mardi 6 septembre 2022

La lutte des classes aux échecs

Au milieu des années 1930, le Parti Communiste Français adopte une politique ambitieuse concernant le sport et le jeu d’échecs en particulier. 

Extrait de la chronique d'échecs de l'Humanité du 26 mars 1936 - Retronews

Les journaux L’Humanité et Le Populaire mettent en place une chronique dédiée à la propagande du jeu d’échecs. En 1934 est créée la FSGT Fédération Sportive et Gymnique du Travail, dont une des branches est consacrée au jeu d’échecs. 


En 1935 c’est le début de la publication de la revue Le Bulletin ouvrier des échecs. Bref c’est véritablement une fédération parallèle à une Fédération Française des Échecs, alors en difficulté, qui est créée en France.

En France, comme dans tous les pays capitalistes, les jeux de dames et d’échecs ont un développement restreint. Rien d’étonnant dans cette différence avec l’URSS. En régime capitaliste, la bourgeoisie dirigeante, de même qu’elle n’a pas intérêt à instruire la classe ouvrière au-delà du degré primaire, n’a pas intérêt à développer en elle les facultés de calcul, de combinaison, d’attention, d’invention et d’imagination qui s’exercent dans les jeux de dames et d’échecs. 

A quoi serviraient-elles puisqu’à l’usine, l’ouvrier doit ignorer et ignore tout de la façon dont est combinée, agencée la production. Il lui suffit pour un salaire toujours aussi menacé, de donner sa force de travail, d’accomplir tout au long de la journée, à la même chaîne, le même geste mécanique, puis de manger, dormir et aller perdre ses maigres économies sur un cheval de course au profit de M. de Rothschild ou autre propriétaire d’écuries archimillionnaire.

Bulletin ouvrier des échecs de décembre 1935

 
En cela le Parti Communiste Français s’inspire du modèle mis en place en URSS, dont je donne quelques repères ci-après dans cet article. Cette politique du jeu d’échecs en URSS va bouleverser le microcosme échiquéen pendant plus d’un demi-siècle. A mes yeux un des summums de cette politique est probablement le match URSS contre le reste du monde en 1970, qui montre bien toute la domination sur le jeu d'échecs des joueurs soviétiques issus de cette politique.

A noter que les éléments liés à l’histoire du jeu d’échecs en URSS, que je cite, s’inspirent d’une vidéo de la chaine Youtube Levitov Chess (en Russe) où intervient l’historien Dmitri Oleinikov, auteur d’un livre sur les échecs en URSS.

1924 – Congrès des joueurs d’échecs de l’URSS. A cette occasion Nikolai Krylenko est élu président de la section intersyndicale des échecs. Il est convaincu que l'Union soviétique doit « adopter les échecs comme instrument de la culture intellectuelle » 

Nikolai Krylenko

1925 – Premier grand tournoi de Moscou, avec la participation de Capablanca et le tournage du célèbre film « La fièvre des Échecs » au sujet duquel j’avais organisé une soirée dans mon club d’échecs à Saint-Mandé.

1929 – 150.000 joueurs actifs sont recensés en URSS. Ils seront 500.000 en 1934 et 1.000.000 en 1940 ! 1929 correspond également à la crise économique mondiale. L’URSS est touchée, l’argent se fait rare pour les échecs.

1930 - Création d’un organisme directement sous la responsabilité du comité central du Parti Communiste de l’URSS. Il s’agit du Comité (Soviet) d’Éducation physique et sportive de l’URSS, et ce dernier a une section dédiée aux échecs. Par ailleurs le jeu d’échecs continue à se développer localement via des syndicats de travailleurs.

 

1937 - Les ouvriers du combinat métallurgique de Magnitogorsk jouent aux échecs
Photo Ria Novosti - Vladislav Mikocha


Dans les années 1920 la devise était « Les Échecs pour les masses ». Dans les années 1930, elle change est devient « rattraper et dépasser ». sous-entendu les pays capitalistes et dans tous les domaines y compris le jeu d’échecs, à la fois par la quantité et la qualité. Les moyens arrivent petit à petit. Nikolai Krylenko déclare « non seulement les organisations des échecs russes ne sont pas neutres sur le plan politique, mais elles sont fermement engagées dans le programme de la lutte des classes ». L’URSS garde ses distances avec la FIDE et les échecs capitalistes.


Jeu d'échecs en porcelaine par Elisaveta Tripolskaia - 1930
L'industrie (en haut, les pièces noires) contre l'agriculture (en bas, les pièces blanches).
Les pions noirs représentent des ampoules électriques !
Voir également l'article de ce blog sur le jeu d'échecs révolutionnaire

1935 – Un grand tournoi d’échecs des familles est organisé à Bakou sous la devise « Les échecs dans la famille des ouvriers » ! C’est également l’année du deuxième grand tournoi de Moscou.

Mais n’oublions pas qu’un des facettes sombres de l’URSS a été le Goulag. Mais même là on y joue aux échecs. Un grand tournoi est organisé à Solovki en 1936, gagné par un certain Sergei Iasseniev-Kroukovski. 

 

 Femmes jouant aux échecs au Goulag de Tomsk 1938-1939 par Nina Lekarenko
 Provient du site GulagMuseum

Il faudra attendre 1946 avec la mort d’Alekhine et la remise en jeu de son titre pour que l’URSS se rapproche de la FIDE. Les joueurs d’échecs soviétiques, et plus particulièrement Mikhail Botvinnik, sont alors prêts à mettre la main sur le titre de champion du Monde avec le prestige intellectuel qui y est associé.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire