jeudi 21 juin 2012

L’arrivée de Paul Morphy au Café de la Régence

Au début l’été 1858, le génial Paul Morphy se rend en Europe pour affronter les plus forts joueurs d’échecs du vieux continent.
Ce voyage devint par la suite une véritable légende dans l’histoire du jeu d’échecs tant fut grande l’aura de Paul Morphy après cette tournée européenne.
Il se rend d’abord à Londres, mais après de nombreuses tergiversations de la part d’Howard Staunton, le plus fort joueur britannique, la rencontre n’a pas lieu.
(Paul Morphy)

Paul Morphy se rend alors à Paris et il passe nécessairement au Café de la Régence.
Il est important de vous rappelez ou bien de vous apprendre que Morphy était originaire de la Nouvelle-Orléans, peuplée alors de nombreux colons d’origine française.
Ainsi, grâce à sa mère Paul Morphy maîtrise parfaitement le français quand il arrive à Paris, ce qui jouera sans aucun doute sur sa popularité.
Paul Morphy a alors 21 ans et il est accompagné dans ce voyage de son secrétaire et ami Frédérick Edge.

Si vous parlez l’anglais, je ne peux que vous recommander de consulter ce site américain d'une très grande richesse dédié à Morphy.
Vous trouverez également sur Google Book le livre dont je cite de larges extraits ci-dessous.

Pour gagner un peu de temps, je me suis servi de la traduction partielle d’extraits que l’on trouve dans le cahier du CREB, que j'ai déjà cité, dédié au Café de la Régence et j'ai complété avec ma traduction.
Mais j’ignore si le livre a été traduit en français, aussi merci d’avoir de l’indulgence pour ma traduction !


Voici donc des extraits du livre
« Paul Morphy, The Chess Champion,
an account of his career in America and Europe
with a history of chess and chess club
and anecdotes of famous players
by an Englishman - Londres1859 » de Frederick Edge.

Dans le chapitre VII on apprend comment s’est déroulé le voyage de Paul Morphy depuis l’Angleterre jusqu’à Paris.

Dans le bateau qui conduit Paul Morphy et Frederick Edge à Calais, le génial américain a un mal de mer terrible.
Mais l’idée de se mesurer aux meilleurs joueurs français est une perspective qui l’enchante !
Ainsi Morphy indique
« Bien, maintenant je vais rencontrer Harrwitz ! Je le battrai dans les mêmes proportions que j’ai battu Löwenthal bien qu’il soit un meilleur joueur de match que Löwenthal. Mais je jouerai mieux avec Harrwitz ».
Rappelons qu’à défaut de jouer contre Staunton, Morphy écrase notamment Johann Löwenthal à Londres en 1858 sur le score de 10 à 4.
Daniel Harrwitz est un joueur allemand de première force établi à Paris depuis de nombreuses années. Il subira la loi de Morphy comme tout le monde !

A leur arrivée à Calais, ils doivent encore prendre le train jusqu’à Paris par la compagnie du « Chemin de Fer du Nord ».
Ce n’est pas le TGV…
« Et commença le long et morne trajet de dix mortelles heures pour Paris ».  

Puis c’est leur arrivée à Paris, après leur installation à l’hôtel puis un repas au « Restaurant des Trois Frères Provençaux » (NDLR : restaurant disparu qui se trouvait au Palais Royal).
« Je connaissais la capitale Française comme un gamin de Paris (NDLR : en français dans le texte) ; et sans dire un mot à Morphy de mes intentions, je l’emmenais tranquillement dans le bas du Palais Royal, puis passé le Théâtre Français, et tout droit dans le Café de la Régence. »

Le chapitre VIII est dédié à la venue incognito de Paul Morphy et Frédérick Edge au Café de la Régence.
Le Café de la Régence se situe à cet endroit depuis 3 ans environ (voir les articles précédents) et le propriétaire vient de changer (à ce sujet je ferai un article dédié car ma liste de propriétaires est sans doute erronée pour cette période).
Il semble que le Cercle des Échecs, qui avait rejoint l’ancien café de la Régence suite à des difficultés financières en 1841, soit toujours au premier étage de celui-ci au moins jusqu’à la fin 1858 d’après le texte.

Frédérick Edge décrit brièvement les cafés de Paris et ajoute sur le Café de la Régence « Mais le Café de la Régence se démarque des autres ; il est ce qu’il est et même plus. C’est une incarnation de tous les autres (cafés de Paris). »

« Je vais donner un daguerréotype de la Régence comme Morphy et moi-même nous l’avons trouvé, et comme chacun le découvrirait actuellement ».

« La première chose qui attira notre regard, en entrant, fut un nuage dense de fumée de tabac, produit du tabac de Caporal et des cigares de la Régie. La seconde « curiosité » fut un individu massif, avec des épaules titanesques, qui comme nous l’apprîmes plus tard, était Monsieur Morel, ou plutôt comme ils l’appelaient là-bas, « Le père Morel » ou encore « Le rhinocéros ». Ayant fait le tour des flancs de ce gentilhomme, et nos yeux s’étant habitués à cette atmosphère particulière, nous constatâmes que les tables étaient placées si près les unes des autres qu’une seule personne pouvait passer entre elles et que sur certaines on jouait aux échecs, sur d’autres, aux dames, aux cartes, aux dominos. Dans la deuxième pièce, deux tables de billard étaient en pleine action, entourées par d’autres parties d’échecs et de cartes, tandis que le vacarme incessant de la foule semblait rendre impossible toute concentration…

A une table dans la première pièce, une petite foule regardait le concours entre deux amateurs du « noble jeu des joueurs d’échecs » et l’attention de Morphy fut immédiatement captivée.
Je me suis approché de la dame du comptoir et je me renseignais sur qui était présent dans la pièce, et j’appris d’elle qu’un des deux joueurs que Morphy regardait était Monsieur Journoud « Un de nos plus forts », ajouta la femme, comme s’il était évident que j’étais un étranger.
Elle m’informa que Mr Harrwitz était actuellement à Valenciennes, mais souhaitait revenir à Paris à la fin de la semaine, afin de rencontrer Mr. Morphy.
Impassible et ne montrant aucune surprise à la mention de ce dernier nom, elle m’informa volontairement que Mr Morphy était un célèbre joueur Américain, qui avait battu tout les joueurs qu’il avait rencontré, et qu’il était attendu depuis hier. Cette dame était plaisamment volubile, et je l’encourageai ; ceci l’induit à ajouter que Monsieur Arnous de Rivière venait juste de recevoir une lettre d’un ami de Londres, apprenant de lui que notre héro avait quitté la capitale Anglaise, et qu’il était en route vers Paris.

Ayant appris autant que je pouvais que la dame du comptoir pouvait communiquer, je rejoignais Morphy, et nous avons jeté un second regard dans la pièce autour de nous.
Le son de toutes les langues européennes parvenait à nos oreilles, et nos yeux découvraient différents types de peuples. Dans un coin, une troupe d’Italiens parlaient, amicalement sans doutes, avec leur façon rapide et querelleuse. A une des tables de billard, un groupe de Russes, jouaient à leur manière, sans se soucier des auditeurs ; des Américains et des Anglais, des Allemands, Danois, Suédois, Grecs, Espagnols, etc … bavardaient ensemble, sans se soucier des voisins, transformant le café en une véritable tour de Babel. Des quantités de journaux traînaient ici et là – les principaux journaux européens en fait – afin que chaque visiteur, quelque soit sa nationalité, puisse prendre des nouvelles de son pays.

La foule semblait, comme toujours, représenter chaque couche de la société. Il y avait des militaires, du colonel au simple soldat ; un ou deux prêtres, qui semblaient quelque peu hors de leur élément, des individus bien habillés, à l’allure aristocratiques, qui formaient des groupes dans différents coins ; et les invariables piliers de café qui passent la moitié de leur existence dans de tels établissements et l’autre moitié au lit. Le Café de la Régence ouvre à huit heures du matin, mais rien ne se passe, ou peu sans faut, avant midi, en dehors de la visite de quelques clients qui boivent leur café en silence et que l’on ne reverra pas avant le lendemain. Mais à midi les gens commencent à arriver rapidement, à deux heures la pièce est aussi remplie que possible et cela dure jusqu’à minuit.

