vendredi 30 septembre 2011

Le gambit d'Aquitaine

Voici un article extrait de la revue « La Stratégie » de mars 1917.
L’article n’a que peu d’intérêt théorique, surtout à l’heure actuelle où il est possible avec un bon logiciel d’échecs de vérifier en quelques minutes si un sacrifice tient ou non la route.
(Image : La Stratégie - Source BNF)

Mais son intérêt est ailleurs. Au travers de cet article on voit bien l’importance qu’occupe encore le Café de la Régence dans les échecs français du début du 20ème siècle.
Il montre également l’étroite relation entre les différentes revues françaises d’échecs du 19ème et début 20ème siècle avec le fameux Café de la Régence.

Dernière précision: la notation dans « La Stratégie » est une notation descriptive française. Je l’ai transcrite en notation algébrique pour une lecture plus aisée.

Le Gambit d’Aquitaine dans la partie Lopez

1.é4 é5 2.Cf3 Cç6 3.Fb5 a6 4.Fxç6 dxç6 5.Cxé5 Dd4 (ou De7 ou Dg5) 6.0-0 Le coup constitutif, comme dit notre directeur Delaire. 6….Dxé5 7.d4

Voici la position que notre confrère anglais, le British Chess Magazine (mars 1917, p.71) soumet à l’appréciation de ses lecteurs, à la suite d’une lettre adressée par R.Gaudin, de Bordeaux, champion de l’Echiquier d’Aquitaine, l’inventeur de ce « gambit ». Mr. G. semble bien se douter que son gambit ne saurait résister à une analyse sérieuse, mais il sollicite néanmoins l’examen en vue de son emploi pratique.

Un coup d’œil sur la position révèle l’idée qui a présidé au sacrifice : la D noire est embarrassée, elle n’a directement pas de bonne case à sa disposition. En effet les deux cases sur le côté (Db5 – Da5) ne paraissent pas recommandables, tandis que, sur chacune des 4 autres cases – d6, e6, e7 et f6 elle gène manifestement le développement des pièces noires, tout en restant exposée à l’attaque des P blancs.
Après quelque réflexion, je me suis décidé en faveur de
7. … Df6
Et cela dans l’intention avouée de porter la D à une des deux cases – g6 ou h4, où elle parait être pratiquement inattaquable, tout en préparant une attaque sur le R noir.
Là-dessus je me retourne vers les blancs pour examiner leurs chances. Ils ont un beau centre, c’est incontestable. Mais aussi c’est tout, car le P en plus ne saurait compter comme compensation de la pièce sacrifiée. Leurs deux pièces mineures, F et C, n’ont pas de bien brillantes perspectives. Je me demande particulièrement où devra aller le C et je reste perplexe. Mais avant tout, par suite de l’échange fait au 4ème coup, ils n’ont plus de FR (Fou Roi) ; il leur manque le F d’attaque, sans lequel Philidor, Tarrasch et maints autres ont déclaré ne rien savoir inventer. Il faut donc que l’avantage constaté ou entrevu par le promoteur du gambit consiste dans la difficulté que devront éprouver les Noirs à se développer. Dans ce sens, le gambit est vraiment original. Il est, en effet, d’ordre stratégique, tandis que tous les autres gambits où l’on sacrifie une pièce au début (Muzio, Pierce, Allgaier, Rice, etc.) sont d’ordre tactique et visent directement la position du R noir.
Or pour gêner le développement des Noirs, notamment celui de leur FD (qui menace de dominer, à la longue, sur les cases blanches, conséquence logique de la disparition du FR des Blancs), le meilleur coup parait être
8.f4
Sur quoi les Noirs, réalisant le plan conçu, jouent de suite
8…. g6
Il importe de ne pas laisser venir le P blanc à f5, où il paralyserait pour longtemps le FD des Noirs. Exemple : 8….Dh4 9.f5 Cf6 10.Tf4 Dh5 11.De1 g5 12.Tf1 et le développement des Noirs est pénible. Le coup 8…g6 donne, en outre, une nouvelle issue au FR.
Maintenant le développement des Noirs est assuré. Si 9.é5, à ce moment ou plus tard, ils obtiendront la commande des diagonales blanches pour leur FD. Si par exemple
9.Cc3 Fg7 10.Fé3 Fé6 11.f5 (ou A) 11….gxf5 12.exf5 Fxf5 (12….Fd5 est complètement sûr) 13.g4 Dé7 14.Ff4 Fé6 suivi de Roq TD (grand Roque) et gagnent.
A 11.Ca4 000 12.Cc5 Ff8 13.Cd3 Fxc4 etc. Tout ceci à simple titre d’indication.

Désireux d’avoir l’opinion de quelques très forts joueurs, j’ai soumis au Café de la Régence, le Gambit d’Aquitaine à aéropage de Maîtres, composé de MM. Jean Taubenhaus, Aurbach, E.M.Antoniadi et H.Weinstein, ce dernier tout récemment revenu de Pétrograd. Leur avis unanime a été que, dans la position relativement favorable où se trouvaient les Noirs au 7ème coup, avec leurs deux F dégagés, leur grand Roq assuré, le sacrifice des Blancs n’avait pas obtenu de compensation suffisante. Après quelques analyses sur les lignes indiquées par moi, ces messieurs ont déclaré qu’en allant plus loin ils craindraient « d’enfoncer des portes ouvertes ».
J’en conclus donc que le Gambit de M.Gaudin ne peut être considéré que comme une ingénieuse fantaisie. Ça peut se jouer, contre un joueur faible, dans une partie légère, mais là tout peut se jouer, même des parties à avantage. Mais c’est intéressant, dites-vous ? Oui, je sais bien, les Échecs sont un jeu très intéressant.
J’affirme que je n’ai mis aucun parti-pris dans les lignes qui précédent, et je me sais couvert, dans mes conclusions, par l’unanimité des meilleurs joueurs de France. Peut-être M.Gaudin en tirera-t-il la conclusion qu’il est certaines innovations et inventions qu’il vaut mieux ne pas soumettre à l’examen de la presse échiquéenne. Encore moins faut-il s’étonner de ne pas trouver trace de pareilles fantaisies dans le « Handbuch ». Le célèbre manuel, quelque volumineux qu’il soit, comporte de nombreuses lacunes d’ordre plus sérieux. Ainsi j’ai constaté que la dernière édition ne mentionne pas la défense Rosenthal dans la partie Ecossaise (1.é4 é5 2.Cf3 Cç6 3.d4 éxd4 4.Cxd4 Cxd4 5.Dxd4 Df6)

Paris, 15 mars 1917   A.Geoffroy-Dausay

mercredi 28 septembre 2011

Les noms des limonadiers (II)

Je vous renvoie à l'article précédent qui contient le tableau des différents propriétaires. En fait, à peine l'avais-je mis en ligne que j'ai trouvé une autre source sur Gallica, ce qui m'a permis de compléter mon tableau.

Il s'agit de l'incontournable "Intermédiaire des chercheurs et des curieux".
En 1885, à une question d'un lecteur, de cette revue du 19ème/20ème siècle, qui souhaitait connaitre la liste des différents propriétaires du café avant 1820, voici les deux réponses qui ont été faites (avril 1885 puis mai 1885) :

"De 1770 à 1795, le Café de la Régence a dû être tenu par M. François Haquin, qui avait épousé en premières noces mademoiselle Marie-Antoinette Brisset, morte vers 1773 ou 1774, et en deuxièmes noces mademoiselle Marie Hesse : ce fut cette dernière qui a dû avoir l'honneur de recevoir l'empereur Joseph II lors de son passage en France en 1777, lorsqu'il vint dans ce Café."

Source Gallica - Intermédiaire des chercheurs et des curieux - Avril 1885

"Les Tablettes Royales de Renommée mentionnent, en 1769, un sieur Reye, Place du Palais Royal, ancien juré. Ce sieur Reye, appelé Rey, dans les Tablettes de Renommées pour 1773, est le premier propriétaire du Café de la Régence que nous avons pu découvrir.
Voici l'article qui lui est consacré dans les Tablettes de 1773 :
"Rey, Place du Palais Royal au Caffé de la Régence. Ce Caffé, un des plus anciens et des plus renommés, est très bien composé et suivi des plus habiles joueurs d'échecs."
Ce fut probablement à Rey que succéda M. François Haquin, qui, d'après M.J.M.P. (?), tint le Café de la Régence de 1770 environ à 1795.
En l'an VIII (1800 - 1801) l'Almanach du commerce de Paris (aïeul du Bottin) indique comme propriétaire :
" Beaupied, Café de la Régence, rue Saint-Honoré, place du Tribunat, 243."
Beaupied y resta jusqu'en 1809, où un sieur Watré lui succéda (1809 - 1819).
En 1821, c'est un sieur Masson qui est indiqué comme tenant le Café de la Régence."

Source Gallica - Intermédiaire des chercheurs et des curieux - Mai 1885

mardi 27 septembre 2011

Les noms des limonadiers

Dernière mise à jour de cet article le dimanche 2 octobre 2022.

C'est sous cette dénomination de "limonadier" qu'étaient recensés les gérants/propriétaires des cafés, cabarets etc dans Paris au début du 19ème siècle.

