Durant la Révolution Française les joueurs d'échecs désertent le Café de la Régence, surtout à partir de 1793 et la Terreur qui commence. Le propriétaire des lieux est alors un dénommé François Haquin, successeur de Guillaume Rey mentionné par Diderot dans "Le neveu de Rameau".
C'est de cette période révolutionnaire que nous vient une célèbre anecdote apocryphe au sujet de Robespierre. Vous pouvez la découvrir ou la redécouvrir en lisant à ce sujet un de mes précédents articles sur une émission radiophonique en 1937 qui reprend quelques anecdotes sur le Café de la Régence et la période révolutionnaire.
Il est tout de même fort probable que Robespierre venait au Café de la Régence. Lui-même habitait un peu plus loin dans la rue Saint-Honoré.
« Il ne venait presque plus personne à la Régence, raconte dans ses Souvenirs un des plus illustres « pousseurs de bois » d’Angleterre ; on n’avait pas le cœur à jouer et ce n’était pas gai de voir à travers les vitres passer les charrettes de condamnés dont la rue Saint-Honoré était le chemin.
Robespierre que ce spectacle n’affligeait pas, à ce qu’il parait, était un des seuls qui y vinssent encore faire leur partie. Il n’était pas très fort, mais il faisait si grand-peur que même les plus habiles, quand ils jouaient avec lui, perdaient toujours. »
La rue Saint-Honoré de la Révolution à nos jours – Robert Hénard – Paris 1909
L'exécution de Robespierre - La Guillotine, symbole de la TerreurCette période révolutionnaire ne souhaite plus voir apparaître les noms de roi, reine etc.
Un vent de changement radical emporte le jeu d'échecs, les jeux de cartes etc.
Par exemple au théâtre :
Par exemple au théâtre :
« Il y a une scène dans le Bourru bienfaisant où celui-ci joue aux échecs. Baptiste Ainé jouant un soir ce rôle au théâtre de la République en pleine Terreur, s’oublia jusqu’à dire échec au roi
– Il n’y a plus de roi, s’écria un individu placé au parterre, on lui a coupé le cou le 21 janvier
– C’est juste, dit Baptiste ; échec au tyran
– À la bonne heure. »
Souvenirs Thermidoriens – Georges Duval 1844 – Il s’agit de souvenirs durant la Terreur.
Voici un texte étonnant qui propose donc de révolutionner le jeu d'échecs.
Il est signé de Louis-Bernard Guyton-Morveau, député et membre du Comité de Salut Public.
Source Retronews / Gallica
Gazette Nationale ou le Moniteur Universel – N°51, Primidi, 3ème décade de Brumaire, l’an 2 de la République une et indivisible (11 novembre 1793, vieux style)
« Sur le jeu des échecs
Source Retronews / Gallica
Gazette Nationale ou le Moniteur Universel – N°51, Primidi, 3ème décade de Brumaire, l’an 2 de la République une et indivisible (11 novembre 1793, vieux style)
« Sur le jeu des échecs
Sera-t-il permis à des Français de jouer à l’avenir aux échecs ? Cette question fut agitée, il y a quelques jours, dans une société de bons républicains, et il fut conclu, comme on devait s’y attendre, par la négative absolue.
Mais on demanda ensuite s’il ne serait pas possible de républicaniser ce jeu, le seul qui exerce véritablement l’esprit, et, proscrivant des noms et des formes auxquels nous avons juré une haine éternelle, de conserver ce chef-d’œuvre de combinaison qui le rend si piquant et que l’on ne peut se flatter de remplacer.
Voici les réflexions que j’ai faites sur cette seconde question et les résultats auxquels elles m’ont conduit. Tout le monde sait que le jeu d’échecs est une image de la guerre ; jusque-là rien qui répugne à un républicain, car il n’est que trop certain qu’un peuple libre doit toujours être prêt à soutenir sa liberté par les armes.
Ainsi, alors même que ce peuple renonce à en faire d’autre usage, que pour la plus légitime défense, il ne peut sans imprudence se dispenser d’avoir une force militaire et d’en ordonner, au moins de temps en temps, le rassemblement, pour l’exercer. Que ce rassemblement soit plus ou moins considérable, quelle que soit sa durée, on en manquerait l’objet si l’on n’y formait le simulacre d’un camp.
Il paraîtra sans doute convenable de diviser momentanément ce camp en deux, composés chacun de troupes de toutes armes, qui se partageront et se rangeront sous deux drapeaux différents dont on sera convenu, pour figurer alternativement des attaques et des défenses.
Rien n’empêche encore que, dans cette lutte de pure émulation entre des frères, on ne convienne que l’enlèvement du drapeau soit le but et le signe de la victoire. Eh bien ! Il ne faut pas aller chercher plus loin : on trouve dans ces idées simples, et nullement étrangères aux habitudes que nous connaissons, les figures et les noms dont on a besoin, qui s’adapteront avec facilité à toutes les règles, à toutes les chances du jeu, et qui conserveront de plus une analogie que n’ont pas les anciens noms, dont le long usage a pu seul nous dérober la ridicule discordance avec les fonctions qu’ils indiquent.
Dans ce système, ce sera le jeu des camps, ou si on aime mieux, de la petite guerre. Le mot échec a une étymologie royale (1) ; c’en est assez pour le condamner à l’oubli, au moins dans l’acceptation de son dérivé immédiat. Le principal personnage sera le porte-parole, ou, pour mieux dire, le drapeau.