Le Café de la Régence n’existe dans son lieu actuel que depuis quelques années ; en fait seulement depuis que Louis Napoléon a réalisé de nombreuses et magnifiques transformations dans la capitale française. Auparavant, il se situait, à la porte d’à côté, dans un local nettement moins pratique que l’actuel. Le café est séparé en deux pièces, sur la rue St Honoré ; dans la plus grande, que nous avons décrite plus haut, fumer est autorisé jusqu’à un niveau effrayant, alors que dans l’autre fumer est strictement interdit. La seconde pièce est bien agencée, et le plafond massif est orné des quatre blasons dans les corniches, portant les noms de Philidor, Deschapelles, et Labourdonnais. Le quatrième contient la date de la fondation du café, et le propriétaire a annoncé son intention d’y insérer le nom de Morphy. Peut-être est-ce déjà fait ? »
 
Au moment de notre arrivée à Paris, le Cercle des Échecs, ou dans d’autres mots, le club d’échecs, se trouvait au dessus du café. L’association avait trois pièces réservées pour les échecs, et une pour le billard ; et Saint-Amant, Devinck, Guibert, Preti, Doazan, Delannoy, Seguin et Lécrivain étaient parmi les membres.
Mais la plus grande pièce en bas des escaliers les empêchaient de recevoir le plus grand nombre, et le loyer étant très élevé et les revenus très faibles, ils abandonnèrent leur quartier à la fin de l’année (NDLR : 1858) et se trouvent maintenant dans le café en bas.

Morphy n’annonça pas son arrivée lors de sa première visite, préférant la repousser au jour suivant.
Quand il fut connu que le si attendu joueur soit à Paris l’excitation fut à son comble ; les Français aiment l’excitation. M. de Rivières n’était pas là ces derniers temps, mais nous avons trouvé Messieurs Lécrivain, Journoud, Guibert, et de nombreux joueurs de niveau cavalier ou tour (NDLR : difficile de traduire. Le texte indique knigth and rook-players. Voir un article précédent au sujet de la classification des joueurs à cette époque).
Le premier nommé des gentlemans, à la demande générale, s’offrit lui-même comme le sacrifice initial, acceptant l’avantage d’un pion et de deux coups, et réussi à remporter deux parties sur les six ou sept qu’il joua avec Morphy.
Alors Mr Rivière arriva et fit le coup, joua une Ruy Lopez, qui se termina en partie nulle ; par la suite il fut suivi par M.Journoud, qui, bien qu’il soit un des meilleurs joueurs Français, échoua à remporter une victoire. Morphy avait posé ses marques, et tout le monde attendait l’arrivée de Herr Harrwitz qu’ils espéraient voir s’amuser.   

A suivre...   

dimanche 10 juin 2012

La fin de l'U.A.A.R. (2ème partie)


En juin 1918, la première guerre mondiale touche à sa fin.
Les dernières offensives allemandes sont un échec et les alliés prennent petit à petit le dessus.

Au milieu des articles de première page qui traitent tous des combats en cours, les difficultés que rencontrent les joueurs d’échecs à la Régence font la première page du journal « Le Gaulois » !
C’est un fait notable et assez incroyable !

(Source l'inépuisable Gallica BNF)


Vous remarquerez quand même que l’auteur de l’article attribut à Philidor la création de la première revue d’échecs du monde « Le Palamède ». Pour ceux qui ne le savent pas, « Le Palamède » a été fondé en 1836 par Labourdonnais…

Le Gaulois du samedi 8 juin 1918 – Article signé Louis Schneider.

« Les joueurs d’échecs et le Café de la Régence.
Les joueurs d’échecs du café de la Régence sont déracinés depuis quelques jours ; le temple qui les a abrités depuis de si longues années est désaffecté. C’est désormais au café de l’Univers, situé en face du Théâtre-Français, que se joueront les interminables parties de ce jeu savant qui a passionné les intelligences les plus élevées, les cerveaux les plus sérieux. Il faut l’énergie et la patience d’un chef pour faire manœuvrer les pièces stratégiques d’un échiquier ; toutes les facultés sont mises à l’épreuve pendant ce jeu : les mathématiques, la science des probabilités, le raisonnement, rien n’est inutile au virtuose des échecs. Et Montaigne, précisément à cause de ces difficultés, disait que « les échecs ne sont pas assez un jeu et sont un divertissement trop sérieux ».

Le musicien Danican Philidor, aussi célèbre au dix-huitième siècle comme joueur d’échecs que comme compositeur d’opéras-comiques, se passionnait tellement dans les calculs de ce jeu qu’on craignait pour lui la folie ; il dut pendant cinq ans s’abstenir de toute pratique de l’échiquier. A propos d’un voyage qu’il était allé faire à Londres pour battre les joueurs anglais à ce jeu, où ils étaient, parait-il, d’une force hors ligne, Philidor – qui jouait sans voir les pions – reçu de son ami le philosophe Diderot la lettre fort sage que voici :
« Je ne suis pas surpris, monsieur, qu’en Angleterre toutes les portes soient fermées à un grand musicien et soient ouvertes à un grand joueur d’échecs : nous ne sommes guère plus raisonnables ici que là. Vous conviendrez cependant que la réputation du Calabrais n’égalera jamais celle de Pergolèse. Si vous avez fait les trois parties sans voir, et sans que l’intérêt s’en mêlât, tant pis ; je serais plus disposé à vous pardonner ces essais périlleux si vous eussiez gagné à les faire cinq ou six cent guinées; mais risquer sa raison et son talent pour rien, cela ne se conçoit pas. Croyez-moi, faites-nous d’excellente musique, faites-nous-en pendant longtemps. Encore, si l’on mourait en sortant d’un pareil effort ! Mais songez, monsieur, que vous seriez peut-être pendant une vingtaine d’années un sujet de pitié, et ne vaut-il pas mieux être, pendant le même intervalle de temps, un objet d’admiration ? ».

Philidor suivit le conseil de Diderot et interrompit sa carrière de joueur. Mais il ne put néanmoins s’en abstraire complètement et il créa une revue, le Palamède, qui fut l’organe, l’épopée des exploits de tout ce qui se passait d’intéressant dans le monde spécial des amateurs d’échecs. 

Dans les dernières années de l’Empire, un des joueurs les plus forts était l’Américain Murphy. Il défiait ses rivaux par télégraphe et une partie s’engageait entre New-York et Londres ou Paris. D’autres joueurs avaient la spécialité de mener de front dix parties à la fois, d’autres encore se faisaient bander les yeux et gagnaient.
Les empereurs, les rois et les princes ont joué aux échecs. Bonaparte lieutenant d’artillerie a fréquenté le café de la Régence, et Napoléon empereur y revint, dit-on, un jour pour évoquer ses souvenirs de jeunesse. L’enjeu était parfois très élevé. Il y avait à la Régence, jadis, deux clans : ceux qui jouaient par amour de l’art- on les appelait les « antiquaires » - et ceux qui risquaient de fortes sommes : des patrimoines furent engloutis. Et les parties duraient des semaines. On a cité le cas d’un joueur qui se trouva mal en posant un pion ; on le fit revenir avec des sels, et on lui demanda ce qu’il avait :
-          J’ai, répondit-il, que je joue depuis trente-six heures, et j’ai faim. Je me croyais plus fort que cela.
Jean-Jacques Rousseau était un assidu du café de la Régence. Il y venait moins pour jouer que pour se faire voir et pour faire semblant de se dérober à la foule quand il avait été reconnu. Les gazettes d’alors ne se firent pas faute de démasquer cette vanité doublée de fausse modestie qui caractérisait bien l’auteur du Contrat Social.
Les gens de lettres sont nombreux qui pratiquait le jeu d’échecs à la Régence. Jouy, l’auteur de Sylla et du livret de Guillaume Tell, faisait sa partie avec le vicomte de Chateaubriand ; Alfred de Musset s’attablait des heures entières avec l’acteur Provost, de la Comédie-Française, ou le tueur d’éléphants Delgorgue, ou encore Eugène de Mircourt.
Un des cas les plus amusants fut celui d’un habitué qui, pendant dix ans, depuis sept heures jusqu’à onze heures du soir, passait son temps à étudier les parties autour des tables. On le croyait de première force, et un jour, à l’occasion d’un coup embarrassant, on lui demanda son arbitrage. Il répondit, effaré :
-          Mais je ne connais rien à la marche des pièces !
-          Alors, pourquoi, depuis dix ans, vous voit-on derrière les joueurs, les yeux écarquillés sur l’échiquier ?
-          Pourquoi ? Je vais vous le dire : je m’ennuie chez moi, et ce que je vois ici m’amuse en comparaison de ce que je vois chez moi : ma femme tricote toute la journée et toute la soirée depuis le jour où nous nous sommes mariés !
Voilà un homme qui avouait naïvement ses préférences pour les émotions du jeu qu’il ignorait ; jugez alors ce que doit être la joie, la passion d’un spectateur qui s’y connaît, d’un joueur habile, et vous comprendrez que les échecs ont encore aujourd’hui leurs adeptes fervents. »

Dans son édition du lendemain, le dimanche 9 juin 1918, Le Gaulois revient sur le Café de la Régence.
Cette fois-ci l’article est en deuxième page dans la rubrique « ça et là ».

« Le Café de la Régence et les joueurs d’échecs.
Nous avons annoncé que le café de la Régence n’abrite plus les joueurs d’échecs. Un groupe d’amateurs, il est vrai, vient de se former au café de l’Univers, mais l’historique et célèbre temple des échecs n’en continuera pas moins de recevoir les fidèles « pousseurs de bois ». Nous savons même que le propriétaire de la Régence doit, après la guerre, transporter le sanctuaire dans une de ses salles plus vaste et plus confortable que celle où il est actuellement installé. Cela permettra aux fidèles qui, avant 1914, se pressaient dans un local souvent trop exigu, de célébrer leur culte plus solennellement et de faire ainsi des prosélytes.
Par ces temps d’hérésie il est bon qu’un culte se perpétue dans les lieux qui l’ont vu naître, au milieu des souvenirs historiques qui l’entourent. Personne n’ignore qu’à la Régence, outre des gravures reproduisant des matchs fameux et des portraits des maîtres du jeu d’échecs, il y a la fameuse table sur laquelle Bonaparte, étant consul, jouait aux échecs au café de la Régence. »

Dans la presse, une bataille de communiqués fait rage dans le petit monde des échecs...

Le Figaro du mercredi 26 juin 1918 (source Gallica BNF) .


COMMUNIQUES
Joueurs d’échecs – Le président de l’Association des amateurs d’échecs nous adresse cette lettre :

Monsieur le Directeur,
Plusieurs journaux ayant annoncé le transfert du siège de l’Association des amateurs d’échecs de la Régence au premier étage du café de l’Univers, M. Lévy, propriétaire du café de la Régence a fait insérer une rectification dans ces mêmes journaux.
A l’assemblée générale extraordinaire du 18 juin, les membres de l’Union amicale des amateurs d’échecs ont voté à l’unanimité le transfert du siège de l’Association au café de l’Univers.
Je vous prie donc de bien vouloir remettre les choses au point, et je profite de cette circonstance pour vous demander d’inviter les nombreux amateurs des armées alliées à se rendre à notre nouveau lieu de réunion, où nous serons très heureux de les recevoir.

Le Figaro du vendredi 28 juin 1918 (source Gallica BNF) .


Les joueurs d’échecs
Le propriétaire du café de la Régence nous écrit :
La rectification relative aux joueurs d’échecs de la Régence comporte elle-même une rectification.
Il est tout à fait inexact que la motion du transfert du siège de l’Union amicale des amateurs d’échecs ait été adoptée à l’unanimité ; la remarque en a été faite à l’assemblée générale par les membres opposés à cette mesure, et leur réclamation à ce sujet a été reconnue exacte.
Il y a eu si peu unanimité, que cette mesure a provoqué la démission d’un certain nombre d’adhérents et de la majorité des membres de l’ancien comité de l’Union amicale, qui se sont immédiatement réunis pour constituer une nouvelle association à la Régence…
Lucien Lévy.

Mais le divorce est consommé. Il faudra attendre une quinzaine d'années pour que le café de la Régence retrouve ses lettres de noblesse pour un soubresaut final.

mercredi 6 juin 2012

La fin de l'U.A.A.R. (1ère partie)


Voici l’article qui signe la fin de l’occupation du Café de la Régence par les joueurs d’échecs à la fin de la première guerre mondiale.
Les différentes sources que j’ai trouvées montrent une désaffection par les joueurs du temple des Échecs à partir de 1918 et ce pour au moins une dizaine d’années.
Quelques années plus tard, en 1921, est créée la Fédération Française des Échecs puis la FIDE à l’initiative de cette même fédération (Et encore, avant 1921, j'ai trouvé trace dès 1919 d'un fédération française de joueurs d'échecs dont je reparlerai plus tard).

Mais vers 1930, sans doute à l’initiative d’un nouveau propriétaire O.Brun, ce lieu retrouve une certaine activité échiquéenne, avec notamment des tournois et des simultanées données par les meilleurs joueurs du monde.
La dernière trace connue à ce jour du jeu d’échecs dans le Café de la Régence date de 1943 avec ce tournoi international de Paris joué durant l’occupation allemande (voir un article précédent).
Merci une nouvelle fois à Etienne Cornil pour cette découverte qui devient donc la source la plus récente d’une activité échiquéenne au Café de la Régence.

La Stratégie, juin 1918 – article signé A.Geoffroy-Dausay (NDLR : pseudonyme d'Alphonse Goetz)

(Alphonse Goetz - Source l'excellent Héritage des Échecs Français)

« Le 18 juin, en assemblée générale extraordinaire, l’UNION AMICALE DES AMATEURS DE LA REGENCE a voté, à la presque unanimité des membres présents ou représentés, le transfert du siège social au Café de l’Univers, 159, rue Saint-Honoré.
L’ancien bureau ayant démissionné collectivement, l’assemblée a constitué le nouveau comité comme suit :
MM.G.Guyart, président ; J.Conti et R.de Lausun, vice-présidents ; E.Griotteray, secrétaire ; E.Betts, trésorier ; L.Clerc-Renaud et Elie Poltoratsky, conseillers.

Voici le fait dans toute sa simplicité. Quant aux raisons qui ont dicté ce vote, elles sont malaisées à résumer en quelques mots. Un grand nombre d’amateurs croyaient, à tort ou à raison, avoir des griefs contre le propriétaire ou le personnel du Café de la Régence. Ils ont agi en conséquence.
La question n’a plus d’ailleurs, à l’heure actuelle, qu’un intérêt rétrospectif.
Nous avons donc un centre échiquéen de plus à Paris. Tous les amis du noble jeu ne peuvent que s’en féliciter. Plus il y aura d’endroits où l’on cultive les échecs, plus le nombre des amateurs augmentera. Et il a besoin d’augmenter. Pour le moment je ne connais guère que cinq ou six lieux de réunion de joueurs d’échecs. Il devrait y en avoir dix fois autant.

Quant à la Régence, elle restera bien entendu la Régence, l’endroit connu dans les deux hémisphères pour être le temple des Echecs, un temps autour duquel deux siècles ont tissé une luxuriante frondaison d’histoire et de légendes.

La scission qui vient de se produire est, à mon avis, la conséquence de la fondation, en 1902, de l’UNION AMICALE DES AMATEURS DE LA RÉGENCE. J’ai toujours pensé que cette constitution, faite sous l’empire de la jeune vogue de la loi de 1901 sur les associations, a été une erreur.
Favorable aux seuls habitués, le régime ainsi institué lésait manifestement le propriétaire, qui n’était plus maître chez lui.

Jadis, quand un joueur croyait avoir à se plaindre, c’était une affaire personnelle entre lui et le patron. Maintenant pour une réponse brusque d’un garçon ou d’un gérant, pour une question d’éclairage ou de ventilation, c’est toute l’association qui se dressait contre le propriétaire. Si, pendant plus de douze ans, aucun de ces motifs n’a pris de forme aigüe, le mérite en revenait grandement au tact et à l’aménité de notre regretté président M.Deroste.

L’exode de l’UNION AMICALE, votée le 18 juin, n’est donc pas un simple incident, mais le résultat logique d’une situation instable. Si quelqu’un pouvait en être satisfait, ce devait être, à mon avis, le propriétaire de la Régence, qui recouvrait sa liberté. On aurait dû penser qu’il s’empresserait d’en profiter pour rétablir l’ancien régime, celui des frais pour l’usage de l’échiquier avec liberté complète pour tout le monde d’aller et de venir, liberté dont j’eusse été le premier à profiter.

Le Régence redevenait ainsi ce qu’elle était jadis, ce qu’elle n’aurait dû jamais cesser d’être.

Mais il faut croire que la fonction de membre d’un comité a un charme tout particulier, puisqu’il vient de se former déjà, à la Régence, une nouvelle association amicale.

Dans la logique des choses, cela devra nous amener, d’ici quelques années, un nouvel exode de sociétaires mécontents qui fonderont encore une autre réunion de joueurs d’échecs.
Et c’est ainsi que l’ASSOCIATION FRANÇAISE D’AMATEURS D’ÉCHECS « LA RÉGENCE » sera comme la ruche d’où essaimeront les clubs d’échecs destinés à orner les différents quartiers de Paris.

Ce sera un résultat auquel on ne pourra qu’applaudir. N’importe ! Moi j’aurai mieux aimé la Régence sans association, la liberté pour tous. »

(Le Café de l'Univers vers 1930 - Source Delcampe - On peut voir un petit bout du Café de la Régence sur l’extrême droite de la carte postale, les deux cafés étant très proches l'un de l'autre - NB : Une brasserie existe toujours à l'emplacement du café de l'Univers...)
 
Quelques lignes au-dessus de cet article se trouvait l’entrefilet suivant :

LES ÉCHECS DU PALAIS ROYAL. Sous ce titre un groupe important d’amateurs vient de se constituer en Société régulière avec capacité juridique conformément à la loi du 1er juillet 1901.
En une assemblée générale constitutive qui se tient le 25 mai, à laquelle assistent une centaine de sociétaires, la nouvelle association, après adoption des statuts, nomme son Comité composé de douze membres : MM.G.Guyard, président ; J.Conti, secrétaire ; Barreau, trésorier ; Bonnet, de Charmoy ; L.Clerc-Renaud ; A.Goetz ; Hunebelle ; R. de Lausun ; Martinot ; Merle et Dr Roux-Seignoret, conseillers.
Les réunions quotidiennes se tiennent au CAFE DE L’UNIVERS, 159, rue Saint-Honoré (place du Théâtre Français) où les sociétaires ont, par contrat, la libre disposition de tout le premier étage ».

vendredi 1 juin 2012

Samuel Rosenthal agressé !

Dans l'édition du Figaro du 3 septembre 1885 on apprend que la vie de Samuel Rosenthal a failli être écourtée suite à une violente agression dont il fut victime.

J'ai déjà eu l'occasion de parler brièvement de Samuel Rosenthal.
Ce nom ne dit probablement pas grand chose à beaucoup d'entre vous, et pourtant ce fut sans doute le plus fort joueur français des années 1870 / 1880.

(Le Figaro du 3 septembre 1885 - Source Gallica BNF)

Grande émotion hier soir au café de la Régence, parmi les joueurs d’échecs, qui, on le sait, s’y donnent rendez-vous. Ces messieurs venaient d’apprendre, par une dépêche datée de Trouville, que leur maître en cet art difficile, M. le professeur Rosenthal, avait failli, l’avant-veille, succomber dans une attaque nocturne.

M. Rosenthal sortait en effet à une heure avancée de la nuit du cercle de Trouville ; il rentrait chez lui, à Deauville, quand, sur le pont de la touque, il fut assailli par trois malfaiteurs. 
Frappé à la tête d’un coup de poing américain, il tomba. Mais heureusement son chapeau avait amorti la violence du coup.
Les bandits, après avoir dévalisé leur victime, s’apprêtaient à le jeter à l’eau quand ils furent effrayés par l’arrivée d’une voiture, et ils s’enfuirent. 
M. Rosenthal fut transporté à son domicile par les arrivants, et il reprit connaissance.
Le médecin promet, parait-il, son prompt rétablissement, et les joueurs d’échecs de la Régence espèrent qu’ils retrouveront bientôt leur habile adversaire.


(Samuel Rosenthal)