Voici un tableau des différents propriétaires du Café de la Régence, de sa création (fin 17ème siècle) jusqu'à la deuxième guerre mondiale.
Même si l'activité disparait quasiment à la fin de la première guerre mondiale, il semble néanmoins que le Café de la Régence a connu une certaine activité échiquéenne jusqu'au début de la deuxième guerre mondiale comme je l'ai trouvé dans des coupures de presse que je mettrai en ligne prochainement.

Je compléterai donc ce tableau au fur et à mesure de mes découvertes



Références
(a) Paris, Café de la Régence – Monographie de Charles Mallet 1893 - Source BNF
(b) Cahier de l'Echiquier Français, n°33, 1925 - Cité dans le cahier du CREB sur le Café de la Régence - Il est indiqué M.Rey gérant durant une quinzaine d'années
(c) Almanach du commerce et de l'industrie de Paris - 1799 à 1836 - Source Gallica BNF ainsi que Google Book - Ci dessous extrait de l'Almanach de 1820

(d) Factum M.Vielle - Expulsion - Source BNF - Document déjà présenté dans un article précédent
(e) Revue La Régence janvier 1856 - Source Gallica
(f) La Régence avril 1860 - Source Gallica
(g) La Régence avril 1860 - Source Gallica
(h) La Stratégie août 1878 - Cité dans le cahier du CREB sur le Café de la Régence
(i) La stratégie octobre 1903 - Cité dans le cahier du CREB sur le Café de la Régence
(j) Tijdschrift van de Nederlandschen schaakbond avril 1933 - Cité dans le cahier du CREB sur le Café de la Régence
(k) L'intermédiaire des chercheurs et des curieux - Mai 1885 - Source Gallica 
(l) Almanach Dauphin 1777 - Source BNF- Cite Rey comme propriétaire du Café en 1777, en contradiction avec la source (k) 
(m) plusieurs numéros du Figaro mentionnent Lucien Lévy comme propriétaire du café de la Régence en 1918 
(n) La Semaine des Familles du 5 février 1859 (Source Gallica). Il est indiqué la date du 15 août 1855 pour l'inauguration du Café de la Régence rue Saint-Honoré.
(o) Les affiches de Paris avis divers du jeudy 25 janvier 1748 (Source Gallica)
(p) Le Palais-Royal – Tome premier – Par Victor Champier, Paris 1900. Ce texte fait référence à un document conservé aux Archives Nationales sous la référence R4*, 1067. 
(q) La Régence - Octobre 1856 indique la vente par M et Mme Gillet de leur établissement à M. Delaunnay. Delaunnay est également cité en 1859 dans le livre "Paul Morhy, the chess champion" de F.Edge.
(r) https://lecafedelaregence.blogspot.com/2021/04/la-fin-du-cafe-de-la-regence.html
(s) Ajout du prénom de M. Pierre-Octave Brun, grâce à Mme Marie-Hélène Imbaud (septembre 2018).
(t) Précision sur la date de changement entre Delaunay et Gillet https://lecafedelaregence.blogspot.com/2022/10/precision-sur-un-changement-de.html 
(u) Le prénom a été trouvé sur les archives numérisées de la ville de Paris. Voir la note (t) précédente.

Remarques sur le tableau
Un "?" dans le tableau indique que la date n'est pas connue. 
Si j'ai mis un "?" devant la ligne c'est qu'il y a une incertitude sur cette date.
La colonne "présence" indique que la personne était le propriétaire avéré à cette date.
Ainsi pour M.Beaupied, je sais qu'il était propriétaire en 1799, mais je en connais pas la date de son arrivée.

Enfin je ne pouvais pas terminer cet article sans mentionner l'extrait suivant de l'Almanach du commerce de Paris 1820 - Source Google Book... Dans Paris on trouvait alors des métiers improbables à notre époque !

samedi 24 septembre 2011

Les échecs, un sport !

Grâce aux efforts de la Fédération Française des Echecs, le jeu d'échecs a été reconnu comme "sport" depuis janvier 2000.
Arrêté du 19 janvier 2000 du ministre chargé des Sports (Bulletin officiel du ministère de la jeunesse et des sports du 29 février 2000).
Mais le chemin est encore long avant d'être reconnu comme fédération sportive délégataire, ce qui permettrait de passer de l'état de survie à vie pour beaucoup de joueurs et d'associations. 

Revenons au Café de la Régence, le sujet qui m'intéresse.
Le 16 janvier 1877, un court article parait dans le journal "Le Petit Parisien" dans la rubrique "SPORT" du journal.
Vous remarquerez qu'il a fallu attendre plus d'un siècle avant d'avoir un statut officiel qui semblait une évidence à l'époque...


SPORT

Un tournoi d’échecs a lieu en ce moment au célèbre Café de la Régence.
Comme dans les courses de chevaux où le handicapeur égalise les chances de gain par le poids qu’ont à porter les chevaux, suivant leur âge, leur origine et leur passé, les joueurs sont divisés en cinq classes par M. Rosenthal, qui dirige le combat.
Les joueurs de même classe ne se rendent aucun avantage ; les autres cèdent à l’adversaire depuis le trait, c’est-à-dire le droit de jouer le premier, jusqu’à la tour qu’abandonnent les concurrents de première classe à ceux de la cinquième.
On ne cède pas deux pièces ; ceux qui ne sont pas de taille à se contenter d’une seule sont exclus.
Les joueurs qui combattent dans la dernière tournée, c’est-à-dire qui se disputent définitivement le prix, sont M.M. Chamier, baron de Foucaut, Ch. Joliet et Maczenski.
Ce dernier, qui est d’une grande force, a été battu par M.Chamier, qui a du ou devra lutter alternativement avec chacun des trois autres concurrents.
On voit parmi les noms des joueurs de la première tournée celui de M. de Bornier, l’auteur de la Fille de Roland.
(Figaro.)





mercredi 21 septembre 2011

Localisation après 1854 (II)

Pour terminer sur la localisation du Café de la Régence voici un récapitulatif.


Grâce à « google map » il est facile de se situer dans Paris.


Agrandir le plan


La description de la localisation définitive est bien rendue dans le « cahier du CREB N°4 » dédié au Café de la Régence. En voici un extrait :

Nouveau transfert du Café de la Régence qui trouve maintenant sa place définitive en face du Théâtre-Français, place Saint-Honoré.

Cahier de l'Echiquier Français, n°33, 1925

''C'est en 1855 qu'eut lieu l'inauguration du Café de la Régence à l'endroit où il est aujourd'hui. Il conserva son caractère et sa clientèle spéciale. Le marquis de Belloy pouvait donc dire dans ses ''Portraits et Souvenirs'' : ''La baguette d'une fée l'a transporté à quelques toises de son emplacement primitif, sans qu'aucune pièce de ses innombrables échiquiers ait tremblé sur sa base légère, sans qu'un seul des joueurs ait cru avoir bougé de sa place''.
Parmi les joueurs distingués qui venaient alors à la Régence, on peut citer le duc de Caraman, le comte de Montaloo, le marquis de Giac, le baron d'André, le vicomte de Vaufreland, Devinck, etc.
Alfred de Musset en était un des clients les plus assidus. Il s'y mesura maintes fois avec le célèbre amateur Arnous de Rivière qui, jusqu'à sa mort, en 1905, ne cessa d'y promener sa haute et noble stature de gentilhomme instruit, distingué et galant avec les femmes comme on l'était sous l'ancien Régime''.

Enfin pour terminer cet article voici une gravure tirée du livre d'Edmond Texier (Tableau de Paris 1852 - Source Gallica) qui montre le résultat attendu des travaux du quartier du Palais du Louvre.


dimanche 18 septembre 2011

Localisation après 1854


Après 1854, le Café de la Régence déménage à nouveau pour prendre place dans un lieu définitif au 161 rue Saint-Honoré.
Malheureusement à l’heure actuelle je ne connais pas la date exacte.

Voici une photo de la façade du café, datant de la fin du XIXème siècle (que j’ai trouvée sur ce forum).


Comme il est indiqué sur ce même forum, des travaux complets de rénovation ont eu lieu en 2009.
L’auteur du post sur ce forum semble bien informé, il indique « Avec le réaménagement de ce quartier sous le Second Empire, le "Café de la Régence" déménagea un temps (en 1852) dans une maison de la toute proche de rue de richelieu. En 1854 il s'installe au n°161 de la rue Saint-Honoré, dans un immeuble nouvellement construit. Il y resta jusqu'en 1974, année où il fut remplacé par l'Office du tourisme marocain. »

Ce dernier point est à vérifier. Si quelqu’un a des éléments à ce sujet je suis preneur. 

La « maison toute proche de la rue de Richelieu » est en fait l’hôtel Dodun au 21 rue de Richelieu. Voir un article précédent à ce sujet.

La façade comportait auparavant encore deux lampadaires (ci-contre une photo d’avant 2009) ainsi que les colonnes apparentes (que l’on voit sur la photo de la fin XIXème).

Le lieu actuel (photo d’août 2011) s’éloigne un peu plus du Café d’origine.
L’intérieur de l’office Marocain du tourisme ne ressemble bien évidemment plus du tout à un café !


samedi 17 septembre 2011

Le matériel utilisé

Avant de poursuivre sur la localisation du Café de la Régence après 1854, je fais une petite divergence pour vous parler du matériel utilisé au café de la Régence.

Avant que ne soit utilisé à notre époque un seul type de pièces lors des compétitions d'échecs, il existait une multitude de formes pour les pièces d'échecs.

L'article de Wikipedia en anglais (celui en Français me semble incomplet) explique la naissance du jeu dit "Staunton" que tout le monde utilise.


Le Café de la Régence utilisait son propre style de pièces qui s'est développé au fil du temps. Il s'agit des pièces "à la Française" ou bien encore "Régence" (du nom du Café).


Ci-dessus la planche sur les pièces du jeu d'échecs dans l'Analyse des échecs de Philidor (1792 - sans doute la troisième édition de son manuel). 
C'est un jeu avec des pièces "à la Française".
Il s'agit probablement d'un jeu comme celui-ci qui était alors utilisé au Café de la Régence durant le XVIIIème siècle.


La forme des pièces évolue ensuite légèrement durant le XIXème siècle en France pour atteindre la forme suivante, classique du jeu "Régence"



Les "ailettes" sur le Roi, la Dame, le Fou et les pions sont caractéristiques.

Quand j'ai débuté dans un club au début des années 1980, je dirai qu'un tiers des jeux étaient dans le style "Régence" dans ce club parisien que je fréquentais. 

mercredi 14 septembre 2011

Localisation du Café de la Régence entre 1852 et 1854

Pour le moment je suis toujours à la recherche des dates exactes. Mais bon cela ne semble pas simple de trouver l'information.

A la BNF se trouve un document intéressant pour cet article, il s'agit du factum de M.Vielle, gérant du café à l'époque, suite à son expulsion de la Place du Palais-Royal.
(Source BNF - Notice N°FRBNF36809037 - ou bien cote 4-FM-24800)

La notice de la BNF indique : "Le célèbre café dût, de 1852 à 1854, s'exiler à l'hôtel Dodun, 21 rue de Richelieu, pendant les travaux d'aménagement de la place du Palais-Royal, pour se réinstaller au 161 de la rue Saint-honoré" (objet d'un prochain article).

Ci-dessus une photo du 21 rue de Richelieu en août 2011.
Dans la notice il est également indiqué "Rue Saint-Thomas du Louvre - Café de la Régence". S'agit-il d'une erreur ? En effet dans l'article sur la première localisation on distingue nettement le café à l'angle de la place du Palais Royal.
Mais effectivement celui-ci se trouvait avant 1852 dans le prolongement de la rue Saint-Thomas du Louvre.

Ci-dessous en italique le texte du factum de M.Vielle (daté de 1853) gérant du Café de la Régence à l'époque.
L'affaire semble bien florissante !

Il y a un point qu'il faudra développer, il s'agit de la phrase "Le Cercle des Echecs et l'estaminet ont été créé en 1840 et 1846 (...)".
J'ai déjà brièvement indiqué la présence de ce "Cercle des Echecs" au premier étage du Café. 
Je vais chercher pour avoir la définition du mot "Estaminet" dans le sens de l'époque. Qu'est ce que cela a ajouté à l'intitulé "Café de la Régence" ?
Toujours est-il que la façade du café porte les deux indications. En regardant bien la gravure, la devanture indique "estaminet de la Régence" sur la gauche et "café de la Régence" en son milieu (Si quelqu'un a une meilleure définition de la gravure qui ne pique pas les yeux je suis preneur :-)) :

(tableau de Paris - Edmond Texier 1852 / 1853 - Source Gallica)

M. VIELLE - CAFE DE LA REGENCE
ESTAMINET – CERCLE DES ECHECS
Demande …… 300,000 francs

BAIL
Le bail a encore 15 ans consécutifs à courir.
Le prix du loyer est de 10,950 fr. jusqu’en 1856 ; il sera de 11,350 fr. à partir de cette époque.

PRIX DE REVIENT
La maison a été acquise par M. Vielle, de son beau-père, en 1836 au prix de .. 160,000 fr.
Le Cercle des Echecs et L’Estaminet ont été créés en 1840 et 1846, et ont coûté d’installation, suivant
Mémoires relevés …….. 53,457 fr.
Enfin, pour obtenir le bail, qui n’aurait pris cours qu’en 1856, on a payé au propriétaire, en 1840, un pot-de-vin qui s’élève à ….. 20,000 fr.
Total du prix de revient … 233,457 fr.

CHIFFRE DES AFFAIRES
En 1836, lors de l’acquisition, les recettes ne s’élevaient  qu’à 72,000 fr.
Elles atteignent aujourd’hui le chiffre de 114,000 fr.

BENEFICES REALISES
Le bénéfice brut tout spécial à la nature des affaires de la maison, est de 60 p. 0/0, soit, sur 114,000 fr. …. 68,400 fr
Les frais généraux s’élèvent, suivant détail ci-joint, à …..28,300 fr.
Le bénéfice net est donc de 40,100 fr

SITUATION CREEE PAR L’EXPROPRIATION
Le Café de la Régence, quoique fort ancien et d’une réputation universelle, n’a cependant de raison d’existence que place du Palais-Royal.
Des propositions de toute nature ont été faites à l’Administration pour conserver la situation, elles sont restées sans résultat.
Le fonds est donc détruit sans utilité.

BASE DE L’INDEMNITE
La gestion d’un établissement de cette nature était des plus simples et des plus faciles.
M. Vielle, en en continuant l’exploitation, aurait certainement réalisé, dans les quinze ans de bail qui lui restent à courir, un capital de 600,000 fr.
Ce bénéfice, dont on prive sans raison M. Vielle et sa famille, représente aujourd’hui, escompte déduit à 6 p. 0/0, un capital de … 320,000 fr.
Duquel il convient de déduire la valeur du matériel restant …. 20,000 fr.
En sorte que l’indemnité due est de 300,000 fr.
Ce chiffre est, au surplus, en rapport avec la valeur du fonds détruit, comparaison faite avec les fonds de premier ordre dans cette industrie, tels que :
Les cafés de Foy, la Rotonde, Procope, Français, de Malte, et Hollandais, vendus 500,000  fr. , 300,000  fr. , 250,000 fr.  , 272,000 fr.  , 250,000 fr. et 300,000 fr.

ANNEXE
Frais généraux
Loyer … 10,950 fr.
Impôts … 750 fr.
Eclairage au gaz et à l’huile … 3,000 fr.
Eau et filtre … 110 fr.
Charbon de terre, bois, coke … 1,100 fr.
Journaux … 1,800 fr.
Jeux … 100 fr.
Achats d’ustensiles divers, porcelaine, verrerie, chaudronnerie, corbeilles, bouteilles, etc. … 1,340 fr.
Blanchissage et linge … 1,200 fr.
Entretien, tapisserie, serrurerie, peinture … 800 fr.
Deux demoiselles de comptoir … 1,000 fr.
Une fille de cuisine … 250 fr.
Nourriture des maîtres et du personnel … 4,000 fr.
Entretien des patrons … 1,600 fr.
Etrennes, ports de lettres, etc. … 300 fr
Total … 28,300 fr.

mardi 13 septembre 2011

Localisation du café de la régence avant 1852 (II)

Pour terminer et compléter mon précédent article avec la localisation première du café de la Régence, voici une gravure que j'ai trouvé dans le livre "tableau de Paris - Edmond Texier 1852 / 1853 - Source Gallica.

On observe bien la situation en angle du Café de la Régence. L'entrée est même indiquée sur la droite de la gravure. Il est alors possible de comparer avec le plan sommaire que je mentionne dans l'article précédent.
(Source : Archives de Paris – Cadastre par îlots de Vasserot et Bellanger 1810 – 1836 (îlots 19 & 20 – F/31/73/61) - Merci aux archives nationales pour leur aimable autorisation de publier le plan)

Localisation du café de la régence avant 1852

25/12/2020 : Correction de l'erreur dans la référence du plan (îlots 19 & 20 – F/31/73/41 au lieu d'îlots 19 & 20 – F/31/73/61) et ajout d'un lien internet vers les archives de Paris.

Comme je l’ai indiqué dans l’introduction de ce blog, le café de la régence a connu plusieurs localisations. Cet article traite de sa première localisation.

Le café d’origine se situait sur la place du Palais Royal depuis sa fondation en 1688 (voir article à suivre). L’adresse que l’on retrouve sur plusieurs sources est celle du « 243 place du Palais Royal ». Au sujet de la numérotation des rues de Paris l’article de Wikipedia sur la numérotation des rues de Paris est très intéressant.
La revue d’échecs « Le Palamède » (ci-dessus, source : document numérisé sur Google book) de 1842 indique que le « Cercle des Echecs » se trouve à cette adresse. Je reviendrai sur ce « Cercle des Echecs », mais il faut savoir qu’à cette époque il se trouvait au 1er étage du Café de la Régence.

Mais il s’agit d’une Place du Palais Royal qui n’a rien à voir avec la place actuelle. En effet entre la fin du 17ème siècle et le milieu du 19ème siècle beaucoup d’évènements ont modelé cette place et ses environs immédiats.

Voici un extrait du magnifique plan dit « de Turgot » (1739) qui donne une bonne vision aérienne de ce secteur (cliquez dessus pour l’agrandir). Notez que sur le site de Wikipedia vous le trouverez en intégralité et en bonne résolution (possibilité de zoomer).
Le pâté de maisons dans lequel se trouve le café est « collé » à l’hôpital des quinze-vingt (hôpital qui a déménagé en 1779 et se trouve désormais Rue de Charenton non loin de la place de la Bastille). Le café de la Régence se trouve dans l’immeuble que j'ai cerclé en rouge sur le plan si vous cliquez dessus.
Si vous connaissez un peu le quartier vous verrez des noms de rues qui n’existent plus. Je pense en particulier à la rue Saint-Niçaise lieu tristement célèbre pour être celui du premier attentat à la voiture piégée de l’histoire (en 1800 contre le général Bonaparte, Premier Consul).
De même de l’autre côté de la place, le Palais Royal actuel a pas mal changé. Mais il subsiste la rue de Richelieu qui nous sera utile pour un prochain article !

Un autre point qui peut surprendre sur le plan dit « de Turgot ». La Rue de Rivoli qui longe le Louvres n’existe bien évidemment pas encore. A la place se trouve de nombreuses rues. Certaines formant un quartier à part entière qui s’enfonce jusqu’au cœur du Louvres tel que nous le connaissons actuellement. Prenez par exemple la rue Saint-Thomas du Louvres qui part de la place du Palais Royal et qui se prolonge quasiment jusqu’à la Seine

Voici l’avis de Victor Hugo au sujet de la rue de Rivoli
Le vieux Paris n'est plus qu'une rue éternelle
Qui s'étire élégante et droite comme un I
En disant : Rivoli, Rivoli, Rivoli

Le palais des tuileries (destruction sous la commune en 1870 – présent en bas à droite de l’extrait du plan de Turgot) existe bien entendu sur le plan de Turgot et il n’est pas encore relié au vieux Palais du Louvres (Second Empire - 1870).

Notez que sur la place du Palais Royal se trouve un bâtiment appelé « Château d’eau ».
Il sera le lieu de violents combats qui eurent une influence curieuse sur le Café de la Régence

(…) Pendant les journées de juillet 1830, il eut à subir le choc d’un combat très vif qui se livra devant ses portes ; les balles frappèrent sa façade qui en souffrit sérieusement. On ne s’en préoccupa nullement à l’intérieur ; on ne discuta pas même les chances des combattants.

Le 24 février 1848, il revit la lutte à son seuil ; on sait que le château d’eau de la petite place du Palais-Royal, qu’occupaient des soldats de la ligne et des gardes nationaux, fut détruit par un incendie. On n’en vit que plus clair pour continuer les parties ! (…)

(Source : Paris, Café de la Régence – Monographie de Charles Mallet 1893 – BNF François Mitterand)

Sur le site des archives de Paris voici un plan (ci-dessous) de la place du Palais Royal vers 1820. La Rue de Rivoli a été percée en partie (ceci n’apparaît pas sur le plan – la rue est un peu plus loin).
On observe que l’hôpital des Quinze-Vingt a été remplacé par des habitations et des rues.

Et comme vous pouvez le voir le 243 de la place du Palais Royal se trouve sur le plan ci-dessous (à l'angle de la place du Palais Royal).

(Source : Archives de Paris – Cadastre par îlots de Vasserot et Bellanger 1810 – 1836 (îlots 19 & 20 – F/31/73/41) - Merci aux archives nationales pour leur aimable autorisation de publier le plan)

Voici le plan du Café (extrait de la planche ci-dessus).

Pour terminer voici la suite du texte que je cite quelques lignes plus haut :

« (…) En toutes circonstances, ce fut comme au temps de la première Révolution, quand passait la charrette des condamnés : tout au calme silencieux des échecs.

Du reste, des aventures, des désordres, des troubles du genre privé avaient pour ainsi dire lieu de façon permanente, sans déranger les joueurs de la Régence, sur cette vieille place qui n’avait pour aboutissant que des rues étroites, tortueuses et laides, plus ou moins bien famées, telles que les rues Pierre-Lescot, Froidmanteau, de la Bibliothèque et d’autres.

Enfin, le second Empire à son commencement, résolu la réunion du Louvres aux Tuileries, et la transformation du Carrousel, ce qui eut pour conséquence la démolition complète de tout ce vieux quartier. Exproprié, le Café de la Régence quitta l’angle de l’ancienne place du Palais Royal (…) »

(Source : Paris, Café de la Régence – Monographie de Charles Mallet 1893 – BNF François Mitterand)


samedi 10 septembre 2011

Introitus

Depuis plusieurs années je me passionne pour un lieu mythique du jeu d’échecs malheureusement disparu : Le Café de la Régence.
Ce lieu a été le centre du monde échiquéen durant plus d’un siècle et ce simple fait a suffi à aiguiser ma curiosité de joueur d’échecs.

Les plus forts joueurs d’échecs savaient que la gloire passait par ce lieu unique au monde et n’hésitaient pas à franchir l’Atlantique ou traverser toute l’Europe pour affronter les meilleurs joueurs français.
Mais il était également possible de croiser un grand nombre de personnes, influentes dans différents domaines, qui aimaient venir "pousser du bois".
Ainsi Diderot, Robespierre, Bonaparte, Alfred de Musset, Jules Grévy pour n’en citer que quelques uns jouèrent au Café de la Régence.

Cet estaminet a également traversé une période très agitée de l’histoire parisienne et française.
Ainsi, il fut par exemple « victime » des grands travaux parisien du 19ème siècle (Second Empire) et il dut déménager.
Ainsi, je trouve qu’un parallèle avec les évènements de chaque époque est très intéressant pour comprendre son évolution et ses activités.

En cherchant sur internet, il est possible de trouver quelques bribes de-ci de-là de son histoire. Les informations sont assez parcellaires et trop succinctes à mon goût.
A une exception formidable : Le Cercle Royal des Echecs de Bruxelles qui a mis en ligne fin 2007 un document exceptionnel sur la chronologie du Café de la Régence, signé Etienne Cornil.
Si vous ne connaissez pas cette brochure, alors précipitez vous sur ce travail de grande qualité.

Si cela est possible, mon projet est d’essayer d’aller plus loin que ce cahier et de vous faire part de mes recherches.
Contrairement à un texte imprimé qu’il faut bien terminer un jour, ce site internet restera constamment ouvert au gré des différentes découvertes que je ferai ou qu’on me fera partager.

La numérisation des livres et leur mise à disposition sur Internet ouvre des perspectives insoupçonnées.
Ainsi, la mise en ligne par la BNF de très nombreux documents sur le site Gallica, ou bien encore Google Book, permettent de gagner du temps dans la consultation des documents de différentes époques. Il s’agit d’une véritable mine d’or !
Il faut ensuite assembler les textes pour constituer une vue d’ensemble des évènements qui se déroulèrent dans ce lieu.
Mais certains documents nécessitent de se déplacer à la BNF François Mitterrand.
Le fait d’habiter à Paris à proximité de celle-ci est bien entendu un atout non négligeable pour ce type de passion !

Avant de démarrer dans le vif du sujet il est possible de déterminer plusieurs périodes pour ce lieu :

Ainsi à mes yeux il existe 3 périodes « géographiques »

1)      De sa fondation jusqu’aux travaux de la place du Palais Royal
2)      Les travaux et l’exil rue de Richelieu de 1852 à 1854
3)      Le « nouveau » Café de la Régence de 1854 à sa « chute d’activité » en tant que temple du jeu d’échecs en 1918.

Ensuite il existe 2 périodes concernant la documentation disponible.

1)      De sa fondation à 1836 avec la création de la première revue dédiée au jeu d’échecs « Le Palamède ».
2)      A partir de 1836 jusqu’à sa disparition.

A partir de 1836 comme il est facile de comprendre, la documentation devient beaucoup plus abondante du fait des revues d’échecs qui se succèdent et qui ont un lien très particulier avec le Café de la Régence.
Ces repères me semblent importants.

Il est dommage que ce lieu n’intéresse pas beaucoup de personnes en France semble-t-il. J'espère me tromper.
L'histoire du jeu d'échecs est très riche en France. Pour le jeu d’échecs en France au 20ème siècle il faut consulter le site « héritage des échecs Français ».
La revue Europe-Echecs publie chaque mois un article sur l'histoire des joueurs d'échecs grâce à Georges Bertola.
Dommage de ne rien trouver en ligne car leurs archives doivent être considérables.

J’ai déjà fait référence à nos amis Belges de Bruxelles et cette merveilleuse brochure. Mais la photo ci-contre montre également l’intérêt de ce lieu par exemple en Russie !
En effet la cérémonie d’ouverture de la coupe du monde d’échecs 2011 en Sibérie à Khanty-Mansisk comportait notamment un spectacle chorégraphique reprenant directement le thème du Café de la Régence.

Enfin, le titre de cet article renvoie au texte du requiem :
Lux perpetua luceat eis.
Que la lumière éternelle les illumine.

Beaucoup de très forts joueurs du Café de la Régence finirent dans la plus totale misère pour avoir essayer de survivre de leur passion (Philidor, Labourdonnais, Kieseritzky etc…).
Leurs concepts étaient novateurs pour l’époque, leurs parties parfois incroyables ont été et seront maintes et maintes fois recopiées. Une lumière éternelle les illumine.
J’espère leur rendre ainsi un modeste hommage.

Pour terminer cet article liminaire, et comme vous avez du le deviner, ce site parlera donc de tout ce qui touche de près ou de loin la Café de la Régence.
J’espère que vous passerez un moment agréable en découvrant la richesse historique de ce lieu qui malheureusement n’existe plus.