme l’a été Talma par exemple…

Ensuite la question que je me pose est la suivante : en 1823 Saint-Amant ne s’est pas encore fait un nom dans le milieu des échecs français dominé par La Bourdonnais après le retrait de Deschapelles. Est-ce la proximité du Théâtre-Français qui l’a incité à pousser la porte du Café de la Régence ? Cette question reste pour le moment sans réponse…

dimanche 25 septembre 2016

Publicité

Voici une publicité trouvée dans un programme de la Comédie Française.
Celui-ci est daté de mai 1950, soit quelques années avant la disparition du célèbre Café.
Comme je l'indique dans mon livre, les joueurs d'échecs ne sont plus là depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.


La première page du programme.

Je trouve assez troublant de voir une publicité du Café de la Régence à côté d'une publicité pour Air France...
Cette publicité est à rapprocher de la carte postale que je mentionnais il y a déjà plusieurs années.

vendredi 19 août 2016

La célèbre partie de Morphy à l'Opéra Italien de Paris


Suite à son arrivée à Paris à la fin de l'été 1858, après avoir battu Harrwitz, puis joué la fameuse simultanée à l'aveugle au Café de la Régence, Paul Morphy invite le champion d'échecs allemand Adolf Anderssen à lui rendre visite.

Celui-ci est professeur de mathématiques à Breslau et ne peut jouer aux échecs que durant ses congés.
Sa visite à Paris serait donc prévue uniquement pour la fin de l'année 1858 et les congés de fin d'année.
Adolf Anderssen

Ce qui laisse plus d'un mois à Paul Morphy, et à son secrétaire et ami Frederick Edge, pour s'imprégner de la vie nocturne et des plaisirs de la vie parisienne...

Voici un extrait du deuxième tome de mon livre (chapitre 17) :

"(...) Dans Le Sport, Saint-Amant écrit que Morphy représente ce que souhaite Paris depuis longtemps, à savoir un héros ! En attendant la réponse d’Anderssen, Paul Morphy se distrait. Il est invité par nombre de mondains et de mondaines qui souhaitent jouer aux échecs avec lui. Et la plus célèbre de ses invitations est sans aucun doute celle du Duc de Brunswick, fanatique du jeu d’échecs.

Morphy et Edge sont ses invités dans sa loge de l’Opéra Italien  où le duc a fait installer un échiquier à demeure pour jouer durant les spectacles. C’est probablement lors de leur première invitation qu’est jouée la fameuse partie que je donne ci-dessous et qui a été reproduite des milliers de fois. Edge précise que seule la musique pouvait faire oublier les échecs à Morphy et que ce jour-là se jouait l’opéra La Norma de Vincenzo Bellini.(...)"


Dans son livre paru en 1859, Frederick Edge indique :

Paul Morphy, The Chess Champion

"(...) H.R.H le Duc de Brunswick est entièrement dévoué à Caïssa ; (…) il joue  aux échecs contre un peu n’importe qui.
Nous étions fréquemment invités dans (la loge du Duc de Brunswick) à l’Opéra Italien. 
Même ici il disposait d’un échiquier, et jouait durant tout le spectacle.
« La Norma » fut représentée durant notre première visite. La loge du Duc se trouvait à droite de la scène, si proche de celle-ci, qu'il était possible d'embrasser la prima donna sans difficulté.
 

La salle Ventadour - Théâtre Italien de Paris 
Il est facile de voir où se trouvait la loge...:-)

Le fauteuil de Morphy était dos à la scène, le Duc et le Comte Isoard lui faisant face. 
Cependant, il ne faut pas croire qu’il était installé confortablement. (…) comme je l’ai déjà dit (Morphy) était absolument passionné de musique (…). La partie commença et se poursuivit : ses adversaires avaient entendu la Norma si souvent qu’ils auraient sans doute pu chanter sans qu’on leur souffle les paroles. Ils ne l’écoutaient pratiquement pas, mais se querellaient l’un et l’autre à tous les coups. 

Source : Gallica
Madame Penco - Cantatrice - Atelier Nadar

Madame Penco, qui tenait le rôle de la prêtresse druidique, regardait avec insistance vers la loge, en se demandant quelle était la cause de cet enthousiasme, se disant que Caïssa était la seule Casta Diva qui importait pour les occupants de la loge.(...)"

Paul Morphy, the chess champion – Chapitre XII – Londres 1859 – Frederick Edge

Curieusement la célèbre partie de Morphy est donnée parfois comme ayant été jouée durant "Le Barbier de Séville", "Le mariage de Figaro" etc. Pourtant son secrétaire est parfaitement clair dans son livre et il n'y a pas de raison pour qu'il donne une fausse information.
Cette partie s'est jouée durant La Norma.

Ensuite sur le lieu il me semble qu'il n'y a aucun doute possible.
"La Norma" est un Opéra Italien et la représentation a donc eu lieu dans la salle Ventadour, c'est-à-dire l'Opéra Italien de Paris à l'époque.

Quant à la date, c'est un peu plus difficile et la consultation des journaux parisiens de l'époque donnent les représentations du 21, 23, 26 ou 30 octobre 1858.

La Presse - Source Gallica.
Ici l'exemplaire du vendredi 29 octobre 1858 annonçant le spectacle pour le lendemain.

Bon, voici la fameuse partie reproduite à l'infini.


[Event "Opéra Italien de Paris"] [Site "Salle Ventadour"] [Date "1858.10.??"] [Round "?"] [White "Morphy, Paul"] [Black "Duc de Brunswick et Comte Isoard"] [Result "1-0"] [ECO "C41"] 1. e4 e5 2. Nf3 d6 3. d4 Bg4 4. dxe5 Bxf3 5. Qxf3 dxe5 6. Bc4 Nf6 7. Qb3 Qe7 8. Nc3 c6 9. Bg5 b5 10. Nxb5 cxb5 11. Bxb5+ Nbd7 12. O-O-O Rd8 13. Rxd7 Rxd7 14. Rd1 Qe6 15. Bxd7+ Nxd7 16. Qb8+ Nxb8 17. Rd8# 1-0

Voici également le magnifique aria Casta Diva de La Norma.
J'aime particulièrement Anna Netrebko dans ce rôle.

lundi 16 mai 2016

Xavier Tartakover

Le site internet russe http://chesspro.ru/ a publié fin mars 2016 un excellent article historique au sujet de Xavier Tartakover. Cet article de grande qualité est signé Sergueï Voronkov, historien du jeu d’échecs : Le mystère de la mort des parents de Tartakover (Тайна смерти родителей Тартаковера). Il me semble intéressant de vous en faire un résumé.

Sauf mention contraire tous les documents visuels sont tirés de l'article de Sergueï Voronkov.
Je souhaite remercier mon épouse pour l'aide qu'elle m'a apportée pour la traduction de l'article de Sergueï Voronkov !

 

Il me semble intéressant de vous en faire partager le contenu. Voronkov apporte non seulement des informations inédites au sujet de Xavier Tartakover, mais surtout cet article rétablit la vérité sur un épisode douloureux de la vie de Xavier Tartakover.

Ainsi les parents de Tartakover n’ont pas succombé à un pogrom, et lui-même n’a pas été chassé de Russie à cause de l’antisémitisme. Et la véritable passion de Tartakover a été la poésie !

Pour ceux qui l’ignore, Xavier Tartakover fut une des figures marquantes du jeu d’échecs en France dans les années 1930 / 1950. Xavier est son prénom francisé, Savielly son véritable prénom.
Même si elles contiennent des erreurs, vous pouvez lire sa page wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Xavier_Tartakover ou bien encore l’article qui se trouve sur le site « Héritage des échecs français » http://heritageechecsfra.free.fr/tartakover.htm

Bien entendu il existe un lien direct entre lui et le Café de la Régence. Sa première visite à la Régence semble remonter à juillet 1907. Disons que la première trace que j’ai trouvée de lui en lien avec la Régence provient de la revue « L’échiquier Français » de 1907.
Cette revue était l’organe officiel de l’UAAR, l’Union Amicale des Amateurs de la Régence.

Les sources sur internet ont tendance à se recopier les unes sur les autres. Ainsi sur Wikipédia il est indiqué : « Xavier Tartacover est né d'un père autrichien et d'une mère polonaise, tous deux d'origine juive. Ses parents, qui furent plus tard assassinés lors d'un pogrom, l'emmenèrent hors de Russie lorsqu'il avait 12 ans ». Rétablissons la vérité grâce à Voronkov !

Tartakover en 1907 au tournoi de Vienne. Voronkov indique que la photo lui a été communiquée par Dominique Thimognier (Héritage Échecs Français). C'est en 1907 que Tartakover met les pieds pour la première fois au Café de la Régence, il a alors 20 ans.


Xavier Tartakover est né à Rostov sur le Don le 9 février 1887 selon le calendrier Julien alors en vigueur dans l’Empire Russe (ce qui donne le 22 février 1887 selon notre calendrier grégorien).
Ses parents sont de riches commerçants de Rostov et possèdent une excellente réputation locale.
Leur magasin existe depuis 1879, et l’on y trouve toutes sortes de vêtements, de vaisselles etc.
Son père d’origine juive changera de religion pour devenir protestant, ce que ne fera pas sa mère.

 Une réclame du magasin des Tartakover. Il est indiqué que leur magasin existe depuis 1879.



Les parents de Tartakover. Publié dans le journal "La Région d'Azov" le 27/02/1911.
Voronkov indique que cette photo est inédite.

Vers l’âge de 11 ou 12 ans, leur père apprend à ses deux fils à jouer aux échecs. Ils assistèrent probablement au match en 1896 à Rostov entre Steinitz (alors en visite en Russie) et Schiffers (plus fort joueur russe derrière Tchigorine). Pour rappel, Steinitz avait perdu en 1894 son titre de champion du monde face à Lasker (et échouera à le regagner fin 1896 / début 1897).

Leur père, d’origine autrichienne, décide d’envoyer ses deux fils, Savielly (Xavier) et son frère Arthur faire leurs études à l’étranger. Arthur, de un an son cadet, suivra les traces de Savielly (Xavier). À noter qu’ils ont également deux sœurs.

Tartakover en 1918, avec l'uniforme de l'armée d'Autriche-Hongrie. Son frère Arthur sera tué durant la première guerre mondiale le 19/11/1914 près de Katowice. 

Savielly (Xavier) arrive en 1899 dans un collège à Genève où il y restera jusqu’en 1904. C’est par hasard qu’il découvre à Genève le Café de la Couronne où se trouvent les joueurs d’échecs. Dans ses souvenirs (Chess Review 1951) Tartakover explique que le contact avec le jeu d’échecs lui joua des tours quant à ses résultats de fin d’étude au collège ! Il part ensuite à l’université de Vienne pour des études de droit.

Et c’est là qu’il reçoit un télégramme lui apprenant en février 1911 l’assassinat de ses parents à Rostov. Mais comme le montre clairement Voronkov, ceci n’a absolument aucun lien avec un quelconque pogrom. Le seul pogrom connu à Rostov date de 1905 et la première révolution russe.

La presse locale parlera de l’affaire de longues semaines, en évoquant les détails sordides de cette histoire : un cambriolage chez des notables qui tourne très mal avec la complicité de plusieurs domestiques de la famille Tartakover.


Le journal de la région d'Azov du 19/02/1911 qui parle du crime de la veille contre les Tartakover.
 
L'annonce du décès de la mère et du père de Tartakover.

Les enfants des Tartakover reviennent à Rostov pour assister aux funérailles de leurs parents et se partagent l’héritage important qu’ils ont laissé. Savielly (Xavier) profite de son séjour à Rostov pour publier un recueil de ses poésies et de se vers. Il s’agit d’un livret de 56 pages, divisé en deux parties (« dissonances » et « accords »).

Le début de sa dernière poésie de « dissonances » peut se traduire ainsi 

ЕЩЕ ОДИН, ПОСЛЕДНИЙ ДИССОНАНС...
(На смерть родителей)
Целый век и лишений, и слез, и труда!
Для кого? для детей, проживавших беспечно
В чужеземных краях.

ENCORE UNE DERNIÈRE DISSONANCE
(Sur la mort des parents)
Tout un siècle de labeur, de peine et de larmes !
Et pour qui ? Les enfants qui vivaient sans souci
Sur la terre étrangère (…)

Voronkov indique avoir trouvé ce recueil de poésies à la bibliothèque Lénine de Moscou.
Savielly (Xavier) publia deux autres recueils à Berlin en 1922 puis à Paris en 1928 qu’il signa Revokatrat, c’est-à-dire son nom inversé !

Le recueil de poèmes publié par Tartakover à Paris en 1928.
Il est signé "Ревокатрать" "Revokatrat" c'est à dire le nom "Tartakover" à l'envers !

Mais cette passion ne lui apportera aucune reconnaissance, bien au contraire.
Le grand poète russe Nikolaï Goumilev disait de Tartakover  qu’il ne maitrisait pas très bien la langue russe … Et Vladimir Nabokov d’ajouter « Tu peux écrire, mais ne pense pas qu’il s’agisse là de poésie ».

Tartakover était quelqu’un de brillant. Il maitrisait trois langues, le russe, l’allemand et le français, sans compter le latin et le grec. Il pouvait devenir juriste mais ne le devint pas. Les échecs étaient son métier, mais sa vraie passion resta toujours la poésie. Les joueurs d’échecs appréciaient ses écrits (Et son fameux « Bréviaire des échecs » par exemple) mais pas le monde littéraire. Sans doute son plus grand regret.

jeudi 7 avril 2016

Conférence à Gonfreville

Lundi prochain 11 avril 2016, à l'occasion du championnat de France d'échecs des jeunes à Gonfreville, je donnerai une conférence au "Village-Échecs" à partir de 9h30.

Thème (pas vraiment une surprise ...) : "Le Café de la Régence - 200 ans d'histoire des échecs français".

Merci à Emmanuel Beaufils de m'avoir autorisé à utiliser une de ses photographies de ses magnifiques échiquiers. 

publié par JO Leconte

samedi 26 mars 2016

Jean Louis Preti

Dans mon précédent article je parlais de la vente aux enchères d'un album de photographies ayant appartenu à Jean Louis Preti.

Voici sa nécrologie telle qu'elle est parue dans le numéro de février 1881 de la revue La Stratégie qu'il avait fondée en 1867.
Jean Louis Preti : un personnage incontournable des échecs français du XIXe siècle, injustement oublié de nos jours.


Un poète, s’écrierait : « Encore une feuille arrachée de l’arbre scientifique par le souffle empesté de la mort ; » je dirai simplement, mais plus justement, de ce même arbre, encore une branche qui tombe, et l’une des plus solides comme des plus utiles au progrès.
En effet, en énumérant les diverses œuvres que Jean Preti a composées depuis 1856 jusqu’en 1880, nous trouvons dix publications dont voici les titres :
1856. Recueil d’études progressives composées seulement de Rois et de Pions.
1858. Traité complet théorique et pratique sur les fins de partie.
1859. Choix des parties les plus remarquables jouées par M. Morphy.
1862. Stratégie raisonnée des ouvertures du jeu d’Échecs avec la collaboration de Louis Metton et l’abbé Durand.
1867. Création de la Stratégie. 14 années.
1867/68. Stratégie raisonnée des Ouvertures du jeu d’Échecs (2ème édition) avec la collaboration de l’abbé Durand.
1868. L’ABC des Échecs.
1871. Stratégie raisonnée des fins de partie, 1er fascicule (Rois et Pions), avec la collaboration de l’abbé Durand.
1873. Stratégie raisonnée des fins de partie, 2ème fascicule (Rois, Pions et Pièces), avec la collaboration de l’abbé Durand.



L'abbé Durand et Jean Louis Preti

Sans avoir besoin de faire ressortir ici le mérite de ces différentes œuvres, si justement appréciées dans le monde des Échecs, nous devons signaler plus particulièrement les efforts et la persévérance dont Jean Preti a fait preuve dans la publication de la revue mensuelle La Stratégie, complétant sa 10ème œuvre.
Les personnes qui ne sont pas initiés aux détails que nécessite une revue mensuelle d’Échecs, ne peuvent s’imaginer la somme d’études, de travail, d’efforts, de patience et d’attention qu’exige une pareille œuvre, surtout quand le résultat positif est presque insignifiant, quand il se traduit même quelquefois en perte.



L’amour de la science, le désir d’être utile et la volonté de bien faire peuvent seuls triompher des difficultés incessantes, des ennuis, des déceptions et des fatigues que l’on éprouve.
Preti n’a reculé devant aucun obstacle, aucun sacrifice, aucun labeur. N’est-ce pas justice alors que de rappeler, dans ces quelques lignes, les services qu’il a rendus et de lui décerner un tribut de reconnaissance en l’inscrivant dans les glorieuses annales de notre Académie dont il a si bien mérité ?

Jean-Louis Preti était né en 1798, à Mantoue (Italie). 83 ans d’existence ! Laps de temps assez peu commun et qui confirme l’une des prérogatives que j’ai attribuées à la culture des Échecs. Son père était médecin et le destinant à suivre sa profession, il lui avait fait donner une éducation de premier ordre. La nature de Jean Preti, nature excessivement impressionnable et s’affectant péniblement à la vue de la souffrance, s’opposa au désir de son père.


Le sentiment de la musique se manifesta bientôt en lui, quelques auditions de chefs-d’œuvre exercèrent sur son imagination une telle influence qu’elles déterminèrent irrévocablement le choix de sa carrière. Il se fit professeur de flûte ; la douceur et la mélodie de cet instrument concordaient admirablement avec ses dispositions, aussi ne fût-il pas longtemps à se faire une réputation.
Jeune encore, il fit choix d’une épouse dans laquelle il trouva jusqu’au dernier soupir de cette compagne adorée, sollicitude, tendresse et dévouement, le bonheur enfin du foyer domestique.

Il était dans la plénitude des félicités conjugales, lorsqu’en 1826, les exactions, l’arrogance et le despotisme de l’Autriche, soulevèrent l’indignation de tout ce qui sentait battre un cœur d’homme en Italie. Surexcité par le sentiment national et l’amour de l’indépendance, déplorant les malheurs de sa patrie, Jean Preti fut compromis dans les évènements de cette époque, forcé de s’expatrier et d’emmener avec lui sa jeune femme. Il se trouvait, cependant, presque sans ressources ; les inondations du Pô avaient ruiné les propriétés de la famille de sa femme ainsi que celles de la sienne.
Il se rendit d’abord à Bordeaux où il vécut 18 ans, parvenant à subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille grâce à son activité, son courage, à son talent artistique et à l’excellence de sa méthode.
Nommé professeur de musique au Collège Royal, il obtint en même temps la place de 1ère flûte au Grand-Théâtre de Bordeaux et put élever ainsi honorablement ses cinq enfants.


Pendant les quelques heures de loisir que lui laissaient ses occupations, il allait au Café de la Préfecture se délasser de ses travaux. Là, on jouait aux Échecs.

Des antécédents de Philidor et de Jean Preti, on pourrait conclure qu’il existe une certaine analogie, une mystérieuse affinité entre la science de la Musique et celle des Échecs, car Preti ne tarda pas à se distinguer dans ce dernier art. Saint-Amant, dans son Palamède de 1843, page 472, dit en rendant compte d’une visite qu’il avait faite aux amateurs d’Échecs du café de la Préfecture à Bordeaux :
« J’y ai rencontré un italien qui ne demande pas mieux que de représenter ses illustres concitoyens, Ercole Del Rio, Lolli, Calvi, etc. » et à cette époque, Jean Preti n’était encore que de la quatrième ou cinquième force.


Ce ne fut qu’en 1844 que cédant aux conseils des docteurs, il fut obligé d’abandonner la carrière artistique qui épuisait sa santé ; il vint alors à Paris et se consacra sérieusement à l’étude de l’Échiquier. Il devint bientôt un des meilleurs joueurs de la Régence.
De 1849 à 1851, époque où l’on avait organisé des luttes hebdomadaires, sous forme de poules, Jean Preti les croqua presque toutes. En 1862, dans le grand tournoi de la Régence, institué par le prince de Galitzin, il gagna l’Échiquier offert comme 1er prix par ce prince, échiquier magnifique, précieusement conservé par ses enfants comme un monument de son talent. Enfin dans le second tournoi du congrès de Paris, en 1867, il obtint le 2ème prix.


C’est, comme je l’ai dit, en 1856, qu’il a publié son premier livre d’études. Cet ouvrage d’une apparence assez modeste devait, cependant, exercer ultérieurement une assez grande influence sur la littérature échiquéenne française ; il détermina les premiers rapports qui existèrent entre lui et l’abbé Durand. Ces deux hommes se comprirent de suite. Mêmes goûts, même mansuétude, même amour du feu sacré, mêmes aspirations, mêmes efforts, même persévérance, même distinction d’esprit et de cœur, mêmes qualités enfin qui ont si puissamment contribué au développement de la science et du goût des Échecs.