Il ne sera pas difficile de donner à la pièce une forme convenable à cet attribut ; elle tiendra la place du ci-devant roi, et aura sa marche, très analogue à la condition de ne pouvoir échapper qu’à pas réglés ; tout ce qui l’entourera sera destiné à la protéger, lorsqu’on l’attaquera, on en avertira par ces mots : Au drapeau ; lorsqu’elle sera forcée, on criera : victoire ; lorsqu’elle sera enfermée, on dira : blocus, et la partie finira comme le pat.
Il ne sera pas difficile de donner à la pièce une forme convenable à cet attribut ; elle tiendra la place du ci-devant roi, et aura sa marche, très analogue à la condition de ne pouvoir échapper qu’à pas réglés ; tout ce qui l’entourera sera destiné à la protéger, lorsqu’on l’attaquera, on en avertira par ces mots : Au drapeau ; lorsqu’elle sera forcée, on criera : victoire ; lorsqu’elle sera enfermée, on dira : blocus, et la partie finira comme le pat.
Tout le reste va de suite pour organiser la représentation d’une armée en présence de l’ennemi.
Je ne parle pas du général ; il n’est pas sur le casier, mais dans la tête de celui qui conduit la partie.
La pièce appelée si bêtement Reine ou Dame (2) sera l’officier-général ; pour abréger, l’adjudant. Les tours seront les canons, et l’on cherchera plus le rapport de leur mobilité avec leur dénomination.
Roquer sera mettre un canon près du drapeau ; on l’annoncera en disant : Batterie au drapeau.
Les fous représenteront la cavalerie légère, les dragons. Les ci-devant chevaliers étaient déjà descendus au rang de cavaliers.
Je ne parle pas du général ; il n’est pas sur le casier, mais dans la tête de celui qui conduit la partie.
La pièce appelée si bêtement Reine ou Dame (2) sera l’officier-général ; pour abréger, l’adjudant. Les tours seront les canons, et l’on cherchera plus le rapport de leur mobilité avec leur dénomination.
Roquer sera mettre un canon près du drapeau ; on l’annoncera en disant : Batterie au drapeau.
Les fous représenteront la cavalerie légère, les dragons. Les ci-devant chevaliers étaient déjà descendus au rang de cavaliers.
Les pions formeront l’infanterie, les fusiliers : quand ils auront enfoncé le camp ennemi jusqu’à se limite, au lieu de changer de sexe (3), leur nouvelle marche ne sera plus que l’image naturelle de l’élévation en grade d’un brave soldat.
Je laisse à juger si j’ai résolu le problème au gré de ceux qui désirent trouver dans le jeu un délassement qui ne soit pas le déguisement de l’avarice, je crois du moins avoir réussi à en écarter tout emblème, toute expression qui pourrait contraster avec les mœurs républicaines, et retracer cette absurde idolâtrie que les rois sont tout, que les hommes n’existent que pour eux, il faut la laisser aux esclaves assez stupides pour craindre celui qui n’est à craindre que par eux.
Ils s’apercevront sans doute un jour que, comme les pions aux échecs, ils ne sont que de vils instruments dont jouent les tyrans, qu’ils ménagent ou qu’ils brisent au gré de leurs caprices.
L.B. GUYTON-MORVEAUX
(1) Schach mat, en persan, signifie le roi est pris.
(2) Quelques-uns font venir ce nom de Vierg, qui a servi à désigner un officier civil et militaire : Autun a eu un Vierg.
(3) Sicut virgo solet, dit un ancien poète latin »
Jeu d'échecs en porcelaine - Musée Russe de Saint-Pétersbourg(2) Quelques-uns font venir ce nom de Vierg, qui a servi à désigner un officier civil et militaire : Autun a eu un Vierg.
(3) Sicut virgo solet, dit un ancien poète latin »
Merci à Olessya pour la photo !
Un parallèle intéressant peut être fait avec la Révolution Russe. Il est possible de voir au Musée Russe de Saint-Pétersbourg le jeu d'échecs ci-dessus qui fut fabriqué en plusieurs exemplaires.
En 1923, l'usine nationale de porcelaine de Petrograd fabrique ces échiquiers conçus par Natalia Danko pour promouvoir la lutte du prolétariat contre le capitalisme (Charmatni Listok - Page échiquéenne - n°15/16 avril 1923). Le prix de cet échiquier était de 3000 roubles somme importante pour l'époque (tout en sachant qu'en 1923 le champion de Russie du jeu d'échecs remporta un prix de 3200 roubles).
Seul les étrangers en voyage en Russie pouvait acheter un jeu pareil, avec comme objectif de transporter cette lutte révolutionnaire à l'étranger !
A la place des blancs se trouvent les rouges qui représentent la Révolution éclairée et le travail
Par exemple le Roi est un ouvrier, La Dame une paysanne, les Fous des soldats de l'armée Rouge etc.
Le monde du capitalisme s'y oppose. La mort représente le Roi, la Dame est une femme de mauvaise réputation tenant un sac rempli d'or, les fous sont des officiers de l'armée impériale Russe, et vous pouvez voir le prolétariat enchaîné qui est représenté par les pions.
Quelques années plus tard, le 10 mars 1928, le journal "L'illustration" publie une photo et un court article sur une nouvelle variante soviétique du jeu d'échecs...Le jeu d'échecs à la mode des Soviets !
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