jeudi 11 mai 2023

Une histoire de fumée

Le 30 novembre 1846, le journal Le Charivari, journal satirique, publie un article au sujet des fumeurs et du Café de la Régence. Nous sommes bien avant la loi Evin, et le propriétaire du Café de la Régence de l'époque, Claude Vielle, fait publier un droit de réponse le 2 décembre 1846.  

Un échange intéressant qui nous permet de connaitre quelques détails sur l'ancien Café de la Régence alors situé à l'angle de la Place du Palais-Royal et de la rue Saint-Honoré.

Le Charivari – 30 novembre 1846 - Retronews

La GLOIRE ET LA FUMÉE
Pour faire suite à la fumée de la gloire

(...) la population française, habituée à la fumée impériale, ne pouvait se consoler du départ de la gloire ; dans sa douleur, elle chercha dans le tabac une autre fumée.

L'habileté du gouvernement devait transformer ce besoin de fumée au profit du budget. Pour que le monopole des tabacs rapportât jusqu'à son dernier sou, il fallait, non plus que le Français soupirât après la fumée évanouie de sa gloire passée, mais qu'il vit de la gloire à aspirer de la fumée.
(...)

Il y avait donc à Paris un café de la Régence qui restait fermé aux produits de la régie. On y jouait aux échecs, on permettait le domino, mais on prohibait le cigare à la porte mieux qu'une contrefaçon belge à la douane.

Hélas ! l'incendie de fumée qui consume notre population vient d'atteindre le café de la Régence. Il aura craint peut-être de ne pas se trouver au niveau d'une nouvelle Régence, s'il n'entrait pas enfin dans le cercle tracé par M. Siméon, successeur de M. Nicot.

Il s'est voué au cigare comme les autres. Malheureux café !

Quand je dis café , je suis bien bon. Je ne sais trop pourquoi l'on appelle café des établissements où le café n'est plus que l'accessoire ; c'est tabac qu'il faut dire, si l'on craint de réveiller le nom de tabagie si bien trouvé par nos pères.

Et savez-vous les raisons que donne dans ses annonces le café de la Régence pour excuser cette palinodie qui m'a fait verser une demi-tasse de larmes ? « Son propriétaire n'aura plus, comme par le passé, le déplaisir de refuser une partie notable de sa clientèle pour laquelle l'habitude de fumer est devenue une nécessité. »

Ainsi la clientèle ne fumait pas par le passé, et cette habitude est devenue une nécessité. Pauvre humanité ! on se croyait autrefois tenu d'inscrire sur un écriteau quelconque : On ne fume pas ici. On en viendra à mettre dans toute salle de réunion : On doit fumer ici.

Et voici la réponse de Claude Vielle, publiée le 2 décembre 1846.
On note que Claude Vielle a réagi immédiatement, car son courrier est daté du 30 novembre...

Le Charivari – 2 décembre 1846 - Retronews

Paris, le 30 novembre 1846
A M. le rédacteur du Charivari

Monsieur,

Le petit article concernant le café de la Régence et les fumeurs, donne à croire au lecteur que le café de la Régence lui-même a été transformé en estaminet, ce qui n'est pas exact : car rien n'a été changé dans son ancien local. C'est une vaste salle ajoutée à côté de la première et tout à fait indépendante qui est affectée à MM. les fumeurs.
Comme cette croyance pourrait me nuire dans l'esprit de ma clientèle, j'aime à croire, monsieur le rédacteur, que votre impartialité vous fera accueillir et insérer dans votre prochain numéro cette explication, afin de détruire le fâcheux effet qu'aurait pu produire une erreur sur la plus notable partie de nos habitués qui, comme l’auteur de l’article, ne fument jamais.

Veuillez agréer, etc.
Vielle
Propriétaire du Café de la Régence

Ceci confirme que le Café de la Régence est constitué de 2 parties.
Un estaminet (où l'on peut fumer) et un café, sans compter le Cercle des Échecs de Paris qui se trouve au 1er étage.

Sur la gravure connue d'Edmond Texier  - "Tableaux de Paris" - Paris 1852/1853 - que j'ai reprise de nombreuses fois - on peut distinguer la partie "estaminet" de la partie "Café".

On dispose du plan du local en 1836 grâce aux archives en ligne de la ville de Paris.
Ceci me permet de faire une hypothèse sur le partage de la surface du lieu.
 
 
Archives de Paris - Cadastre par îlots de Vasserot et Bellanger.
Notez la forme particulière du Café, alors situé 243 rue Saint-Honoré, Place du Palais-Royal
 
Cette configuration du Café de la Régence sera reprise dans le nouveau Café de la Régence au 161 rue Saint-Honoré.
Ainsi en 1867 nous avons ceci dont voici un extrait :
 
(...) Le Café de la Régence se compose de trois pièces : le café proprement dit où jouent les non-fumeurs, l'estaminet, et quelques marches qui mènent dans une salle de billard. En outre, au premier étage se trouve le local de réunion d’un club fermé, guère fréquenté.(...)

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