D’un caractère doux, simple, affable, Jean Preti se distinguait particulièrement par une apparence de modestie qui contrastait étrangement avec l’étalage ordinaire de présomption dont s’enorgueillit presque tout joueur qui se sent progresser. Il ne provoquait pas, mais ne reculait jamais. Toujours prêt à donner l’avantage qu’on lui réclamait, il n’en demandait pas. Calme dans le succès, dans le revers il trouvait encore un sourire ; quelle charmante philosophie !
Sans étinceler de ces jets spontanés de l’imagination, son jeu était correct, méthodique, sévère, approfondi, se rapprochant beaucoup de ceux de Sasias et Desloges. Dans les positions difficiles, il trouvait d’incroyables ressources, se défendait jusqu’à la dernière extrémité, et réussissait quelquefois au moment de rendre l’âme à se relever tout-à-coup plus terrible, plus fort que jamais.
L’aménité de ses manières aussi bien que ses œuvres lui avaient ouvert les salons les plus aristocratiques de la société parisienne. Il y était recherché, fêté, aimé. Il le méritait.


En se fondant, le Cercle des Échecs de Paris lui fit l’honneur de le nommer membre honoraire.
Collaborateur non scientifique, mais assidu de la Stratégie depuis sa création, j’ai pu mieux que personne apprécier ses qualités. Sa mort est pour tous une perte bien regrettable ; pour moi, elle est irréparable, car, je l’aimais, parce qu’il m’aimait, et qu’aujourd’hui, moi-même, au déclin de la vie, je comprends et ressens plus péniblement encore la séparation éternelle de ceux qui nous ont suivis dans les mêmes champs de bataille.


Mais non, mon brave et vieux camarade, notre séparation ne sera pas de longue durée ; nous nous retrouverons, j’en ai le pressentiment, dans un monde meilleur, au milieu de nos anciens frères d’armes, de nos anciens maîtres, de nos bons amis.
C’est mon espoir et ma consolation.


Alphonse Delannoy.
Enghien (Belgique), février 1881.

Jean Preti est décédé le 27 janvier 1881, à Argenteuil, près Paris.
A l’occasion de la perte douloureuse dont elle a été frappée, sa famille éplorée a reçu de toutes parts de si nombreux témoignages de regrets et de sympathie qu’il lui est impossible de répondre individuellement ; cette preuve de regrets universels est pour elle une grande consolation, elle prie ses amis, connaissances et le monde des Echecs d’accepter l’expression de sa plus vive reconnaissance.



Acte de décès de Jean Louis Preti.

Du vendredi vingt huit janvier mil huit cent quatre vingt un, trois heures du soir.
Acte de décès de Jean Louis Preti, rentier, âgé de quatre vingt deux ans.
Né (à) Mantoue (Italie), décédé à Argenteuil en son domicile, route de Sannois, hier à trois heures du soir.
Fils de Jean Preti et de Marie Bennati son épouse, décédés. Veuf de Caroline Madeleine Marchesini.
Témoins : M. Numa Jean Marie Preti, directeur de La Stratégie, âgé de quarante ans, fils du défunt et M. Alphonse Deriche, graveur de musique, âgé de vingt trois ans, demeurant tous deux à Argenteuil, route de Sannois.
Les comparants ont signé avec nous Maire après lecture faite et le décès constaté.



Alphonse Delannoy décèdera le 19 juillet 1883, deux ans après son vieux compagnon de route.
C'était un chroniqueur brillant, amoureux du jeu d’échecs et qui était un des derniers survivants de l’ancien Café de la Régence. Sans lui une grande partie de la mémoire du Café de la Régence au XIXe siècle aurait tout simplement disparu à tout jamais.

jeudi 17 mars 2016

Vente aux enchères d'un album de photos de Jean Preti

M. Alain Barnier m'a signalé il y a quelques jours la vente aux enchères d'un album de photographies ayant appartenu à Jean Preti. Cette vente s'est déroulée à Enghien (au nord de Paris) le 6 novembre 2015. Hélas je n'étais pas au courant à l'époque et je n'ai donc pu m'y rendre.

L'abbé Durand et Jean Preti. Gravure provenant de leur livre :
Stratégie raisonnée des fins de partie du jeu d'échecs - Paris 1871 & 1873, par l'abbé Durand et Jean Preti

Jean Preti fut le fondateur de la célèbre revue d'échecs La Stratégie dont j'ai indiqué quelques liens dans la partie bibliographie de ce blog. Jean (ou Jean Louis) Preti fut également un fort joueur d'échecs qui fréquenta le Café de la Régence de 1844 à son décès en 1881.
Je donnerai sa biographie dans un prochain article.

Extrait du catalogue.
La photo en haut et gauche est celle de Jules Grévy, 4ème président de la République Française, et amateur du Café de la Régence...

Le Catalogue de la vente se trouve en ligne en suivant ce lien. Il s'agit du lot n°415 en page 46.
Alain Barnier m'indique que le lot, estimé à 600 / 800 euros est parti à près de 5000 euros !...

Texte de présentation du lot dans le catalogue :

Estimation: €600 - €800
Description: ÉCHECS par CARJAT, MAYER & PIERSON, A. GIROUX, E.COURRET, G. RIZZARDI, E.BARON... Un album de portraits de personnalités du monde des échecs, ayant appartenu à Jean-Louis Preti (1798-1881). 121 tirages au format carte de visite rassemblées dans un album et 2 cartes cabinet. Personnalités nommées à la mine de plomb et/ou à l'encre sur les montages ou aux dos de certaines épreuves. Plusieurs envois à Jean Preti. Portrait de Jean-Louis Preti avec l'Abbé Philippe Ambroise Durand, coauteurs de ""Stratégie raisonnée des ouvertures de jeux d'échecs (1862)"" en début d'album. Cartes mosaïques et portraits de joueurs d'échecs dont : Prince Villafranca, Fery d'Esclands, Comte de Casabianca, Comte de Basterot, Staunton, Grosdemange, Juan Carlo, Henri Frau, de Blémur, Gosse, Van de Steene Bone, C.A. Gilberg, D. Harrwitz, Numa Preti... Reliure détachée, album à restaurer.



Il est fort dommage que ces photos ne soient pas consultables, car il s'agit d'un patrimoine important du Café de la Régence. En tout cas, si l'heureux propriétaire de l'album lit ces quelques lignes et accepte de me montrer les photos j'en serais ravi !

En tout cas je remercie M. Alain Barnier de m'avoir communiqué cette information.

lundi 7 mars 2016

Honneur à Deschapelles ce 7 mars

Alexandre Louis Honoré Lebreton Deschapelles est né le 7 mars 1780.

Le seul portrait de Deschapelles connu à ce jour.

La revue Le Palamède, sous la plume de Saint-Amant, commençait ainsi son article nécrologique en novembre 1847 :

  

Sa mémoire a disparu pour la plupart d'entre nous, y compris pour la seule revue française d'échecs qui existe de nos jours.

Il y a quelques mois, celle-ci citait le très talentueux Grand Maître Maxime Vachier-Lagrave comme le plus fort joueur d'échecs français depuis Philidor...
C'était biffer d'un coup de plume les noms de Deschapelles et La Bourdonnais, par simple méconnaissance historique.
Car sachez le, en son temps Deschapelles fut considéré comme plus talentueux que Philidor aux échecs.
Son tort ? Peut-être ne pas avoir laissé d'écrit sur le jeu d'échecs.

Nos amis russes eux ne l'ont pas oublié.
En ce 7 mars, jour de son anniversaire, la Fédération Russe des Échecs lui consacre un article.
Персона Дня = Personnalité du jour


Voici une courte biographie de Deschapelles en suivant ce lien.

Pour terminer, voici sa demande manuscrite de Légion d'Honneur, à une époque où cette médaille était offerte au grand jour à ceux qui faisaient honneur à la France. Il l'obtiendra le 1er juin 1804.


"Au citoyen Lacèpede, membre du sénat, chancelier de la légion d'honneur.

Citoyen Chancelier,

Élève de l'école militaire de Brienne, *Soldat à quatorze ans, blessé avant dix-sept de quinze coups de sabre et privé de la main droite**, je me croirai plus que récompensé si vous me jugez digne d'entrer dans la légion d'Honneur.
Je vous salue avec respect
Lebreton Deschapelles

*35ème, aujourd'hui 106ème 1/2 brigade
**resté sur le champ de bataille armée du Rhin, le 24 messidor an 4"
(Bataille d'Ettligen - 9 juillet 1796)

Source : Base LEONORE - Dossier Deschapelles