samedi 8 octobre 2011

Joueur de quilles, mazette …

Le jeu à handicap est partie intégrante du jeu d’échecs durant près de deux siècles au Café de la Régence, c'est-à-dire quasiment du début du XVIIIème à la fin du XIXème siècle. 
Le handicap se concrétise le plus souvent par un avantage matériel pour le joueur le plus faible.

Lorsque deux adversaires sont de même niveau ou qu’ils s’estiment comme tel, alors ils jouent « à but » c'est-à-dire avec toutes les pièces sur l’échiquier. J’ignore d’où provient cette expression « à but » mais elle se retrouve très souvent jusqu’à la fin du XIXème siècle.

Voici un extrait du livre sur Philidor de Sergio Boffa au sujet du jeu à handicap :

« Le jeu à handicap se pratique lorsque les adversaires sont d’un niveau trop inégal. Il ne s’agit pas simplement de fair-play. L’aspect financier joue un rôle non négligeable. Les forts joueurs de l’époque auraient en effet eu bien du mal à trouver un adversaire prêt à risquer une somme d’argent dans une partie perdue d’avance. Grâce  au handicap, le joueur le plus fort n’est plus inévitablement assuré du gain et les paris peuvent être ouverts (…)
Le jeu à handicap est à la mode dès le XVIème siècle. Damiano est le premier théoricien à analyser cette manière particulière de conduire la partie. Cette manière de jouer restera en vogue jusqu’à la fin du XIXème siècle. De nos jours, par contre, les parties à handicap sont très rares(…) »

Ci-dessous un extrait d’une lettre publiée dans le Palamède en 1845 qui donne quelques explications sur les niveaux des joueurs en fonction du handicap.

(Source image - Edmond Texier Tableaux de Paris 1852 BNF Gallica)

A Monsieur Gabriel C…., à ….
Paris, le 21 octobre 1844

Mon cher ami,

J’attends avec impatience votre retour à Paris, que vous m’annoncez pour le mois prochain. Je suis curieux de connaître par moi-même ces progrès au jeu d’Echecs, dont vous me parlez avec tant de confiance. Vous me dites avoir fait à la campagne plus de cent parties avec mon vieux camarade N…., et vous êtes heureux d’être parvenu à balancer le succès avec lui.

Voilà un des plus précieux avantages de ce jeu, c’est que les amateurs de la force la plus médiocre, pardonnez-moi ce mot, y trouvent autant d’attrait que les plus habiles. Je connais le talent de N… aux Echecs, et je vous dirai avec franchise que je gémis de ne pas vous voir plus fort que lui. Je vous conseille donc de faire quelque étude pour arriver à pouvoir sinon jouer à but avec les maîtres, au moins à suivre leur partie avec intérêt et à la comprendre.

Sachez que tout amateur qui peut recevoir la Reine n’est (selon les forts) qu’un joueur de quilles. Ceux qui ne reçoivent plus que la Tour ne sont encore que des mazettes (toujours aux yeux des forts). Celui a qui on ne peut plus rendre la Tour est un joueur au Cavalier. Or, un joueur qui reçoit une pièce n’est pas même classé. On ne commence à être compté pour joueur d’Echecs que lorsqu’on peut lutter contre les géants de la science à Pion et deux traits, à Pion et trait, à Pion pour trait, etc., etc.

Quant à la désignation de mazette, elle n’est pourtant pas à dédaigner. Un amateur qui sur dix parties à la Tour en gagnerait cinq contre nos plus forts joueurs, pourrait dans tout nos salons faire sa partie avec succès. Il faut donc d’abord vous mettre en mesure de passer de la classe des joueurs de quilles dans celle des mazettes.

Pour cela vous n’avez qu’à suivre seul les leçons élémentaires du Palamède, depuis le premier numéro jusqu’au dernier. Avant de jouer le coup indiqué dans le livre, regardez attentivement la position, et demandez-vous ce que vous joueriez, si vous aviez la conduite de la partie ; puis comparez votre coup à celui qui est indiqué. (…) 

Votre dévoué, SAINT-ELME LEDUC.

Enfin pour terminer, à ma connaissance l’expression de « joueur de quilles » n’est plus usitée, mais « mazette » est toujours d’actualité ! 
Voici un lien sur un débat étymologique au sujet du mot "mazette".



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire