samedi 3 octobre 2020

Un brevet étonnant déposé par Saint-Amant

Saint-Amant est un aventurier et un touche à tout aux multiples facettes.

Pierre Charles Fournier de Saint-Amant

Ainsi vous pouvez trouver dans la base des brevets du 19ème siècle de l'INPI (Institut National de la Propriété Intellectuelle) un brevet sur des procédés de conservation des jaunes d’œufs et leurs applications, qu'il déposa en 1847 avec un pharmacien dénommé Jean-Baptiste Augier.


Les références de ce brevet

Dans l'Annuaire du commerce de Paris de 1847 on s’aperçoit que les deux hommes travaillent à la même adresse, 42 rue Saint-Thomas du Louvre (rue aujourd'hui disparue).


Source Gallica

C'est là que se trouve la société de vente de vin en gros de Saint-Amant, à deux pas du Café de la Régence. Dans l'Annuaire du commerce de Paris de 1847 il est indiqué "Augier-Robert et Cie, poudre dite albumine pour clarifier les vins".
C'est peut-être en manipulant des œufs que les deux compères ont découvert ce qui deviendra un brevet sur la conservation des jaunes d’œufs...

Le brevet est accompagné de la lettre suivante 

Source INPI - Avec notamment l'autographe de Saint-Amant


Paris, le 14 janvier 1847

Monsieur le Ministre,

Nous avons l'honneur de vous prier de vouloir bien nous accorder un Brevet d'Invention de quinze années pour les procédés de conservation des jaunes d’œufs et leurs applications, suivant la description que nous avons déposé ce jour à la Préfecture de la Seine. 
Nous nous conformons aux prescriptions de la Loi du 8 juillet 1844, et aux ordres que Votre Excellence donnera pour la régularisation de ce Brevet.

Agréer, Monsieur le Ministre, l'hommage de notre respect.
Augier   Saint-Amant

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Voici le texte de ce brevet retranscrit par Pierre Baudrier dans un article paru dans Europe Échecs n°268 d'avril 1981. Pierre Baudrier donne également quelques informations intéressantes sur Saint-Amant.


ECHECS et SUCCES MECONNUS 
Par P. BAUDRIER 
SAINT-AMANT CHERCHEUR D'OR 

Pierre Baudrier, incontournable pour ses recherches sur Deschapelles et Saint-Amant, que je remercie tout particulièrement.

Dans sa thèse sur les Etats-Unis devant l'opinion française de 1815 à 1852, l'historien René Rémond consacre quatre pages (1) à Pierre, Charles Fournier-Saint-Amant, champion d'échecs français contemporain de Deschapelles et La Bourdonnais qui, sous la IIè République, avait participé à la ruée vers l'or de Californie. 

Saint-Amant avait alors revendu son commerce de vins pour mener une vie politique mouvementée. Déjà, en 1847, il avait été reçu en audience par Louis-Philippe alors qu'il était capitaine de la Garde Nationale en faction aux Tuileries. En février 1848, Lamartine l'en avait pourtant nommé gouverneur et c'est en 1851 qu'il était parti pour les Etats—Unis où il espérait obtenir du Prince-Président français le consulat de Sacramento. Son espoir fut déçu. A vrai dire, Saint-Amant avait une prédisposition insolite pour le métier de chercheur d'or. 

Le 16 janvier 1847, la vérité dépassant la fiction, il avait déposé un brevet pour la conservation des jaunes d'œufs, portant le numéro 4878, dont voici le texte :


Demande par Jean-Baptiste Augier, pharmacien, demeurant rue Notre-Dame-des-Champs 2 bis, et Charles Fournier Saint-Amant, négociant en vins, demeurant rue Saint Thomas du Louvre 42, d'un brevet d'invention de quinze ans pour des procédés de conservation des jaunes d'œufs et leurs applications. 
1° à l'habillage de peaux dans l'art de la mégisserie et de la ganterie
2° à remplacer la pâte d'amande dans la toilette. 

Mémoire descriptif 

Nous mettons les jaunes d'œufs dans une bassine de terre bien vernie et aussi évasée que possible, nous ajoutons cinq grammes de chlorure de sodium par livre de jaune d'œufs liquide, nous plaçons cette bassine dans un bain-marie que nous tenons chauffé à une température constante de 35 °. Nous remuons la masse pour faciliter l'évaporation aqueuse : lorsque la masse en se concentrant est arrivée à la consistance d'un miel épais nous l'étendons par couches minces sur des jattes vernies ou sur tous autres vases plats non attaquables par les jaunes d'œufs. 

Nous mettons ces vases dans une étuve marquant tout au plus 30° degrés de chaleur ou à l'air libre si c'est en été. Deux ou trois jours après la masse s'écaille et une certaine quantité d'huile liquide de jaune d'œufs se sépare. Dès lors nous plaçons ces vases sur un plan incliné disposé pour les recevoir et pour recueillir cette huile. Nous laissons s'opérer cette transsudation durant environ vingt-quatre heures : ensuite nous prenons avec soin cette masse d'écailles ; nous l'introduisons dans des sacs de toile de coutil pour en former des gâteaux : nous empilons ces gâteaux les uns sur les autres entre la deux plaques d'étain d'une presse destinée à cela. 

Nous exerçons une pression graduée qui peu à peu finit par devenir très forte et nous obtenons ainsi une nouvelle quantité d'huile liquide de jaunes d'œufs que nous laissons poser, que nous filtrons au papier et que nous conservons soit avec la première obtenue, soit séparément dans des bouteilles bien sèches et que nous bouchons avec soin. L'huile liquide de jaune d'œufs obtenue de cette manière se conserve longtemps dans un grand état de fraîcheur. 

D'autre part nous réduisons en poudre grossière, au moyen d'un moulin à bras, ou d'un mortier, le tourteau ou résidu ; nous aidons cette pulvérisation par l'addition de cent grammes d'amidon en poudre torréfié pour un kilogramme de résidu, ou mieux encore par une égale quantité de fécule de pommes de terre aussi torréfiée. 

Nous obtenons ainsi une poudre que nous tassons très fortement couche par couche dans des caisses garnies d'étain ou des jarres de terre vernies, fermant le tout le mieux possible. Ainsi obtenue, ainsi tassée, cette poudre qui est d'un beau jaune et peu huileuse, ne s'altère pas de très longtemps. L'huile de jaune d'œuf telle qu'on l'obtient dans les laboratoires, c'est-à-dire au moyen d'une plus forte chaleur ou bien par le secours de l'alcool ou de l'éther contient deux huiles dont l'une est solide à la température de l'atmosphère, tandis que l'autre est liquide à cette température. Il en résulte nécessairement qu'elles se séparent l'une de l'autre à mesure qu'elles se refroidissent. 

En opérant d'après notre procédé, c'est-à-dire à une basse température, nous avons l'avantage : 
1°— d'obtenir de l'huile liquide, la seule employée, dégagée de l'huile concrète et des mucosités que son extraction à chaud y aurait entraînées. 
2°— De ne point déterminer un commencement d'altération dans l'une ou l'autre huile par élévation de température. 
3°— De ne pas cuire la substance de jaune d'œuf que nous pouvons utiliser ensuite. 
4°— De pouvoir à notre gré modifier les proportions des principaux éléments constitutifs du jaune d'œuf selon l'indication qu'il faut remplir et comme nous allons le décrire. 


Jaunes d'œufs conservés pour la mégisserie. 

Sur commande et le plus près possible de l'époque de la livraison nous faisons broyer entre quatre cylindres disposés sur champ, comme on le fait pour le broyage du chocolat, nos jaunes d'œufs conservés et contenant l'huile concrète. Nous incorporons, pendant ce broyage, et petit à petit, l'huile liquide que nous en avions extraite et nous en obtenons ainsi une masse pulvérulente légèrement humide, douce au toucher et dont la solubilité dans l'eau et l'action sur les peaux ne laissent rien à désirer. 

Nous avons même réussi à y incorporer une quantité d'huile de jaune d'œufs supérieure à celle que nous en avions enlevée, et ce changement de proportions a donné sur les peaux un résultat sensiblement plus beau que celui des jaunes d'œufs frais. Cette observation nous a fait penser au moyen d'utiliser le jaune d'œuf privé de son huile liquide et la parfumerie nous en a offert une application naturelle et immédiate. 

Poudre de jaunes d'œufs parfumée pour remplacer la pâte d'amande 

Nous passons au cylindre, et de la manière indiquée ci-dessus, mais sans y ajouter l'huile liquide, les jaunes d'œufs conservés, nous obtenons une poudre impalpable que nous parfumons de diverses manières. Cette poudre est d'un beau jaune, se conserve parfaitement et jouit d'une manière irrécusable de la propriété d'assouplir et de nettoyer la peau. Il faut l'employer de la même manière que la pâte d'amandes et la délayer de préférence avec l'eau chaude.
 
Paris, le 14 janvier 1847. 
Signé : Augier Saint-Amant. 
Vu pour être annexé au brevet de quinze ans, pris le 16 janvier 1847 par les Sieurs Augier et Fournier Saint-Amant. Paris, le 20 février 1847. 
Pour le Ministre et par délégation : Le Conseiller d'Etat, Secrétaire Général. 
Signé : Illisible. 


Finalement, Saint-Amant n'avait pas lâché la proie pour l'ombre en abandonnant, en pleine crise économique, le commerce du vin et le jaune d'œuf pour l'or de Californie. Il fut nommé administrateur de la Société aurifère de Cayenne en 1856 et se retira en 1861 au château d'Hydra, près d'Alger, à Birmandreis, où il décéda en 1872.  

(1) Rémond (René).— Les Etats—Unis devant l'opinion française 1815-1852. Tome premier.— Paris, A. Colin, 1962, pp. 106-109 (Cahiers de la Fondation Nationale des Sciences Politiques. 116.) 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire