25/06/2021 - Correction du nom/prénom de Montigny auteur du livre "Les Stratagèmes des Échecs"grâce à l'aide d'Hebert Bastian - Voir l'article à ce sujet
Après le duc de Brunswick, riche excentrique et amateur du jeu d'échecs à Paris sous le second Empire, voici Francis Egerton, pair Britannique et 8ème comte de Bridgewater, qui fut pas mal aussi dans son genre dans la première partie du XIXe siècle.Wikipedia le présente comme un noble excentrique.
Francis Henry Egerton, 1824Archivio storico dell'Accademia delle Scienze di Torino
Voici deux documents au sujet de Francis Egerton en lien avec le jeu d'échecs à Paris, pour une période (1800 - 1825) où nous avons très peu d'informations.
Il faut noter qu'Egerton est le nom qui apparaît dans le premier document connu qui mentionne Deschapelles en tant que joueur d'échecs en 1807. Il s'agit d'un texte publié dans
L’Ambigu ou variétés littéraires et politiques, publié les 10, 20 et 30 de chaque mois par M. Peltier (Jean-Gabriel) – Imprimé à Londres
Nous sommes en pleine période Napoléonienne et il est étonnant de trouver la description de cette séance d’échecs parisienne, au milieu d’informations relatives à la Grande Armée. À noter que le même article, mais en anglais, se trouve dans The Gentleman’s Magazine and Historical Chronicle de juillet 1807.
Deschapelles y est appelé Guillaume de Préton et Guillaume Le Préton dans The Gentleman’s Magazine. Est-ce bien Deschapelles ?
The Gentleman’s Magazine and Historical Chronicle de juillet 1807. page 605Deschapelles y est appelé Guillaume de Préton et Guillaume Le Préton dans The Gentleman’s Magazine. Est-ce bien Deschapelles ?
Tout d’abord pour le nom, il s’agit bien entendu d’une déformation de Lebreton. Pour le prénom, qui passe d’Alexandre à Guillaume, le tour de passe-passe est plus compliqué, et en voici l’explication de la bouche même de Deschapelles qui raconte comment il découvre le jeu d’échecs en 1798 au Café Morillon.
Le Palamède – Novembre 1847 – Article nécrologique de Saint-Amant au sujet de Deschapelles
«(…) j'inscrivis sur le registre Philiam, c'était le nom d'un petit chien qui m'accompagnait.
On estropia depuis ce mot, car c'est sous le nom de William que je fus introduit.
Depuis, on m'a longtemps appelé de ce nom ; fort indifférent à la gloire de remuer mieux qu'un autre de petits morceaux de bois, je ne réclamai pas contre le sobriquet. (…) »
On estropia depuis ce mot, car c'est sous le nom de William que je fus introduit.
Depuis, on m'a longtemps appelé de ce nom ; fort indifférent à la gloire de remuer mieux qu'un autre de petits morceaux de bois, je ne réclamai pas contre le sobriquet. (…) »
William étant l’équivalent anglais de Guillaume… Cette théorie n’est pas la mienne, mais il s’agit là de mon interprétation de la conclusion donnée par H.J.R. Murray dans son monument A History of Chess et qui cite Deschapelles comme conduisant l’équipe opposée à Carlier.
Voici la description des séances d'échecs chez Lord Egerton en 1807 à Paris :
« Aux Amateurs du jeu d’Échecs
Les parties d’échecs, données à Paris chez l’honorable Francis-Henri Egerton, qui ont si fortement occupé l’attention des amateurs de cette capitale, étaient, dans leur manière, entièrement nouvelles vu qu’elles étaient jouées par deux comités séparés, composés chacun de plusieurs personnes, et non par des individus assis devant le même échiquier, l’un vis-à-vis de l’autre.
Ainsi, les membres de chaque comité avaient la facilité de conférer en secret entr’eux, raisonnant sur chaque coup, et combinant leur plan, leur arrangement et le système de leur jeu, sans l’intervention ou la connaissance du comité adverse. La manière était comme il suit : il y avait deux comités, l’un composé de M. Guillaume de Préton , et six ou sept autres Messieurs ; l’autre composé de M. Carlier, et de six ou sept autres Messieurs, tous joueurs de la première force.
Chaque comité avait une chambre séparée, à une assez grande distance l’une de l’autre ; un échiquier était placé devant chaque comité, avec les diverses pièces, blanches et noires, régulièrement arrangées de chaque côté sur l’échiquier.
Dans une chambre de milieu, entre les deux comités, était placé un troisième échiquier, avec toutes ses pièces, blanches et noires, régulièrement arrangées; cet échiquier intermédiaire était commun aux deux comités, et était celui sur lequel on jouait et décidait de la partie ; mais aucun des membres de l’un ou de l’autre comité n’avait la permission d’entrer ni dans la chambre commune ni dans la chambre du comité adverse, pendant la durée de toute la partie.
Aussitôt que le comité A avait décidé un coup, et l’avait fait sur son propre échiquier A, M. Calma, et un autre monsieur, allaient dans la chambre du milieu B, à l’échiquier commun B, jouaient le coup sur l’échiquier commun B, et, allant aussitôt à travers cette chambre du milieu, passaient dans la chambre la plus éloignée C, au comité C, attendaient pour savoir le coup du comité C, le voyaient aussi porté sur l’échiquier C, retournaient et faisaient le coup du comité C, dans la chambre B, sur l’échiquier B, et, allant encore à travers cette chambre, annonçaient le coup porté par le comité C, déjà fait sur l’échiquier C, dans la chambre du comité A, sur l’échiquier A.
Ces deux messieurs exécutaient de cette manière tous les mouvements de cette partie, ainsi que de toutes celles qui se faisaient ensuite. Dans la chambre du milieu B, près de l’échiquier B, était assis l’éditeur des « Stratagèmes d’Échecs », avec un autre amateur : ces deux messieurs écrivaient chaque coup, tel qu’il avait été joué durant chaque partie, et pendant toutes les parties subséquentes.
On jouait ordinairement trois parties par soirée ; et l’honorable M. Egerton a donné chez lui, grand hôtel de Richelieu, huit à dix séances pendant son séjour à Paris.
On jouait ordinairement trois parties par soirée ; et l’honorable M. Egerton a donné chez lui, grand hôtel de Richelieu, huit à dix séances pendant son séjour à Paris.
Les différentes parties se prolongeaient ordinairement de trente-six à cinquante-deux coups de chaque côté. On les a laissées, en manuscrit, entre les mains de M. Calma et de l’éditeur des « Stratagèmes d’Échecs », peut-être seront-elles imprimées avec quelques conclusions extraordinaires de parties, comme faisant supplément à un autre volume de son ouvrage sur les « Stratagèmes d’Échecs » »
Ainsi ce document laisse entrevoir un espoir de retrouver un jour des parties jouées par équipe avec Deschapelles. Un des arbitres de cette rencontre est Clément Félix Brossier Montigny
Les Stratagèmes des échecs ou Collection des coups d’échecs les plus brillants et les plus curieux – Strasbourg An X (1801 1802) Chez Amand König, libraire quai des Augustins N°18 – Un Amateur (pseudonyme pour Clément Félix Brossier Montigny)
Comme je l'indiquais, j'ai découvert un deuxième document qui parle de Lord Egerton, mécène du jeu d'échecs. Dans le journal Le Sport du 29 avril 1857, Saint-Amant raconte son expérience de joueur d'échecs chez Egerton.
Quelques remarques sur le texte à suivre :
Nous sommes en 1823, et Saint-Amant indique que Deschapelles joue toujours et rend l'avantage de 2 traits et du pion à La Bourdonnais, ce qui est assez surprenant. En effet depuis le match triangulaire à Saint-Cloud avec Cochrane et La Bourdonnais en 1821/1822, Deschapelles avait indiqué : « Je renonce formellement aux Échecs maintenant, disait Deschapelles, et abandonne le trône à La Bourdonnais. Il est digne de me succéder, et le sceptre sera bien sûrement placé dans ses mains ».
Dans le texte, il est également question d'un joueur nommé "Calmant". S'agit-il du Calma du texte précédent ?!
Puis Saint-Amant indique que Calmant débute la partie contre lui et pour autant le diagramme indiqué dans le journal lui donne les pièces noires ? L'explication est simple : les joueurs prenaient indifféremment les blancs ou les noirs pour démarrer la partie. Le fait de commencer avec les blancs est juste une convention (j'ignore pour le moment quand cette convention est apparue). J'ai consacré un article sur le règlement appliqué au Café de la Régence en 1844. Nous sommes loin des règles actuelles de la FIDE, mais il n'est pas précisé que le joueur qui a les blancs doit débuter la partie.
Le Sport – 29 avril 1857
Échecs
Souvenirs d’une soirée d’échecs
Sans être très-avancé vers le déclin de la vie, on peut se rappeler avoir vu, dans l’ancienne rue de Rivoli, qui se bornait à former un parallélogramme avec la terrasse des Feuillants, une douzaine d’arcades nues, sans boutiques, sans corps de bâtiments adhérents. D’après la loi on avait pu forcer le propriétaire de ce terrain à bâtir ces arcades en alignement, mais on n’avait pu l’obliger à rien faire au-delà.
Ce propriétaire était un noble insulaire contraint, disait la chronique scandaleuse, de quitter son pays pour une déviation de goût qu’il avait de commune avec plus qu’un grand homme de l’antiquité.
Quoiqu’on ne pende en Angleterre que les vilains, tout lord qu’il était, on affirmait qu’il y avait été chagriné à l’instigation du beau sexe. Quoi qu’il en soit, il s’était réfugié à Paris, ville de tolérance et de mœurs moins inquisitives, pour vivre tranquillement.
(...Nous apprenons qu'Egerton possède une propriété rue de Rivoli avec un grand jardin...)
Il jouissait de 80,000 livres sterling de rente annuelles, soit deux millions de francs, qu’il ne pouvait dépenser, malgré trois fortes passions : Celle des échecs en toute innocence, celle des mignons comme Henri III, celle des chiens comme feu la première douairière de Canino. Je vais parler de la première de ces passions, glisser sur la seconde et dire un dernier mot sur la troisième.
Lord Egerton n’était pas fort aux échecs ; il n’aimait pas à se casser la tête pour faire manœuvrer seize petits morceaux de bois ou d’ivoire, - il avait bien raison, - mais il aimait beaucoup à voir les autres se casser la tête, - et il n’avait pas tort, puisqu’il payait.
Il adorait la partie des grands joueurs, et « rien au monde » disait-il, « n’offrait un spectacle plus attrayant, après le triomphe de la vertu, que de voir le génie aux prises avec les difficultés ».
S’il eût suffi de quelques milliers de guinées pour faire sortir Philidor de la tombe où il reposait depuis un quart de siècle, Egerton n’eût pas hésité à faire ce sacrifice.
A défaut, il courtisait les célébrités contemporaines, et certes ont eût pu se contenter à moins : Deschapelles, La Bourdonnais, Mouret, Boncourt, Veille et Calmant. Une fois par semaine il les priait de venir s’escrimer devant lui ; chacun jouait une partie. Le prix de la lutte était fourni par ce Mécène d’un nouveau genre : il consistait en un jeton de 40 francs ; le vaincu avait une fiche de consolation de 20 francs. Tout le monde sortait content.
C’était le juif Calmant, quoique le plus faible de cette pléiade, qui remplissait les fonctions d’ordonnateur de la fête. Un jour que Mouret, surnommé le Béquillard, sujet à se livrer à de trop copieuses libations, ne pouvait aller au rendez-vous, Calmant m’offrit de me présenter à l’hôtel Egerton, où je comblerai le vide, bien que je ne fusse pas encore revêtu officiellement de l’hermine du professorat.
A peine venais-je de dépasser l’âge où l’on s’affranchi de l’impôt du sang. Outre que je ne doutais pas facilement alors, j’avais un goût tellement prononcé pour les échecs, que, quoique recevant pion et trait et pion et deux traits des illustres maîtres, je n’hésitai pas à passer mon Rubicon, et je saisis avec empressement cette occasion d’aller me mêler au faisceau des illustrations. Ce fut mon premier pas sur un grand théâtre.
Hélas ! J’étais le plus jeune, et à ce titre-là j’avais le plus de chances de vivre encore longtemps.
Aussi depuis dix ans suis-je le seul survivant. Amphytrion et invités ont successivement disparu ; le temple lui-même s’est écroulé, et ses débris ont subi une complète métamorphose. Il faut donc que je me hâte de consigner ces fastes de l’échiquier, si je veux les sauver de l’éternel oubli.
Autant que ma mémoire peut être fidèle, c’était le 26 juillet 1823, - la chaleur était assommante, quoique le soleil eût disparu sous l’horizon. Nous fîmes notre entrée à peu près simultanément dans cet élégant jardin si contraire à la propre élégance de la rue de Rivoli. Les échiquiers étaient disposés, les vérines étincelaient et les rafraichissements se congelaient sous des montagnes de glace.
Mylord, tourmenté par la goutte, languissait mollement étendu sur un divan à roulettes, auquel deux énormes valets imprimaient la locomotion nécessaire pour que leur maître put parcourir sans fatigue les divers champs de batailles. Trois ou quatre petits chiens de diverses races, bien gros, bien dodus, partageaient les commodités du divan.
(...) La Bourdonnais, ce soir-là, joua avec Deschapelles, qui lui donnait encore pion et deux-traits.
La partie, très vivement disputée, fut nulle ; Boncourt et Veille firent la partie à but, et je jouai bravement de même avec Calmant. Je ne craignais pas son jeu, qui était tout de pièges et entremêlé de beaucoup de fausses marches, plus ou moins involontaires. Calmant m’avait traité assez cavalièrement et en vétéran qui ne peut pas, qui ne doit pas craindre un conscrit.
La partie, très vivement disputée, fut nulle ; Boncourt et Veille firent la partie à but, et je jouai bravement de même avec Calmant. Je ne craignais pas son jeu, qui était tout de pièges et entremêlé de beaucoup de fausses marches, plus ou moins involontaires. Calmant m’avait traité assez cavalièrement et en vétéran qui ne peut pas, qui ne doit pas craindre un conscrit.
Malheureusement pour lui il entama le jeu, dont le trait lui était échu, par une partie du Calabrais qui était justement un de celles que j’avais le plus étudiées. Aussi ne fis-je pas la faute, et la ruse se brisa-t-elle contre une défense classique. A cette époque on n’écrivait pas les parties, ce dont on a tant fait abus depuis, surtout en Angleterre. De celle que je fis avec Calmant, le souvenir des cinq derniers coups m’est resté fidèlement, parce que cette fin forme une espèce de petit problème, qui me tient lieu de ceux que je n’ai jamais été habile à composer. Le voici, et je le donne pour ce qu’il peut valoir.
Aux blancs de jouer et à faire mat en cinq coups.
Je lui avais annoncé le mat, ce qui lui attira de nombreux sarcasmes de Mylord, qui a mon endroit n’eut que de gracieusetés et de compliments flatteurs ; il m’invita à revenir, et je crus comprendre que dès ce moment je devais me considérer comme enrôlé dans sa troupe….
De joueurs d’échecs. En sortant, le maître de cérémonies me remit un pli cacheté dans lequel je trouvai un double jeton. Le lendemain j’en donnai la moitié à Calmant, qui m’avait servi d’introducteur et de victime. Aussi prit-il fort bien et sans aucune façon ces 40 francs comme lui étant dus. Il ne me remercia même pas, et je demeurai convaincu que si je n’avais pas eu le bon esprit de prendre cette initiative, je lui aurais occasionné le désagrément d’en faire la demande.
La goutte de lord Egerton devint plus obstinée et le fit souffrir au point d’interrompre ses réunions.
Son médecin, que Dieu confonde ! qui n’aimait pas les échecs et qui répétait toujours, d’après Mointaigne, que c’était une futilité ; cet ignorant, qui passait sa vie à jouer aux dominos à quatre, et qui osait blasphémer contre le culte de Palamède ! fit tant et si bien, qu’il ne guérit nullement son malade, mais finit par lui persuader que la préoccupation même de voir le génie aux prises avec les difficultés était contraire à l’hygiène.
Bref, plus d’appel aux princes de l’échiquier. Calmant fut le seul qui continua à fréquenter l’hôtel Bridgewater, et encore n’y entrait-il plus que le soir, par la porte de derrière, et pour service étranger aux échecs. De ses trois passions, la goutte avait enlevé la plus noble ; Mylord n’en avait plus que deux, et encore celle des chiens est la seule qui ne l’ait jamais abandonné.
(...Saint-Amant décrit alors la fin de vie de Lord Egerton...)
L’hôtel fut vendu par d’avides héritiers collatéraux, et les nouveaux acquéreurs n’eurent rien de plus pressé que de le mettre en pleine valeur, ne s’embarrassant guère que les successeurs de Philidor en eussent immortalisé le jardin. Le moellon se substitua, sans gêne et sans remords, à ces charmants bosquets qui avaient ombragé les échiquiers des grands maîtres…
(...Saint-Amant explique qu'Egerton a légué une rente à ses chiens ...)
Egerton n’a laissé d’autre souvenir aux échecs qu’un legs de 1200 fr. à ce pauvre Calmant qui ne connut pas, lui bipède, le secret pour perpétuer cette rente. Il mourut une année après le donateur, et l’on est encore à se demander si c’est d’avoir été traité comme un chien ou d’un mat étouffé.
Saint-Amant
[Event "Paris Hôtel Egerton"]
[Site "?"]
[Date "1823.07.26"]
[Round "?"]
[White "Saint-Amant"]
[Black "Calmant"]
[Result "1-0"]
[SetUp "1"]
[FEN "1r1r2k1/4P1pp/p7/qp1N4/2Q2R2/8/4K3/8 w - - 0 0"]
[PlyCount "9"]
{Les Blancs jouent et font mat en 5 coups.} 1. e8=Q+ Rxe8+ 2. Ne7+ Kh8 3. Qg8+
Rxg8 4. Ng6+ hxg6 5. Rh4# 1-0
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire