dimanche 30 mai 2021

Jules Grévy

Saviez-vous qu'un président de la République fut également un joueur d'échecs assidu du Café de la Régence ? Il s'agit de Jules Grévy, président de la République du 30 janvier 1879 au 2 décembre 1887, dont voici quelques informations à ce sujet. 

Vanity Fair - 12 juillet 1879 - Représentation de Jules Grévy, joueur de billard.

Un article de La Stratégie, publié au moment où il sera élu Président de la République en 1879, semble indiquer que son niveau aux échecs était tout à fait honorable. En tout cas durant son mandat aux plus hautes fonctions de l’état, Jules Grévy n’oubliera jamais les joueurs d’échecs.

La Stratégie – Février 1879

« M. Grévy, le nouveau Président de la République française, est un très fort amateur d’échecs. Sous l’Empire, alors qu’il se tenait éloigné de la politique, combien de fois, dans ses loisirs, l’avons-nous vu, au café de la Régence, chercher dans les échecs à employer l’activité de son esprit ? Combien de fois notre vénérable directeur, M. Jean Preti, a-t-il eu l’honneur de lutter avec lui ? 

Les débuts favoris de M. Grévy étaient les gambits quand il jouait le premier, et le contre-gambit Greco dans la partie du Cavalier Roi, lorsqu’il n’avait pas le trait. Jouant contre un théoricien, il en résultait pour lui une infériorité relative dans ce dernier début, il combinait si bien et si vite le coup à plusieurs fins, que bien souvent il triomphait. 

Depuis dix ans que M. Grévy est de nouveau rentré dans la vie publique, il a totalement renoncé aux échecs, non pas, nous en sommes certains, qu’il n’aime plus cette noble distraction, mais les besoins de sa patrie lui tracent des devoirs, et M. Grévy, dans ce cas, tout le monde le reconnait, ne marchande ni son dévouement ni son intérêt. »


Le 11 novembre 1882, le journal Le Gaulois publie un papier sur l'amitié de jeunesse entre Jules Grévy et le poète Alfred de Musset. Ils ont une passion commune avec le jeu d’échecs, et leur rencontre date approximativement de 1835. Voici des extraits de cet article.

« (…)
Mais ce n’est point à cette époque que M. Grévy a connu Alfred de Musset. Il ne connut pas le jeune homme mince et blond, aux moustaches naissantes, aux cheveux bouclés, rejetés en touffe d’un côté de la tête, avec l’habit vert très serré à la taille.

Il connut, quelques années plus tard, le Musset plus mûr, devenu vite ombrageux, inquiet et décevant, le Musset défloré, incertain, maniaque et surexcité, le Musset après le voyage à Venise et la brouille avec George Sand, le Musset monomane, qui faisait tenir en équilibre, dans sa chambre, pelles, pincettes, cannes et parapluies, et qui disait d’un air effaré de malade, à ceux qui venaient le voir : « N’approchez pas… » Il connut le Musset des filles banales, le Musset du café de la Régence, installé dans l’ivresse entêtante de l’absinthe et des cigarettes sans nombre, le Musset absorbé dans des parties d’échecs, sans fin…

Musset au Café de la Régence – par Edward Loevy – Illustration du fascicule paru en 1906 sous la plume d’Ernest Petit intitulé « Du coin de mon feu à Alfred de Musset »

(…)
La passion machinale que le poète avait pour les échecs le rapprocha du jeune avocat, qui se plaisait déjà aux jeux de toute sorte, et qui occupait les loisirs que lui laissait son inoccupation à pousser une bille ou un pion, pendant de longues heures, avec la gravité attentive qu’on lui connaît. Car M. Grévy jeune était déjà un homme grave. Grévy était arrivé du Jura à Paris quelque temps avant la révolution de 1830. Il avait fait son droit, suivi les conférences de l’Athénée et était entré au barreau. (…) Ce ne fut que plus tard qu’il habita le 15, puis le 45 de la rue Richelieu. Il n’avait, de toute façon, que quelques pas à faire pour être au café de la Régence, et cette commodité fit naturellement de lui un des clients les plus assidus de ce café.

(…)
M. Grévy, quoi qu’il en parût d’abord, était assez le compagnon qu’il fallait à Musset. Car, bien que le poète eût la manie des calembours, des je le crains de cheval, des avec quel as perds-je et la connaissance de Karr à fond, Musset n’était point gai, il avait aussi sa gravité et son dandysme, buvait et aimait les femmes.

(…)
Grévy rendit d’ailleurs à Musset quelques services. Après la brouille avec George Sand, ce fut lui que Musset chargea de réclamer ses lettres à la maîtresse infidèle. Grévy écrivit une lettre d’avocat :
- Madame, chargé des intérêts de M. de Musset etc… » George Sand répondit qu’elle était en voyage et rendrait les lettres à son retour, ce qu’elle ne fit pas.
Et je crois bien qu’elle s’en servit pour son roman après la mort de Musset. Pour ceux qui connaissent bien M. Grévy, il n’y a rien que de naturel à le voir mêlé à ces amours fameuses.

(…) 
Musset et Grévy étaient amoureux de diverses façons, mais capable de s’entendre sur les femmes et les échecs. La liaison passagère qui unit pendant quelques années le poète de Rolla et l’avocat du café de la Régence méritait d’être rappelée en passant. Les petits faits certains qui marquèrent leur liaison n’ont rien d’intéressant en eux-mêmes, et je n’en aurais point parlé, comme je disais en commençant, si le poste qu’occupe M. Grévy n’attirait pas l’attention sur lui et ne donnait point une sorte d’intérêt à la chose.»

