Depuis pas mal de temps déjà, je cherche une photographie de la tombe de Saint-Amant (décédé à Birmandreïs en 1872 près d'Alger), si celle-ci existe toujours bien entendu. Sans succès j'ai aussi contacté la Fédération Algérienne des Échecs qui ne m'a hélas même pas répondu.
Saint-Amant vers 1860Et de référence en référence, j'ai fini par trouver un article à ce sujet dans la revue Europe Échecs numéro 28 d'avril 1961. Je remercie tout particulièrement Thierry Lafargue de m'avoir fait parvenir une copie de l'article (voir plus bas).
A noter qu'en 2015, un court séjour à Londres m'avait permis de retrouver la tombe de La Bourdonnais, et émettre des hypothèses quant à celle de Philidor.
Pour Deschapelles le sujet est hélas clos, car la concession au cimetière du Père Lachaise à Paris étant abandonnée a été reprise par un arrêté préfectoral du 12 Janvier 1967 et les ossements placés à l’ossuaire prévu à cet effet (Pierre Baudrier).
Mais revenons à Saint-Amant.
Si on fait confiance à son acte de décès consultable en ligne, il meurt le 28 octobre 1872, et non le 29 octobre comme cela est indiqué un peu partout y compris sur sa tombe (voir plus bas).
En voici le texte retranscrit :
n°20
FOURNIER SAINT-AMANT Pierre Charles, décédé le 28 Octobre 1872
L'an mil hui cent soixante douze le vingt neuf Octobre à sept heure du matin -
Par devant nous François Latour, maire officier de l'état civil de la commune de Birmandreïs,
arrondissement d'Alger, sont comparus les sieurs Michel Denis, rentier, âgé de soixante deux ans et
Gomilla Raphaël cultivateur âgé de quarante ans, tous deux domiciliés à Birmandreïs.
Lesquels nous ont déclaré que le jour d'hier à trois heures de l'après-midi est décédé en son
domicile le sieur Fournier Saint-Amant Pierre Charles propriétaire demeurant au Château d'Hydra
commune de Birmandreïs, époux de dame Siblac Marie demeurant avec lui.
Et ont le sieur Michel premier témoin signé avec nous le présent acte, le second témoin ayant
déclaré ne le savoir de ce requis après lecture faite.
Michel F.Latour
En novembre 1872, Jean Preti écrit un article au sujet du décès du dernier géant des échecs Français du XIXè siècle.
La Stratégie Novembre 1872
A la mémoire de Monsieur de Saint-Amant.
Dans notre dernier numéro, nous avions à remplir un bien triste ministère, et il en a coûté à notre plume comme à notre cœur d’écrire ce mot cruel : Saint-Amant n’est plus. Depuis longtemps il nous honorait d’une amitié qui n’éprouva jamais de défaillance.
Ainsi que nous l’avons dit, il a succombé aux suites d’une chute de voiture, le 29 octobre dernier. Année néfaste qui vient de frapper presque coup sur coup deux amis intimes, glorieux appuis de l’école française ; deux des deux plus grandes célébrités de l’échiquier : Jaenisch et Saint-Amant !!!
Nous avons pensé que nos lecteurs, parmi lesquels Saint-Amant comptait tant d’amis et d’admirateurs, recevront avec bonheur les quelques renseignements que nous avons pu recueillir sur la vie d’un homme qui mériterait un livre. Par une fatalité déplorable il se trouve que l’homme le plus capable de parler sur la tombe de Saint-Amant, est enchaîné loin de nous par une cruelle maladie.
C’était à M. Delannoy, l’admirateur enthousiaste de l’illustre défunt, son panégyriste en tant d’occasions, de payer à sa mémoire la dette sacrée d’une longue et ardente amitié, et d’élever à la hauteur méritée le grand écrivain, le puissant joueur qui, à une époque, nous nous en souvenons tous, avait, à la Régence, rempli le vide laissé par Deschapelles et La Bourdonnais.
S’il était reste un peu au-dessous du niveau de ses grands maîtres, il avait conquis un autre genre de gloire plus rare, plus digne d’envie que la force qui humilie le vaincu : celle du beau joueur par excellence.
Les lecteurs de la Stratégie raisonnée des Ouvertures se rappellent que, forts de l’autorité de G. Walker, nous avons choisi M. de Saint-Amant pour type du joueur aimable, et nous ne pouvons résister au plaisir de dire une fois de plus, avec l’illustre ami d’outre-mer : « Aucun joueur français n’a de manières plus aimables et plus distinguées ; aucun ne se montre plus obligeant que lui. Jamais il ne se moque d’un mauvais joueur ; jamais il ne se raille des malheureux ; jamais il n’insulte les vaincus ; et pourtant il aurait, plus que tout autre, le droit d’être fier de son mérite. »
Pierre-Charles Fournier de Saint-Amant naquit le 12 septembre 1800, au château de Latour, près Montflanquin ; ce château appartient encore à l’ainé des Fournier de Saint-Amant, qui sont les descendants des chevaliers Fournier de Saint-Amant, dont la noblesse remonte à Henri IV.
A l’âge de 19 ans, de Saint-Amant partit pour Cayenne en qualité de secrétaire particulier du gouverneur, M. de Lanssade. Son esprit, ses manières distinguées, lui valurent de la part des principaux créoles l’accueil le plus bienveillant ; mais bientôt son jeune cœur se révolta de voir comment on traitait les esclaves, il publia un ouvrage en faveur de la liberté des noirs.
L’administration de la marine, fort mécontente, le remercia ; il vint à Paris et se fit journaliste. Ce fut vers cette époque qu’il connut les grand maîtres Deschapelles et La Bourdonnais et que commença sa passion pour les Échecs. En peu d’années, il devint un des plus forts amateurs. A la mort de La Bourdonnais, il continua la publication du Palamède, dont la collection sera toujours un véritable bijou pour les joueurs d’échecs.
En 1843, il était à l’apogée de sa gloire échiquéenne, et reconnu par toutes les nations comme le plus fort joueur de cette époque, lorsqu’il fut provoqué par M. Staunton, le champion de l’Angleterre. Deux matchs furent joués ; le premier, qui n’était que de six parties, fut gagné par M. de Saint-Amant, à Londres ; le second, de 21 parties, fut gagné par M. Staunton, à Paris.
Dans cette mémorable lutte, Saint-Amant fit preuve d’une fermeté, d’une énergie vraiment incroyable ; après avoir perdu les sept premières parties, loin de se décourager, il puisa en quelque sorte dans sa défaite une nouvelle force et parvint à gagner six parties, tandis que son terrible adversaire n’en gagnait que quatre. Il a été fait une admirable gravure qui représente les deux champions jouant une partie ; ils sont entourés de témoins et de quelques membres du cercle de Paris. Toutes les physionomies sont très exactes et très ressemblantes.
De 1842 à 1848, tout en s’occupant d’Échecs, il fut administrateur et rédacteur du journal « le Temps » et il tenait un commerce de vins fins. Quand vint la Révolution, il était depuis 10 ans capitaine de la garde nationale et quand le peuple eut envahi l’Hôtel-de-Ville, ce fut lui qui accompagna M. de Lamartine jusqu’au siège du gouvernement provisoire.
C’est à lui que Lamartine avait dit : « Saint-Amant, allez sauver les Tuileries ». Nommé séance tenante gouverneur des Tuileries avec ordre de les sauver du feu et du pillage, il s’entoura des élèves des écoles polytechniques et de Saint-Cyr, et avec leur concours dévoué, il parvint, après mille dangers, à les faire évacuer. Vingt-trois ans plus tard, il nous écrivait : « J’ai failli périr plusieurs fois en 1848, pour les préserver du feu qui vient de les dévorer ».
Après la Révolution, il abandonna presque les Échecs, ou du moins ne rechercha plus les grandes luttes ; il se passionna pour la littérature et les voyages, et il publia successivement le récit de ses voyages en Californie et dans l’Orégon ; le guide aux régions du Pacifique ; le second Versailles.
Vers 1854, il fit sur les vins de Bordeaux un ouvrage qui eut beaucoup de succès. Nommé avec Henry Sauvage, administrateur de la Société aurifère de Cayenne, il écrivit en 1856 l’ouvrage intitulé : La Guyane française, et ses mines d’or ; puis les Cannibales blancs, etc., etc.
En 1861, il se retira au château d’Hydra, près d’Alger. Là, il vivait heureux au milieu des siens, s’occupant toujours un peu d’Échecs et beaucoup de littérature. Il faisait partie de la Société des gens de lettres depuis trente-six ans. Sa place y avait été marquée par tous ceux qui savent rendre justice au talent, à l’élévation du caractère, et à cette exquise politesse qu’on retrouve difficilement ailleurs que chez ces vielles familles auxquelles appartenait Saint-Amant.
J.PRETI
La tombe de Saint-Amant en 1961 - cimetière de Birmandreïs.
La photo n'est pas de très bonne qualité et je remercie toute personne qui pourra m'en fournir une de meilleure qualité.
Mais cette tombe existe-t-elle toujours ?
Voici l'article paru dans Europe Échecs et qui apporte tous les éclaircissements au sujet de cette tombe.
La tombe de Saint-Amant, par Louis Mandy, Europe Échecs numéro 28 - Avril 1961.
Notez que Louis Mandy écrit vers la fin de son article : cette terre algérienne où se joue présentement une si dramatique partie. Il s'agit évidemment de la guerre d'Algérie.
La tombe de Saint-Amant, Par Louis Mandy
Retiré au château d'Hydra, à Birmandreïs, commune de la banlieue algéroise, Saint-Amant y décéda le 29 octobre 1872 dans la soixante-treizième année de son âge, des suites d'une chute de voiture. Il fut inhumé au cimetière de sa résidence et sa tombe existe toujours. Il s'agit de la concession à perpétuité n°58, carré H. Ajoutons pour les amateurs de comparaisons, que sa veuve en fit l'acquisition le premier avril 1874 pour la somme de ... 60 francs, ce qui, malgré la date, ne constitue nullement une plaisanterie.
Cette sépulture, très sobre de ligne, se compose d'un socle surmonté d'une colonne brisée.
Sur le socle une plaque porte l'inscription suivante, encore parfaitement lisible :
Ici repose
Pierre-Charles
FOURNIER
de SAINT-AMANT
Homme de lettres
décédé
en son château
d'Hydra
le 29 octobre 1872
dans sa 73ème année.
Devant le socle, une dalle, légèrement inclinée, a, du haut de sa position, beaucoup plus que le reste du monument, souffert des injures du temps et s'est brisée en deux parties dans le sens de la largeur. Un angle a, de plus, été écorné.
Sur cette dalle de marbre figure une longueur inscription, rongée en partie par la mousse, mais dont le texte à peu près intégral a pu être reconstitué grâces aux patients et diligents efforts de mon aimable correspondant d'Alger à qui j'exprime mes chaleureux remerciements : M. le docteur Jean Lartigue.
Ce dernier n'a pas ménagé ni son temps ni sa peine pour rechercher cette sépulture, la photographier et se livrer à un savant grattage et nettoyage de la dalle, alors en grande partie illisible, afin de lui arracher son secret.
Voici cette inscription, curieusement dithyrambique, oeuvre de sa veuve :
ADIEU MON ÉPOUX BIEN-AIME ADIEU
TU AS REMPLI TA MISSION ICI-BAS
TON CORPS A ÉTÉ BRISE COMME CETTE COLONNE
TON GÉNIE ET TES ÉCRITS TE SURVIVRONT
TU AS CONSACRE TA VIE A PROPAGER
LA FRATERNITÉ ET LA PAIX PARMI LES HOMMES
EN 1848 LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE
TE CONFIA UNE DES PLUS GRANDES MISSIONS
EN TÉMOIGNAGE DE SA CONFIANCE
IL TE DIT ALLEZ GOUVERNER ................
ET CETTE MISSION TU SUS LA REMPLIR
TU TROUVES HAINE AVANT TA RÉCOMPENSE
DANS UN MONDE MEILLEUR
TU EMPORTES DANS TA TOMBE
LE MODÈLE ET L'EXEMPLE
DE CEUX QUI N'ONT QU'UNE AMBITION
LA GLOIRE DE LA FRANCE
ET LA LIBERTÉ DES PEUPLES
A BIENTÔT NOTRE RÉUNION ÉTERNELLE
La dixième ligne, du fait de la détérioration de la plaque à cet endroit, est la seule qui n'a pu être intégralement reconstituée. Mais cela ne pose aucun problème. Il ne peut s'agir ici que d'une allusion à la mission confiée par Lamartine, chef du Gouvernement provisoire en 1848, à Saint-Amant, et heureusement menée par ce dernier.
On sait en effet que : "Lorsque la Révolution éclata, Saint-Amant était depuis dix ans capitaine de la Garde Nationale et quand le peuple eut envahi l'Hôtel de Ville, ce fut lui qui accompagna M. de Lamartine jusqu'au siège du Gouvernement provisoire. C'est à lui que Lamartine avait dit : "Saint-Amant, allez sauver les Tuileries."
Nommé séance tenante Gouverneur des Tuileries avec ordre de les sauver du feu et du pillage, il s'entoura des élèves des écoles Polytechniques et de Saint-Cyr et, avec leur concours dévoué, il parvint, après mille dangers, à les faire évacuer." C'est donc sans la moindre témérité que l'ont peut reconstituer le texte de cette dixième ligne de la façon suivante :
IL TE DIT ALLEZ GOUVERNER LES TUILERIES.
Quelque disciple de Caïssa va-t-il encore, de temps à autre, se recueillir sur la tombe de ce célèbre publiciste et joueur d'Échecs Français qui a choisi, pour y finir ses jours et y dormir son dernier sommeil, cette terre algérienne où se joue présentement une si dramatique partie ?
Cette modeste chronique, en révélant l'existence et la position de cette tombe ravivera-t-elle chez quelque lecteur algérois le culte du souvenir et fera-t-elle naître en lui le désir d'aller rendre hommage à la mémoire de l'un des plus illustres représentants de l'échiquier français au siècle dernier ?
Ce souhait sera ma seule conclusion.
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