dimanche 8 octobre 2023

La situation des échecs en France avant l’Exposition universelle de Paris en 1889

Après les prémices d’une association de joueurs d’échecs Français, vues dans un précédent article, il ne se passe pas grand-chose concernant ce beau projet de création d’une association ou d'une fédération des joueurs d’échecs Français entre 1874 et 1886 environ. Mais plusieurs évènements d’importance pour les échecs en France se déroulent durant cette période.
 
Panorama sur les Palais de l’Exposition Universelle de Paris en 1878 
Musée Carnavalet.

Pour résumer :
1878 – Deuxième tournoi international de Paris remporté par Johannes Zukertort durant l’exposition universelle.
Le Français d’origine (Albert Clerc) et d’adoption (Samuel Rosenthal) ne brillent pas et se classent respectivement 9ème et 8ème sur 12 participants.

Puis le nouveau Cercle des Échecs de Paris, fondé en 1879, au 11 rue du Beaujolais, derrière le Palais-Royal, organise l’ancêtre du championnat de France d’échecs.

1880Premier tournoi national remporté par Samuel Rosenthal. A noter qu’à cette date Samuel Rosenthal n’est pas encore admis à domicile (étape précédant la naturalisation) et il n’est donc pas Français.
1881Deuxième tournoi national remporté par Edward Chamier, avec un point de règlement qui empêche Samuel Rosenthal de défendre son titre.
1883Troisième tournoi national remporté par Albert Clerc.   

Ce point de règlement qui empêche Samuel Rosenthal de défendre son titre de « champion Français » en 1881 n’est pas anodin et provoque sans doute des rancœurs.
 
Revue Encyclopédique - Avril 1894 - Gallica
Quelques membres du Grand Tournoi international d'échecs de 1878
 
En 1884 a lieu le match par correspondance entre Paris et Vienne, tournant des échecs en France en cette fin du XIXème siècle. Un incident assez banal prend des proportions imaginables. J’ai consacré un article à cet incident.
Les meilleurs joueurs d’échecs Français se déchirent. D’un côté Jules Arnous de Rivière, Albert Clerc et Edward Chamier, tous les trois liés au Café de la Régence, et de l’autre Samuel Rosenthal, qui ne remettra plus les pieds à la Régence, et œuvrera désormais au Grand cercle et cercle des échecs, 16 boulevard Montmartre.

Un peu plus tard, la revue La Stratégie d’août 1889 montre la pauvreté des échecs en France. Seuls treize lieux de réunion de joueurs d’échecs sont recensés en France contre plusieurs centaines en Angleterre… 
 
La Stratégie août 1889

Les questions centrales sont alors les suivantes : y-aura-t-il un grand tournoi à Paris à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889 ? N’est-ce pas là l’occasion de fédérer les joueurs d’échecs Français autour de ce beau projet ?

Ça semble mal parti, car deux ans après l’incident du match Paris Vienne par correspondance, nous sommes en 1886 et voici deux exemples de ce qu’écrit Jules Arnous de Rivière dans le journal Gil Blas, et la réponse de Numa Préti directeur de La Stratégie.
 
Gil Blas 9 août 1886 - Retronews

Jean Taubenhaus est arrivé en France en fin d’année 1882. Polonais d’origine il devient très vite une figure marquante de la Régence. Il faut lire entre les lignes. C’est véritablement Samuel Rosenthal qui est visé par Jules Arnous de Rivière.

CHAMPION FRANÇAIS
 
Le beau titre de Champion français ne doit pas être donné, nous dit-on, à un étranger ; si sympathique que soit M. Taubenhaus et bien que sa force aux échecs ait été acquise en France, au café de la Régence, M. Taubenhaus n'est pas plus notre champion que ne l'ont été avant lui les Livoniens, les Polonais, les Autrichiens et les Prussiens qui ont vécu à Paris et qui ont cherché, avec plus ou moins d'astuce, à battre monnaie à l'aide du titre ronflant de Champion français ; mieux vaut nous passer de champion que de hisser un étranger sur la glorieuse plateforme où les Philidor, les Deschapelles, les La Bourdonnais ont fait l'admiration du monde entier par la supériorité de leurs combinaisons.

Ce raisonnement est très juste et inattaquable. Quand donc il nous arrivera de décorer M. Taubenhaus du titre de Champion français, nos lecteurs voudront bien entendre que nous cédons par courtoisie à l'usage, abusivement introduit dans plus d'un pays, de considérer comme champion le joueur qui parait dans un tournoi international sous les couleurs de son pays d'adoption. C'est un abus; car si le champion acquiert une grande renommée, il sera réclamé par ses compatriotes comme appartenant à leur nationalité ; si, au contraire, ce champion ou soi-disant tel, est boulé d'une façon ridicule — ainsi que cela arrive fréquemment — ses nationaux s'empresseront de le jeter à la tête des... Français, trop hospitaliers. 
 

 

Gil Blas 13 septembre 1886 - Retronews

Dans cette chronique du journal Gil Blas, Jules Arnous de Rivière publie une partie d'échecs avec ses commentaires.
Il glisse alors un mot au sujet de la partie et fait des allusions marquées à Samuel Rosenthal qu'il qualifie "d'individualité absorbante".
 
 
 
 
 
 


Nous devons la communication de la partie qui précède, à l'obligeance de M. Numa Preti, et profitons de la circonstance pour engager les amateurs d’Échecs et de Dames à se procurer la feuille que M. Preti fait paraître le 15 de chaque mois, et qui forme à la fin de l'année un très intéressant recueil de parties et de Problèmes.
Malgré l'ennui qu'on éprouve à rencontrer presque à chaque page de « la Stratégie » le panégyrique ou les analyses d'une individualité absorbante, ce périodique rend des services réels et deviendra avec le temps moins exclusif. Après tout, M. Preti est maitre chez lui, et il se lassera d'accorder tant de latitude pour aboutir c'est forcé --- à la monotonie. 
Martin Gall 
 
Numa Préti, directeur de La Stratégie, lui répond

Depuis quelque temps M. Arnous de Rivière, sous le pseudonyme Martin Gall, publie chaque semaine dans le Gil Blas qui porte la date du lundi, une intéressante colonne d’échecs que nous recommandons à l’attention des amateurs.

Dans son numéro du 13 septembre dernier, il a bien voulu reproduire une partie de notre deuxième tournoi par correspondance entre MM. Desmarest et Amiros et il profite de cette circonstance pour recommander la Stratégie à ses lecteurs.

Malgré les réserves avec lesquelles notre confrère termine son article, nous le remercions vivement ; seulement, avec tout le respect que nous devons au doyen des joueurs français, nous lui témoignerons le regret de lui voir dépenser tant de talent dans une polémique personnelle et irritante qui n’est comprise et n’intéresse qu’un tout petit « clan d’amateurs » alors qu’en France nous aurions besoin de tant de concorde et d’union pour triompher de l’indifférence presque générale de nos concitoyens pour les échecs.


Bref, à trois ans de l’Exposition universelle de 1889 la concorde et l’union n’est pas vraiment là....
A suivre !

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