En septembre 1891, peu après le décès de Jules Grévy, La Stratégie donne quelques détails sur son action de soutien aux échecs en tant que Président de la République. 
Il a notamment offert des objets (vases, plats...) de la manufacture de Sèvres à plusieurs occasions, comme l'avait fait en 1867 Napoléon III à l'occasion du 1er grand tournoi international à Paris. Cette tradition des vases de Sèvres est toujours d'actualité pour le championnat de France d'échecs.

Remarquez aussi qu'un de ses amis proches est Albert Clerc, qu'il favorise si l'on peut dire en offrant un prix pour que le cercle de Besançon puisse organiser un grand tournoi national par correspondance. Le cercle de Besançon ayant été créé par... Albert Clerc.

« L’homme éminent qui vient de mourir a été toute sa vie un grand amateur des échecs. Sous l’Empire, alors qu’il ne prenait aucune part aux affaires publiques, il fréquentait assidûment le Café de la Régence et assistait aux luttes quotidiennes, soit comme combattant, soit comme spectateur. Plus tard, Président de la Chambre des Députés, puis Président de la République, il recevait, au moins une fois par semaine ses anciens amis et se délassait du souci des affaires de l’État en jouant aux échecs. Son adversaire habituel était M. A. Clerc, conseiller à la cour d’appel de Paris, l’un de nos plus forts joueurs, qui a pris part, non sans honneur, au tournoi international de Paris en 1878.

Plusieurs fois, M. J. Grévy a honoré publiquement les échecs de sa protection en offrant des prix, lesquels ont permis au Cercle des Échecs de Paris d’organiser des tournois nationaux en 1880, 1881, 1883, et au Cercle des Échecs de Besançon, des tournois par correspondance en 1885 et 1887 et certainement, si en 1889, il avait été encore au pouvoir, l’Exposition ne se serait pas passée sans tournoi international.

Nous saluons avec le plus profond respect la mémoire de J. Grévy et nous constatons que son grand amour des échecs met une fois de plus en évidence l’attrait irrésistible qu’offre notre beau jeu aux hommes d’une haute valeur intellectuelle. »

Voici les 3 parties connues de Jules Grévy.
Ces 3 parties apparaissent dans un article des Cahiers de l’Échiquier Français (32e cahier - 1932).


[Event "Café de la Régence"] [Site "?"] [Date "1856.??.??"] [Round "?"] [White "Grévy, Jules"] [Black "Clerc, Albert"] [Result "1-0"] [ECO "C39"] [PlyCount "59"] 1. e4 e5 2. f4 exf4 3. Nf3 g5 4. h4 g4 5. Ne5 h5 6. Bc4 Nh6 7. d4 f3 8. gxf3 d6 9. Nd3 Nc6 10. Be3 Bg7 11. c3 Qe7 12. Nf4 Bf6 13. Nxh5 Bxh4+ 14. Kd2 gxf3 15. Qxf3 Bg4 16. Ng7+ Kd7 17. Qg2 Rag8 18. Bxh6 Bg5+ 19. Kc2 Bxh6 20. Qxg4+ Kd8 21. Rxh6 Rxh6 22. Ne6+ fxe6 23. Qxg8+ Kd7 24. Nd2 Na5 25. Rf1 Rh7 26. Bxe6+ Kc6 27. b4 Rh2 28. Bd5+ Kb6 29. bxa5+ Kxa5 30. Qg3 1-0 [Event "Café de la Régence"] [Site "?"] [Date "1860.05.??"] [Round "?"] [White "Journoud, Paul"] [Black "Grévy, Jules"] [Result "1-0"] [ECO "C56"] [Annotator "La Régence - Juin 1860"] [PlyCount "44"] {Les deux parties suivantes furent publiées, en 1860-1861, par La Régence, Journoud en était le directeur. Par courtoisie envers l'éminent perdant, les Noirs ne sont pas nommés en toutes lettres, mais avec suppression de l'y,: M. Grév... (Cité par les Cahier de l'Echiquier Français - 32e cahier trimestriel - 1932 numéro IV)} 1. e4 e5 2. Nf3 Nc6 3. d4 exd4 4. Bc4 {Gambit Ecossais} Nf6 5. Ng5 Ne5 6. Qxd4 Nxc4 7. Qxc4 d5 8. exd5 Nxd5 9. O-O Be7 10. Nc3 c6 11. Nxd5 cxd5 12. Qb5+ Qd7 13. Qd3 Qf5 14. Re1 h6 15. Qe2 Qf6 16. h4 Bd7 17. b3 hxg5 18. Bxg5 Qe6 19. Qd2 Qc6 20. Rxe7+ Kf8 21. Rae1 Be6 22. R1xe6 fxe6 {Les Blancs annoncent mat en trois coups} 1-0 [Event "Café de la Régence"] [Site "?"] [Date "1861.07.??"] [Round "?"] [White "Journoud, Paul"] [Black "Grévy, Jules"] [Result "1-0"] [ECO "C00"] [Annotator "La Nouvelle Régence août 1861"] [PlyCount "48"] {Partie publiée dans la revue La Nouvelle Régence en août 1861 page 241.} 1. e4 c5 2. f4 e6 3. Nf3 d5 4. e5 Nc6 5. c4 d4 6. d3 Nh6 7. Be2 Be7 8. O-O O-O 9. h3 f6 10. Nbd2 Nf5 11. Ne4 fxe5 12. fxe5 Qc7 13. g4 Ne3 14. Bxe3 dxe3 15. Qc1 Nxe5 16. Qxe3 Nxf3+ 17. Rxf3 b6 18. Rxf8+ Bxf8 19. Rf1 Bb7 20. Ng5 e5 21. Bf3 Re8 22. Be4 h6 23. Rf7 Be7 24. Rxg7+ Kh8 {Les Blancs annoncent le mat en cinq coups } 1-0

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